La seconde noce des Bush et Saoud
Contre les chiites, tous les alliés seraient bons pour les Etats-Unis. Y compris les saoudiens et les sunnites radicaux.
Alors que le président George W. Bush a chargé le Pentagone d ‘élaborer un plan de bombardement de l’Iran qui puisse être réalisé endéans les 24 heures et que des armes iraniennes sont identifiées sur le sol irakien, Washington joue désormais sans retenue la carte saoudienne face aux chiites. Les non-sunnites (chiites ou alaouites) seraient désormais l’ennemi premier de l’Amérique.
Au point de confier aux saoudiens les opérations clandestines anti-chiites (et leur financement) comme à la grande époque du soutien aux moudjahiddines afghans contre l’Union soviétique. C’est de cette politique qu’est né Al-Qaïda…
Au point également de se rapprocher des Irakiens sunnites modérés, mais aussi radicaux, et faire craindre au Premier ministre (chiite) irakien Nouri al-Maliki que les sunnites ne gagnent la guerre civile en Irak. Ceci, alors que la majeure partie de la violence orientée contre la présence américaine en Irak provient de groupes sunnites, et non chiites.
Tels sont quelques-uns des constats établis ce dimanche par le journaliste d’investigation Seymour Hersh, du magazine The New Yorker. Dans le cinquième volet de l’enquête qu’il consacre depuis deux ans aux préparatifs de la guerre contre l’Iran, notre confrère américain détaille le « basculement stratégique » qui est à l’œuvre et qui a réuni l’ « Arabie Saoudite et Israël dans une alliance stratégique nouvelle, en grande partie parce tous deux perçoivent l’Iran comme une menace existentielle ».
L’analyse est inquiétante, puisqu’elle montre que ces derniers développements ont « placé les Etats-Unis plus près (encore) d’une confrontation ouverte avec l’Iran ». Comme le note Martin Indyk, ancien du Département d’Etat sous Clinton, « le Moyen Orient se dirige vers une grave guerre froide entre Chiites et sunnites (…) La Maison-Blanche ne fait pas que doubler la mise en Irak, Elle double la mise dans toute la région. Cela pourrait devenir très compliqué. Tout est sens dessus dessous ».
Ce cinquième volet de l’enquête de Seymour Hersh est d’autant plus détonnant qu’il jette une lumière soudaine sur des développements de la diplomatie saoudienne jusqu’ici incompréhensibles. Ainsi, la valse des ambassadeurs saoudiens à Washington. Jusqu’en 2005, l’ambassadeur était le prince Bandar Bin Sultan, lequel est devenu ensuite conseiller à la sécurité nationale saoudienne et un des artisans du rapprochement entre les Américains et les Saoudiens. Pourquoi son successeur au poste d’ambassadeur à Washington, le prince Turki al-Faisal, n’a-t-il tenu que dix-huit mois à ce poste ? Parce que, explique en substance Hersh, les liens entre Bandar et les officiels américains étaient tels que nombre de rencontres passaient au-dessus de la tête de l’ambassadeur. Qui a démissionné.
Mais il n’y a pas dans cette enquête que des anecdotes. On y apprend que des opérations clandestines américano-saoudiennes anti-chiites ont d’ores et déjà eu lieu au Liban ; que des opérations clandestines US ont eu lieu en Iran et en Syrie. On y apprend aussi qu’à la demande du président américain, un groupe spécifique de la planification a été institué au sein des états-majors centraux. Son rôle : créer un plan de bombardement de l’Iran qui puisse, en cas de nécessité, être appliqué dans les 24 heures à la demande du président.
Dans l’immédiat, alors que les forces US en Irak ont affirmé ce lundi avoir découvert des explosifs et munitions insurgées frappées d’annotations en langue farsi (iranien), Hersh affirme que des équipes des forces spéciales US ont musclé leurs opérations de collecte de renseignements au cœur du territoire iranien. Notre confrère rappelle qu’en janvier, devant le Sénat, la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice avait eu à ce sujet une réponse ambiguë, laissant entendre que tout serait fait pour « protéger les forces américaines », même sur le sol perse. Ce qui avait amené le sénateur républicain Hagel, du Nebraska, à inaugurer une image inédite : si l’Irak est un Vietnam pour l’Amérique, L’Iran est son Cambodge. Pour rappel, en 1970, la Maison-Blanche affirmait ne pas avoir franchi la frontière du Cambodge, alors que les troupes US y étaient déjà actives.
Alain LALLEMAND
LE SOIR
Édition du 27 février 2007
Contre les chiites, tous les alliés seraient bons pour les Etats-Unis. Y compris les saoudiens et les sunnites radicaux.
Alors que le président George W. Bush a chargé le Pentagone d ‘élaborer un plan de bombardement de l’Iran qui puisse être réalisé endéans les 24 heures et que des armes iraniennes sont identifiées sur le sol irakien, Washington joue désormais sans retenue la carte saoudienne face aux chiites. Les non-sunnites (chiites ou alaouites) seraient désormais l’ennemi premier de l’Amérique.
Au point de confier aux saoudiens les opérations clandestines anti-chiites (et leur financement) comme à la grande époque du soutien aux moudjahiddines afghans contre l’Union soviétique. C’est de cette politique qu’est né Al-Qaïda…
Au point également de se rapprocher des Irakiens sunnites modérés, mais aussi radicaux, et faire craindre au Premier ministre (chiite) irakien Nouri al-Maliki que les sunnites ne gagnent la guerre civile en Irak. Ceci, alors que la majeure partie de la violence orientée contre la présence américaine en Irak provient de groupes sunnites, et non chiites.
Tels sont quelques-uns des constats établis ce dimanche par le journaliste d’investigation Seymour Hersh, du magazine The New Yorker. Dans le cinquième volet de l’enquête qu’il consacre depuis deux ans aux préparatifs de la guerre contre l’Iran, notre confrère américain détaille le « basculement stratégique » qui est à l’œuvre et qui a réuni l’ « Arabie Saoudite et Israël dans une alliance stratégique nouvelle, en grande partie parce tous deux perçoivent l’Iran comme une menace existentielle ».
L’analyse est inquiétante, puisqu’elle montre que ces derniers développements ont « placé les Etats-Unis plus près (encore) d’une confrontation ouverte avec l’Iran ». Comme le note Martin Indyk, ancien du Département d’Etat sous Clinton, « le Moyen Orient se dirige vers une grave guerre froide entre Chiites et sunnites (…) La Maison-Blanche ne fait pas que doubler la mise en Irak, Elle double la mise dans toute la région. Cela pourrait devenir très compliqué. Tout est sens dessus dessous ».
Ce cinquième volet de l’enquête de Seymour Hersh est d’autant plus détonnant qu’il jette une lumière soudaine sur des développements de la diplomatie saoudienne jusqu’ici incompréhensibles. Ainsi, la valse des ambassadeurs saoudiens à Washington. Jusqu’en 2005, l’ambassadeur était le prince Bandar Bin Sultan, lequel est devenu ensuite conseiller à la sécurité nationale saoudienne et un des artisans du rapprochement entre les Américains et les Saoudiens. Pourquoi son successeur au poste d’ambassadeur à Washington, le prince Turki al-Faisal, n’a-t-il tenu que dix-huit mois à ce poste ? Parce que, explique en substance Hersh, les liens entre Bandar et les officiels américains étaient tels que nombre de rencontres passaient au-dessus de la tête de l’ambassadeur. Qui a démissionné.
Mais il n’y a pas dans cette enquête que des anecdotes. On y apprend que des opérations clandestines américano-saoudiennes anti-chiites ont d’ores et déjà eu lieu au Liban ; que des opérations clandestines US ont eu lieu en Iran et en Syrie. On y apprend aussi qu’à la demande du président américain, un groupe spécifique de la planification a été institué au sein des états-majors centraux. Son rôle : créer un plan de bombardement de l’Iran qui puisse, en cas de nécessité, être appliqué dans les 24 heures à la demande du président.
Dans l’immédiat, alors que les forces US en Irak ont affirmé ce lundi avoir découvert des explosifs et munitions insurgées frappées d’annotations en langue farsi (iranien), Hersh affirme que des équipes des forces spéciales US ont musclé leurs opérations de collecte de renseignements au cœur du territoire iranien. Notre confrère rappelle qu’en janvier, devant le Sénat, la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice avait eu à ce sujet une réponse ambiguë, laissant entendre que tout serait fait pour « protéger les forces américaines », même sur le sol perse. Ce qui avait amené le sénateur républicain Hagel, du Nebraska, à inaugurer une image inédite : si l’Irak est un Vietnam pour l’Amérique, L’Iran est son Cambodge. Pour rappel, en 1970, la Maison-Blanche affirmait ne pas avoir franchi la frontière du Cambodge, alors que les troupes US y étaient déjà actives.
Alain LALLEMAND
LE SOIR
Édition du 27 février 2007