Le 14 novembre 2001, une arme conçue pour attaquer les chars soviétiques dans les plaines européennes fit son apparition dans le ciel de Kaboul, en Afghanistan
Le 14 novembre 2001, cinq semaines après le lancement de la guerre des États-Unis contre al-Qaida, un petit avion télécommandé baptisé Predator décolla, sans personne à son bord, d’une base aérienne américaine située en Ouzbékistan, traversa la frontière afghane et, à l’aide d’une caméra vidéo embarquée, commença à pister un convoi de véhicules censé transporter des leaders djihadistes sur une route de Kaboul. Surveillant les images depuis une caravane garée sur le parking de la CIA à Langley, en Virginie, un groupe d’officiers et d’espions observa le convoi s’arrêter devant un bâtiment. Il suffit d'appuyer sur un bouton et le Predator envoya un missile Hellfire vers le bâtiment, dont la moitié arrière explosa.
Sept personnes ont survécu à l’explosion et furent repérées en train de s’enfuir vers une structure voisine. Un deuxième missile permit de détruire également cet abri. Parmi les morts se trouvait Mohammed Atef, chef militaire d’al-Qaida et beau-fils d’Oussama ben Laden. Cinq semaines plus tôt, le 7 octobre, une frappe de drone avait été lancée contre une autre caravane, dans laquelle se trouvait, cette fois-ci, le mollah Omar, chef des Talibans. Mais le missile ayant loupé sa cible, le doute continuait à planer autour de cette toute nouvelle technologie. L’élimination d’Atef marqua donc le véritable début de l’ère du drone de combat, arme qui incarne depuis le style de guerre des États-Unis au XXIe siècle.
L'invention d'un physicien
L’histoire de cette arme, et de cette nouvelle ère, est pour le moins originale. L’idée en elle-même remonte au début des années 1970. Elle avait germé dans l’esprit du physicien nucléaire John S. Foster, qui était alors responsable des questions scientifiques au Pentagone. Amateur d’aéromodélisme, Foster avait imaginé équiper un avion un peu plus gros que les maquettes qu’il affectionnait d’une caméra pouvant renvoyer des images en temps réel à un poste de commande et d’une bombe pouvant être actionnée par télécommande. Ces technologies n’existant pas encore, Foster mandata la DARPA, Defense Advanced Research Projects Agency (Agence pour les projets de recherche avancée de défense) pour mettre au point deux «véhicules pilotés à distance», chacun alimenté par un moteur de tondeuse à gazon et capable de voler deux heures durant tout en transportant une charge de douze kilogrammes.
Amateur d’aéromodélisme, Foster avait imaginé équiper un avion un peu plus gros que les maquettes qu’il affectionnait d’une caméra pouvant renvoyer des images en temps réel à un poste de commande et d’une bombe pouvant être actionnée par télécommande
L’expérience de Foster coïncida à l'époque avec deux phénomènes mondiaux. Le premier fut la révolution des microprocesseurs, qui permit de créer ce que l’on allait qualifier de «bombes intelligentes», armes pouvant –qu’elles soient tirées par des missiles ou larguées par des avions– exploser à quelques dizaines de centimètres d’une cible, permettant donc de détruire des objets sans trop faire de dégâts aux alentours.
Le deuxième phénomène était l’accroissement de la puissance militaire soviétique. Cela faisait longtemps que l’URSS et ses alliés du pacte de Varsovie surpassaient les forces de l’OTAN au sol en Europe, mais les États-Unis compensaient cela avec leur suprématie nucléaire. Toutefois, vers la fin des années 1960, les Russes parvinrent à la «parité nucléaire»: si les États-Unis lançaient une attaque nucléaire sur la Russie, les Russes étaient en mesure de répondre par une attaque de même envergure. Afin de pouvoir dissuader et repousser toute tentative d’invasion de l’Europe occidentale par les Soviétiques, l’OTAN se devait de posséder une longueur d’avance en matière d’armes non nucléaires. La maquette d’avion «améliorée» de Foster semblait venir à point nommé.
L’idée était que, en cas d’invasion, ces véhicules pilotés à distance, beaucoup plus petits et donc plus difficiles à détecter que des avions classiques, pourraient détruire des cibles situées bien au-delà des lignes ennemies (bases aériennes, dépôts de munitions, blindés…) et permettraient donc d’interrompre et de retarder toute agression soviétique, ce qui donnerait le temps à l’Otan de se regrouper pour riposter sans avoir à utiliser d’arme nucléaire.
Des prototypes furent développés dans les années 1980, mais peu d’officiers firent montre d’un véritable intérêt pour le projet avant la guerre du Golfe, en 1991, lorsque les forces armées américaines lancèrent les premières «bombes intelligentes», qui étaient à guidage laser. Il n’y eut pas autant de bombes intelligentes que les médias le laissèrent entendre à l’époque (elles ne représentèrent que 9% environ de toutes les bombes lancées par les Américains) et plusieurs d’entre elles avaient le défaut de changer de trajectoire en cours de route –un fait que l’on ne découvrit que longtemps après la fin de la guerre.
Néanmoins, certains représentants du Pentagone commencèrent à parler d’une «révolution dans les questions militaires» transformant le rythme et la nature même des combats grâce à l’avancée fournie par la technologie (la précision accrue des armes, les transmissions de données hyper rapides et la capacité de lier les deux). Les bombes intelligentes étaient différentes de ce que Foster avait imaginé (notamment parce qu’elles étaient lancées par des avions avec équipage), mais elles reposaient sur une technologie similaire, si bien que les drones finirent par atterrir au cœur des discussions sur cette «révolution».
Un outil de renseignement
Au printemps 1996, William Perry, secrétaire de la Défense du gouvernement de Bill Clinton, approuva la production du premier drone piloté à distance, le Predator RQ-1, et le confia à l’armée de l’air. Le «R» dans RQ-1 signifiait «reconnaissance»: à ce moment-là, le drone était uniquement destiné à servir d’outil de renseignement. Il transmettait en direct une vidéo à une base, d’où un «pilote» le guidait, afin que des analystes puissent observer ses prises de vues. En 1999, ces nouveaux outils fournirent aux forces aériennes de l’OTAN des informations capitales au sujet des cibles et des mouvements de troupes au Kosovo, mais les drones ne transportaient aucune arme.
C’est à la même époque environ qu’Al-Qada commença à représenter une menace sérieuse. Le directeur de la CIA, George Tenet, et le chef du contre-terrorisme à la Maison Blanche Richard Clarke pensèrent que les Predator pourraient permettre de traquer Oussama ben Laden en Afghanistan. Les premiers vols destinés à cette mission eurent lieu en octobre 2000. Les vidéos prises par le Predator furent retransmises sur un moniteur au QG de la CIA. Clarke se souvient avoir eu l’impression d’être dans un film de science-fiction en voyant qu’il pouvait «demander à quelqu’un “Est-ce que vous pouvez le déplacer un peu à gauche?” et qu’à l’autre bout du monde, quelque chose bougeait à gauche.»
L’image n’était pas nette; elle était même floue, mais les analystes en contreterrorisme de la CIA devinèrent (sans pouvoir en être certains), qu’il devait s’agir de Ben Laden
Sur l’une des vidéos, on pouvait apercevoir un grand homme barbu. L’image n’était pas nette; elle était même floue, mais les analystes en contreterrorisme de la CIA devinèrent (sans pouvoir en être certains), qu’il devait s’agir de ben Laden. Cela a donné l’idée à Clarke, puis à d’autres, d’encourager la pose de missiles sur les Predator afin de pouvoir tuer le chef d’al-Qaida la prochaine fois qu’ils le reverraient.
Cette suggestion a suscité un débat qui, rétrospectivement, est étonnant. Les hauts officiers de l’armée de l’air ne souhaitaient pas utiliser les Predator pour tuer ben Laden parce que les États-Unis n’étaient pas officiellement en guerre avec l’Afghanistan ou al-Qaida. Les responsables de la CIA n’étaient pas plus enthousiasmés par l’idée: à leurs yeux, un service de renseignements ne devait pas entreprendre d’action militaire.
En janvier 2001, dernier mois de la présidence de Bill Clinton, ces problèmes juridiques et bureaucratiques furent finalement démêlés. Les hauts responsables reconnurent l’absurdité qu’il y avait à autoriser légalement le gouvernement américain à tuer Ben Laden avec un missile de croisière tiré depuis un sous-marin, comme le président Clinton avait essayé de le faire, mais pas avec un missile plus petit tiré par un drone. Ainsi, la décision fut prise de tester un Predator modifié (qui transportait, non seulement une caméra, mais aussi un désignateur laser et un missile air sol Hellfire, qui pouvait être tiré grâce au même type de manette que celui qui guidait le drone). Les tests furent concluants.
La suite.........................
Le 14 novembre 2001, cinq semaines après le lancement de la guerre des États-Unis contre al-Qaida, un petit avion télécommandé baptisé Predator décolla, sans personne à son bord, d’une base aérienne américaine située en Ouzbékistan, traversa la frontière afghane et, à l’aide d’une caméra vidéo embarquée, commença à pister un convoi de véhicules censé transporter des leaders djihadistes sur une route de Kaboul. Surveillant les images depuis une caravane garée sur le parking de la CIA à Langley, en Virginie, un groupe d’officiers et d’espions observa le convoi s’arrêter devant un bâtiment. Il suffit d'appuyer sur un bouton et le Predator envoya un missile Hellfire vers le bâtiment, dont la moitié arrière explosa.
Sept personnes ont survécu à l’explosion et furent repérées en train de s’enfuir vers une structure voisine. Un deuxième missile permit de détruire également cet abri. Parmi les morts se trouvait Mohammed Atef, chef militaire d’al-Qaida et beau-fils d’Oussama ben Laden. Cinq semaines plus tôt, le 7 octobre, une frappe de drone avait été lancée contre une autre caravane, dans laquelle se trouvait, cette fois-ci, le mollah Omar, chef des Talibans. Mais le missile ayant loupé sa cible, le doute continuait à planer autour de cette toute nouvelle technologie. L’élimination d’Atef marqua donc le véritable début de l’ère du drone de combat, arme qui incarne depuis le style de guerre des États-Unis au XXIe siècle.
L'invention d'un physicien
L’histoire de cette arme, et de cette nouvelle ère, est pour le moins originale. L’idée en elle-même remonte au début des années 1970. Elle avait germé dans l’esprit du physicien nucléaire John S. Foster, qui était alors responsable des questions scientifiques au Pentagone. Amateur d’aéromodélisme, Foster avait imaginé équiper un avion un peu plus gros que les maquettes qu’il affectionnait d’une caméra pouvant renvoyer des images en temps réel à un poste de commande et d’une bombe pouvant être actionnée par télécommande. Ces technologies n’existant pas encore, Foster mandata la DARPA, Defense Advanced Research Projects Agency (Agence pour les projets de recherche avancée de défense) pour mettre au point deux «véhicules pilotés à distance», chacun alimenté par un moteur de tondeuse à gazon et capable de voler deux heures durant tout en transportant une charge de douze kilogrammes.
Amateur d’aéromodélisme, Foster avait imaginé équiper un avion un peu plus gros que les maquettes qu’il affectionnait d’une caméra pouvant renvoyer des images en temps réel à un poste de commande et d’une bombe pouvant être actionnée par télécommande
L’expérience de Foster coïncida à l'époque avec deux phénomènes mondiaux. Le premier fut la révolution des microprocesseurs, qui permit de créer ce que l’on allait qualifier de «bombes intelligentes», armes pouvant –qu’elles soient tirées par des missiles ou larguées par des avions– exploser à quelques dizaines de centimètres d’une cible, permettant donc de détruire des objets sans trop faire de dégâts aux alentours.
Le deuxième phénomène était l’accroissement de la puissance militaire soviétique. Cela faisait longtemps que l’URSS et ses alliés du pacte de Varsovie surpassaient les forces de l’OTAN au sol en Europe, mais les États-Unis compensaient cela avec leur suprématie nucléaire. Toutefois, vers la fin des années 1960, les Russes parvinrent à la «parité nucléaire»: si les États-Unis lançaient une attaque nucléaire sur la Russie, les Russes étaient en mesure de répondre par une attaque de même envergure. Afin de pouvoir dissuader et repousser toute tentative d’invasion de l’Europe occidentale par les Soviétiques, l’OTAN se devait de posséder une longueur d’avance en matière d’armes non nucléaires. La maquette d’avion «améliorée» de Foster semblait venir à point nommé.
L’idée était que, en cas d’invasion, ces véhicules pilotés à distance, beaucoup plus petits et donc plus difficiles à détecter que des avions classiques, pourraient détruire des cibles situées bien au-delà des lignes ennemies (bases aériennes, dépôts de munitions, blindés…) et permettraient donc d’interrompre et de retarder toute agression soviétique, ce qui donnerait le temps à l’Otan de se regrouper pour riposter sans avoir à utiliser d’arme nucléaire.
Des prototypes furent développés dans les années 1980, mais peu d’officiers firent montre d’un véritable intérêt pour le projet avant la guerre du Golfe, en 1991, lorsque les forces armées américaines lancèrent les premières «bombes intelligentes», qui étaient à guidage laser. Il n’y eut pas autant de bombes intelligentes que les médias le laissèrent entendre à l’époque (elles ne représentèrent que 9% environ de toutes les bombes lancées par les Américains) et plusieurs d’entre elles avaient le défaut de changer de trajectoire en cours de route –un fait que l’on ne découvrit que longtemps après la fin de la guerre.
Néanmoins, certains représentants du Pentagone commencèrent à parler d’une «révolution dans les questions militaires» transformant le rythme et la nature même des combats grâce à l’avancée fournie par la technologie (la précision accrue des armes, les transmissions de données hyper rapides et la capacité de lier les deux). Les bombes intelligentes étaient différentes de ce que Foster avait imaginé (notamment parce qu’elles étaient lancées par des avions avec équipage), mais elles reposaient sur une technologie similaire, si bien que les drones finirent par atterrir au cœur des discussions sur cette «révolution».
Un outil de renseignement
Au printemps 1996, William Perry, secrétaire de la Défense du gouvernement de Bill Clinton, approuva la production du premier drone piloté à distance, le Predator RQ-1, et le confia à l’armée de l’air. Le «R» dans RQ-1 signifiait «reconnaissance»: à ce moment-là, le drone était uniquement destiné à servir d’outil de renseignement. Il transmettait en direct une vidéo à une base, d’où un «pilote» le guidait, afin que des analystes puissent observer ses prises de vues. En 1999, ces nouveaux outils fournirent aux forces aériennes de l’OTAN des informations capitales au sujet des cibles et des mouvements de troupes au Kosovo, mais les drones ne transportaient aucune arme.
C’est à la même époque environ qu’Al-Qada commença à représenter une menace sérieuse. Le directeur de la CIA, George Tenet, et le chef du contre-terrorisme à la Maison Blanche Richard Clarke pensèrent que les Predator pourraient permettre de traquer Oussama ben Laden en Afghanistan. Les premiers vols destinés à cette mission eurent lieu en octobre 2000. Les vidéos prises par le Predator furent retransmises sur un moniteur au QG de la CIA. Clarke se souvient avoir eu l’impression d’être dans un film de science-fiction en voyant qu’il pouvait «demander à quelqu’un “Est-ce que vous pouvez le déplacer un peu à gauche?” et qu’à l’autre bout du monde, quelque chose bougeait à gauche.»
L’image n’était pas nette; elle était même floue, mais les analystes en contreterrorisme de la CIA devinèrent (sans pouvoir en être certains), qu’il devait s’agir de Ben Laden
Sur l’une des vidéos, on pouvait apercevoir un grand homme barbu. L’image n’était pas nette; elle était même floue, mais les analystes en contreterrorisme de la CIA devinèrent (sans pouvoir en être certains), qu’il devait s’agir de ben Laden. Cela a donné l’idée à Clarke, puis à d’autres, d’encourager la pose de missiles sur les Predator afin de pouvoir tuer le chef d’al-Qaida la prochaine fois qu’ils le reverraient.
Cette suggestion a suscité un débat qui, rétrospectivement, est étonnant. Les hauts officiers de l’armée de l’air ne souhaitaient pas utiliser les Predator pour tuer ben Laden parce que les États-Unis n’étaient pas officiellement en guerre avec l’Afghanistan ou al-Qaida. Les responsables de la CIA n’étaient pas plus enthousiasmés par l’idée: à leurs yeux, un service de renseignements ne devait pas entreprendre d’action militaire.
En janvier 2001, dernier mois de la présidence de Bill Clinton, ces problèmes juridiques et bureaucratiques furent finalement démêlés. Les hauts responsables reconnurent l’absurdité qu’il y avait à autoriser légalement le gouvernement américain à tuer Ben Laden avec un missile de croisière tiré depuis un sous-marin, comme le président Clinton avait essayé de le faire, mais pas avec un missile plus petit tiré par un drone. Ainsi, la décision fut prise de tester un Predator modifié (qui transportait, non seulement une caméra, mais aussi un désignateur laser et un missile air sol Hellfire, qui pouvait être tiré grâce au même type de manette que celui qui guidait le drone). Les tests furent concluants.
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