18 JUIN 2018 PAR NICOLAS CHEVIRON
Ville d’accueil de toutes les migrations, le grand port turc de Mersin a développé un art de la cohabitation qui passe aussi par un équilibre entre les principales forces du pays. Mais pour le scrutin du 24 juin, les habitants boudent l’alliance islamo-nationaliste du président Recep Tayyip Erdogan.
Mersin (Turquie), de notre envoyé spécial.- Dans le micro, la voix du maître de cérémonie se fait tantôt suppliante, tantôt menaçante, pour enjoindre aux spectateurs de se rassembler près de l’estrade et sauver, devant les caméras, les apparences d’une foule dense venue aduler le maître de la Turquie, candidat à sa propre succession.
Il est 13 heures, l’heure à laquelle le président Recep Tayyip Erdogan aurait dû faire son apparition sur l’étroite esplanade bordant le stade municipal de Mersin, et ils sont à peine 3 000 à attendre son arrivée, en groupes épars, agglutinés dans les rares espaces échappant au soleil déjà estival de la cité méditerranéenne. Une misère pour une agglomération d’un million d’habitants.
Le public est bigarré. On reconnaît à leurs bouilles rondes, à leurs yeux bridés, les Turkmènes et les Yörüks, descendants des derniers nomades arrivés d’Asie centrale, nombreux dans la région. Ici et là, des Syriens s’interpellent en arabe. Selon les statistiques officielles, ils seraient 207 000 à s’être installés dans le département de Mersin depuis le début du conflit syrien, soit un pour neuf habitants turcs, sans tenir compte des clandestins. Tous épris d’Erdogan, l’homme qui leur a ouvert les portes de la Turquie.
En plein ramadan, certains spectateurs ne se gênent pas pour fumer ou boire. Des fiers-à-bras exhibent leurs tatouages. On est loin de la sobriété de rigueur habituellement dans les meetings du parti présidentiel, islamo-conservateur. Ici, le Parti de la justice et du développement (AKP) ne rassemble qu’un gros quart de l’électorat. Les buveurs impénitents viennent du Parti de l’action nationaliste (MHP), la formation d’extrême droite qui a fait alliance avec Erdogan et qui, à Mersin, fait jeu égal avec l’AKP.
Sur l’estrade, les ministres se succèdent pour faire patienter la foule, dans l’espoir de voir ses rangs grossir avant l’arrivée du Reis. Jülide Sarieroglu, en charge du travail et des affaires sociales, rappelle les promesses de prébendes du gouvernement : cadeau de 1 000 livres turques (180 euros) pour chaque salarié avant les élections présidentielle et législatives du 24 juin, puis 1 000 TL de plus après, révision à la baisse des dettes fiscales, régularisation des constructions illégales.
Son collègue des affaires européennes, Ömer Celik, décrit une Turquie sous la menace de « terroristes » de tous bords et souligne que « les attaques contre [le] président sont des attaques contre tout le pays ». Ministre du développement et tête de liste de l’AKP pour les législatives à Mersin, Lütfi Elvan désigne les puissances occidentales comme les commanditaires d’une « campagne de dénigrement » contre le leader turc et le candidat de l’opposition sociale-démocrate à la présidentielle, Muharrem Ince, comme leur agent. Sans ces attaques, la Turquie serait « le septième pays le plus riche de la planète », assure-t-il.
Avec plus d’une heure et demie de retard, l’hélicoptère présidentiel finit par se poser dans le stade municipal, escorté par deux puissants Sikorsky de l’armée et un appareil de la police. « Meeersin ! Meeersin ! » Entré en scène en tenue décontractée – chemise à carreaux noirs et blancs –, le Reis interpelle avec des accents gaulliens un public qui atteint désormais péniblement 5 000 à 6 000 têtes. Commence l’énumération des grandes réalisations du gouvernement : le nouvel hôpital, l’ouverture prochaine d’une seconde université dans le département, la création d’un parc… Puis celle des investissements à venir.
Magie des chiffres lancés à la volée, faramineux, invérifiables. Erdogan compte en quatrillions, souvenirs d’une époque où un verre de thé coûtait un million de livres turques, avant que son gouvernement supprime six zéros à la monnaie nationale. Mais le président met en garde : « Si vous leur en laissez la possibilité, les candidats de l’opposition fermeront ces hôpitaux. » « Leur seul projet consiste à bloquer les investissements », ajoute-t-il. « Ils veulent qu’on ferme les entreprises, qu’on licencie les employés. »
Quarante-cinq minutes plus tard, les hélicoptères ont redécollé à destination du prochain meeting, dans la ville voisine d’Antakya, laissant un public satisfait à défaut d’être enthousiaste. « Son discours était super. Ce qui m’a marqué, c’est l’annonce des travaux pour un aéroport, la ligne ferroviaire à grande vitesse Mersin-Adana, et puis la création à Mersin d’un complexe touristique comme celui de Belek », liste avec application Hilami, un ébéniste de 28 ans, faisant référence à la station balnéaire la plus luxueuse de la riviera turque, dans le département d’Antalya.
« Des gars comme Erdogan, il en faudrait dix de plus. Grâce à lui, la Turquie est devenue un pays puissant, et c’est pour ça que tout le monde veut le faire tomber », commente pour sa part Sinan Altun, un retraité d’origine kurde. « Plus personne n’a faim dans ce pays. Tout le monde a une voiture. Dans mon quartier, avant, les gens vivaient dans des cabanes. Maintenant, tout le monde a une maison, avec la climatisation à l’intérieur. »
La gêne s’installe cependant quand on évoque la faible affluence au meeting. « Il y avait beaucoup de monde, mais comme il faisait très chaud, les gens ont préféré chercher de l’ombre dans les rues adjacentes », assure Hilami.
Au MHP, l’hôte de l’événement puisque c’est le parti d’extrême droite qui administre la mairie métropolitaine de Mersin, on s’efforce également de minimiser la contre-performance du Reis. « C’est normal, il y a une usure du pouvoir, une fatigue. Erdogan lui-même en a parlé », affirme Rauf Aydemir, coordinateur départemental de la campagne du MHP. « En plus, c’est le ramadan. Si ce n’avait pas été le ramadan, je suis sûr qu’Erdogan aurait pu rassembler 500 000 personnes. »
La nouvelle du « four » présidentiel circule vite. Elle atteint Behiç Celik, tête de liste du Bon Parti (IP, nationaliste) à Mersin, alors que celui-ci rend visite à une de ses permanences de campagne. Le politicien est ébahi. Quelques jours plus tôt, la dirigeante de sa formation, Meral Aksener, a rassemblé ici « 25 000 personnes selon la police », glisse-t-il. « Et encore, notre organisation de campagne n’était en place que depuis une semaine, nous n’avions même pas encore désigné nos candidats pour les législatives. Si on refaisait le meeting aujourd’hui, on aurait 100 000 personnes. »
Le parti qui a le vent en poupe à Mersin, c’est le sien. Ici, les nationalistes n’ont guère la fibre religieuse, et l’alliance contractée avec Erdogan par le leader du MHP, Devlet Bahçeli, a été vécue par nombre d’entre eux comme une trahison. Quand Meral Aksener a fait sécession du MHP pour créer sa propre formation, ceux-ci l’ont suivi.
L’extraordinaire résilience de la ville face à l’arrivée massive de Syriens
« Depuis mes années de lycée, j’ai toujours voté MHP. Mais Bahçeli est sorti de la ligne du parti. Il nous a abreuvés de mensonges », témoigne ainsi un enseignant à la retraite, rencontré à la permanence de l’IP. « La même personne qui disait qu’il fallait tout faire pour empêcher Erdogan de devenir président a appelé à voter l’an dernier pour l’extension des pouvoirs présidentiels d’Erdogan », ajoute le vieillard, parlant sous le couvert de l’anonymat. « On ne peut rien attendre d’un type qui se renie comme ça. »
Le 16 avril 2017, une réforme constitutionnelle qui octroie de très larges pouvoirs au président – elle entrera pleinement en application après les élections – a été adoptée de justesse, avec le soutien du MHP, au cours d’un référendum aux résultats entachés de fraudes graves. Meral Aksener a appelé à voter non. À Mersin, où le tandem AKP-MHP a récolté plus de 50 % des voix à tous les scrutins depuis le début de la décennie, le non l’a largement emporté, par 64 % contre 36 % au oui.
« Cela veut dire que la base des électeurs MHP a en majorité voté non. Elle a suivi Meral et son mouvement, qui appelaient à s’opposer au régime de dirigeant omnipotent. C’est une bonne indication pour ces élections », explique Ilksen Sorguç Dinçer, une des dirigeantes locales du Bon Parti.
Invoquant le devoir d’unité derrière le chef lorsque la nation est menacée, Devlet Bahçeli a choisi de faire allégeance à Erdogan après la tentative ratée de coup d’État du 15 juillet 2016, imputée aux fidèles du prédicateur islamiste Fethullah Gülen. Vaste communauté rassemblant plusieurs millions de fidèles à travers la Turquie, les gülenistes ont fait l’objet de purges massives et peu regardantes sur l’implication réelle des suspects après le putsch manqué. Plus de 50 000 personnes ont ainsi été emprisonnées et environ 110 000 exclues de la fonction publique.
« Une des raisons pour lesquelles l’IP va l’emporter à Mersin, c’est que l’AKP, avec le soutien de Bahçeli, a jeté en prison plein d’employés des mairies tenues par le MHP en prétendant qu’ils appartenaient au mouvement terroriste FETÖ [sigle créé par Ankara pour désigner l’organisation güleniste – ndlr]. À tort ou à raison, ces gens sont toujours derrière les barreaux aujourd’hui, en l’absence de toute décision d’un tribunal », indique Ilksen. « Je suis convaincue que leurs épouses, leurs enfants, leurs proches donneront leur voix à l’IP. »
Attablé devant la permanence du Bon Parti, un militant donne corps aux spéculations de la politicienne. « Moi, je travaille dans la fonction publique. On m’a déjà suspendu pendant trois mois, après m’avoir accusé sans aucune preuve d’être membre de FETÖ. Je dois émarger toutes les semaines au commissariat pour prouver que je ne me suis pas enfui », déclare ce quadragénaire, parlant sous le couvert de l’anonymat. « Le gouvernement désigne comme terroristes tous ceux qui ne pensent pas comme lui. »
Alors qu’au MHP, on se refuse à faire des pronostics sur les prochaines élections – « nous, on ne commande pas d’enquêtes, on dit : travaillons, les résultats suivront », se défausse Rauf Aydemir –, les cadres du Bon Parti se rêvent déjà en leaders du nouveau grand parti de la droite, héritiers de figures historiques comme les anciens présidents Süleyman Demirel (1993-2000) ou Turgut Özal (1989-1993), et affirment avec témérité qu’ils s’arrogeront cinq des 13 sièges de députés de la circonscription de Mersin.
Ville d’accueil de toutes les migrations, le grand port turc de Mersin a développé un art de la cohabitation qui passe aussi par un équilibre entre les principales forces du pays. Mais pour le scrutin du 24 juin, les habitants boudent l’alliance islamo-nationaliste du président Recep Tayyip Erdogan.
Mersin (Turquie), de notre envoyé spécial.- Dans le micro, la voix du maître de cérémonie se fait tantôt suppliante, tantôt menaçante, pour enjoindre aux spectateurs de se rassembler près de l’estrade et sauver, devant les caméras, les apparences d’une foule dense venue aduler le maître de la Turquie, candidat à sa propre succession.
Il est 13 heures, l’heure à laquelle le président Recep Tayyip Erdogan aurait dû faire son apparition sur l’étroite esplanade bordant le stade municipal de Mersin, et ils sont à peine 3 000 à attendre son arrivée, en groupes épars, agglutinés dans les rares espaces échappant au soleil déjà estival de la cité méditerranéenne. Une misère pour une agglomération d’un million d’habitants.
Le public est bigarré. On reconnaît à leurs bouilles rondes, à leurs yeux bridés, les Turkmènes et les Yörüks, descendants des derniers nomades arrivés d’Asie centrale, nombreux dans la région. Ici et là, des Syriens s’interpellent en arabe. Selon les statistiques officielles, ils seraient 207 000 à s’être installés dans le département de Mersin depuis le début du conflit syrien, soit un pour neuf habitants turcs, sans tenir compte des clandestins. Tous épris d’Erdogan, l’homme qui leur a ouvert les portes de la Turquie.
En plein ramadan, certains spectateurs ne se gênent pas pour fumer ou boire. Des fiers-à-bras exhibent leurs tatouages. On est loin de la sobriété de rigueur habituellement dans les meetings du parti présidentiel, islamo-conservateur. Ici, le Parti de la justice et du développement (AKP) ne rassemble qu’un gros quart de l’électorat. Les buveurs impénitents viennent du Parti de l’action nationaliste (MHP), la formation d’extrême droite qui a fait alliance avec Erdogan et qui, à Mersin, fait jeu égal avec l’AKP.
Sur l’estrade, les ministres se succèdent pour faire patienter la foule, dans l’espoir de voir ses rangs grossir avant l’arrivée du Reis. Jülide Sarieroglu, en charge du travail et des affaires sociales, rappelle les promesses de prébendes du gouvernement : cadeau de 1 000 livres turques (180 euros) pour chaque salarié avant les élections présidentielle et législatives du 24 juin, puis 1 000 TL de plus après, révision à la baisse des dettes fiscales, régularisation des constructions illégales.
Son collègue des affaires européennes, Ömer Celik, décrit une Turquie sous la menace de « terroristes » de tous bords et souligne que « les attaques contre [le] président sont des attaques contre tout le pays ». Ministre du développement et tête de liste de l’AKP pour les législatives à Mersin, Lütfi Elvan désigne les puissances occidentales comme les commanditaires d’une « campagne de dénigrement » contre le leader turc et le candidat de l’opposition sociale-démocrate à la présidentielle, Muharrem Ince, comme leur agent. Sans ces attaques, la Turquie serait « le septième pays le plus riche de la planète », assure-t-il.
Avec plus d’une heure et demie de retard, l’hélicoptère présidentiel finit par se poser dans le stade municipal, escorté par deux puissants Sikorsky de l’armée et un appareil de la police. « Meeersin ! Meeersin ! » Entré en scène en tenue décontractée – chemise à carreaux noirs et blancs –, le Reis interpelle avec des accents gaulliens un public qui atteint désormais péniblement 5 000 à 6 000 têtes. Commence l’énumération des grandes réalisations du gouvernement : le nouvel hôpital, l’ouverture prochaine d’une seconde université dans le département, la création d’un parc… Puis celle des investissements à venir.
Magie des chiffres lancés à la volée, faramineux, invérifiables. Erdogan compte en quatrillions, souvenirs d’une époque où un verre de thé coûtait un million de livres turques, avant que son gouvernement supprime six zéros à la monnaie nationale. Mais le président met en garde : « Si vous leur en laissez la possibilité, les candidats de l’opposition fermeront ces hôpitaux. » « Leur seul projet consiste à bloquer les investissements », ajoute-t-il. « Ils veulent qu’on ferme les entreprises, qu’on licencie les employés. »
Quarante-cinq minutes plus tard, les hélicoptères ont redécollé à destination du prochain meeting, dans la ville voisine d’Antakya, laissant un public satisfait à défaut d’être enthousiaste. « Son discours était super. Ce qui m’a marqué, c’est l’annonce des travaux pour un aéroport, la ligne ferroviaire à grande vitesse Mersin-Adana, et puis la création à Mersin d’un complexe touristique comme celui de Belek », liste avec application Hilami, un ébéniste de 28 ans, faisant référence à la station balnéaire la plus luxueuse de la riviera turque, dans le département d’Antalya.
« Des gars comme Erdogan, il en faudrait dix de plus. Grâce à lui, la Turquie est devenue un pays puissant, et c’est pour ça que tout le monde veut le faire tomber », commente pour sa part Sinan Altun, un retraité d’origine kurde. « Plus personne n’a faim dans ce pays. Tout le monde a une voiture. Dans mon quartier, avant, les gens vivaient dans des cabanes. Maintenant, tout le monde a une maison, avec la climatisation à l’intérieur. »
La gêne s’installe cependant quand on évoque la faible affluence au meeting. « Il y avait beaucoup de monde, mais comme il faisait très chaud, les gens ont préféré chercher de l’ombre dans les rues adjacentes », assure Hilami.
Au MHP, l’hôte de l’événement puisque c’est le parti d’extrême droite qui administre la mairie métropolitaine de Mersin, on s’efforce également de minimiser la contre-performance du Reis. « C’est normal, il y a une usure du pouvoir, une fatigue. Erdogan lui-même en a parlé », affirme Rauf Aydemir, coordinateur départemental de la campagne du MHP. « En plus, c’est le ramadan. Si ce n’avait pas été le ramadan, je suis sûr qu’Erdogan aurait pu rassembler 500 000 personnes. »
La nouvelle du « four » présidentiel circule vite. Elle atteint Behiç Celik, tête de liste du Bon Parti (IP, nationaliste) à Mersin, alors que celui-ci rend visite à une de ses permanences de campagne. Le politicien est ébahi. Quelques jours plus tôt, la dirigeante de sa formation, Meral Aksener, a rassemblé ici « 25 000 personnes selon la police », glisse-t-il. « Et encore, notre organisation de campagne n’était en place que depuis une semaine, nous n’avions même pas encore désigné nos candidats pour les législatives. Si on refaisait le meeting aujourd’hui, on aurait 100 000 personnes. »
Le parti qui a le vent en poupe à Mersin, c’est le sien. Ici, les nationalistes n’ont guère la fibre religieuse, et l’alliance contractée avec Erdogan par le leader du MHP, Devlet Bahçeli, a été vécue par nombre d’entre eux comme une trahison. Quand Meral Aksener a fait sécession du MHP pour créer sa propre formation, ceux-ci l’ont suivi.
L’extraordinaire résilience de la ville face à l’arrivée massive de Syriens
« Depuis mes années de lycée, j’ai toujours voté MHP. Mais Bahçeli est sorti de la ligne du parti. Il nous a abreuvés de mensonges », témoigne ainsi un enseignant à la retraite, rencontré à la permanence de l’IP. « La même personne qui disait qu’il fallait tout faire pour empêcher Erdogan de devenir président a appelé à voter l’an dernier pour l’extension des pouvoirs présidentiels d’Erdogan », ajoute le vieillard, parlant sous le couvert de l’anonymat. « On ne peut rien attendre d’un type qui se renie comme ça. »
Le 16 avril 2017, une réforme constitutionnelle qui octroie de très larges pouvoirs au président – elle entrera pleinement en application après les élections – a été adoptée de justesse, avec le soutien du MHP, au cours d’un référendum aux résultats entachés de fraudes graves. Meral Aksener a appelé à voter non. À Mersin, où le tandem AKP-MHP a récolté plus de 50 % des voix à tous les scrutins depuis le début de la décennie, le non l’a largement emporté, par 64 % contre 36 % au oui.
« Cela veut dire que la base des électeurs MHP a en majorité voté non. Elle a suivi Meral et son mouvement, qui appelaient à s’opposer au régime de dirigeant omnipotent. C’est une bonne indication pour ces élections », explique Ilksen Sorguç Dinçer, une des dirigeantes locales du Bon Parti.
Invoquant le devoir d’unité derrière le chef lorsque la nation est menacée, Devlet Bahçeli a choisi de faire allégeance à Erdogan après la tentative ratée de coup d’État du 15 juillet 2016, imputée aux fidèles du prédicateur islamiste Fethullah Gülen. Vaste communauté rassemblant plusieurs millions de fidèles à travers la Turquie, les gülenistes ont fait l’objet de purges massives et peu regardantes sur l’implication réelle des suspects après le putsch manqué. Plus de 50 000 personnes ont ainsi été emprisonnées et environ 110 000 exclues de la fonction publique.
« Une des raisons pour lesquelles l’IP va l’emporter à Mersin, c’est que l’AKP, avec le soutien de Bahçeli, a jeté en prison plein d’employés des mairies tenues par le MHP en prétendant qu’ils appartenaient au mouvement terroriste FETÖ [sigle créé par Ankara pour désigner l’organisation güleniste – ndlr]. À tort ou à raison, ces gens sont toujours derrière les barreaux aujourd’hui, en l’absence de toute décision d’un tribunal », indique Ilksen. « Je suis convaincue que leurs épouses, leurs enfants, leurs proches donneront leur voix à l’IP. »
Attablé devant la permanence du Bon Parti, un militant donne corps aux spéculations de la politicienne. « Moi, je travaille dans la fonction publique. On m’a déjà suspendu pendant trois mois, après m’avoir accusé sans aucune preuve d’être membre de FETÖ. Je dois émarger toutes les semaines au commissariat pour prouver que je ne me suis pas enfui », déclare ce quadragénaire, parlant sous le couvert de l’anonymat. « Le gouvernement désigne comme terroristes tous ceux qui ne pensent pas comme lui. »
Alors qu’au MHP, on se refuse à faire des pronostics sur les prochaines élections – « nous, on ne commande pas d’enquêtes, on dit : travaillons, les résultats suivront », se défausse Rauf Aydemir –, les cadres du Bon Parti se rêvent déjà en leaders du nouveau grand parti de la droite, héritiers de figures historiques comme les anciens présidents Süleyman Demirel (1993-2000) ou Turgut Özal (1989-1993), et affirment avec témérité qu’ils s’arrogeront cinq des 13 sièges de députés de la circonscription de Mersin.
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