En 2007, les soldats français ont combattu les rebelles en République Centrafricaine au côté des troupes du président François Bozize. A plusieurs reprises les Mirages basés au Tchad ont bombardé les positions des insurgés, au milieu de la population civile. Cette guerre oubliée de tous a dévasté les régions du nord et fait plus de deux cent mille réfugiés dans l’indifférence générale. Johann Hari a enquêté sur place pour The Independent et nous donne son témoignage sur un pays qui a été ravagé par les affrontements sanglants, où la France continue à faire et défaire les régimes au gré de son intérêt.
Depuis 40 ans, le gouvernement français mène en Afrique une guerre secrète, ignorée non seulement des français, mais aussi du monde entier.
La France a renversé des démocrates pour installer dictateur après dictateur - finançant et alimentant un terrible génocide.
Cette guerre sanglante a provoqué la fuite de milliers de réfugiés qui ont traversé la frontière de la République Centrafricaine vers le Darfour pour tenter de trouver un havre de paix dans l’une des régions les dangereuse du monde.
Johann Hari, The Independent, 5 octobre 2007
Birao, République Centrafricaine - J’ai pour la première fois entendu la rumeur de cette guerre en mars dernier, quand les journaux relataient brièvement que les militaires français bombardaient la ville de Birao, dans le nord-est de la République Centrafricaine.
Pourquoi ces soldats français luttaient-ils là, à des milliers de kilomètres de leur patrie ? Pourquoi étaient-ils intervenus en Afrique Centrale de cette manière depuis tant de décennies ?
Ne trouvant pas de réponse à cette question, j’ai décidé d’aller enquêter sur place, sur cette guerre oubliée de la France.
Birao : Sur le champs de bataille
Je suis sur les lieux du dernier champ de bataille, contemplant les rues boueuses et abandonnées, parsemées de cendre. La ville de Birao est quasi-déserte, pour la première fois depuis 200 ans. A des kilomètres à la ronde toutes les maisons sont brûlées et abandonnées, avec des enfants visiblement affamés, sautillant parmi des débris. Quels étaient tous ces bâtiments ? Sur un panneau vert sale accroché sur une bâtisse réduite à un tas de cendres on peut lire « Ministère de la Justice ».
Sur la place du marché, les gens qui sont revenus vendent quelques réserves rares - du riz et du manioc, les produits locaux - et parlent calmement. Aux abords de la ville, il y a des soldats africains armés et entraînés par les Français, affalés derrière des sacs de sable, pointant nerveusement leurs mitrailleuses sur les passants. Ils chantent des hymnes nationalistes et rêvent de leur maison.
Pour arriver ici, on doit voyager huit heures en empruntant le vol hebdomadaire de l’ONU qui emporte huit passagers au plus et monter ensuite à l’arrière sur le plateau d’un camion rouillé et rouler durant une heure sur des routes ravagées et défoncées. Il est difficile de savoir quand vous êtes arrivés, car seuls le vide et le silence vous accueillent. Qu’est-il arrivé ici ? J’ai posé la question à Mahmoud - l’ un des 10 pour cent des résidents de Birao qui sont revenus parmi les ruines.
C’est un fermier de 45 ans, amaigri, qui se tient tristement assis dans la boue et la poussière. Il explique, d’une voix basse, lente, comment sa ville natale en est arrivée là. « Je me suis réveillé pour les prières du matin le 4 mars et il y avait des tirs d’artillerie partout. Nous avons été très effrayés ainsi nous sommes restés dans la maison et avons espéré qu’il s’arrêterait. Mais alors, au début de l’après-midi, les enfants de mon frère sont venus en courant à notre maison, en pleurant et en criant. Ils nous ont dit le Forcés Armées Centrafricaines [Faca - l’armée entraînée et équipée par les Français, au bénéfice de leur homme fort, le Président François Bozize] étaient entré dans leur maison. Ils ne se calmaient pas et n’expliquaient rien. Donc j’ai accouru et j’ai vu mon frère allongé à terre à l’extérieur, mort. Sa femme m’a expliqué qu’ils avaient arrêté, avec trois autres voisins. Ils les ont emmenés dehors et exécutés, un par un, d’une une balle en pleine tête. »
L’ami de Mahmoud, Idris, vivait à proximité et a lui aussi craint pour sa vie. Il raconte : « nous pouvions voir les villages brûler. Les enfants criaient et ont eu vraiment peur, donc nous nous sommes dirigés deux kilomètres en dehors de la ville, dans la jungle. De là, nous pouvions voir notre ville entière en feu. Nous avons fui le long du fleuve et sommes restés là-bas. Nous avons mangé des poissons, mais il n’y avait pas beaucoup. Certains jours nous ne pouvions rien attraper et nous étions morts de faim. Les enfants ont été si terrifiés. Même maintenant, quand ils entendent du grand bruit, ils croient qu’il y a des tirs d’armes. Ils sont traumatisés. » Idris regarde dans le vide et poursuit : « le quatrième jour, nous avons vu des avions français arriver. Ils ont tirés chacune de leurs six fusées. Les explosions étaient terribles. Nous ne savons pas ce qu’ils visaient, et pourquoi. Puis, des soldats français sont arrivés.... »
Un camion militaire rempli de militaires français passe en vrombissant peu après. Les soldats, hâlés, portant lunettes de soleil à la mode, se demandent visiblement avec anxiété « Qu’ est-ce que je fais ici ? »
Pendant que Mahmoud et Idris me parlent, le jour baisse. Une noirceur et un silence étouffant envahissent la ville. Il n’y a ni électricité ni clair de lune. La nuit venue, ils m’expliquent alors la raison pour laquelle les militaires soutenus par les français ont commencé les tirs et les bombardement en mars dernier : les gens du pays avaient commencé à se révolter contre le Président Bozize, désespérés qu’il n’ait rien fait pour eux. Les gens ici étaient las de n’avoir « aucune école, aucun hôpital et aucune route. »
« Nous sommes complètement isolés, » expliquent-ils. « Quand il pleut, nous sommes coupés du monde parce que les routes se transforment en fondrières. Nous n’avons rien. Tout ce que ces rebelles demandaient c’était de l’aide gouvernementale. » Sur les mauvais chemins autour de Birao, j’entendrais cela à chaque fois : ces « rebelles » mendiaient tout simplement l’aide gouvernementale pour des gens affamés, abandonnés. Même les soldats français perplexes et les sbires de Bozize, envoyés dans la région, l’admettent en privé. Pourtant la réponse française a consisté a bombarder les pick-up des « rebelles. » Pourquoi ? Qu’ y a-t-il là bas de si important ?
En explorant la jungle, dans les alentours, je me rends compte que de nombreux résidents de Birao se cachent toujours en dehors de la ville, risquant leurs vies au milieu des bêtes sauvages. Dans les régions du nord-ouest dévastées de la même façon, j’ai suivi l’UNICEF jusque dans la jungle et vu un peu partout ces groupes dispersés de familles affamées.
Dans une clairière, je rencontre un groupe de quatre hommes avec leurs femmes et mères, nettoyant la terre avec, comme seul outil, leurs mains nues pour essayer de planter des plants de cacahuètes. Ils vivent dans des cabanes faites à la main et se nourrissent des souris attrapées avec des pièges. Ariette Nulguhom berce son petit-fils de huit mois au ventre gonflé et prie pour qu’il survive encore à une autre nuit. Elle me dit qu’il « a été malade pendant longtemps. Nous avons essayé de trouver un infirmier, mais il n’y a aucun. Nous croyons que c’est la malaria, mais il n’y a aucun soin ici. Nous ne savons pas ce qui arrivera... Nous sommes tous faibles et fébriles. Nous sommes épuisés parce que nous travaillons tout le jour, chaque jour. Je n’ai pas mangé pendant des jours maintenant. » En abandonnant leurs maisons, ils ont également perdu tout accès à l’hygiène, l’eau, l’électricité et aux soins. Quand les Forces Gouvernementales des Faca ont brûlé ces maisons, ils ont aussi brûlés l’héritage des 18ème, 19ème et 20ème siècles
C’est un coin oublié d’un pays oublié. Birao vit et meurt à l’écart, au nord-est de la République Centrafricaine. La RCA, peuplée de 3.8 millions d’habitants, occupe un territoire plus grand que la France, sans débouché sur la mer, situé exactement au coeur de l’Afrique. C’est le pays le moins médiatisé au monde. Même lorsque 212,000 personnes sont chassées de leurs foyers par cette guerre, aucun écho n’apparaît sur le radar du monde. A Birao, je réalise que je suis trop proche des atrocités immédiates pour pouvoir découvrir les causes plus profondes de cette guerre. Je commence seulement à démêler les origines de cette histoire quand soudain je tombe sur un vieil homme, ce qui est très rare en Centrafrique.
Depuis 40 ans, le gouvernement français mène en Afrique une guerre secrète, ignorée non seulement des français, mais aussi du monde entier.
La France a renversé des démocrates pour installer dictateur après dictateur - finançant et alimentant un terrible génocide.
Cette guerre sanglante a provoqué la fuite de milliers de réfugiés qui ont traversé la frontière de la République Centrafricaine vers le Darfour pour tenter de trouver un havre de paix dans l’une des régions les dangereuse du monde.
Johann Hari, The Independent, 5 octobre 2007
Birao, République Centrafricaine - J’ai pour la première fois entendu la rumeur de cette guerre en mars dernier, quand les journaux relataient brièvement que les militaires français bombardaient la ville de Birao, dans le nord-est de la République Centrafricaine.
Pourquoi ces soldats français luttaient-ils là, à des milliers de kilomètres de leur patrie ? Pourquoi étaient-ils intervenus en Afrique Centrale de cette manière depuis tant de décennies ?
Ne trouvant pas de réponse à cette question, j’ai décidé d’aller enquêter sur place, sur cette guerre oubliée de la France.
Birao : Sur le champs de bataille
Je suis sur les lieux du dernier champ de bataille, contemplant les rues boueuses et abandonnées, parsemées de cendre. La ville de Birao est quasi-déserte, pour la première fois depuis 200 ans. A des kilomètres à la ronde toutes les maisons sont brûlées et abandonnées, avec des enfants visiblement affamés, sautillant parmi des débris. Quels étaient tous ces bâtiments ? Sur un panneau vert sale accroché sur une bâtisse réduite à un tas de cendres on peut lire « Ministère de la Justice ».
Sur la place du marché, les gens qui sont revenus vendent quelques réserves rares - du riz et du manioc, les produits locaux - et parlent calmement. Aux abords de la ville, il y a des soldats africains armés et entraînés par les Français, affalés derrière des sacs de sable, pointant nerveusement leurs mitrailleuses sur les passants. Ils chantent des hymnes nationalistes et rêvent de leur maison.
Pour arriver ici, on doit voyager huit heures en empruntant le vol hebdomadaire de l’ONU qui emporte huit passagers au plus et monter ensuite à l’arrière sur le plateau d’un camion rouillé et rouler durant une heure sur des routes ravagées et défoncées. Il est difficile de savoir quand vous êtes arrivés, car seuls le vide et le silence vous accueillent. Qu’est-il arrivé ici ? J’ai posé la question à Mahmoud - l’ un des 10 pour cent des résidents de Birao qui sont revenus parmi les ruines.
C’est un fermier de 45 ans, amaigri, qui se tient tristement assis dans la boue et la poussière. Il explique, d’une voix basse, lente, comment sa ville natale en est arrivée là. « Je me suis réveillé pour les prières du matin le 4 mars et il y avait des tirs d’artillerie partout. Nous avons été très effrayés ainsi nous sommes restés dans la maison et avons espéré qu’il s’arrêterait. Mais alors, au début de l’après-midi, les enfants de mon frère sont venus en courant à notre maison, en pleurant et en criant. Ils nous ont dit le Forcés Armées Centrafricaines [Faca - l’armée entraînée et équipée par les Français, au bénéfice de leur homme fort, le Président François Bozize] étaient entré dans leur maison. Ils ne se calmaient pas et n’expliquaient rien. Donc j’ai accouru et j’ai vu mon frère allongé à terre à l’extérieur, mort. Sa femme m’a expliqué qu’ils avaient arrêté, avec trois autres voisins. Ils les ont emmenés dehors et exécutés, un par un, d’une une balle en pleine tête. »
L’ami de Mahmoud, Idris, vivait à proximité et a lui aussi craint pour sa vie. Il raconte : « nous pouvions voir les villages brûler. Les enfants criaient et ont eu vraiment peur, donc nous nous sommes dirigés deux kilomètres en dehors de la ville, dans la jungle. De là, nous pouvions voir notre ville entière en feu. Nous avons fui le long du fleuve et sommes restés là-bas. Nous avons mangé des poissons, mais il n’y avait pas beaucoup. Certains jours nous ne pouvions rien attraper et nous étions morts de faim. Les enfants ont été si terrifiés. Même maintenant, quand ils entendent du grand bruit, ils croient qu’il y a des tirs d’armes. Ils sont traumatisés. » Idris regarde dans le vide et poursuit : « le quatrième jour, nous avons vu des avions français arriver. Ils ont tirés chacune de leurs six fusées. Les explosions étaient terribles. Nous ne savons pas ce qu’ils visaient, et pourquoi. Puis, des soldats français sont arrivés.... »
Un camion militaire rempli de militaires français passe en vrombissant peu après. Les soldats, hâlés, portant lunettes de soleil à la mode, se demandent visiblement avec anxiété « Qu’ est-ce que je fais ici ? »
Pendant que Mahmoud et Idris me parlent, le jour baisse. Une noirceur et un silence étouffant envahissent la ville. Il n’y a ni électricité ni clair de lune. La nuit venue, ils m’expliquent alors la raison pour laquelle les militaires soutenus par les français ont commencé les tirs et les bombardement en mars dernier : les gens du pays avaient commencé à se révolter contre le Président Bozize, désespérés qu’il n’ait rien fait pour eux. Les gens ici étaient las de n’avoir « aucune école, aucun hôpital et aucune route. »
« Nous sommes complètement isolés, » expliquent-ils. « Quand il pleut, nous sommes coupés du monde parce que les routes se transforment en fondrières. Nous n’avons rien. Tout ce que ces rebelles demandaient c’était de l’aide gouvernementale. » Sur les mauvais chemins autour de Birao, j’entendrais cela à chaque fois : ces « rebelles » mendiaient tout simplement l’aide gouvernementale pour des gens affamés, abandonnés. Même les soldats français perplexes et les sbires de Bozize, envoyés dans la région, l’admettent en privé. Pourtant la réponse française a consisté a bombarder les pick-up des « rebelles. » Pourquoi ? Qu’ y a-t-il là bas de si important ?
En explorant la jungle, dans les alentours, je me rends compte que de nombreux résidents de Birao se cachent toujours en dehors de la ville, risquant leurs vies au milieu des bêtes sauvages. Dans les régions du nord-ouest dévastées de la même façon, j’ai suivi l’UNICEF jusque dans la jungle et vu un peu partout ces groupes dispersés de familles affamées.
Dans une clairière, je rencontre un groupe de quatre hommes avec leurs femmes et mères, nettoyant la terre avec, comme seul outil, leurs mains nues pour essayer de planter des plants de cacahuètes. Ils vivent dans des cabanes faites à la main et se nourrissent des souris attrapées avec des pièges. Ariette Nulguhom berce son petit-fils de huit mois au ventre gonflé et prie pour qu’il survive encore à une autre nuit. Elle me dit qu’il « a été malade pendant longtemps. Nous avons essayé de trouver un infirmier, mais il n’y a aucun. Nous croyons que c’est la malaria, mais il n’y a aucun soin ici. Nous ne savons pas ce qui arrivera... Nous sommes tous faibles et fébriles. Nous sommes épuisés parce que nous travaillons tout le jour, chaque jour. Je n’ai pas mangé pendant des jours maintenant. » En abandonnant leurs maisons, ils ont également perdu tout accès à l’hygiène, l’eau, l’électricité et aux soins. Quand les Forces Gouvernementales des Faca ont brûlé ces maisons, ils ont aussi brûlés l’héritage des 18ème, 19ème et 20ème siècles
C’est un coin oublié d’un pays oublié. Birao vit et meurt à l’écart, au nord-est de la République Centrafricaine. La RCA, peuplée de 3.8 millions d’habitants, occupe un territoire plus grand que la France, sans débouché sur la mer, situé exactement au coeur de l’Afrique. C’est le pays le moins médiatisé au monde. Même lorsque 212,000 personnes sont chassées de leurs foyers par cette guerre, aucun écho n’apparaît sur le radar du monde. A Birao, je réalise que je suis trop proche des atrocités immédiates pour pouvoir découvrir les causes plus profondes de cette guerre. Je commence seulement à démêler les origines de cette histoire quand soudain je tombe sur un vieil homme, ce qui est très rare en Centrafrique.
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