Alors que tous les regards sont tournés vers l'Iran, l’Arabie saoudite s’est lancée dans un vaste projet de nucléarisation civile visant à compenser une consommation de pétrole gargantuesque. La France ne cache d'ailleurs pas ses ambitions commerciales. Mais faut-il craindre un détournement de ce programme à des fins militaires ?
Alors que les pouparlers sur le nucléaire iranien se poursuivent, que les Américains considèrent désormais Téhéran comme un pivot possible pour stabiliser la région et voit même dans ce pays un partenaire éventuel dans son combat contre l’Etat islamique, la France continue, elle, invariablement de soutenir les rivaux saoudiens. Au point même de se demander si chaque nouvelle négociation à venir avec Téhéran n’est pas une opportunité pour Paris et sa « ligne dure » de décrocher des contrats à Riyad. Les Saoudiens sont en effet entrés dans une frénésie d’achats d’armes pour tenter de compenser la glissade américaine vers l’Iran.
L’Arabie saoudite et la France ont, par ailleurs, tout récemment signé trois accords de coopération liés au nucléaire civil. Mais Paris en veut toujours plus… Le 24 juin, Laurent Fabius annonçait encore que les deux pays étudiaient la possibilité de doter l'Arabie saoudite de deux réacteurs EPR dernier cri. Une déclaration qui n’intervient pas par hasard. Echaudées par l’attitude de Washington dans les négociations sur le nucléaire iranien, les autorités saoudiennes ont décidé de s’affranchir des Américains dans plusieurs secteurs clés.
Dans le domaine nucléaire, l’Arabie saoudite s’est ainsi lancée dans un chantier pharaonique : construire 17 centrales sur son territoire pour 2032. Le projet doit à terme permettre de générer 17 gigawatts, soit l'équivalent du quart environ de la production nucléaire française. C’est que la nucléarisation de sa consommation électrique apparaît comme une nécessité pour le pays. L’Arabie saoudite flambe, en effet, chaque jour le quart de sa production quotidienne de pétrole pour ses transports, sa désalinisation d’eau de mer et sa consommation électrique. Si pareil rythme est conservé, le pays passerait du statut de premier exportateur d’or noir à celui de simple importateur d’ici une génération. Le nucléaire représenterait donc, dans l'esprit de Ryad, un investissement indispensable à la préservation de son indépendance énergétique et potentiellement, pour Paris, un marché extrêmement lucratif.
Le quai d’Orsay n’est pourtant pas le seul à ambitionner des partenariats. La Russie a ainsi conclu le 18 juin dernier un contrat sur la vente de 16 réacteurs à l’Arabie saoudite. La Corée du Sud espère elle aussi enchaîner les accords, forte de son précédent : en 2009, l’offre française avait été déclinée au profit des autorités de Séoul. Un scénario qui pourrait se réitérer aujourd’hui. « Il y a eu incontestablement des dysfonctionnements à la fois commerciaux et industriels des opérateurs en présence » explique David Rigoulet-Roze. Pour ce chercheur associé à l’Institut français d’analyse atratégique (IFAS), outre « la rivalité latente qui existait jusqu'à récemment entre EDF et Areva », la faute incombe aussi au réacteur EPR lui-même. « Tel qu'il est aujourd'hui, il est trop cher. A Flamanville et en Finlande à Olikiluoto, où des réacteurs de ce type sont en cours de construction, on observe un dépassement spectaculaire des engagement financiers, de l’ordre de 5 milliards. Un EPR NM (nouveau modèle), dont le coût serait minoré de 25 % à 30 %, est donc à l'étude pour aborder plus sereinement le potentiel marché du nucléaire saoudien. » On comprend donc qu’afin d’éviter la situation de 2009, la France doit trouver le moyen d’innover et de conclure rapidement un accord. Faute de quoi, le risque est grand de se trouver écartée au profit d’autres nations déjà engagées dans la course au nucléaire saoudien.
La France souhaite donc aider l’Arabie saoudite à développer son programme nucléaire. A l'inverse du volet iranien, que la diplomatie de Téhéran soutient comme étant civil lui aussi. « A priori, on ne se situe pas sur le même registre » estime David Rigoulet-Roze. « En Iran, il y a la suspicion d’un volet militaire caché derrière le projet de développement du nucléaire civil. La fermeté française est donc marquée pour cette raison. Il n’y a donc pas d’incohérence à ce propos avec l’Arabie saoudite, cette dernière souhaitant officiellement développer un programme nucléaire civil et ses besoins en la matière sont bien réels. »
Se pose tout de même la question d’un possible détournement du programme à des fins militaires. « Cette éventualité vient du fait que l’Iran a développé un programme nucléaire depuis l’époque du Shah, précise le chercheur, lequel programme s'est trouvé prolongé sous la République islamique. L’Arabie saoudite souhaite sans doute ne pas accuser de retard technologique pour ne pas décrocher, stratégiquement parlant ».
Un souhait que le quai d’Orsay, nouveau partenaire clé de l’Arabie saoudite au Moyen-Orient, n'ignore pas. Cela, alors même qu’il entend exporter le savoir-faire nucléaire français chez son allié wahhabite. En mai dernier, le Sunday Times révélait, par le biais d’un responsable américain, que l’Arabie saoudite avait demandé au Pakistan, dont elle finance depuis trente ans le programme nucléaire, un retour sur investissement sous la forme de bombes atomiques disponibles à volonté, mais dont le « produit fini » resterait stationné au Pakistan. Deux ans plus tôt, une première enquête de la BBC avait déjà révélé une entente nucléaire entre le Pakistan et l’Arabie saoudite. Hypothèse toujours envisagée dans le royaume pour ne pas se laisser distancer d’un point de vue technologique par l’Iran. A l’époque, Amos Yadlin, chef du renseignement militaire d’Israël avait commenté que si l’Iran avait la bombe, « les Saoudiens n’attendront pas un mois. Ils ont déjà payé pour la bombe, ils iront au Pakistan et ils prendront ce dont ils ont besoin ».
Une manière de menacer l’Iran et les Etats-Unis en cas d'accord trop permissif, et qui prouve l’intérêt de la royauté saoudienne pour le nucléaire militaire. Et qui pourrait provoquer à long terme une escalade militaire dans la région, notamment de la part de l'Egypte et de la Turquie, selon le journal britannique.
Interrogé sur la question, le ministère des Affaires étrangères se contente de renvoyer à un communiqué de presse de Laurent Fabius, vantant les mérites économiques d’un futur partenariat. L’attrait commercial aurait-il donc pris le pas sur la prudence ? « Les besoins en matière de nucléaire civil ne sont pas un faux prétexte » tempère prudemment M. Rigoulet-Roze. « Il existe une pression commerciale qui n’est pas négligeable puisque cette filière nucléaire civile induit des retombées financières élevées et la création d’un partenariat scientifique fort » observe-t-il. « Mais la gestion du risque de velléités de militarisation à long terme doit évidemment être posée, surtout quand l’on prend en compte qu’il s’agit du Moyen-Orient, région dont l'instabilité n'est pas à prouver. » Et au chercheur de conclure : « Faut-il laisser la peur du risque d’un détournement de l’usage civil au profit d’une finalité militaire dicter notre comportement diplomatique et commercial ? La réponse ne va pas de soi. » A l'évidence, les autorités françaises, elles, ont tranché.
Marianne
Alors que les pouparlers sur le nucléaire iranien se poursuivent, que les Américains considèrent désormais Téhéran comme un pivot possible pour stabiliser la région et voit même dans ce pays un partenaire éventuel dans son combat contre l’Etat islamique, la France continue, elle, invariablement de soutenir les rivaux saoudiens. Au point même de se demander si chaque nouvelle négociation à venir avec Téhéran n’est pas une opportunité pour Paris et sa « ligne dure » de décrocher des contrats à Riyad. Les Saoudiens sont en effet entrés dans une frénésie d’achats d’armes pour tenter de compenser la glissade américaine vers l’Iran.
L’Arabie saoudite et la France ont, par ailleurs, tout récemment signé trois accords de coopération liés au nucléaire civil. Mais Paris en veut toujours plus… Le 24 juin, Laurent Fabius annonçait encore que les deux pays étudiaient la possibilité de doter l'Arabie saoudite de deux réacteurs EPR dernier cri. Une déclaration qui n’intervient pas par hasard. Echaudées par l’attitude de Washington dans les négociations sur le nucléaire iranien, les autorités saoudiennes ont décidé de s’affranchir des Américains dans plusieurs secteurs clés.
Dans le domaine nucléaire, l’Arabie saoudite s’est ainsi lancée dans un chantier pharaonique : construire 17 centrales sur son territoire pour 2032. Le projet doit à terme permettre de générer 17 gigawatts, soit l'équivalent du quart environ de la production nucléaire française. C’est que la nucléarisation de sa consommation électrique apparaît comme une nécessité pour le pays. L’Arabie saoudite flambe, en effet, chaque jour le quart de sa production quotidienne de pétrole pour ses transports, sa désalinisation d’eau de mer et sa consommation électrique. Si pareil rythme est conservé, le pays passerait du statut de premier exportateur d’or noir à celui de simple importateur d’ici une génération. Le nucléaire représenterait donc, dans l'esprit de Ryad, un investissement indispensable à la préservation de son indépendance énergétique et potentiellement, pour Paris, un marché extrêmement lucratif.
Le quai d’Orsay n’est pourtant pas le seul à ambitionner des partenariats. La Russie a ainsi conclu le 18 juin dernier un contrat sur la vente de 16 réacteurs à l’Arabie saoudite. La Corée du Sud espère elle aussi enchaîner les accords, forte de son précédent : en 2009, l’offre française avait été déclinée au profit des autorités de Séoul. Un scénario qui pourrait se réitérer aujourd’hui. « Il y a eu incontestablement des dysfonctionnements à la fois commerciaux et industriels des opérateurs en présence » explique David Rigoulet-Roze. Pour ce chercheur associé à l’Institut français d’analyse atratégique (IFAS), outre « la rivalité latente qui existait jusqu'à récemment entre EDF et Areva », la faute incombe aussi au réacteur EPR lui-même. « Tel qu'il est aujourd'hui, il est trop cher. A Flamanville et en Finlande à Olikiluoto, où des réacteurs de ce type sont en cours de construction, on observe un dépassement spectaculaire des engagement financiers, de l’ordre de 5 milliards. Un EPR NM (nouveau modèle), dont le coût serait minoré de 25 % à 30 %, est donc à l'étude pour aborder plus sereinement le potentiel marché du nucléaire saoudien. » On comprend donc qu’afin d’éviter la situation de 2009, la France doit trouver le moyen d’innover et de conclure rapidement un accord. Faute de quoi, le risque est grand de se trouver écartée au profit d’autres nations déjà engagées dans la course au nucléaire saoudien.
La France souhaite donc aider l’Arabie saoudite à développer son programme nucléaire. A l'inverse du volet iranien, que la diplomatie de Téhéran soutient comme étant civil lui aussi. « A priori, on ne se situe pas sur le même registre » estime David Rigoulet-Roze. « En Iran, il y a la suspicion d’un volet militaire caché derrière le projet de développement du nucléaire civil. La fermeté française est donc marquée pour cette raison. Il n’y a donc pas d’incohérence à ce propos avec l’Arabie saoudite, cette dernière souhaitant officiellement développer un programme nucléaire civil et ses besoins en la matière sont bien réels. »
Se pose tout de même la question d’un possible détournement du programme à des fins militaires. « Cette éventualité vient du fait que l’Iran a développé un programme nucléaire depuis l’époque du Shah, précise le chercheur, lequel programme s'est trouvé prolongé sous la République islamique. L’Arabie saoudite souhaite sans doute ne pas accuser de retard technologique pour ne pas décrocher, stratégiquement parlant ».
Un souhait que le quai d’Orsay, nouveau partenaire clé de l’Arabie saoudite au Moyen-Orient, n'ignore pas. Cela, alors même qu’il entend exporter le savoir-faire nucléaire français chez son allié wahhabite. En mai dernier, le Sunday Times révélait, par le biais d’un responsable américain, que l’Arabie saoudite avait demandé au Pakistan, dont elle finance depuis trente ans le programme nucléaire, un retour sur investissement sous la forme de bombes atomiques disponibles à volonté, mais dont le « produit fini » resterait stationné au Pakistan. Deux ans plus tôt, une première enquête de la BBC avait déjà révélé une entente nucléaire entre le Pakistan et l’Arabie saoudite. Hypothèse toujours envisagée dans le royaume pour ne pas se laisser distancer d’un point de vue technologique par l’Iran. A l’époque, Amos Yadlin, chef du renseignement militaire d’Israël avait commenté que si l’Iran avait la bombe, « les Saoudiens n’attendront pas un mois. Ils ont déjà payé pour la bombe, ils iront au Pakistan et ils prendront ce dont ils ont besoin ».
Une manière de menacer l’Iran et les Etats-Unis en cas d'accord trop permissif, et qui prouve l’intérêt de la royauté saoudienne pour le nucléaire militaire. Et qui pourrait provoquer à long terme une escalade militaire dans la région, notamment de la part de l'Egypte et de la Turquie, selon le journal britannique.
Interrogé sur la question, le ministère des Affaires étrangères se contente de renvoyer à un communiqué de presse de Laurent Fabius, vantant les mérites économiques d’un futur partenariat. L’attrait commercial aurait-il donc pris le pas sur la prudence ? « Les besoins en matière de nucléaire civil ne sont pas un faux prétexte » tempère prudemment M. Rigoulet-Roze. « Il existe une pression commerciale qui n’est pas négligeable puisque cette filière nucléaire civile induit des retombées financières élevées et la création d’un partenariat scientifique fort » observe-t-il. « Mais la gestion du risque de velléités de militarisation à long terme doit évidemment être posée, surtout quand l’on prend en compte qu’il s’agit du Moyen-Orient, région dont l'instabilité n'est pas à prouver. » Et au chercheur de conclure : « Faut-il laisser la peur du risque d’un détournement de l’usage civil au profit d’une finalité militaire dicter notre comportement diplomatique et commercial ? La réponse ne va pas de soi. » A l'évidence, les autorités françaises, elles, ont tranché.
Marianne
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