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Shanghai: une Chine peut en cacher une autre

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  • Shanghai: une Chine peut en cacher une autre

    Pour éviter les clichés et les lieux communs, à propos de la Chine, il faudrait - cela va de soi - séjourner plusieurs fois dans ce pays-continent. Car, dans l'univers asiatique - et celui-ci est pluriel -, il faut aussi savoir se méfier des ombres chinoises.

    Pour éviter de tomber dans ce travers, j'avais pris les précautions d'usage de journaliste qui veut décrire la réalité d'un pays afin d'informer le plus honnêtement possible. Avant mon départ, pour des éléments de background, j'avais donc parlé longuement avec un ami, Marc Boulet, auteur notamment d'un livre «Dans la peau d'un Chinois» (Ed. Barrault), et grand connaisseur de l'Asie.

    Paris-Shanghai, plus de 11 heures de vol sans escale. Le décalage horaire permet de profiter de la lumière du jour, pour entrer par effraction dans l'intimité de cette ville, véritable «laboratoire » de la Chine. L'hôtel où je réside se situe à Pudong, extension nouvelle de la ville. Ici, on se croirait à New York, tant les gratte-ciel - déjà achevés ou en construction - hérissent le ciel. Des tours à n'en plus finir ! C'est véritablement un «Occident» aux couleurs de la Chine. Il suffit d'arpenter quelques artères de la ville pour constater que toutes les grandes marques - je dis bien toutes - s'affichent en caractères latins et en chinois sur les façades des immeubles. Pas de doute, la Chine fait le choix, ici, de «s'occidendaliser» à ses conditions. Un test grandeur nature. Pour le visiteur qui ne parle pas chinois, un autre viatique incontournable permet d'être up-to-date en matière d'actualité locale, ce sont «Shanghai Daily» et «China Daily», deux quotidiens anglophones, destinés aux étrangers vivant dans ce pays et aux Chinois de la diaspora. La Banque africaine de développement (BAD) avait choisi, sur invitation des autorités politiques de Pékin, d'organiser ses assemblées annuelles à Shanghai (14-17 mai) sur le thème du partenariat Chine-Afrique. Les médias chinois, profitant de cette présence, communiquent à tour de bras autour de cet événement. Il n'est guère de doute : la Chine veut se donner une image et une stature d'un pays qui compte dans le concert des nations.

    Avec 1200 milliards de réserve de change et une croissance annuelle à deux chiffres, ce pays d'un milliard trois cents millions d'individus est en train de bouleverser la donne géopolitique du monde. Il suffit de lire la presse et les rapports des think-tanks US, surtout, pour voir combien ce pays est devenu une obsession américaine.

    La Chine, atelier du monde ? Cela n'est plus à démontrer. Les dirigeants chinois, via l'Etat-parti, étudient, planifient et dessinent le visage d'une nouvelle Chine, maîtresse de son destin, et même l'architecture d'un nouveau monde.

    Pour (mieux) pénétrer l'univers mental chinois, j'ai rencontré quelques journalistes du service français de China Radio International. Deshan Jiang, qui vient de partir à la retraite après 30 ans de service, analyse la «réussite» chinoise. «Notre pays, me dit-il en substance, teste des modèles économiques de développement dans des zones géographiques cibles. Une fois l'expérience jugée concluante, elle est généralisée à l'ensemble du pays.» Dans un français châtié, ponctué de quelques fous rires, pour lui, cela est dû à la «clairvoyance» du parti communiste chinois. Quand on essaie d'opposer à cette analyse les 30 millions de population flottante (des paysans migrants vers les villes) ou de lui parler de la misère des Chinois qui n'arrivent plus à suivre cette «modernisation forcée», certes, il admet cette réalité, mais pour lui, il y a un «coût humain » dû à toute évolution. Impossible de sillonner en sept jours les 6 340 km² que constitue la superficie de Shanghai, cependant des heures de marche permettent d'intérioriser le biorythme de cette méga-cité.

    Ce qui frappe d'abord, c'est la densité humaine : à pied, à vélos, en voitures ou autres, les Chinois occupent massivement l'espace. Autre paradoxe : malgré la frénésie d'édifier des immeubles sous forme de tours, dans certains quartiers les anciennes habitations «résistent» encore - pour combien de temps ? - à cette avancée inexorable de la modernité chinoise. Du coup, on se sent dans une autre Chine, loin des lumières et de l'opulence alentour. Les contradictoires chinoises sont fortes - «une société, deux systèmes» une phrase datant de l'intégration de Hong-Kong dans le giron chinois -, les nouveaux Chinois sont déjà là, parmi eux, on compte 300 millions de millionnaires. Dans cette phase d'exubérance extrême tout semble à portée de main et des moyens. Les dirigeants chinois veulent être les champions du pragmatisme pour corriger le tir, adapter le modèle et éviter d'être pris de court.

    Dans ce processus - et s'appuyant sur un trésor de guerre substantiel -, la Chine, tout en se concentrant prioritairement sur son évolution interne, apprend à déchiffrer la géopolitique du monde. Plus que jamais, elle intègre la géoéconomie dans son équation. Elle veut faire de l'Asie une région capitale, où elle serait le pivot de cet ensemble : Japon, Corée, Indonésie, Malaisie, etc... Tous ont compris l'intérêt d'être au rendez-vous de cette temporalité chinoise. Mais la Chine avance ses pions ailleurs, en Afrique notamment. Recherche des matières premières - pétrole, gaz, etc... - et de nouveaux marchés pour écouler ses produits. Dans cette expansion les 30 millions d'individus de la diaspora jouent un rôle majeur - on ne compte plus les Chinatown en Europe, Amérique, Australie et ailleurs. Ce sont eux qui constituent les relais de la Chine dans le monde.

    L'observation de ce pays montre qu'à travers la maîtrise du know how occidental en matière de haute technologie notamment - une capacité d'appropriation unique, en dehors du Japon -, la Chine accapare, à des prix défiant toute concurrence, des marchés nouveaux qui étaient considérés comme des pré-carrés aux mains des Européens et des Américains.

    Les temps sont en train d'être inversés, revanche de l'histoire sur le colonialisme occidental et les guerres de l'opium et sur les humiliantes défaites infligées par l'Occident dans les siècles passés. Mais, quelles que soient les précautions prises par le pouvoir politique pour limiter les dégâts, celui-ci n'est pas à l'abri d'un vaste mouvement de plaques tectoniques. Les tensions, dans un pays autoritaire, sont pour le moment gérables. Les Chinois (sont), disciplinés et travailleurs, acceptent le «bonheur» conçu et mis en scène par le parti-Etat. Cependant, les craquements sont à venir, parce que le peuple s'éveille, compare et risque d'exiger, demain, un autre deal pour sortir de son statut de «citoyen mineur». Les 56 ethnies qui cohabitent dans ce pays - dont 85 à 90 % sont composés de han, l'ethnie majoritaire - ont encore du chemin à faire avant d'accéder au «bonheur» consumériste. Demain, d'autres interrogations seront posées avec acuité, peut-être...! Une Chine peut en cacher une autre.

    Par Hichem Ben Yaïche, le quotidien d'Oran
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