22 MAI 2015 | PAR FABRICE ARFI ET ELLEN SALVI
Les présidents du Mali et du Gabon ont été écoutés téléphoniquement dans le cadre des investigations judiciaires visant l’homme d’affaires corse Michel Tomi, à la tête d’un empire financier en Afrique. Les retranscriptions policières révèlent un vaste système de largesses en tout genre dont profitent les deux chefs d’État africains concernés, Ibrahim Boubacar Keita (Mali) et Ali Bongo (Gabon). De la pure corruption pour les juges.
Le 28 mars 2014, à 12h55, Michel Tomi, surnommé le “parrain des parrains”, condamné plusieurs fois par la justice dans des affaires financières liées à la mafia corse, décroche son téléphone. Un vieux complice est au bout du fil, Pierre-Nonce Lanfranchi, dit “Nono”. « Putain, ils ne te lâchent plus ! », s’agace “Nono”, élu historique du petit village de Guitera-les-Bains (Corse-du-Sud), entre deux échanges en langue insulaire avec l’homme d’affaires. Il faut dire que, ce jour-là, un article du Monde révélant l’existence d’une enquête judiciaire d’ampleur contre Michel Tomi tourne sur la Toile depuis plus d’une heure.
« Qu’est-ce qu’ils me cherchent ! », confirme Michel Tomi, alors écouté par les policiers de l’Office anti-corruption de Nanterre. « Ah, mais on dirait qu’ils cherchent plutôt IBK », avance “Nono”. Ces initiales sont celles de l’actuel président du Mali : Ibrahim Boubacar Keita. Un « ami » de la France, symbole de la politique africaine de François Hollande, que l’on retrouvera aux premiers rangs de la marche officielle des chefs d’État du monde entier, le 11 janvier dernier, après les attentats de Paris.
« Il va finir en garde à vue, hein ? », interroge “Nono”. « Je ne crois pas, non », le rassure Tomi. « Mais il y a quelqu’un qui bouge par derrière, c’est pas possible », suggère son ami. « Bien sûr. Tu as raison », confirme l’homme d’affaires. Puis les deux hommes s’amusent du surnom (le “parrain des parrains”) de Michel Tomi, exilé depuis plusieurs décennies en Afrique, où cet ancien pilier de l’ombre du clan Pasqua — il a été condamné dans l’affaire du casino d’Annemasse — a bâti avec son groupe Kabi un empire autour des jeux, puis de l’immobilier, puis de l’aviation, puis de tout ce qui est juteux. Au Cameroun, au Gabon, au Mali. Le tout sous le regard longtemps bienveillant de la France, de sa police et de ses services secrets.
Les temps ont, semble-t-il, changé et “Nono” n’a pas tout à fait tort. Même s’il est actuellement protégé pénalement par son statut de chef d’État, le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keita, est bel et bien dans le radar des policiers et de la justice française, selon de nombreux documents réunis par Mediapart. De manière incidente, IBK a même été écouté téléphoniquement à de très nombreuses reprises en 2013 et 2014 dans le cadre de l’enquête des juges Serge Tournaire et Hervé Robert (parti au printemps à la Cour des comptes) sur l’empire Tomi. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Un autre chef d’État africain — et non des moindres —, Ali Bongo, le président du Gabon, a lui aussi été écouté.
Les retranscriptions policières révèlent un vaste système de largesses en tout genre mis en place par Michel Tomi au profit d’IBK et, dans une moindre mesure, d’Ali Bongo : croisières sur un yacht, voyages en jets privés, séjours dans les plus grands palaces parisiens, transport en limousines, achats de costumes de luxe, de voitures, de lunettes, soins médicaux réglés rubis sur l’ongle.
Contactées, les présidences du Mali et du Gabon n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
Tomi se met en quatre pour satisfaire les moindres désirs des présidents. Il est leur homme. Leur tiroir-caisse. Le facilitateur pour leur rendre la vie plus douce, à tous points de vue. Il fluidifie. En contrepartie, il a le champ libre pour faire prospérer ses affaires sur le continent. Pour justifier ces faveurs, l’homme d’affaires préfère revendiquer un lien de nature « familiale » avec Keita et Bongo, comme il le fera par exemple en garde à vue devant les enquêteurs.
Soupçonné par les polices françaises d’être, au mieux, le banquier du milieu corse et, au pire, l’un de ses parrains les plus redoutables, Michel Tomi a tout fait pour tromper la surveillance judiciaire. En vain. Dans une écoute du 31 mars 2014, à 18 h 58, trois jours après les révélations du Monde, l’homme d’affaires explique ainsi au couple Keita — il parle à l’un et à l’autre à tour de rôle — qu’il utilise un numéro spécial pour ses conversations avec eux. « Il est que pour vous […] Tu vois, je m’en sers qu’au Mali, donc il a pas été touché par tous ces problèmes », confie-t-il, de manière à peine codée.
Le même jour, mais dix minutes plus tard, il glisse sur une ligne identifiée par les policiers comme étant utilisée par les Keita : « Des fois, avec l’autre [téléphone – ndlr] je peux te dire des conneries, hein. Donc, n’en tiens pas compte. Tu vois ce que je veux te dire… La vérité, je la dis sur celui-là hein. » Pas de chance, cette ligne aussi est écoutée. La vérité s’écoulera au fil des mois d’un téléphone l’autre et finira par causer les plus graves ennuis judiciaires que Michel Tomi ait connus ; c’est dire. L’homme d’affaires a été mis en examen, le 20 juin 2014, après 48 heures de garde à vue, pour « corruption d’agents publics étrangers » parmi dix-sept chefs d’inculpation.
Alors que le Mali est classé parmi les pays les plus pauvres du monde en plus de connaître la guerre et le terrorisme, les écoutes Tomi dans lesquelles apparaît IBK montrent un président malien obsédé par la satisfaction de ses besoins dispendieux. Le “parrain des parrains” le couvre d’égards et de cadeaux. Une voiture, pour commencer. Un Range Rover. Écoute du 4 octobre 2013, à 20 h 15 : « Et le Range ? », demande Tomi au président du Mali. « Impeccable, impeccable… », répond l’intéressé, qui n’a rien payé, d’après la justice. Le Corse, telle une nounou pour chef d’État, rappelle ensuite à IBK sa prescription médicale, listant les médicaments qu’il doit prendre sans faute.
L’homme d’affaires ne ménage pas ses efforts pour permettre au président malien de bénéficier des meilleurs soins en France. Le 3 décembre 2013, après s’être assuré qu’IBK a bien réceptionné le manteau qu’il vient de lui faire livrer (« comme ça demain vous vous couvrez bien »), Tomi tente un trait d’humour pour souligner à quel point il s’est démené pour obtenir un rendez-vous médical. Au bout du fil, celui qui fut élu vice-président de l’Internationale socialiste en 1999 semble réceptif.
— Tomi : « Vous savez la dernière pour un socialiste ? On va casser la grève demain, parce qu'il y a grève dans les hôpitaux à Marseille mais pour vous on va ouvrir l’IRM. »
— IBK : « Ouuuh mon frère. »
— Tomi : « Hein… »
— IBK : « Tu fais de moi un briseur de grève ! »
— Tomi : « Voilà ! Briseur de grève ! J’ai déjà préparé le panneau “IBK contre la grève”. »
Beaucoup de conversations entre Tomi et IBK tournent également autour de l’aviation de luxe. D’abord au sujet d’un jet privé Bombardier Global Express, propriété du groupe de Michel Tomi, que la présidence malienne loue pour un million d’euros « alors même que l’État malien semble disposer d’un avion présidentiel », s’étonnent les enquêteurs de l’Office anti-corruption dans un rapport de synthèse de mars 2014. Il est aussi question de l’acquisition pour le président IBK d’un avion estimé à 36 millions de dollars par l’intermédiaire d’une société basée à Hong Kong, Skycolor.
Le mandat signé entre l’État malien et Skycolor, dont la justice a échoué à découvrir les vrais bénéficiaires économiques faute de coopération judiciaire, prévoit une commission de 5 % sur la vente au profit de ses mystérieux ayants droit. Les policiers soupçonnent que Tomi ou des proches se cachent en réalité derrière toute l’opération. Le principal intéressé s’en défend.
Les écoutes montrent pourtant bien que tout le clan Tomi s’investit intensément dans cette vente. Par pure amitié, donc. Les policiers soulignent d’ailleurs dans le même rapport de synthèse « l’influence » de Tomi exercée sur IBK, de telle sorte que quand deux ministres du gouvernement malien s’opposent à l’achat de l’avion pour des raisons de bonne gestion, « Michel Tomi en est informé et contacte immédiatement le président malien, lui demandant d’appeler ses ministres ». « Le soir même, le président malien prend attache avec Tomi pour l’informer qu’il a contacté son ministre de l’économie et que la signature de la vente de l’avion ne pose aucun problème », notent, sidérés, les enquêteurs.
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Les présidents du Mali et du Gabon ont été écoutés téléphoniquement dans le cadre des investigations judiciaires visant l’homme d’affaires corse Michel Tomi, à la tête d’un empire financier en Afrique. Les retranscriptions policières révèlent un vaste système de largesses en tout genre dont profitent les deux chefs d’État africains concernés, Ibrahim Boubacar Keita (Mali) et Ali Bongo (Gabon). De la pure corruption pour les juges.
Le 28 mars 2014, à 12h55, Michel Tomi, surnommé le “parrain des parrains”, condamné plusieurs fois par la justice dans des affaires financières liées à la mafia corse, décroche son téléphone. Un vieux complice est au bout du fil, Pierre-Nonce Lanfranchi, dit “Nono”. « Putain, ils ne te lâchent plus ! », s’agace “Nono”, élu historique du petit village de Guitera-les-Bains (Corse-du-Sud), entre deux échanges en langue insulaire avec l’homme d’affaires. Il faut dire que, ce jour-là, un article du Monde révélant l’existence d’une enquête judiciaire d’ampleur contre Michel Tomi tourne sur la Toile depuis plus d’une heure.
« Qu’est-ce qu’ils me cherchent ! », confirme Michel Tomi, alors écouté par les policiers de l’Office anti-corruption de Nanterre. « Ah, mais on dirait qu’ils cherchent plutôt IBK », avance “Nono”. Ces initiales sont celles de l’actuel président du Mali : Ibrahim Boubacar Keita. Un « ami » de la France, symbole de la politique africaine de François Hollande, que l’on retrouvera aux premiers rangs de la marche officielle des chefs d’État du monde entier, le 11 janvier dernier, après les attentats de Paris.
« Il va finir en garde à vue, hein ? », interroge “Nono”. « Je ne crois pas, non », le rassure Tomi. « Mais il y a quelqu’un qui bouge par derrière, c’est pas possible », suggère son ami. « Bien sûr. Tu as raison », confirme l’homme d’affaires. Puis les deux hommes s’amusent du surnom (le “parrain des parrains”) de Michel Tomi, exilé depuis plusieurs décennies en Afrique, où cet ancien pilier de l’ombre du clan Pasqua — il a été condamné dans l’affaire du casino d’Annemasse — a bâti avec son groupe Kabi un empire autour des jeux, puis de l’immobilier, puis de l’aviation, puis de tout ce qui est juteux. Au Cameroun, au Gabon, au Mali. Le tout sous le regard longtemps bienveillant de la France, de sa police et de ses services secrets.
Les temps ont, semble-t-il, changé et “Nono” n’a pas tout à fait tort. Même s’il est actuellement protégé pénalement par son statut de chef d’État, le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keita, est bel et bien dans le radar des policiers et de la justice française, selon de nombreux documents réunis par Mediapart. De manière incidente, IBK a même été écouté téléphoniquement à de très nombreuses reprises en 2013 et 2014 dans le cadre de l’enquête des juges Serge Tournaire et Hervé Robert (parti au printemps à la Cour des comptes) sur l’empire Tomi. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Un autre chef d’État africain — et non des moindres —, Ali Bongo, le président du Gabon, a lui aussi été écouté.
Les retranscriptions policières révèlent un vaste système de largesses en tout genre mis en place par Michel Tomi au profit d’IBK et, dans une moindre mesure, d’Ali Bongo : croisières sur un yacht, voyages en jets privés, séjours dans les plus grands palaces parisiens, transport en limousines, achats de costumes de luxe, de voitures, de lunettes, soins médicaux réglés rubis sur l’ongle.
Contactées, les présidences du Mali et du Gabon n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
Tomi se met en quatre pour satisfaire les moindres désirs des présidents. Il est leur homme. Leur tiroir-caisse. Le facilitateur pour leur rendre la vie plus douce, à tous points de vue. Il fluidifie. En contrepartie, il a le champ libre pour faire prospérer ses affaires sur le continent. Pour justifier ces faveurs, l’homme d’affaires préfère revendiquer un lien de nature « familiale » avec Keita et Bongo, comme il le fera par exemple en garde à vue devant les enquêteurs.
Soupçonné par les polices françaises d’être, au mieux, le banquier du milieu corse et, au pire, l’un de ses parrains les plus redoutables, Michel Tomi a tout fait pour tromper la surveillance judiciaire. En vain. Dans une écoute du 31 mars 2014, à 18 h 58, trois jours après les révélations du Monde, l’homme d’affaires explique ainsi au couple Keita — il parle à l’un et à l’autre à tour de rôle — qu’il utilise un numéro spécial pour ses conversations avec eux. « Il est que pour vous […] Tu vois, je m’en sers qu’au Mali, donc il a pas été touché par tous ces problèmes », confie-t-il, de manière à peine codée.
Le même jour, mais dix minutes plus tard, il glisse sur une ligne identifiée par les policiers comme étant utilisée par les Keita : « Des fois, avec l’autre [téléphone – ndlr] je peux te dire des conneries, hein. Donc, n’en tiens pas compte. Tu vois ce que je veux te dire… La vérité, je la dis sur celui-là hein. » Pas de chance, cette ligne aussi est écoutée. La vérité s’écoulera au fil des mois d’un téléphone l’autre et finira par causer les plus graves ennuis judiciaires que Michel Tomi ait connus ; c’est dire. L’homme d’affaires a été mis en examen, le 20 juin 2014, après 48 heures de garde à vue, pour « corruption d’agents publics étrangers » parmi dix-sept chefs d’inculpation.
Alors que le Mali est classé parmi les pays les plus pauvres du monde en plus de connaître la guerre et le terrorisme, les écoutes Tomi dans lesquelles apparaît IBK montrent un président malien obsédé par la satisfaction de ses besoins dispendieux. Le “parrain des parrains” le couvre d’égards et de cadeaux. Une voiture, pour commencer. Un Range Rover. Écoute du 4 octobre 2013, à 20 h 15 : « Et le Range ? », demande Tomi au président du Mali. « Impeccable, impeccable… », répond l’intéressé, qui n’a rien payé, d’après la justice. Le Corse, telle une nounou pour chef d’État, rappelle ensuite à IBK sa prescription médicale, listant les médicaments qu’il doit prendre sans faute.
L’homme d’affaires ne ménage pas ses efforts pour permettre au président malien de bénéficier des meilleurs soins en France. Le 3 décembre 2013, après s’être assuré qu’IBK a bien réceptionné le manteau qu’il vient de lui faire livrer (« comme ça demain vous vous couvrez bien »), Tomi tente un trait d’humour pour souligner à quel point il s’est démené pour obtenir un rendez-vous médical. Au bout du fil, celui qui fut élu vice-président de l’Internationale socialiste en 1999 semble réceptif.
— Tomi : « Vous savez la dernière pour un socialiste ? On va casser la grève demain, parce qu'il y a grève dans les hôpitaux à Marseille mais pour vous on va ouvrir l’IRM. »
— IBK : « Ouuuh mon frère. »
— Tomi : « Hein… »
— IBK : « Tu fais de moi un briseur de grève ! »
— Tomi : « Voilà ! Briseur de grève ! J’ai déjà préparé le panneau “IBK contre la grève”. »
Beaucoup de conversations entre Tomi et IBK tournent également autour de l’aviation de luxe. D’abord au sujet d’un jet privé Bombardier Global Express, propriété du groupe de Michel Tomi, que la présidence malienne loue pour un million d’euros « alors même que l’État malien semble disposer d’un avion présidentiel », s’étonnent les enquêteurs de l’Office anti-corruption dans un rapport de synthèse de mars 2014. Il est aussi question de l’acquisition pour le président IBK d’un avion estimé à 36 millions de dollars par l’intermédiaire d’une société basée à Hong Kong, Skycolor.
Le mandat signé entre l’État malien et Skycolor, dont la justice a échoué à découvrir les vrais bénéficiaires économiques faute de coopération judiciaire, prévoit une commission de 5 % sur la vente au profit de ses mystérieux ayants droit. Les policiers soupçonnent que Tomi ou des proches se cachent en réalité derrière toute l’opération. Le principal intéressé s’en défend.
Les écoutes montrent pourtant bien que tout le clan Tomi s’investit intensément dans cette vente. Par pure amitié, donc. Les policiers soulignent d’ailleurs dans le même rapport de synthèse « l’influence » de Tomi exercée sur IBK, de telle sorte que quand deux ministres du gouvernement malien s’opposent à l’achat de l’avion pour des raisons de bonne gestion, « Michel Tomi en est informé et contacte immédiatement le président malien, lui demandant d’appeler ses ministres ». « Le soir même, le président malien prend attache avec Tomi pour l’informer qu’il a contacté son ministre de l’économie et que la signature de la vente de l’avion ne pose aucun problème », notent, sidérés, les enquêteurs.
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