19 JUIN 2018 PAR RENÉ BACKMANN
En annonçant avoir évité une « catastrophe nucléaire » alors qu’il n’a obtenu aucun engagement concret de Kim Jong-un, Donald Trump a livré une nouvelle preuve de son inconséquence. Les menaces adressées à l’Iran, qui respectait ses engagements, font craindre un nouveau conflit régional.
À quoi a servi la rencontre à grand spectacle du 12 juin, dans les salons de l’hôtel Capella, sur l’île de Sentosa, à Singapour, entre Donald Trump et Kim Jong-un ? À donner aux cameramen et photographes autorisés l’occasion de montrer au monde l’image d’une poignée de main inédite entre deux ennemis qui se menaçaient encore du pire il y a quelques mois ? Sans l’ombre d’un doute.
À réaliser une percée diplomatique décisive pour la sécurité et la stabilité de la planète ? Rien ne permet encore de l’affirmer. À permettre aux deux dirigeants de se livrer à une opération de communication, c’est-à-dire de propagande, d’envergure globale, destinée autant à leurs compatriotes qu’au reste du monde ? C’est l’évidence même.
À offrir à l’opinion internationale une nouvelle démonstration de l’angoissante inconséquence diplomatique de Donald Trump ? C’est une certitude.
Lire à la une du Rodong Simmun, le journal officiel du régime de Pyongyang, que « la rencontre du siècle ouvre une nouvelle ère de l’histoire des relations entre les États-Unis », était conforme à la langue de bois de cette dictature héréditaire paléo-stalinienne. Mais découvrir dans les tweets de Trump, rarement victime, il est vrai, d’excès de modestie, que « le monde a fait un grand pas qui l’éloigne d’une potentielle catastrophe nucléaire », après seulement cinq heures d’entretien, traduction et déjeuner compris, incite à s’interroger, une fois encore, sur la lucidité, et donc la crédibilité, du président américain.
Quelle information concrète sur la dénucléarisation de la Corée du Nord peut-on trouver dans les maigres 391 mots du communiqué final, « long en formules creuses et pauvre en précisions », selon le New York Times ? On y lit seulement que la construction de la confiance entre les deux nations « peut promouvoir la dénucléarisation de la péninsule coréenne », et que Pyongyang « s’engage à travailler à la dénucléarisation complète de la péninsule ».
Comment ? Dans quel délai ? Sous quel contrôle ? Avec ou sans la contribution des Nations unies ? Est-il envisagé, en échange de cette hypothétique dénucléarisation, de lever les sanctions imposées par l’ONU depuis 2016, et durcies en décembre dernier ? L’avenir du stock de vecteurs, notamment de missiles intercontinentaux dont s’est doté Pyongyang, a-t-il été abordé ?
Pas un mot sur ces questions élémentaires. Même la référence à une dénucléarisation « vérifiable et irréversible » – formule que Washington affirmait depuis des semaines tenir pour indispensable – n’est pas présente dans le texte. « La Corée du Nord n’a rien promis de plus qu’au cours des 25 dernières années, constate Vipin Narang, professeur de sciences politiques, spécialiste de sécurité internationale au Massachusetts Institute of Technology, interrogé par l’AFP. À ce stade, il n’y a aucune raison de penser que ce sommet débouche sur quelque chose de plus concret que cela sur le front du désarmement. »
Interrogé sur le même document, Bruce Klingner, ancien analyste de la CIA, aujourd’hui expert en affaires coréennes à la Heritage Foundation, qui n’est pas un repaire de démocrates éperdus, affirme au New York Times que « le communiqué conjoint signé à Singapour n’engage même pas la Corée du Nord à ce qu’elle avait promis dans les accords conclus en 1994 et 2005, et qu’elle n’a jamais respecté ».
Cette habitude coréenne des engagements bafoués et des volte-face ne perturbe peut-être pas le versatile Donald Trump, familier des ruptures d’engagement, comme son retrait des accords sur le climat et sur le nucléaire iranien l’a montré. Il est même capable de retirer par tweet l’approbation des États-Unis au communiqué final d’une réunion du G7, comme il vient de le faire après avoir quitté le sommet de Charlevoix, au Canada.
Reste qu’avec le recul, l’autosatisfaction proclamée du président américain sur la question du nucléaire nord-coréen est d’autant plus déplacée que le régime de Pyongyang est une dictature totalitaire de 25 millions d’habitants où près de 120 000 personnes (un Coréen sur 208) croupissent dans des camps de travail forcé et de torture.
La Corée du Nord est aussi un régime paranoïaque et militariste, à la gouvernance bureaucratique opaque, qui a procédé en septembre 2017 au 6e essai nucléaire de son histoire en faisant exploser une bombe à fission dopée ou, pour la première fois, une bombe à hydrogène. Et un régime producteur – et exportateur – de missiles, dont les plus récents pourraient atteindre le territoire américain.
Il s'agit donc d'un État fort d’une armée de plus d’un million de soldats, dont le PNB par habitant est comparable à celui du Soudan du Sud, où sévissent une malnutrition et une précarité alimentaire endémiques. Mais le régime détient une réelle capacité de nuisance et de déstabilisation. Et dont le chef, lui aussi, est souvent imprévisible.
Entendre et voir, dans ces conditions, le président américain se féliciter d’avoir empêché une « catastrophe nucléaire » après cinq heures de conversations résumées en un communiqué commun d’une page est déjà alarmant. Le constat est plus accablant encore lorsqu’on se souvient de la campagne menée par Donald Trump contre l’accord sur le nucléaire iranien conclu en juillet 2015 à Vienne, sous le mandat de son prédécesseur et dont il s’est retiré avec fracas le 8 mai dernier.
Comment comprendre les dispositions plus que complaisantes affichées à l’égard de Kim Jong-un, qui a déjà la bombe atomique et les missiles capables de la transporter, et l’intransigeance menaçante face à l’Iran, qui n’a pas la bombe et s’est engagé à démanteler, sous contrôle international, les installations qui auraient permis de la produire – et qui a respecté jusque-là scrupuleusement ses engagements ? La réponse est hélas simple.
En annonçant avoir évité une « catastrophe nucléaire » alors qu’il n’a obtenu aucun engagement concret de Kim Jong-un, Donald Trump a livré une nouvelle preuve de son inconséquence. Les menaces adressées à l’Iran, qui respectait ses engagements, font craindre un nouveau conflit régional.
À quoi a servi la rencontre à grand spectacle du 12 juin, dans les salons de l’hôtel Capella, sur l’île de Sentosa, à Singapour, entre Donald Trump et Kim Jong-un ? À donner aux cameramen et photographes autorisés l’occasion de montrer au monde l’image d’une poignée de main inédite entre deux ennemis qui se menaçaient encore du pire il y a quelques mois ? Sans l’ombre d’un doute.
À réaliser une percée diplomatique décisive pour la sécurité et la stabilité de la planète ? Rien ne permet encore de l’affirmer. À permettre aux deux dirigeants de se livrer à une opération de communication, c’est-à-dire de propagande, d’envergure globale, destinée autant à leurs compatriotes qu’au reste du monde ? C’est l’évidence même.
À offrir à l’opinion internationale une nouvelle démonstration de l’angoissante inconséquence diplomatique de Donald Trump ? C’est une certitude.
Lire à la une du Rodong Simmun, le journal officiel du régime de Pyongyang, que « la rencontre du siècle ouvre une nouvelle ère de l’histoire des relations entre les États-Unis », était conforme à la langue de bois de cette dictature héréditaire paléo-stalinienne. Mais découvrir dans les tweets de Trump, rarement victime, il est vrai, d’excès de modestie, que « le monde a fait un grand pas qui l’éloigne d’une potentielle catastrophe nucléaire », après seulement cinq heures d’entretien, traduction et déjeuner compris, incite à s’interroger, une fois encore, sur la lucidité, et donc la crédibilité, du président américain.
Quelle information concrète sur la dénucléarisation de la Corée du Nord peut-on trouver dans les maigres 391 mots du communiqué final, « long en formules creuses et pauvre en précisions », selon le New York Times ? On y lit seulement que la construction de la confiance entre les deux nations « peut promouvoir la dénucléarisation de la péninsule coréenne », et que Pyongyang « s’engage à travailler à la dénucléarisation complète de la péninsule ».
Comment ? Dans quel délai ? Sous quel contrôle ? Avec ou sans la contribution des Nations unies ? Est-il envisagé, en échange de cette hypothétique dénucléarisation, de lever les sanctions imposées par l’ONU depuis 2016, et durcies en décembre dernier ? L’avenir du stock de vecteurs, notamment de missiles intercontinentaux dont s’est doté Pyongyang, a-t-il été abordé ?
Pas un mot sur ces questions élémentaires. Même la référence à une dénucléarisation « vérifiable et irréversible » – formule que Washington affirmait depuis des semaines tenir pour indispensable – n’est pas présente dans le texte. « La Corée du Nord n’a rien promis de plus qu’au cours des 25 dernières années, constate Vipin Narang, professeur de sciences politiques, spécialiste de sécurité internationale au Massachusetts Institute of Technology, interrogé par l’AFP. À ce stade, il n’y a aucune raison de penser que ce sommet débouche sur quelque chose de plus concret que cela sur le front du désarmement. »
Interrogé sur le même document, Bruce Klingner, ancien analyste de la CIA, aujourd’hui expert en affaires coréennes à la Heritage Foundation, qui n’est pas un repaire de démocrates éperdus, affirme au New York Times que « le communiqué conjoint signé à Singapour n’engage même pas la Corée du Nord à ce qu’elle avait promis dans les accords conclus en 1994 et 2005, et qu’elle n’a jamais respecté ».
Cette habitude coréenne des engagements bafoués et des volte-face ne perturbe peut-être pas le versatile Donald Trump, familier des ruptures d’engagement, comme son retrait des accords sur le climat et sur le nucléaire iranien l’a montré. Il est même capable de retirer par tweet l’approbation des États-Unis au communiqué final d’une réunion du G7, comme il vient de le faire après avoir quitté le sommet de Charlevoix, au Canada.
Reste qu’avec le recul, l’autosatisfaction proclamée du président américain sur la question du nucléaire nord-coréen est d’autant plus déplacée que le régime de Pyongyang est une dictature totalitaire de 25 millions d’habitants où près de 120 000 personnes (un Coréen sur 208) croupissent dans des camps de travail forcé et de torture.
La Corée du Nord est aussi un régime paranoïaque et militariste, à la gouvernance bureaucratique opaque, qui a procédé en septembre 2017 au 6e essai nucléaire de son histoire en faisant exploser une bombe à fission dopée ou, pour la première fois, une bombe à hydrogène. Et un régime producteur – et exportateur – de missiles, dont les plus récents pourraient atteindre le territoire américain.
Il s'agit donc d'un État fort d’une armée de plus d’un million de soldats, dont le PNB par habitant est comparable à celui du Soudan du Sud, où sévissent une malnutrition et une précarité alimentaire endémiques. Mais le régime détient une réelle capacité de nuisance et de déstabilisation. Et dont le chef, lui aussi, est souvent imprévisible.
Entendre et voir, dans ces conditions, le président américain se féliciter d’avoir empêché une « catastrophe nucléaire » après cinq heures de conversations résumées en un communiqué commun d’une page est déjà alarmant. Le constat est plus accablant encore lorsqu’on se souvient de la campagne menée par Donald Trump contre l’accord sur le nucléaire iranien conclu en juillet 2015 à Vienne, sous le mandat de son prédécesseur et dont il s’est retiré avec fracas le 8 mai dernier.
Comment comprendre les dispositions plus que complaisantes affichées à l’égard de Kim Jong-un, qui a déjà la bombe atomique et les missiles capables de la transporter, et l’intransigeance menaçante face à l’Iran, qui n’a pas la bombe et s’est engagé à démanteler, sous contrôle international, les installations qui auraient permis de la produire – et qui a respecté jusque-là scrupuleusement ses engagements ? La réponse est hélas simple.
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