Bon document comme souvent de la Tribune de Geneve ...qui eclaire bien les problematiques en Turquie
«En Turquie, je crains la légitimité de la violence»
Interview : Face à l’escalade entre forces de sécurité turques et PKK, le professeur Faruk Bilic n’exclut pas une annulation des élections
A moins de deux mois des élections anticipées du 1er novembre, la Turquie s’est enfoncée un peu plus mardi dans la violence, après une nouvelle attaque du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui a tué 14 policiers dans l'est du pays et une série de frappes de l'aviation turque contre les bases des rebelles kurdes en Irak. Depuis Istanbul, Faruk Bilici, professeur en études ottomanes et histoire turque à l’Institut des langues et civilisations orientales (Inalco), dresse un constat très pessimiste de la situation en Turquie.
L’escalade en cours correspond-elle au scénario que l’on prête au président Erdogan, à savoir user de la stratégie de la tension pour espérer gagner les élections ?
L’opinion générale ici est que la lutte contre Daech et le PKK a servi de prétexte au président Erdogan pour régler plusieurs comptes à la fois. D’abord avec ses adversaires politiques du Parti démocratique des peuples (HDP, gauche pro-kurde) qui l’ont privé de sa majorité absolue lors des élections de juin. Et l’ont ainsi empêché de transformer le régime parlementaire en régime présidentiel. Par ce biais, il a voulu à la fois diminuer le prestige de l’HDP, créer un climat d’insécurité pour montrer combien son parti AKP est indispensable. Et surtout démontrer combien il est important qu’un parti (le sien) ait la majorité absolue. C’est clair et net. Il l’a dit lui-même lundi soir à la télévision: s’il avait eu la majorité absolue au parlement, il n’y aurait pas eu cette escalade avec le PKK.
Erdogan a-t-il des chances de gagner son pari?
Rien n’est moins sûr. Car les gens ne sont pas dupes, et commencent à voir comment le président et son parti ont délibérément poussé la Turquie dans une nouvelle guerre. Et je commence très sérieusement à penser qu’il perdra encore deux ou trois points en novembre. Car les Turcs constatent que leur président n’a pas tenu compte de la leçon qu’ils lui ont donnée en juin et que leur vote n’est pas pris en compte. Donc je pense qu’il va recevoir une nouvelle leçon.
Entre le PKK et le pouvoir, les torts sont-ils partagés ?
J’estime que 70% des torts sont du côté du pouvoir et 30% du côté du PKK. Car ce dernier a constaté que face au succès du HDP en juin, il était en train de perdre son poids politique dans la communauté kurde. Du coup, cela a bien arrangé le PKK que le pouvoir rompe le cessez-le-feu. Car en reprenant les armes, le PKK espère redevenir indispensable dans les négociations.
On assisterait donc à la fuite en avant de deux partis qui ont perdu politiquement ?
Absolument. Et cette lutte n’a en fait rien à voir avec la situation réelle de la Turquie. Tant il est vrai que la situation des Kurdes s’est considérablement améliorée ces dernières années. Plus personne aujourd’hui en Turquie ne nie la réalité kurde. Dans les grandes villes, les Kurdes, mais aussi les Turcs blancs (libéraux, démocrates et pro-européens ) ont voté massivement pour le HDP, sorte de Syriza turc. Je pense que la prochaine fois, ces gens vont voter encore plus massivement pour le HDP.
Le HDP sera donc de nouveau l’acteur clé du scrutin ?
Oui, mais il est sur le fil du rasoir. Car d’un côté il doit prendre ses distances du PKK (et il le fait en refusant la violence) pour espérer engranger plus de voix non kurde, et de l’autre, Erdogan et l’AKP font tout pour le pousser à se positionner par rapport au PKK. Eviter de tomber dans le piège du PKK et celui de l’AKP, ce sera tout l’enjeu de la campagne du HDP.
Sur le long terme, quelles sont les revendications des Kurdes ?
La revendication principale des Kurdes de Turquie n’est même pas en Turquie mais sur la frontière syrienne où ils réclament la création d’une autonomie au nord de la Syrie. En créant un tel espace, les Kurdes souhaitent une unité territoriale, un Kurdistan territorial avant une future entité politique. Par ailleurs, les Kurdes attendent de la Turquie qu’elle lutte plus efficacement contre Daech qui est actuellement l’adversaire principal des Kurdes. En Irak, il n’y a aucun PROBLÈMEpuisque les relations entre la Turquie et les Kurdes d’Irak sont excellentes. En Turquie même, leurs revendications sont plus classiques et demandent plus d’autonomie financière, économique, culturelle, etc.
Toujours emprisonné, le leader du PKK Abdullah Öcalan joue-t-il encore un rôle ?
Il est totalement dépassé par les événements. Mis à l’écart par le HDP, il est discrédité par le PKK qui veut l’escalade de la violence alors que lui, Öcalan, prône le dialogue.
Votre pronostic d’ici aux élections ?
Il y aura une escalade de la violence et de l’insécurité, notamment dans la région kurde. Au point que je crains que le gouvernement en profite pour instaurer l’état d’exception et annuler le scrutin. Pour CONTINUER à diriger la Turquie sans légitimité sinon celle de la violence.
(TDG)
(Créé: 08.09.2015, 19h04)
«En Turquie, je crains la légitimité de la violence»
Interview : Face à l’escalade entre forces de sécurité turques et PKK, le professeur Faruk Bilic n’exclut pas une annulation des élections
A moins de deux mois des élections anticipées du 1er novembre, la Turquie s’est enfoncée un peu plus mardi dans la violence, après une nouvelle attaque du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui a tué 14 policiers dans l'est du pays et une série de frappes de l'aviation turque contre les bases des rebelles kurdes en Irak. Depuis Istanbul, Faruk Bilici, professeur en études ottomanes et histoire turque à l’Institut des langues et civilisations orientales (Inalco), dresse un constat très pessimiste de la situation en Turquie.
L’escalade en cours correspond-elle au scénario que l’on prête au président Erdogan, à savoir user de la stratégie de la tension pour espérer gagner les élections ?
L’opinion générale ici est que la lutte contre Daech et le PKK a servi de prétexte au président Erdogan pour régler plusieurs comptes à la fois. D’abord avec ses adversaires politiques du Parti démocratique des peuples (HDP, gauche pro-kurde) qui l’ont privé de sa majorité absolue lors des élections de juin. Et l’ont ainsi empêché de transformer le régime parlementaire en régime présidentiel. Par ce biais, il a voulu à la fois diminuer le prestige de l’HDP, créer un climat d’insécurité pour montrer combien son parti AKP est indispensable. Et surtout démontrer combien il est important qu’un parti (le sien) ait la majorité absolue. C’est clair et net. Il l’a dit lui-même lundi soir à la télévision: s’il avait eu la majorité absolue au parlement, il n’y aurait pas eu cette escalade avec le PKK.
Erdogan a-t-il des chances de gagner son pari?
Rien n’est moins sûr. Car les gens ne sont pas dupes, et commencent à voir comment le président et son parti ont délibérément poussé la Turquie dans une nouvelle guerre. Et je commence très sérieusement à penser qu’il perdra encore deux ou trois points en novembre. Car les Turcs constatent que leur président n’a pas tenu compte de la leçon qu’ils lui ont donnée en juin et que leur vote n’est pas pris en compte. Donc je pense qu’il va recevoir une nouvelle leçon.
Entre le PKK et le pouvoir, les torts sont-ils partagés ?
J’estime que 70% des torts sont du côté du pouvoir et 30% du côté du PKK. Car ce dernier a constaté que face au succès du HDP en juin, il était en train de perdre son poids politique dans la communauté kurde. Du coup, cela a bien arrangé le PKK que le pouvoir rompe le cessez-le-feu. Car en reprenant les armes, le PKK espère redevenir indispensable dans les négociations.
On assisterait donc à la fuite en avant de deux partis qui ont perdu politiquement ?
Absolument. Et cette lutte n’a en fait rien à voir avec la situation réelle de la Turquie. Tant il est vrai que la situation des Kurdes s’est considérablement améliorée ces dernières années. Plus personne aujourd’hui en Turquie ne nie la réalité kurde. Dans les grandes villes, les Kurdes, mais aussi les Turcs blancs (libéraux, démocrates et pro-européens ) ont voté massivement pour le HDP, sorte de Syriza turc. Je pense que la prochaine fois, ces gens vont voter encore plus massivement pour le HDP.
Le HDP sera donc de nouveau l’acteur clé du scrutin ?
Oui, mais il est sur le fil du rasoir. Car d’un côté il doit prendre ses distances du PKK (et il le fait en refusant la violence) pour espérer engranger plus de voix non kurde, et de l’autre, Erdogan et l’AKP font tout pour le pousser à se positionner par rapport au PKK. Eviter de tomber dans le piège du PKK et celui de l’AKP, ce sera tout l’enjeu de la campagne du HDP.
Sur le long terme, quelles sont les revendications des Kurdes ?
La revendication principale des Kurdes de Turquie n’est même pas en Turquie mais sur la frontière syrienne où ils réclament la création d’une autonomie au nord de la Syrie. En créant un tel espace, les Kurdes souhaitent une unité territoriale, un Kurdistan territorial avant une future entité politique. Par ailleurs, les Kurdes attendent de la Turquie qu’elle lutte plus efficacement contre Daech qui est actuellement l’adversaire principal des Kurdes. En Irak, il n’y a aucun PROBLÈMEpuisque les relations entre la Turquie et les Kurdes d’Irak sont excellentes. En Turquie même, leurs revendications sont plus classiques et demandent plus d’autonomie financière, économique, culturelle, etc.
Toujours emprisonné, le leader du PKK Abdullah Öcalan joue-t-il encore un rôle ?
Il est totalement dépassé par les événements. Mis à l’écart par le HDP, il est discrédité par le PKK qui veut l’escalade de la violence alors que lui, Öcalan, prône le dialogue.
Votre pronostic d’ici aux élections ?
Il y aura une escalade de la violence et de l’insécurité, notamment dans la région kurde. Au point que je crains que le gouvernement en profite pour instaurer l’état d’exception et annuler le scrutin. Pour CONTINUER à diriger la Turquie sans légitimité sinon celle de la violence.
(TDG)
(Créé: 08.09.2015, 19h04)