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JO d’hiver: en Corée, l’art de la diplo à skis

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  • JO d’hiver: en Corée, l’art de la diplo à skis

    Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Pyeongchang, ce vendredi, le Nord et le Sud doivent défiler sous le même drapeau. Une parenthèse inédite dans le conflit les opposant, survenue grâce à la bonne volonté inattendue de Kim Jong-un, qui compte faire de l’événement une vitrine pour son régime.

    Si la pirouette était une discipline olympique, les deux Corées figureraient en très bonne place sur le podium des vainqueurs. Au moment où s’ouvrent les JO de Pyeongchang, qui vont voir le Nord et le Sud défiler sous le drapeau de l’unification (bleu) et concourir ensemble en hockey féminin, il faut jeter un coup d’œil dans le rétroviseur d’une année 2017 dévalée au bord du gouffre. Quel chemin parcouru ! Il y a quelques mois, Donald Trump menaçait de «détruire totalement la Corée du Nord». Il promettait le «feu et la furie» au régime de Kim Jong-un, auteur d’un sixième et puissant essai nucléaire en septembre et qui dégainait des missiles à tout va capables, selon lui, de frapper tout le territoire américain. La surenchère, le faux pas, la provocation de trop étaient redoutés comme l’inévitable descente aux enfers d’un nouveau conflit dans une péninsule techniquement toujours en guerre depuis 1953. Inquiète des risques sécuritaires, la France, comme d’autres pays, envisageait alors de ne pas envoyer de délégation à Pyeongchang.


    C’était hier, et tout a changé le 1er janvier. Dans son allocution de nouvel an à la nation, le leader nord-coréen, Kim Jong-un, se pose en facilitateur, non sans appeler à la poursuite de ses programmes balistique et nucléaire : «Les JO d’hiver seront une bonne occasion pour la nation. Nous souhaitons sincèrement que les JO d’hiver connaissent un succès, déclare un Kim Jong-un très solennel dans son costume-cravate gris. […] Nous sommes prêts à prendre diverses mesures, notamment envoyer une délégation.» Le Sud répond très vite. Quelques jours plus tard, le téléphone rouge intercoréen, installé dans le village de Panmunjom dans la zone démilitarisée, est rebranché après deux années sans tonalité.

    «Outil»
    «Il ne faut pas surestimer les capacités de propositions et l’ouverture de Pyongyang, fait remarquer Marianne Peron-Doise, en charge des questions de sécurité à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Irsem) à Paris. Mais Kim Jong-un a sauvé les JO en levant les contraintes sécuritaires.» Nul doute que le «Grand Soleil du XXIe siècle», l’un des surnoms officiels du leader nord-coréen, a su prendre la main que le président sud-coréen, Moon Jae-in, lui tend depuis son élection en mai. Dans un discours injustement passé inaperçu en juillet à Berlin - capitale très symbolique d’une Allemagne réunifiée -, Moon avait d’ailleurs dessiné une ambitieuse feuille de route pour un rapprochement et des coopérations concrètes avec le Nord. Avant que les diatribes guerrières et apocalyptiques entre Kim et Trump n’éclipsent le progressiste président sud-coréen.

    Avec les JO d’hiver de Pyeongchang, qui se dérouleront jusqu’au 25 février, une parenthèse inédite s’ouvre. Evoquant l’esprit olympique, certains envisagent les retombées possibles d’une diplomatie du hockey, en pensant à celle du ping-pong qui avait rapproché les Etats-Unis et la Chine à partir de 1971, ou encore à celle du cricket, régulièrement testée depuis les années 90 entre l’Inde et le Pakistan. Le sport peut favoriser des échanges et relancer des discussions, mais les «Jeux restent un outil, pas une fin en soi», fait remarquer Antoine Bondaz, de la Fondation pour la recherche stratégique. La participation du Nord aux Jeux du Sud n’a rien d’anecdotique. «Elle est très importante pour les deux régimes qui ont été créés par des volontés extérieures à la Corée [les grandes puissances au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ndlr]. Le Sud est prêt à discuter», expliquait mercredi, à l’Institut catholique de Paris, le conseiller de l’ambassade de Corée en France, Woosic Shin.

    Pop
    De son côté, le Nord a fait les choses en grand en dépêchant une délégation très nourrie : 229 pom-pom girls, 22 athlètes, 26 membres d’une équipe de taekwondo, 140 artistes de l’Orchestre Samjiyon, Hyon Song-wol du groupe de pop Moranbong… Nombreux et très attendus, ces participants vont être l’attraction des Jeux. «La délégation est également très politique, poursuit Marianne Peron-Doise, de l’Irsem. Les Nord-Coréens ont pris cette occasion de visite très au sérieux. Ils cherchent à restaurer leur image internationale, même si la perspective d’un dialogue entre les deux pays ne pourra pas aller bien loin.»

    Le président du présidium de l’Assemblée populaire suprême, Kim Yong-nam, dirigera le groupe du Nord. Il sera accompagné de Kim Yo-jong, la sœur de Kim Jong-un. Promue en octobre au bureau politique du comité central du Parti des travailleurs, elle travaillait jusqu’alors pour la propagande du parti, chargée notamment d’édifier un culte de la personnalité autour de son frère. «D’un point de vue protocolaire et symbolique, Kim Yong-nam est une personnalité très importante. Il occupe à ce titre les fonctions honorifiques de chef de l’Etat, note Antoine Bondaz. Avec la petite sœur, Kim Jong-un se livre à une offensive de charme diplomatique.»

    Le président Moon doit rencontrer les deux dirigeants nord-coréens. D’ici là, le protocole du Sud va devoir se livrer à un redoutable jeu de chaises musicales dans la tribune officielle. Les dignitaires du Nord devraient se trouver dans l’entourage de Moon, mais ils ne doivent pas être trop proches des représentants américains conduits par le vice-président, Mike Pence, qu’ils ne veulent pas rencontrer. Idem pour le voisinage, avec le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, dont les relations avec Pyongyang sont glaciales.

    Défilé militaire
    Le comité d’organisation sud-coréen des JO de Pyeongchang entend faire de l’événement sportif la «pierre angulaire de la réconciliation intercoréenne». Comme en 2000, 2004 et 2006, les Coréens du Nord et du Sud vont défiler ensemble. «Au Nord, le régime entend donner l’impression à sa population qu’il ne s’agit pas des Jeux du Sud, mais plutôt de toute la péninsule coréenne», assure Antoine Bondaz. Jeudi, à la veille de l’ouverture officielle, la dynastie des Kim a d’ailleurs organisé un grand défilé militaire à Pyongyang pour exhiber ses missiles balistiques intercontinentaux. «Nous sommes devenus capables de faire la démonstration devant la planète de notre statut de puissance militaire de classe mondiale», a déclaré le dirigeant nord-coréen pour célébrer le 70e anniversaire de l’armée avant celui de la fondation de la République populaire. 2018, année charnière ? Au Sud, ces JO ouvriront-ils un nouveau chapitre ? Ils interviennent au terme d’une année politique mouvementée qui a vu la destitution de la présidente Park Geun-hye pour corruption. Ils se déroulent aussi trente ans après les JO d’été de 1988, qui avaient consacré l’émergence d’un nouveau dragon asiatique. Les Coréens du Nord avaient alors boycotté les Jeux. Les relations intercoréennes étaient alors exécrables : l’année précédente, deux agents du Nord avaient déposé une bombe dans un avion de ligne de la Korean air, tuant 115 passagers. Funeste pirouette.

    libération
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