Gianfranco Fattorini est le représentant permanent de l’Association américaine des juristes (AAJ) auprès de l’ONU à Genève et le co-coordinateur du Groupe de soutien pour la protection et la promotion des droits de l’Homme au Sahara Occidental.
Interview.
AP : Quelle est la situation des droits de l’Homme dans les territoires occupés du Sahara occidentale ?
Gianfranco Fattorini : Il faut distinguer entre la population autochtone, le peuple sahraoui, et les colons marocains. Pour le peuple sahraoui, la situation des droits de l’Homme au Sahara Occidental est catastrophique : pratiquement tous les droits économiques, sociaux et culturels sont bafoués, sans compter le refus qui lui est opposé par l’occupant d’exercer le premier des droits fondamentaux d’un peuple, le droit à l’autodétermination et à l’indépendance en conformité avec les résolutions et la pratique de l’ONU.
Comment expliquez-vous les violations des droits humains dans les territoires occupés du Sahara Occidental par le colonialisme marocain ?
De fait, ces violations sont intimement liées à l’occupation elle-même et à la volonté du royaume du Maroc d’exploiter les richesses naturelles du territoire, exactement comme le faisait les anciennes puissances coloniales, sans que cela profite vraiment au peuple marocain. La grande différence, c’est que nous sommes entrés dans l’ère de la communication tous azimuts, y compris au Sahara Occidental, d’où la nécessité pour la puissance occupante d’interdire l’accès au territoire à tout observateur indépendant et de faire taire ceux qui témoignent de l’intérieur et ceux qui réclament de pouvoir exercer librement le droit à l’autodétermination et à l’indépendance.
A votre avis, pourquoi l’ONU reste inerte devant la tragédie que vivent les peuples sahraoui et palestinien ?
Là aussi une distinction est nécessaire entre les organes d’experts et les organes politiques de l’ONU : si, d’une part, plusieurs procédures spéciales du Conseil des droits de l’Homme et certains organes ont bien constaté les violations des droits fondamentaux de ces peuples – en particulier le droit à l’autodétermination, les détentions arbitraires, l’usage systématique de la torture, etc. – et que la Cour Internationale de justice a clairement indiqué la voie à suivre pour résoudre les deux questions, d’autre part, il est vrai que le secrétaire général de l’ONU, l’actuelle Haut-Commissaire aux droits de l’Homme et certaines puissances au sein du Conseil de sécurité feignent d’ignorer les décisions de justice internationales, le texte de la Charte de l’ONU et les résolutions relatives aux territoires non-autonomes dans le cas du Sahara Occidental.
Pourquoi, d’après vous, la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental (Minurso) a échoué dans sa mission, à savoir l’organisation d’un référendum d’autodétermination pour le peuple sahraoui ? A quoi sert la Minurso ?
Exactement pour les raisons que je viens d’exposer. Dans le contexte de l’affrontement Est-Ouest du siècle dernier, les deux membres permanents au sein du Conseil de sécurité (France et Etats-Unis) ont soutenu dès le départ, même militairement, l’aventure expansionniste du royaume du Maroc et, encore aujourd’hui, les Etats-Unis fournissent près du 90% de l’armement au royaume du Maroc. Dès lors que ce dernier a commencé à opposer toute sorte de motif pour reporter l’organisation du référendum, des dispositions plus fermes auraient dû être prises pour que la Minurso mène à terme son mandat. Les intérêts géopolitiques et économiques empêchent la Minurso d’accomplir sa mission essentielle.
Vous avez plaidé pour une «large coalition internationale» pour honorer le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Quel est l’impact de votre appel ? Pourquoi les grandes puissances, à leur tête la France, soutiennent-elles le colonialisme marocain ?
Je dirais que ce sont surtout les puissances occidentales qui soutiennent le colonialisme marocain pour les raisons que je viens d’indiquer, auxquelles on peut ajouter, pour ce qui concerne les pays européens, le chantage permanent du royaume du Maroc en matière de lutte contre les stupéfiants, contre le terrorisme ou pour limiter les flux migratoires, alors que tout le monde sait que le Maroc est le premier producteur et exportateur de cannabis au monde, que, très souvent, des citoyens marocains sont impliqués dans des attentats sur le sol européen et que le contrôle des flux migratoires s’exerce par l’usage de traitements inhumains, à propos desquels ces puissances préfèrent détourner leur regard.
Face à cette situation, un groupe d’Etats s’est formé à Genève pour défendre le droit à l’autodétermination et à l’indépendance du peuple sahraoui. On peut espérer que ce groupe s’élargira prochainement. Les organisations non-gouvernementales se mobilisent également : 260 ONG de tous les continents se sont regroupées autour d’une plateforme pour la défense et la promotion des droits du peuple sahraoui.
Mon pays, l’Algérie, n’est-il pas la cible de ces puissances impérialistes qui écrasent les peuples ?
Les puissances occidentales et leurs alliés continuent de faire payer à l’Algérie le soutien indéfectible et sincère qu’elle a apporté et qu’elle continue d’apporter aux mouvements de libération et d’indépendance arabes, africains, latino-américains et asiatiques. On ne peut que regretter qu’au-delà des discours incantatoires, même si la forme a changé, la politique coloniale de ces puissances se poursuit encore au XXIe siècle.
Des députés européens ont confirmé l’existence d’un lobbying marocain au sein des institutions européennes. On apprend aussi que le Maroc a corrompu des responsables politiques européens et américains ainsi que des journalistes. Comment expliquez-vous ces pratiques dégradantes et immorales ?
On peut ajouter aussi des fonctionnaires internationaux à votre liste. La pratique est indispensable à un petit pays comme le royaume du Maroc pour s’assurer le soutien nécessaire à la poursuite d’une occupation militaire illégale. On ne peut que se féliciter lorsque les corrompus sont démasqués.
En utilisant la corruption généralisée pour bloquer le référendum d’autodétermination du peuple sahraoui, le Maroc n’est-il pas un Etat voyou ?
Un voyou est une personne qui n’a pas eu d’éducation. Or, tant le roi que ses plus proches collaborateurs et ses agents dans la diplomatie et les affaires ont reçu une bonne éducation, notamment dans les universités des pays occidentaux, qui leur a justement permis de bien connaître le fonctionnement et d’intégrer les codes des élites politiques et économiques des anciennes puissances coloniales, de tisser leurs réseaux et, finalement, de se fondre dans le moule de ces puissances et d’user des mêmes armes pour satisfaire des ambitions démesurées.
En utilisant la corruption généralisée pour bloquer le référendum d’autodétermination du peuple sahraoui, le Maroc n’est-il pas un Etat voyou ?
Un voyou est une personne qui n’a pas eu d’éducation. Or, tant le roi que ses plus proches collaborateurs et ses agents dans la diplomatie et les affaires ont reçu une bonne éducation, notamment dans les universités des pays occidentaux, qui leur a justement permis de bien connaître le fonctionnement et d’intégrer les codes des élites politiques et économiques des anciennes puissances coloniales, de tisser leurs réseaux et, finalement, de se fondre dans le moule de ces puissances et d’user des mêmes armes pour satisfaire des ambitions démesurées.
Quelle est votre réaction par rapport au comportement du président sortant des Etats-Unis, Donald Trump, qui offre le Sahara Occidental au Maroc comme s’il s’agissait de son bien, en contrepartie de la normalisation des relations avec Israël ?
Ce n’est peut-être, là, que la dernière manifestation de l’ignorance du droit international public et du mépris du président Trump pour les peuples opprimés. Dans les faits, c’est le gouvernement étasunien qui est souvent hors la loi internationale lorsqu’il intervient militairement à l’autre bout de la terre pour détruire un pays, l’Irak, lorsqu’il kidnappe et détient dans des prisons secrètes des prisonniers, y compris au Maroc, lorsqu’il utilise systématiquement la torture, dont Bush fils avait fait l’apologie, lorsqu’il procède à des exécutions sommaires, Ben Laden et d’autres, lorsqu’il viole les normes du droit international humanitaire.
Ce n’est pas par hasard que les Etats-Unis refusent de se soumettre à toute juridiction pénale internationale. C’est une politique constante des Etats-Unis, que ce soit les démocrates ou les républicains qui soient au pouvoir. Enfin, il ne faut pas oublier que les Etats-Unis ont été créés par des colons européens qui ont exterminé les populations autochtones et qui occupent toujours illégalement l’Alaska, Porto Rico ou les îles Hawaï.
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Interview.
AP : Quelle est la situation des droits de l’Homme dans les territoires occupés du Sahara occidentale ?
Gianfranco Fattorini : Il faut distinguer entre la population autochtone, le peuple sahraoui, et les colons marocains. Pour le peuple sahraoui, la situation des droits de l’Homme au Sahara Occidental est catastrophique : pratiquement tous les droits économiques, sociaux et culturels sont bafoués, sans compter le refus qui lui est opposé par l’occupant d’exercer le premier des droits fondamentaux d’un peuple, le droit à l’autodétermination et à l’indépendance en conformité avec les résolutions et la pratique de l’ONU.
Comment expliquez-vous les violations des droits humains dans les territoires occupés du Sahara Occidental par le colonialisme marocain ?
De fait, ces violations sont intimement liées à l’occupation elle-même et à la volonté du royaume du Maroc d’exploiter les richesses naturelles du territoire, exactement comme le faisait les anciennes puissances coloniales, sans que cela profite vraiment au peuple marocain. La grande différence, c’est que nous sommes entrés dans l’ère de la communication tous azimuts, y compris au Sahara Occidental, d’où la nécessité pour la puissance occupante d’interdire l’accès au territoire à tout observateur indépendant et de faire taire ceux qui témoignent de l’intérieur et ceux qui réclament de pouvoir exercer librement le droit à l’autodétermination et à l’indépendance.
A votre avis, pourquoi l’ONU reste inerte devant la tragédie que vivent les peuples sahraoui et palestinien ?
Là aussi une distinction est nécessaire entre les organes d’experts et les organes politiques de l’ONU : si, d’une part, plusieurs procédures spéciales du Conseil des droits de l’Homme et certains organes ont bien constaté les violations des droits fondamentaux de ces peuples – en particulier le droit à l’autodétermination, les détentions arbitraires, l’usage systématique de la torture, etc. – et que la Cour Internationale de justice a clairement indiqué la voie à suivre pour résoudre les deux questions, d’autre part, il est vrai que le secrétaire général de l’ONU, l’actuelle Haut-Commissaire aux droits de l’Homme et certaines puissances au sein du Conseil de sécurité feignent d’ignorer les décisions de justice internationales, le texte de la Charte de l’ONU et les résolutions relatives aux territoires non-autonomes dans le cas du Sahara Occidental.
Pourquoi, d’après vous, la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental (Minurso) a échoué dans sa mission, à savoir l’organisation d’un référendum d’autodétermination pour le peuple sahraoui ? A quoi sert la Minurso ?
Exactement pour les raisons que je viens d’exposer. Dans le contexte de l’affrontement Est-Ouest du siècle dernier, les deux membres permanents au sein du Conseil de sécurité (France et Etats-Unis) ont soutenu dès le départ, même militairement, l’aventure expansionniste du royaume du Maroc et, encore aujourd’hui, les Etats-Unis fournissent près du 90% de l’armement au royaume du Maroc. Dès lors que ce dernier a commencé à opposer toute sorte de motif pour reporter l’organisation du référendum, des dispositions plus fermes auraient dû être prises pour que la Minurso mène à terme son mandat. Les intérêts géopolitiques et économiques empêchent la Minurso d’accomplir sa mission essentielle.
Vous avez plaidé pour une «large coalition internationale» pour honorer le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Quel est l’impact de votre appel ? Pourquoi les grandes puissances, à leur tête la France, soutiennent-elles le colonialisme marocain ?
Je dirais que ce sont surtout les puissances occidentales qui soutiennent le colonialisme marocain pour les raisons que je viens d’indiquer, auxquelles on peut ajouter, pour ce qui concerne les pays européens, le chantage permanent du royaume du Maroc en matière de lutte contre les stupéfiants, contre le terrorisme ou pour limiter les flux migratoires, alors que tout le monde sait que le Maroc est le premier producteur et exportateur de cannabis au monde, que, très souvent, des citoyens marocains sont impliqués dans des attentats sur le sol européen et que le contrôle des flux migratoires s’exerce par l’usage de traitements inhumains, à propos desquels ces puissances préfèrent détourner leur regard.
Face à cette situation, un groupe d’Etats s’est formé à Genève pour défendre le droit à l’autodétermination et à l’indépendance du peuple sahraoui. On peut espérer que ce groupe s’élargira prochainement. Les organisations non-gouvernementales se mobilisent également : 260 ONG de tous les continents se sont regroupées autour d’une plateforme pour la défense et la promotion des droits du peuple sahraoui.
Mon pays, l’Algérie, n’est-il pas la cible de ces puissances impérialistes qui écrasent les peuples ?
Les puissances occidentales et leurs alliés continuent de faire payer à l’Algérie le soutien indéfectible et sincère qu’elle a apporté et qu’elle continue d’apporter aux mouvements de libération et d’indépendance arabes, africains, latino-américains et asiatiques. On ne peut que regretter qu’au-delà des discours incantatoires, même si la forme a changé, la politique coloniale de ces puissances se poursuit encore au XXIe siècle.
Des députés européens ont confirmé l’existence d’un lobbying marocain au sein des institutions européennes. On apprend aussi que le Maroc a corrompu des responsables politiques européens et américains ainsi que des journalistes. Comment expliquez-vous ces pratiques dégradantes et immorales ?
On peut ajouter aussi des fonctionnaires internationaux à votre liste. La pratique est indispensable à un petit pays comme le royaume du Maroc pour s’assurer le soutien nécessaire à la poursuite d’une occupation militaire illégale. On ne peut que se féliciter lorsque les corrompus sont démasqués.
En utilisant la corruption généralisée pour bloquer le référendum d’autodétermination du peuple sahraoui, le Maroc n’est-il pas un Etat voyou ?
Un voyou est une personne qui n’a pas eu d’éducation. Or, tant le roi que ses plus proches collaborateurs et ses agents dans la diplomatie et les affaires ont reçu une bonne éducation, notamment dans les universités des pays occidentaux, qui leur a justement permis de bien connaître le fonctionnement et d’intégrer les codes des élites politiques et économiques des anciennes puissances coloniales, de tisser leurs réseaux et, finalement, de se fondre dans le moule de ces puissances et d’user des mêmes armes pour satisfaire des ambitions démesurées.
En utilisant la corruption généralisée pour bloquer le référendum d’autodétermination du peuple sahraoui, le Maroc n’est-il pas un Etat voyou ?
Un voyou est une personne qui n’a pas eu d’éducation. Or, tant le roi que ses plus proches collaborateurs et ses agents dans la diplomatie et les affaires ont reçu une bonne éducation, notamment dans les universités des pays occidentaux, qui leur a justement permis de bien connaître le fonctionnement et d’intégrer les codes des élites politiques et économiques des anciennes puissances coloniales, de tisser leurs réseaux et, finalement, de se fondre dans le moule de ces puissances et d’user des mêmes armes pour satisfaire des ambitions démesurées.
Quelle est votre réaction par rapport au comportement du président sortant des Etats-Unis, Donald Trump, qui offre le Sahara Occidental au Maroc comme s’il s’agissait de son bien, en contrepartie de la normalisation des relations avec Israël ?
Ce n’est peut-être, là, que la dernière manifestation de l’ignorance du droit international public et du mépris du président Trump pour les peuples opprimés. Dans les faits, c’est le gouvernement étasunien qui est souvent hors la loi internationale lorsqu’il intervient militairement à l’autre bout de la terre pour détruire un pays, l’Irak, lorsqu’il kidnappe et détient dans des prisons secrètes des prisonniers, y compris au Maroc, lorsqu’il utilise systématiquement la torture, dont Bush fils avait fait l’apologie, lorsqu’il procède à des exécutions sommaires, Ben Laden et d’autres, lorsqu’il viole les normes du droit international humanitaire.
Ce n’est pas par hasard que les Etats-Unis refusent de se soumettre à toute juridiction pénale internationale. C’est une politique constante des Etats-Unis, que ce soit les démocrates ou les républicains qui soient au pouvoir. Enfin, il ne faut pas oublier que les Etats-Unis ont été créés par des colons européens qui ont exterminé les populations autochtones et qui occupent toujours illégalement l’Alaska, Porto Rico ou les îles Hawaï.
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