Face e à la violence des paramilitaires et aux ambitions des multinationales qui lorgnent sur les richesses minières de leur territoire, les communautés indiennes se mobilisent.
María Concepción a de grands yeux au regard profond, mais elle ne peut plus parler. Elle est assise avec Debora, Rosa Amanda et Carmen dans une chambre d’un petit hôtel de Valledupar, capitale du Cesar [région du nord de la Colombie] et des paramilitaires colombiens. Cette ville a vu naître quelques-uns des dirigeants les plus sanguinaires du pays, comme Jorge 40 et Salvatore Mancuso. [Ces deux chefs paramilitaires se sont rendus dans le cadre du processus de démobilisation des groupes paramilitaires. Leur procès est en cours. Salvatore Mancuso a d’ores et déjà avoué 338 crimes pour lesquels il devrait encourir une très courte peine de prison.] Ces hommes, qui prétendent avoir sauvé la Colombie de la menace du “terrorisme rouge” [la guérilla à laquelle ils livrent une guerre depuis près de vingt ans], s’enorgueillissent d’avoir contribué à placer au sommet du pouvoir l’actuel président de la République, Alvaro Uribe Vélez.
Les liens entre les organisations paramilitaires, la politique, les oligarchies financières, les latifundistes, les narcotrafiquants, les multinationales, les services secrets et les intérêts géopolitiques de Washington sont tellement étroits qu’il y a peu d’espoir de pouvoir projeter, à court terme, un avenir de paix pour ce pays massacré par plus de cinquante ans de guerre. Depuis l’assassinat, en 1948, de Jorge Gaítan, un homme politique de gauche, libéral et aimé du peuple, qui aurait pu devenir président, la paix a déserté la Colombie. La profonde injustice sociale, la pauvreté et les violations incessantes des droits de l’homme constituent sans nul doute des obstacles insurmontables à une pacification durable.
Sous le premier mandat du président Uribe, il y a eu plus de 11 000 assassinats politiques, et tout porte à croire que la vie sera toujours aussi dure pour ceux qui s’opposent au modèle économique dominant et à la terreur qui règne dans les villes.
C’est une guerre asymétrique contre l’ensemble d’un peuple qui, malgré l’horreur et l’indifférence, continue à résister, comme ces femmes assises dans cet hôtel de Valledupar. Elles sont venues de leur région, la Guajira [nord-est de la Colombie], afin de rencontrer la délégation de la mission internationale convoquée en septembre dernier par l’Organisation des nations indigènes colombiennes [ONIC] pour inspecter cinq des régions les plus dangereuses du pays, où dix-neuf communautés indigènes sont en voie d’extinction. Elles sont venues pour raconter leur histoire, apporter leur témoignage et dénoncer la situation. Ce sont les femmes du peuple wayuu, une communauté guerrière qui occupe depuis des millénaires les mêmes territoires à cheval entre le Venezuela et la Colombie.
Les Wayuu sont 350 000 au total, et environ 150 000 d’entre eux vivent du côté colombien, dans le désert aride de la Guajira. Les Wayuu représentent la population indigène la plus importante de Colombie. C’est un des seuls peuples matrilinéaires du pays : les femmes sont au centre de la communauté, elles luttent pour sauver leur peuple, menacé par les intérêts économiques énormes qui ont pris d’assaut la Guajira. Cette situation explique que nombre d’entre elles risquent leur vie, et sont parfois assassinées.
Les Wayuu parlent le wayuunaiki, une langue de la famille arawake. Leur système de gouvernement décentralisé repose sur trois catégories de détenteurs de l’autorité : l’alaula, l’oncle maternel ; le pütchipü, homme ou femme, médiateur chargé d’employer des paroles porteuses de paix ; et l’outsu, homme ou femme servant de trait d’union entre le monde naturel et le monde surnaturel, gardien de l’harmonie et de la santé. Le principe fondateur des communautés wayuu est la sukuaipa, qui consiste à résoudre les conflits internes en s’appuyant sur une logique de responsabilité sociale objective et collective. C’est grâce à cette structure identitaire et politique que les femmes et les hommes wayuu ont réussi à préserver l’harmonie dans leurs territoires, divisés en plusieurs zones d’origine, historiques et ancestrales.
María Concepción a de grands yeux au regard profond, mais elle ne peut plus parler. Elle est assise avec Debora, Rosa Amanda et Carmen dans une chambre d’un petit hôtel de Valledupar, capitale du Cesar [région du nord de la Colombie] et des paramilitaires colombiens. Cette ville a vu naître quelques-uns des dirigeants les plus sanguinaires du pays, comme Jorge 40 et Salvatore Mancuso. [Ces deux chefs paramilitaires se sont rendus dans le cadre du processus de démobilisation des groupes paramilitaires. Leur procès est en cours. Salvatore Mancuso a d’ores et déjà avoué 338 crimes pour lesquels il devrait encourir une très courte peine de prison.] Ces hommes, qui prétendent avoir sauvé la Colombie de la menace du “terrorisme rouge” [la guérilla à laquelle ils livrent une guerre depuis près de vingt ans], s’enorgueillissent d’avoir contribué à placer au sommet du pouvoir l’actuel président de la République, Alvaro Uribe Vélez.
Les liens entre les organisations paramilitaires, la politique, les oligarchies financières, les latifundistes, les narcotrafiquants, les multinationales, les services secrets et les intérêts géopolitiques de Washington sont tellement étroits qu’il y a peu d’espoir de pouvoir projeter, à court terme, un avenir de paix pour ce pays massacré par plus de cinquante ans de guerre. Depuis l’assassinat, en 1948, de Jorge Gaítan, un homme politique de gauche, libéral et aimé du peuple, qui aurait pu devenir président, la paix a déserté la Colombie. La profonde injustice sociale, la pauvreté et les violations incessantes des droits de l’homme constituent sans nul doute des obstacles insurmontables à une pacification durable.
Sous le premier mandat du président Uribe, il y a eu plus de 11 000 assassinats politiques, et tout porte à croire que la vie sera toujours aussi dure pour ceux qui s’opposent au modèle économique dominant et à la terreur qui règne dans les villes.
C’est une guerre asymétrique contre l’ensemble d’un peuple qui, malgré l’horreur et l’indifférence, continue à résister, comme ces femmes assises dans cet hôtel de Valledupar. Elles sont venues de leur région, la Guajira [nord-est de la Colombie], afin de rencontrer la délégation de la mission internationale convoquée en septembre dernier par l’Organisation des nations indigènes colombiennes [ONIC] pour inspecter cinq des régions les plus dangereuses du pays, où dix-neuf communautés indigènes sont en voie d’extinction. Elles sont venues pour raconter leur histoire, apporter leur témoignage et dénoncer la situation. Ce sont les femmes du peuple wayuu, une communauté guerrière qui occupe depuis des millénaires les mêmes territoires à cheval entre le Venezuela et la Colombie.
Les Wayuu sont 350 000 au total, et environ 150 000 d’entre eux vivent du côté colombien, dans le désert aride de la Guajira. Les Wayuu représentent la population indigène la plus importante de Colombie. C’est un des seuls peuples matrilinéaires du pays : les femmes sont au centre de la communauté, elles luttent pour sauver leur peuple, menacé par les intérêts économiques énormes qui ont pris d’assaut la Guajira. Cette situation explique que nombre d’entre elles risquent leur vie, et sont parfois assassinées.
Les Wayuu parlent le wayuunaiki, une langue de la famille arawake. Leur système de gouvernement décentralisé repose sur trois catégories de détenteurs de l’autorité : l’alaula, l’oncle maternel ; le pütchipü, homme ou femme, médiateur chargé d’employer des paroles porteuses de paix ; et l’outsu, homme ou femme servant de trait d’union entre le monde naturel et le monde surnaturel, gardien de l’harmonie et de la santé. Le principe fondateur des communautés wayuu est la sukuaipa, qui consiste à résoudre les conflits internes en s’appuyant sur une logique de responsabilité sociale objective et collective. C’est grâce à cette structure identitaire et politique que les femmes et les hommes wayuu ont réussi à préserver l’harmonie dans leurs territoires, divisés en plusieurs zones d’origine, historiques et ancestrales.
Commentaire