Par Mehdi Taje*
Le conflit syrien, la guerre au Yémen, la déstructuration de la Libye, la guerre civile en Ukraine, les événements au Venezuela, la fragmentation du monde arabe (Irak, Syrie, Yémen, Libye, etc.), le ciblage de l’Iran, la poussée de fièvre en mer de Chine méridionale sont révélateurs de l’exacerbation des rivalités entre les puissances occidentales visant à maintenir les Etats-Unis en tant que moteur de la transformation du monde et les forces émergentes œuvrant à l’avènement d’un monde multipolaire (Chine, Russie, Inde, Iran, Brésil, etc.). Les rivalités s’intensifient au fur et à mesure que la concurrence s’aiguise et que les rapports économiques s’inversent : la tendance est à l’érosion du leadership américain et « la bagarre multipolaire » est engagée selon les propres termes d’Hubert Védrine. Ces pôles de puissance portent chacun une vision du système international qu’ils entendent imposer en fonction de leurs intérêts stratégiques et de leurs propres agendas. Ils bâtissent des projections géopolitiques d’envergure et des représentations collectives de l’avenir. Ces acteurs revendiquent « leur place au soleil »[1], terminologie empruntée à la diplomatie de la fin du XIXème siècle, afin de peser sur la configuration future de l’échiquier planétaire. Nous assistons à un retour des logiques de puissance source d’une montée en puissance des incertitudes et des lignes de frottement entre ces différents pôles. La partie d’échec est entièrement ouverte et chacun avance ses pions suivants des stratégies complexes visant l’évincement, le containment, l’encerclement et le contre encerclement de l’autre.
La bataille est engagée….
Les Etats-Unis ont opéré un redéploiement géopolitique sur l’espace eurasiatique et se heurtent de plein fouet aux puissances continentales russe et chinoise qui, pour leur part, renforcent significativement l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). Le renforcement de la présence militaire américaine en Afghanistan rompant avec une promesse de campagne du président américain Trump et la doctrine Obama témoigne de la volonté de peser sur les périphéries russes et chinoises en reprenant pied au cœur de l’Eurasie. Elle révèle également le poids des inerties américaines portées par des Think Tanks et l’establishment washingtonien auquel s’est heurté le président américain. Il en est de même quant au rapprochement avec la Russie initialement érigé en pilier lors de sa campagne. S’appuyant sur les réflexions d’Henry Kissinger, la manœuvre subtile consistait à entraver le rapprochement entre Pékin et Moscou en orientant le balancier russe vers l’Europe. Menacé d’impeachment, le président Trump a dû se résigner à demeurer dans la logique d’une double antagonisation. Par voie de conséquence, en dépit d’une méfiance réciproque prenant racine dans le temps long de l’histoire, l’arrogance occidentale a précipité le balancier stratégique russe vers Pékin. Apaisement aux frontières, renforcement de la coopération militaire avec multiplication de manœuvres militaires communes, notamment en mer Méditerranée et en mer Baltique, signature d’accords économiques (principalement dans le domaine énergétique), imbrication plus nette de leurs projets régionaux (routes de la soie, Union Eurasiatique, projets de train à grande vitesse reliant Pékin à Moscou, etc.) constituent autant de marqueurs du tropisme de Moscou pour Pékin : le basculement de la Russie vers l’Est est amorcé.
Aujourd’hui, conscients de la véritable menace, les Etats-Unis mettent en place une stratégie destinée à contenir, voire briser la montée en puissance de la Chine, jugée l’adversaire prioritaire à l’horizon de deux ou trois décennies. Lors du XIXème congrès du PCC, Xi Jinping rompt avec la prudence coutumière chinoise, trace des lignes rouges et fixe une orientation : la Chine doit se hisser au premier rang mondial à l’horizon 2049, année du centenaire de la RPC. Déjà, en 2010, le colonel Liu Mingfu publiait « Le rêve chinois » et révélait les dessous de la stratégie intitulée « le marathon de cent ans ». La Chine, empire du milieu, aspire à renouer avec sa centralité géopolitique. Elle s’en donne les moyens sereinement. C’est dans ce contexte qu’il convient de replacer le projet des nouvelles routes de la soie appelé à reconfigurer les équilibres géopolitiques et géoéconomiques à l’échelle planétaire. A l’automne 2013, depuis Astana, le président Xi Jinping lance le projet, ressuscitant les anciennes routes de la soie reliant l’Asie à l’Europe en passant par l’Asie Centrale et le Moyen-Orient. C’est le retour de l’Eurasie, des puissances continentales face aux puissances maritimes.
Or, selon les stratèges américains, si la Chine se hisse au tout premier rang des puissances, par la combinaison de sa croissance économique et de son indépendance géopolitique et militaire, tout en conservant son modèle confucéen à l’abri des manœuvres subversives occidentales, alors la suprématie des Etats-Unis sera décisivement affaiblie. Dans ce contexte, la guerre humanitaire (ingérence humanitaire puis responsabilité de protéger), les futures pressions environnementales et la guerre contre le terrorisme islamiste constituent les nouveaux axes d’intervention servant à masquer les buts réels de la grande guerre eurasiatique : « la Chine comme cible, la Russie comme condition pour emporter la bataille ». En effet, suivant la logique d’un billard à trois bandes, la Chine comme cible car elle seule est en mesure de dépasser l’Amérique dans l’ordre de la puissance matérielle (économique et militaire) à l’horizon de trente ans. La Russie comme condition car de son orientation stratégique découlera largement l’organisation du monde de demain : unipolaire ou multipolaire.
La montée des tensions en Europe de l’Est, au Moyen-Orient, en Asie Centrale, en Asie du Sud-Est et en Afrique, c’est-à-dire le long des lignes de frictions séparant les sphères d’influence de ces trois pôles de puissance, révèle que la bataille est engagée. Plus précisément, cette rivalité de puissance a pour objet le contrôle de ce que le célèbre géopoliticien américain John Spykman avait qualifié de Rimland, c’est-à-dire les rivages du continent eurasiatique. La thèse formulée dans l’ouvrage « The Geography of the Peace » en 1944 est résumée par la formule suivante : « qui contrôle le Rimland domine l’Eurasie. Qui domine l’Eurasie contrôle les destinées du monde ».
Le conflit syrien, la guerre au Yémen, la déstructuration de la Libye, la guerre civile en Ukraine, les événements au Venezuela, la fragmentation du monde arabe (Irak, Syrie, Yémen, Libye, etc.), le ciblage de l’Iran, la poussée de fièvre en mer de Chine méridionale sont révélateurs de l’exacerbation des rivalités entre les puissances occidentales visant à maintenir les Etats-Unis en tant que moteur de la transformation du monde et les forces émergentes œuvrant à l’avènement d’un monde multipolaire (Chine, Russie, Inde, Iran, Brésil, etc.). Les rivalités s’intensifient au fur et à mesure que la concurrence s’aiguise et que les rapports économiques s’inversent : la tendance est à l’érosion du leadership américain et « la bagarre multipolaire » est engagée selon les propres termes d’Hubert Védrine. Ces pôles de puissance portent chacun une vision du système international qu’ils entendent imposer en fonction de leurs intérêts stratégiques et de leurs propres agendas. Ils bâtissent des projections géopolitiques d’envergure et des représentations collectives de l’avenir. Ces acteurs revendiquent « leur place au soleil »[1], terminologie empruntée à la diplomatie de la fin du XIXème siècle, afin de peser sur la configuration future de l’échiquier planétaire. Nous assistons à un retour des logiques de puissance source d’une montée en puissance des incertitudes et des lignes de frottement entre ces différents pôles. La partie d’échec est entièrement ouverte et chacun avance ses pions suivants des stratégies complexes visant l’évincement, le containment, l’encerclement et le contre encerclement de l’autre.
La bataille est engagée….
Les Etats-Unis ont opéré un redéploiement géopolitique sur l’espace eurasiatique et se heurtent de plein fouet aux puissances continentales russe et chinoise qui, pour leur part, renforcent significativement l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). Le renforcement de la présence militaire américaine en Afghanistan rompant avec une promesse de campagne du président américain Trump et la doctrine Obama témoigne de la volonté de peser sur les périphéries russes et chinoises en reprenant pied au cœur de l’Eurasie. Elle révèle également le poids des inerties américaines portées par des Think Tanks et l’establishment washingtonien auquel s’est heurté le président américain. Il en est de même quant au rapprochement avec la Russie initialement érigé en pilier lors de sa campagne. S’appuyant sur les réflexions d’Henry Kissinger, la manœuvre subtile consistait à entraver le rapprochement entre Pékin et Moscou en orientant le balancier russe vers l’Europe. Menacé d’impeachment, le président Trump a dû se résigner à demeurer dans la logique d’une double antagonisation. Par voie de conséquence, en dépit d’une méfiance réciproque prenant racine dans le temps long de l’histoire, l’arrogance occidentale a précipité le balancier stratégique russe vers Pékin. Apaisement aux frontières, renforcement de la coopération militaire avec multiplication de manœuvres militaires communes, notamment en mer Méditerranée et en mer Baltique, signature d’accords économiques (principalement dans le domaine énergétique), imbrication plus nette de leurs projets régionaux (routes de la soie, Union Eurasiatique, projets de train à grande vitesse reliant Pékin à Moscou, etc.) constituent autant de marqueurs du tropisme de Moscou pour Pékin : le basculement de la Russie vers l’Est est amorcé.
Aujourd’hui, conscients de la véritable menace, les Etats-Unis mettent en place une stratégie destinée à contenir, voire briser la montée en puissance de la Chine, jugée l’adversaire prioritaire à l’horizon de deux ou trois décennies. Lors du XIXème congrès du PCC, Xi Jinping rompt avec la prudence coutumière chinoise, trace des lignes rouges et fixe une orientation : la Chine doit se hisser au premier rang mondial à l’horizon 2049, année du centenaire de la RPC. Déjà, en 2010, le colonel Liu Mingfu publiait « Le rêve chinois » et révélait les dessous de la stratégie intitulée « le marathon de cent ans ». La Chine, empire du milieu, aspire à renouer avec sa centralité géopolitique. Elle s’en donne les moyens sereinement. C’est dans ce contexte qu’il convient de replacer le projet des nouvelles routes de la soie appelé à reconfigurer les équilibres géopolitiques et géoéconomiques à l’échelle planétaire. A l’automne 2013, depuis Astana, le président Xi Jinping lance le projet, ressuscitant les anciennes routes de la soie reliant l’Asie à l’Europe en passant par l’Asie Centrale et le Moyen-Orient. C’est le retour de l’Eurasie, des puissances continentales face aux puissances maritimes.
Or, selon les stratèges américains, si la Chine se hisse au tout premier rang des puissances, par la combinaison de sa croissance économique et de son indépendance géopolitique et militaire, tout en conservant son modèle confucéen à l’abri des manœuvres subversives occidentales, alors la suprématie des Etats-Unis sera décisivement affaiblie. Dans ce contexte, la guerre humanitaire (ingérence humanitaire puis responsabilité de protéger), les futures pressions environnementales et la guerre contre le terrorisme islamiste constituent les nouveaux axes d’intervention servant à masquer les buts réels de la grande guerre eurasiatique : « la Chine comme cible, la Russie comme condition pour emporter la bataille ». En effet, suivant la logique d’un billard à trois bandes, la Chine comme cible car elle seule est en mesure de dépasser l’Amérique dans l’ordre de la puissance matérielle (économique et militaire) à l’horizon de trente ans. La Russie comme condition car de son orientation stratégique découlera largement l’organisation du monde de demain : unipolaire ou multipolaire.
La montée des tensions en Europe de l’Est, au Moyen-Orient, en Asie Centrale, en Asie du Sud-Est et en Afrique, c’est-à-dire le long des lignes de frictions séparant les sphères d’influence de ces trois pôles de puissance, révèle que la bataille est engagée. Plus précisément, cette rivalité de puissance a pour objet le contrôle de ce que le célèbre géopoliticien américain John Spykman avait qualifié de Rimland, c’est-à-dire les rivages du continent eurasiatique. La thèse formulée dans l’ouvrage « The Geography of the Peace » en 1944 est résumée par la formule suivante : « qui contrôle le Rimland domine l’Eurasie. Qui domine l’Eurasie contrôle les destinées du monde ».
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