Il y a 50 ans, l'armée israélienne s'emparait de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie, du Golan, de Gaza et du Sinaï, au terme d'une guerre éclair dont les conséquences se font encore sentir.
Kippa tricotée sur la tête, chemise blanche impeccablement repassée et drapeau israélien en main, Eran Freylich a défilé, comme 80.000 autres colons et militants nationalistes religieux, le 24 mai dernier, dans les rues de Jérusalem pour célébrer la "réunification" de la ville en juin 1967. C’est-à-dire la conquête des quartiers arabes, alors sous contrôle jordanien, par l’armée israélienne et leur annexion dans la foulée.
"Le miracle s’est produit il y a 50 ans, mais ses effets vont encore durer longtemps. Nous devons désormais conforter notre présence dans la ville et utiliser chaque centimètre de terre ‘libérée’, pour ne jamais devoir les rendre."
ETUDIANT DANS UNE "YESHIVA" (ÉCOLE TALMUDIQUE)
Depuis 1967, Israël a englobé les quartiers arabes de la ville sainte et 28 villages de Cisjordanie qui n’avaient rien demandé dans un district baptisé "Grand Jérusalem". A priori, ces villages peu développés ne présentaient aucun intérêt pour l’État hébreu, sauf que leurs habitants disposaient de vastes terrains agricoles. Ceux-ci ont été confisqués afin d’y construire les "nouveaux quartiers" de la ville, c’est-à-dire des colonies réservées aux habitants Juifs.
"Voilà comment la prétendue ‘Jérusalem unifiée’ s’est développée à nos dépens, lâche Mansour Joliani, un sympathisant du Fatah qui nous entraîne à proximité du camp de réfugiés de Shouafat, lui aussi englobé dans le "Grand Jérusalem". Regardez ces routes laissées à l’abandon, et ces ordures jonchant le sol: c’est cela, la réalité de l’occupation israélienne sur la partie orientale de la ville. Alors que les quartiers juifs sont bien entretenus par la municipalité, ceux des Arabes sont laissés à l’abandon. Pourtant, nous payons les mêmes taxes municipales, mais la municipalité ne fournit aucun service. Au contraire, elle nous pourrit la vie pour nous pousser à partir, en vendant nos terres à des colons qui bâtiront de nouveaux lotissements ultramodernes à leur seul usage."
La stratégie israélienne: discrimination, destruction et expulsions
Les autorités israéliennes appliquent plusieurs stratégies pour pousser les Palestiniens de Jérusalem-Est (40% de la population de la ville) à s’installer en Cisjordanie ou dans les pays arabes voisins. D’abord, elle les empêche de construire en refusant de leur accorder un permis de bâtir. Et lorsqu’un chantier se développe, la justice ordonne la destruction du bâtiment "illégal" aux frais du propriétaire. Au début de 2017, vingt mille ordres de démolition étaient ainsi pendants.
Ensuite, les expulsions. Car 5% à peine des 345.000 Palestiniens de Jérusalem ont adopté la nationalité israélienne, lorsque l’État hébreu a annexé leur quartier. Les autres ne disposent que d’un permis de séjour permanent susceptible d’être résilié selon le bon vouloir de l’occupant. Souvent, il suffit qu’un habitant de Jérusalem-Est séjourne quelques années à l’étranger pour que son permis soit résilié, même si sa famille réside encore dans la ville sainte.
Un Disneyland pour nationalistes religieux
La peur des expulsions est particulièrement palpable à Silwan, un quartier convoité par les colons, parce qu’il est situé en contrebas des murailles de la vieille ville. C’est, en effet, à Silwan que l’État hébreu a confié, à l’organisation d’extrême droite "Elad", la gestion de la "Cité de David", un parc national censé illustrer la persistance de la présence juive dans la ville sainte depuis les temps bibliques. Or ce Disneyland pour nationalistes religieux prend de la place et il est en constante expansion.
Ahmed Shefaa, un habitant de Silwan, dont la maison a été rasée à plusieurs reprises depuis 2004, jure en tout cas qu’il ne s’en ira jamais, quoi qu’il arrive. "Je vis ici, pourquoi irais-je ailleurs? interroge-t-il. Les Israéliens pratiquent la même politique dans ce quartier que dans les restes de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie. Ils veulent que les Palestiniens déguerpissent et le tout est de ne pas céder. Moi, je reconstruis chaque fois qu’ils rasent. Il faut que tous les Palestiniens fassent la même chose."
3 QUESTIONS À ILLAN BARUCH
Ancien diplomate israélien, il dirige le Police Working Group (PWG), une ONG promouvant les relations entre Israéliens et Palestiniens.
1. La colonisation tue-t-elle tout espoir de paix?
La guerre des Six Jours était inévitable et la colonisation qui l'a suivie l'était sans doute également. Mais cette situation n'est pas tenable, donc elle va évoluer. Car la communauté internationale supporte de moins en moins cet état de fait. Il devra y avoir des négociations, même si les colons veulent poursuivre leur action et si Binyamin Netanyahou met tout en oeuvre pour ne pas discuter avec l'Autorité palestinienne.
2. La société israélienne est-elle prête à négocier une vraie paix avec les Palestiniens et à revenir aux frontières d'avant juin 1967?
Pas pour le moment, car une sorte de judaïsme messianique s'est imposé en Israël depuis la guerre des Six Jours. Celui-ci veut imposer sa vision politique par la force. Selon ses tenants, tout ce qui se passe dans la région ainsi que dans les territoires occupés annonce une période meilleure préparant l'arrivée du Messie. Mais cette période va passer comme d'autres avant elle, les gens vont revenir à la réalité. A moyen terme, nous n'aurons peut-être pas la paix avec un grand "P", mais il sera possible de conclure une série d'accords politiques avec les Palestiniens. Bien sûr, cela semble est encore lointain mais, à la fin, les Israéliens accepteront l'idée de rendre des territoires.
3. Vos perspectives sont toujours lointaines. Vous êtes donc pessimiste?
Si l'on garde le nez sur le guidon, on ne peut être que pessimiste. Cependant, en prenant de la hauteur, on se rend compte que l'histoire du Proche-Orient est chaotique et rien n'y est définitivement acquis. Je crois que nous allons encore sans doute passer par beaucoup de hauts et de bas, mais, en fin de compte, à long terme, les Palestiniens auront leur État. C'est en tout cas le but de mon action.
Source: L'Echo be
Kippa tricotée sur la tête, chemise blanche impeccablement repassée et drapeau israélien en main, Eran Freylich a défilé, comme 80.000 autres colons et militants nationalistes religieux, le 24 mai dernier, dans les rues de Jérusalem pour célébrer la "réunification" de la ville en juin 1967. C’est-à-dire la conquête des quartiers arabes, alors sous contrôle jordanien, par l’armée israélienne et leur annexion dans la foulée.
"Le miracle s’est produit il y a 50 ans, mais ses effets vont encore durer longtemps. Nous devons désormais conforter notre présence dans la ville et utiliser chaque centimètre de terre ‘libérée’, pour ne jamais devoir les rendre."
ETUDIANT DANS UNE "YESHIVA" (ÉCOLE TALMUDIQUE)
Depuis 1967, Israël a englobé les quartiers arabes de la ville sainte et 28 villages de Cisjordanie qui n’avaient rien demandé dans un district baptisé "Grand Jérusalem". A priori, ces villages peu développés ne présentaient aucun intérêt pour l’État hébreu, sauf que leurs habitants disposaient de vastes terrains agricoles. Ceux-ci ont été confisqués afin d’y construire les "nouveaux quartiers" de la ville, c’est-à-dire des colonies réservées aux habitants Juifs.
"Voilà comment la prétendue ‘Jérusalem unifiée’ s’est développée à nos dépens, lâche Mansour Joliani, un sympathisant du Fatah qui nous entraîne à proximité du camp de réfugiés de Shouafat, lui aussi englobé dans le "Grand Jérusalem". Regardez ces routes laissées à l’abandon, et ces ordures jonchant le sol: c’est cela, la réalité de l’occupation israélienne sur la partie orientale de la ville. Alors que les quartiers juifs sont bien entretenus par la municipalité, ceux des Arabes sont laissés à l’abandon. Pourtant, nous payons les mêmes taxes municipales, mais la municipalité ne fournit aucun service. Au contraire, elle nous pourrit la vie pour nous pousser à partir, en vendant nos terres à des colons qui bâtiront de nouveaux lotissements ultramodernes à leur seul usage."
La stratégie israélienne: discrimination, destruction et expulsions
Les autorités israéliennes appliquent plusieurs stratégies pour pousser les Palestiniens de Jérusalem-Est (40% de la population de la ville) à s’installer en Cisjordanie ou dans les pays arabes voisins. D’abord, elle les empêche de construire en refusant de leur accorder un permis de bâtir. Et lorsqu’un chantier se développe, la justice ordonne la destruction du bâtiment "illégal" aux frais du propriétaire. Au début de 2017, vingt mille ordres de démolition étaient ainsi pendants.
Ensuite, les expulsions. Car 5% à peine des 345.000 Palestiniens de Jérusalem ont adopté la nationalité israélienne, lorsque l’État hébreu a annexé leur quartier. Les autres ne disposent que d’un permis de séjour permanent susceptible d’être résilié selon le bon vouloir de l’occupant. Souvent, il suffit qu’un habitant de Jérusalem-Est séjourne quelques années à l’étranger pour que son permis soit résilié, même si sa famille réside encore dans la ville sainte.
Un Disneyland pour nationalistes religieux
La peur des expulsions est particulièrement palpable à Silwan, un quartier convoité par les colons, parce qu’il est situé en contrebas des murailles de la vieille ville. C’est, en effet, à Silwan que l’État hébreu a confié, à l’organisation d’extrême droite "Elad", la gestion de la "Cité de David", un parc national censé illustrer la persistance de la présence juive dans la ville sainte depuis les temps bibliques. Or ce Disneyland pour nationalistes religieux prend de la place et il est en constante expansion.
Ahmed Shefaa, un habitant de Silwan, dont la maison a été rasée à plusieurs reprises depuis 2004, jure en tout cas qu’il ne s’en ira jamais, quoi qu’il arrive. "Je vis ici, pourquoi irais-je ailleurs? interroge-t-il. Les Israéliens pratiquent la même politique dans ce quartier que dans les restes de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie. Ils veulent que les Palestiniens déguerpissent et le tout est de ne pas céder. Moi, je reconstruis chaque fois qu’ils rasent. Il faut que tous les Palestiniens fassent la même chose."
3 QUESTIONS À ILLAN BARUCH
Ancien diplomate israélien, il dirige le Police Working Group (PWG), une ONG promouvant les relations entre Israéliens et Palestiniens.
1. La colonisation tue-t-elle tout espoir de paix?
La guerre des Six Jours était inévitable et la colonisation qui l'a suivie l'était sans doute également. Mais cette situation n'est pas tenable, donc elle va évoluer. Car la communauté internationale supporte de moins en moins cet état de fait. Il devra y avoir des négociations, même si les colons veulent poursuivre leur action et si Binyamin Netanyahou met tout en oeuvre pour ne pas discuter avec l'Autorité palestinienne.
2. La société israélienne est-elle prête à négocier une vraie paix avec les Palestiniens et à revenir aux frontières d'avant juin 1967?
Pas pour le moment, car une sorte de judaïsme messianique s'est imposé en Israël depuis la guerre des Six Jours. Celui-ci veut imposer sa vision politique par la force. Selon ses tenants, tout ce qui se passe dans la région ainsi que dans les territoires occupés annonce une période meilleure préparant l'arrivée du Messie. Mais cette période va passer comme d'autres avant elle, les gens vont revenir à la réalité. A moyen terme, nous n'aurons peut-être pas la paix avec un grand "P", mais il sera possible de conclure une série d'accords politiques avec les Palestiniens. Bien sûr, cela semble est encore lointain mais, à la fin, les Israéliens accepteront l'idée de rendre des territoires.
3. Vos perspectives sont toujours lointaines. Vous êtes donc pessimiste?
Si l'on garde le nez sur le guidon, on ne peut être que pessimiste. Cependant, en prenant de la hauteur, on se rend compte que l'histoire du Proche-Orient est chaotique et rien n'y est définitivement acquis. Je crois que nous allons encore sans doute passer par beaucoup de hauts et de bas, mais, en fin de compte, à long terme, les Palestiniens auront leur État. C'est en tout cas le but de mon action.
Source: L'Echo be