Ceux qui ont choisi la couleur du sang pour peindre la "Mosquée rouge" d'Islamabad ont sans doute décidé de son destin : offrir un sanglant épilogue à des fanatiques, produits des viviers que le pouvoir pakistanais a laissés proliférer. La "Mosquée rouge", c'est d'abord un projet politique d'inspiration taliban que le Pakistan se refuse toujours à combattre. Les Pakistanais sont un peu comme nous : ils laissent des "mosquées rouges" pousser comme des champignons et attendent de voir.
A Islamabad, les autorités contemplaient avec attendrissement les préparatifs guerriers de ces jeunes talibans. Elles rêvaient du jour où les milices intégristes et la bombe atomique feraient cause commune pour la plus grande gloire du pays. Trop impatientes ces milices ! Non contentes de soumettre à leur loi d'airain les bons musulmans du voisinage, qui n'attendaient que ça, elles ont voulu étendre leur influence.
Le mois dernier, ces talibans ont enlevé une dizaine de Chinoises qui travaillaient dans un salon de massage et d'acupuncture. Un métier sujet à suspicion et à phantasmes : un musulman respectable ne peut tolérer que des mains féminines lui malaxent les chairs. Il peut en rêver, savourer l'idée qu'il en bénéficiera pour l'éternité, mais ici bas jamais! L'abstinence contre des promesses de félicités sans cesse renouvelées. Les intégristes ne se posent pas trop de questions : il faut supprimer l'objet de la tentation à défaut de lui résister. "Cachez ce sein que je ne saurais voir", disait Tartuffe, l'apôtre des voyeurs.
Les talibans d'Islamabad voulaient partir au "Djihad" empiétant ainsi sur le domaine réservé du pouvoir. Après avoir déclenché les hostilités, ils veulent obtenir des saufconduits, c'est-à-dire la garantie d'une impunité totale.
Aujourd'hui, le président Musharaf veut en finir avec cette communauté paramilitaire et politico- religieuse qui le défie. Ce faisant, il court le risque de provoquer un massacre : ces "moines soldats" sont, en effet, retranchés avec femmes et enfants dans la forteresse "Lal Masdjid". Cela dit, la "Mosquée rouge" est-elle une fatalité purement pakistanaise ?
Autrement dit, courons-nous le risque de voir éclore des "mosquées rouges" dans les quartiers populaires d'Alger ? Aucun risque, répondent en chœur les députés de la majorité présidentielle. De mémoire d'Algérois, on n'a jamais vu une mosquée peinte en rouge, comme celle d'Islamabad.
On ne peut en dire autant de la couleur religieuse. De ce point de vue, les "mosquées rouges" prospèrent dans nos cités. Pour faciliter leur implantation, on organise le tapage autour de l'évangélisation de la Kabylie et des inscriptions offensantes.
Question : quel est le plus grand danger qui menace actuellement l'Islam et les musulmans ? L'extrémisme et le terrorisme ou bien deux ou trois quidams qui se convertissent au folklore adventiste ?
La réponse nous est proposée indirectement par l'écrivain saoudien Mansour Al-Naqiedane qui s'intéresse aux invocations traditionnelles de la prière du vendredi. Dans un article publié par le quotidien de Bahreïn Al-Waqt, il relève la tonalité violente qui accompagne ces invocations. "C'est comme si les imams qui en appellent à la colère de Dieu, voulaient impliquer la divine providence dans des desseins qui leur sont personnels; dit-il. On ne recherche pas la manifestation des pouvoirs extraordinaires de Dieu dans l'amélioration et le progrès qualitatif de la société. On préfère l'impliquer dans des actions sanglantes qui écrasent tous ceux qui ne pensent pas comme nous ou qui s'opposent à nos intérêts."
Mansour Al-Naqiedane cite à cet égard l'exemple du cheikh koweïtien Ahmed Al-Kettanee qui vitupérait dans les années quatre-vingt contre les artistes, les laïcs et les juifs. Il "condamnait " tout ce monde à errer sur les routes, pris de folie et objets de moquerie des enfants. Ou encore l'invocation publiée par Abdallah Ghollam lorsque les "Scud" irakiens visaient les villes saoudiennes. Cet imam a édité un pamphlet de 4 pages dans lequel il réclamait 192 châtiments divins immédiats et simultanés pour Saddam, sachant qu'un seul de ces châtiments suffisait à le dispenser de autres. Parmi ces châtiments, une dizaine étaient invoqués contre les parties génitales de Saddam, comme l'impuissance, la stérilité, etc.
On entend aussi des invocations contre un écrivain, un penseur ou un artiste qui ont suscité la colère des bien pensants. Dans ce cas, l'alternative est simple: ou Dieu le ramène sur le droit chemin ou bien il lui brise l'échine.
Là où les solutions sont multiples, l'imam préfère en choisir deux seulement et il entend que la main de Dieu agisse conformément à ses désirs.
Que reste-t-il aux Arabes une fois qu'ils auront proscrit définitivement la raison et la logique? Pas grand-chose, répond l'écrivain égyptien Mourad Wahba dans l'hebdomadaire Rose-Al- Youssef.Mais il restera un certain nombre de choses négatives que l'on peut résumer par les "sept illusions" dont se bercent les Arabes.
Première illusion : c'est la conviction que les mots peuvent changer la réalité, que les mots, plus que l'action, ont un pouvoir magique susceptible d'agir sur le réel.
Deuxième illusion : notre patrimoine est seul susceptible de nous faire évoluer. Il suffit de le solliciter pour qu'il réponde à nos besoins en matière de progrès. Troisième illusion : l'Etat a une religion déterminée. Cette illusion est d'essence pharaonique et c'est en son nom que l'Etat exerce la tutelle sur le peuple. Si un défaut apparaît dans la société, c'est que l'Etat n'a pas joué son rôle de tuteur. Les intellectuels se lancent alors dans une critique en règle de l'Etat et du pouvoir qu'ils finissent par renverser. Combien de coups d'Etat avons-nous enregistrés sans que les défauts aient été corrigés ?
Quatrième illusion : le pouvoir religieux est le seul qui détienne la vérité absolue. Ses "fetwas" sont donc une vérité absolue. Par conséquent, l'assassinat de la raison est un passage obligé pour asseoir la domination du pouvoir religieux.
Cinquième illusion : le temps chez les Arabes évolue en sens opposé. C'est-à-dire de l'avenir vers le passé.
Sixième illusion : la prédominance de la règle de l'unanimité dans la charte de la Ligue arabe. La procédure du vote énonce que les décisions prises à l'unanimité sont donc une obligation pour tous et qu'il n'y a pas d'obligation en l'absence d'unanimité. D'où le drame d’Anwar Sadate lorsqu'il est sorti de l'unanimité pour conclure une paix séparée avec Israël.
Septième illusion : la démocratie signifie l'alternance au pouvoir et le vote alors que la question est beaucoup plus profonde. L'alternance et les urnes n'interviennent qu'en fin de parcours.
Au début, cela tient à un quatuor de la démocratie : la laïcité, le contrat social, le Siècle des lumières (XVIIIe) et le libéralisme. Ce quatuor a mis quatre siècles pour se former et s'imposer. Et c'est le temps qu'il faut au monde arabe pour qu'il accède à la démocratie comme l'Europe.
Nul besoin, pour cela, d'invoquer nos spécificités comme nous le faisons à tout bout de champ face à l'Occident, ce qui nous isole encore davantage. "Ce sont ces sept illusions qui feront forcément le lit du fondamentalisme religieux, à moins que la laïcité ne s'impose comme elle l'a fait en Europe ", souligne Mourad Wahba qui note en conclusion que les évènements de Palestine et du Liban ne sont pas encourageants à cet égard.
Par Le Soir
A Islamabad, les autorités contemplaient avec attendrissement les préparatifs guerriers de ces jeunes talibans. Elles rêvaient du jour où les milices intégristes et la bombe atomique feraient cause commune pour la plus grande gloire du pays. Trop impatientes ces milices ! Non contentes de soumettre à leur loi d'airain les bons musulmans du voisinage, qui n'attendaient que ça, elles ont voulu étendre leur influence.
Le mois dernier, ces talibans ont enlevé une dizaine de Chinoises qui travaillaient dans un salon de massage et d'acupuncture. Un métier sujet à suspicion et à phantasmes : un musulman respectable ne peut tolérer que des mains féminines lui malaxent les chairs. Il peut en rêver, savourer l'idée qu'il en bénéficiera pour l'éternité, mais ici bas jamais! L'abstinence contre des promesses de félicités sans cesse renouvelées. Les intégristes ne se posent pas trop de questions : il faut supprimer l'objet de la tentation à défaut de lui résister. "Cachez ce sein que je ne saurais voir", disait Tartuffe, l'apôtre des voyeurs.
Les talibans d'Islamabad voulaient partir au "Djihad" empiétant ainsi sur le domaine réservé du pouvoir. Après avoir déclenché les hostilités, ils veulent obtenir des saufconduits, c'est-à-dire la garantie d'une impunité totale.
Aujourd'hui, le président Musharaf veut en finir avec cette communauté paramilitaire et politico- religieuse qui le défie. Ce faisant, il court le risque de provoquer un massacre : ces "moines soldats" sont, en effet, retranchés avec femmes et enfants dans la forteresse "Lal Masdjid". Cela dit, la "Mosquée rouge" est-elle une fatalité purement pakistanaise ?
Autrement dit, courons-nous le risque de voir éclore des "mosquées rouges" dans les quartiers populaires d'Alger ? Aucun risque, répondent en chœur les députés de la majorité présidentielle. De mémoire d'Algérois, on n'a jamais vu une mosquée peinte en rouge, comme celle d'Islamabad.
On ne peut en dire autant de la couleur religieuse. De ce point de vue, les "mosquées rouges" prospèrent dans nos cités. Pour faciliter leur implantation, on organise le tapage autour de l'évangélisation de la Kabylie et des inscriptions offensantes.
Question : quel est le plus grand danger qui menace actuellement l'Islam et les musulmans ? L'extrémisme et le terrorisme ou bien deux ou trois quidams qui se convertissent au folklore adventiste ?
La réponse nous est proposée indirectement par l'écrivain saoudien Mansour Al-Naqiedane qui s'intéresse aux invocations traditionnelles de la prière du vendredi. Dans un article publié par le quotidien de Bahreïn Al-Waqt, il relève la tonalité violente qui accompagne ces invocations. "C'est comme si les imams qui en appellent à la colère de Dieu, voulaient impliquer la divine providence dans des desseins qui leur sont personnels; dit-il. On ne recherche pas la manifestation des pouvoirs extraordinaires de Dieu dans l'amélioration et le progrès qualitatif de la société. On préfère l'impliquer dans des actions sanglantes qui écrasent tous ceux qui ne pensent pas comme nous ou qui s'opposent à nos intérêts."
Mansour Al-Naqiedane cite à cet égard l'exemple du cheikh koweïtien Ahmed Al-Kettanee qui vitupérait dans les années quatre-vingt contre les artistes, les laïcs et les juifs. Il "condamnait " tout ce monde à errer sur les routes, pris de folie et objets de moquerie des enfants. Ou encore l'invocation publiée par Abdallah Ghollam lorsque les "Scud" irakiens visaient les villes saoudiennes. Cet imam a édité un pamphlet de 4 pages dans lequel il réclamait 192 châtiments divins immédiats et simultanés pour Saddam, sachant qu'un seul de ces châtiments suffisait à le dispenser de autres. Parmi ces châtiments, une dizaine étaient invoqués contre les parties génitales de Saddam, comme l'impuissance, la stérilité, etc.
On entend aussi des invocations contre un écrivain, un penseur ou un artiste qui ont suscité la colère des bien pensants. Dans ce cas, l'alternative est simple: ou Dieu le ramène sur le droit chemin ou bien il lui brise l'échine.
Là où les solutions sont multiples, l'imam préfère en choisir deux seulement et il entend que la main de Dieu agisse conformément à ses désirs.
Que reste-t-il aux Arabes une fois qu'ils auront proscrit définitivement la raison et la logique? Pas grand-chose, répond l'écrivain égyptien Mourad Wahba dans l'hebdomadaire Rose-Al- Youssef.Mais il restera un certain nombre de choses négatives que l'on peut résumer par les "sept illusions" dont se bercent les Arabes.
Première illusion : c'est la conviction que les mots peuvent changer la réalité, que les mots, plus que l'action, ont un pouvoir magique susceptible d'agir sur le réel.
Deuxième illusion : notre patrimoine est seul susceptible de nous faire évoluer. Il suffit de le solliciter pour qu'il réponde à nos besoins en matière de progrès. Troisième illusion : l'Etat a une religion déterminée. Cette illusion est d'essence pharaonique et c'est en son nom que l'Etat exerce la tutelle sur le peuple. Si un défaut apparaît dans la société, c'est que l'Etat n'a pas joué son rôle de tuteur. Les intellectuels se lancent alors dans une critique en règle de l'Etat et du pouvoir qu'ils finissent par renverser. Combien de coups d'Etat avons-nous enregistrés sans que les défauts aient été corrigés ?
Quatrième illusion : le pouvoir religieux est le seul qui détienne la vérité absolue. Ses "fetwas" sont donc une vérité absolue. Par conséquent, l'assassinat de la raison est un passage obligé pour asseoir la domination du pouvoir religieux.
Cinquième illusion : le temps chez les Arabes évolue en sens opposé. C'est-à-dire de l'avenir vers le passé.
Sixième illusion : la prédominance de la règle de l'unanimité dans la charte de la Ligue arabe. La procédure du vote énonce que les décisions prises à l'unanimité sont donc une obligation pour tous et qu'il n'y a pas d'obligation en l'absence d'unanimité. D'où le drame d’Anwar Sadate lorsqu'il est sorti de l'unanimité pour conclure une paix séparée avec Israël.
Septième illusion : la démocratie signifie l'alternance au pouvoir et le vote alors que la question est beaucoup plus profonde. L'alternance et les urnes n'interviennent qu'en fin de parcours.
Au début, cela tient à un quatuor de la démocratie : la laïcité, le contrat social, le Siècle des lumières (XVIIIe) et le libéralisme. Ce quatuor a mis quatre siècles pour se former et s'imposer. Et c'est le temps qu'il faut au monde arabe pour qu'il accède à la démocratie comme l'Europe.
Nul besoin, pour cela, d'invoquer nos spécificités comme nous le faisons à tout bout de champ face à l'Occident, ce qui nous isole encore davantage. "Ce sont ces sept illusions qui feront forcément le lit du fondamentalisme religieux, à moins que la laïcité ne s'impose comme elle l'a fait en Europe ", souligne Mourad Wahba qui note en conclusion que les évènements de Palestine et du Liban ne sont pas encourageants à cet égard.
Par Le Soir
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