Hedy Epstein est une survivante de l’Holocauste, née en 1924, dont les parents ont été déportés à Auschwitz, où ils ont péri. En 2003, elle a décidé de faire un voyage en Palestine. Horrifiée par les mauvais traitements que les soldats de l’armée israélienne font subir aux peuple palestinien, elle se consacre, depuis lors, à les dénoncer.
Dans l’entretien accordé à Silvia Cattori, Hedy Epstein a affirmé pour commencer : « Je voudrais dédier cet entretien aux enfants de Gaza, dont les parents ne peuvent ni les protéger, ni les mettre en sécurité, comme mes propres parents avaient eux pu le faire, en m’envoyant en Grande Bretagne en mai 1939 par un convoi d’enfants ». (*).
Silvia Cattori : En 2004, après le traitement humiliant et déshumanisant auquel vous aviez été soumise à l’aéroport de Tel Aviv, où l’on vous avait obligée à vous dévêtir et accepter d’être « fouillée à l’intérieur » [1], vous étiez bouleversée et vous aviez déclaré : « Je ne reviendrai jamais en Israël ». Néanmoins, vous y êtes retournée depuis lors quatre fois. L’été dernier, vous y étiez à nouveau. Comment trouvez-vous la force de revenir dans ces conditions ?
Hedy Epstein : Jamais je n’avais ressenti une telle colère, qu’après ce qui m’était arrivé en janvier 2004 à l’aéroport de Tel Aviv, à moi et à l’amie qui voyageait avec moi.
Une fois dans l’avion, encore pleine de rage, j’ai écrit sur chacune des pages des magazines fournis par la compagnie : « Je suis une survivante de l’Holocauste et je ne retournerai jamais en Israël ». Parfois, j’appuyais si fort mon stylo sur les pages qu’elles se déchiraient. C’était une manière d’évacuer ma colère.
De retour chez moi, encore très en colère et traumatisée, j’ai décidé de recourir à un soutien psychologique. Cela m’a aidé à surmonter ma colère et m’a permis d’organiser un nouveau retour en Cisjordanie, à peine quelques mois plus tard, en été 2004. J’y suis retournée, depuis lors, chaque année, cinq fois au total depuis 2003. J’y suis retournée parce que c’était, à mes yeux, la juste chose à faire ; témoigner et faire savoir aux Palestiniens qu’il existe, à l’extérieur, des gens qui sont suffisamment préoccupés par leur sort, pour revenir et se tenir à leurs côtés dans leur lutte contre l’occupation israélienne.
Silvia Cattori : Comment expliquez-vous que les fonctionnaires israéliens vous aient traitée d’une façon si brutale ?
Hedy Epstein : Ils ont essayé de m’intimider, de me faire taire, espérant que je ne reviendrais plus jamais. [2] Bien qu’ils y soient très momentanément parvenus, en fin de compte ils ont échoué. Pour paraphraser le Général McArthur [3], un général américain qui disait « Je reviendrai », je suis retournée quatre fois en Palestine depuis les événements de janvier 2004 à l’aéroport de Tel Aviv ; et j’y retournerai encore.
Ils n’arriveront pas à m’en empêcher. C’est ainsi que je me prépare à embarquer, dans quelques mois, sur un bateau pour Gaza [4].
Silvia Cattori : N’était-ce pas trop traumatisant pour une personne sensible comme vous de retourner en Cisjordanie et de voir les soldats israéliens humilier, détruire les vies et les propriétés des Palestiniens ?
Hedy Epstein : En tant que personne de nationalité états-unienne, [5] je suis une personne privilégiée. J’en suis très consciente et me sens mal à l’aise de me trouver dans cet habit, en particulier quand je suis en Palestine, consciente du fait que cela me permet d’aller et venir comme je le veux. Un privilège, bien sûr dénié aux Palestiniens qui ont les plus grandes difficultés à se déplacer d’un endroit à l’autre, entravés qu’ils sont par des fermetures de routes, par des check points, par un mur de prison haut de 25 pieds, par de jeunes soldats israéliens qui ont toute liberté de décider lequel d’entre eux peut passer et lequel ne le peut pas, qui peut aller à l’école, à l’hôpital, à son travail, rendre visite à sa famille et à ses amis.
J’ai vu les longues files de Palestiniens au check point de Bethléem. J’ai parlé avec un homme de 41 ans qui m’a dit qu’il travaillait trois jours par semaine, qu’il voudrait bien travailler à plein temps, mais qu’il n’y a pas de travail à Bethléem. Pour arriver à temps à son travail, il doit se lever le matin à deux heures et demie pour arriver au check point à trois heures et quart. Il est contraint d’arriver si tôt sur place parce qu’il y a foule, s’il veut prendre sa place dans la longue file. Il doit attendre avec les autres l’ouverture du check point, vers cinq heures et demie. Parfois, les soldats israéliens ne laissent passer personne.
Au cours de chacun de mes cinq séjours en Palestine, j’ai passé quelque temps à Jérusalem. J’y ai pris douloureusement conscience du fait que la taille actuelle et les présentes limites de la ville n’ont pas grand chose à voir avec ses paramètres historiques ; les implantations réservées aux seuls juifs, comme les colonies de Har Homa et Gilo, sont désignées comme des faubourgs de Jérusalem.
Jérusalem Est est hérissée de drapeaux israéliens flottant sur des maisons dont les Palestiniens ont été « déplacés », ce qui judaïse de plus en plus cette zone.
Durant mon dernier voyage, en août 2007, je n’ai eu le temps de rendre qu’une brève visite à ma chère amie palestinienne et à son mari à Ramallah. Lors de mes précédents voyages, moi-même et mes compagnes avions été leurs hôtes durant plusieurs jours, bénéficiant de leur hospitalité, cette hospitalité palestinienne si caractéristique, qui ne ressemble à aucune hospitalité que j’aie pu connaître ailleurs, où que ce soit. La femme, que j’avais connue toujours gaie, paraissait abattue, sans se plaindre toutefois, constatant simplement : « La vie est plus difficile du fait que mon mari ne travaille plus ». Lors d’une conversation que j’ai eue par la suite, alors que j’étais seule avec son époux, celui-ci m’a dit qu’il avait quitté son travail pour aller étudier à l’école. Il y avait du vrai dans ces deux constatations ; mais le commentaire de l’époux masquait manifestement sa gêne et apparaissait comme un effort pour sauvegarder sa dignité.
J’ai également rendu visite à mes amis palestiniens et leur enfant à Bethléem, chez lesquels je suis restée une nuit. La télévision, toujours allumée, a capté à un moment notre attention. On y parlait des juifs du monde entier qui émigrent en Israël. On voyait de nombreux petits drapeaux israéliens brandis pour accueillir les nouveaux « citoyens israéliens » arrivant à l’aéroport Ben Gourion, à Tel Aviv. Il y avait une grande banderole à l’arrière-plan sur laquelle était écrit, en anglais et en hébreu « Welcome Home ».
Alors que l’émission se poursuivait, nous fixions la télévision en silence. Soudain, l’un de nous, je ne me souviens plus qui, a rompu ce silence pesant en demandant, à personne en particulier : « Et qu’en est-il du retour des Palestiniens ? »
Lors de la manifestation non violente qui a lieu chaque semaine à Bi’lin, [6] alors que les gaz lacrymogènes lancés sur nous par de jeunes soldats israéliens nous étouffaient, et que nous courions tous pour y échapper, j’ai entendu un échange de mots entre deux garçons palestiniens, l’un disant à l’autre « Je ne veux pas mourir », « Moi non plus » répondit l’autre. Leur peur est restée en moi. Que va-t-il leur arriver ? Quel est leur avenir ?
Et pourtant, en dépit du caractère presque désespéré de cette situation, qui pourrait ne jamais changer, les Palestiniens se montrent étonnamment forts. Bien que l’oppression israélienne se poursuive et s’aggrave, avec de nouvelles formes d’oppression militaire, les Palestiniens ne se sont pas rendus ; ils continuent à vivre là.
C’est un peuple d’une résilience étonnante. Ils ne se rendront jamais. Les Israéliens peuvent bien en tuer un grand nombre, détruire leurs maisons, détruire leurs vies, mais ils ne pourront jamais détruire leur espoir d’une autre vie, d’une autre et meilleure façon de vivre ensemble.
Quoi que les Israéliens fassent, ils ne pourront pas enlever aux Palestiniens leur espoir et leur dignité. En dépit de toutes les inégalités, les Palestiniens gardent toujours l’espoir.
Les Israéliens ont le pouvoir ; les Palestiniens ont la dignité.
Les Israéliens possèdent les avions depuis lesquels ils jettent des bombes sur la population de Gaza, ils ont des bulldozers fabriqués ici aux Etats-Unis, pas loin de chez moi ; ils peuvent faire tout cela mais, malgré cette inégalité de puissance, les Israéliens ne pourront jamais détruire l’espoir et la dignité des Palestiniens.
La suite de l'entretien
Dans l’entretien accordé à Silvia Cattori, Hedy Epstein a affirmé pour commencer : « Je voudrais dédier cet entretien aux enfants de Gaza, dont les parents ne peuvent ni les protéger, ni les mettre en sécurité, comme mes propres parents avaient eux pu le faire, en m’envoyant en Grande Bretagne en mai 1939 par un convoi d’enfants ». (*).
Silvia Cattori : En 2004, après le traitement humiliant et déshumanisant auquel vous aviez été soumise à l’aéroport de Tel Aviv, où l’on vous avait obligée à vous dévêtir et accepter d’être « fouillée à l’intérieur » [1], vous étiez bouleversée et vous aviez déclaré : « Je ne reviendrai jamais en Israël ». Néanmoins, vous y êtes retournée depuis lors quatre fois. L’été dernier, vous y étiez à nouveau. Comment trouvez-vous la force de revenir dans ces conditions ?
Hedy Epstein : Jamais je n’avais ressenti une telle colère, qu’après ce qui m’était arrivé en janvier 2004 à l’aéroport de Tel Aviv, à moi et à l’amie qui voyageait avec moi.
Une fois dans l’avion, encore pleine de rage, j’ai écrit sur chacune des pages des magazines fournis par la compagnie : « Je suis une survivante de l’Holocauste et je ne retournerai jamais en Israël ». Parfois, j’appuyais si fort mon stylo sur les pages qu’elles se déchiraient. C’était une manière d’évacuer ma colère.
De retour chez moi, encore très en colère et traumatisée, j’ai décidé de recourir à un soutien psychologique. Cela m’a aidé à surmonter ma colère et m’a permis d’organiser un nouveau retour en Cisjordanie, à peine quelques mois plus tard, en été 2004. J’y suis retournée, depuis lors, chaque année, cinq fois au total depuis 2003. J’y suis retournée parce que c’était, à mes yeux, la juste chose à faire ; témoigner et faire savoir aux Palestiniens qu’il existe, à l’extérieur, des gens qui sont suffisamment préoccupés par leur sort, pour revenir et se tenir à leurs côtés dans leur lutte contre l’occupation israélienne.
Silvia Cattori : Comment expliquez-vous que les fonctionnaires israéliens vous aient traitée d’une façon si brutale ?
Hedy Epstein : Ils ont essayé de m’intimider, de me faire taire, espérant que je ne reviendrais plus jamais. [2] Bien qu’ils y soient très momentanément parvenus, en fin de compte ils ont échoué. Pour paraphraser le Général McArthur [3], un général américain qui disait « Je reviendrai », je suis retournée quatre fois en Palestine depuis les événements de janvier 2004 à l’aéroport de Tel Aviv ; et j’y retournerai encore.
Ils n’arriveront pas à m’en empêcher. C’est ainsi que je me prépare à embarquer, dans quelques mois, sur un bateau pour Gaza [4].
Silvia Cattori : N’était-ce pas trop traumatisant pour une personne sensible comme vous de retourner en Cisjordanie et de voir les soldats israéliens humilier, détruire les vies et les propriétés des Palestiniens ?
Hedy Epstein : En tant que personne de nationalité états-unienne, [5] je suis une personne privilégiée. J’en suis très consciente et me sens mal à l’aise de me trouver dans cet habit, en particulier quand je suis en Palestine, consciente du fait que cela me permet d’aller et venir comme je le veux. Un privilège, bien sûr dénié aux Palestiniens qui ont les plus grandes difficultés à se déplacer d’un endroit à l’autre, entravés qu’ils sont par des fermetures de routes, par des check points, par un mur de prison haut de 25 pieds, par de jeunes soldats israéliens qui ont toute liberté de décider lequel d’entre eux peut passer et lequel ne le peut pas, qui peut aller à l’école, à l’hôpital, à son travail, rendre visite à sa famille et à ses amis.
J’ai vu les longues files de Palestiniens au check point de Bethléem. J’ai parlé avec un homme de 41 ans qui m’a dit qu’il travaillait trois jours par semaine, qu’il voudrait bien travailler à plein temps, mais qu’il n’y a pas de travail à Bethléem. Pour arriver à temps à son travail, il doit se lever le matin à deux heures et demie pour arriver au check point à trois heures et quart. Il est contraint d’arriver si tôt sur place parce qu’il y a foule, s’il veut prendre sa place dans la longue file. Il doit attendre avec les autres l’ouverture du check point, vers cinq heures et demie. Parfois, les soldats israéliens ne laissent passer personne.
Au cours de chacun de mes cinq séjours en Palestine, j’ai passé quelque temps à Jérusalem. J’y ai pris douloureusement conscience du fait que la taille actuelle et les présentes limites de la ville n’ont pas grand chose à voir avec ses paramètres historiques ; les implantations réservées aux seuls juifs, comme les colonies de Har Homa et Gilo, sont désignées comme des faubourgs de Jérusalem.
Jérusalem Est est hérissée de drapeaux israéliens flottant sur des maisons dont les Palestiniens ont été « déplacés », ce qui judaïse de plus en plus cette zone.
Durant mon dernier voyage, en août 2007, je n’ai eu le temps de rendre qu’une brève visite à ma chère amie palestinienne et à son mari à Ramallah. Lors de mes précédents voyages, moi-même et mes compagnes avions été leurs hôtes durant plusieurs jours, bénéficiant de leur hospitalité, cette hospitalité palestinienne si caractéristique, qui ne ressemble à aucune hospitalité que j’aie pu connaître ailleurs, où que ce soit. La femme, que j’avais connue toujours gaie, paraissait abattue, sans se plaindre toutefois, constatant simplement : « La vie est plus difficile du fait que mon mari ne travaille plus ». Lors d’une conversation que j’ai eue par la suite, alors que j’étais seule avec son époux, celui-ci m’a dit qu’il avait quitté son travail pour aller étudier à l’école. Il y avait du vrai dans ces deux constatations ; mais le commentaire de l’époux masquait manifestement sa gêne et apparaissait comme un effort pour sauvegarder sa dignité.
J’ai également rendu visite à mes amis palestiniens et leur enfant à Bethléem, chez lesquels je suis restée une nuit. La télévision, toujours allumée, a capté à un moment notre attention. On y parlait des juifs du monde entier qui émigrent en Israël. On voyait de nombreux petits drapeaux israéliens brandis pour accueillir les nouveaux « citoyens israéliens » arrivant à l’aéroport Ben Gourion, à Tel Aviv. Il y avait une grande banderole à l’arrière-plan sur laquelle était écrit, en anglais et en hébreu « Welcome Home ».
Alors que l’émission se poursuivait, nous fixions la télévision en silence. Soudain, l’un de nous, je ne me souviens plus qui, a rompu ce silence pesant en demandant, à personne en particulier : « Et qu’en est-il du retour des Palestiniens ? »
Lors de la manifestation non violente qui a lieu chaque semaine à Bi’lin, [6] alors que les gaz lacrymogènes lancés sur nous par de jeunes soldats israéliens nous étouffaient, et que nous courions tous pour y échapper, j’ai entendu un échange de mots entre deux garçons palestiniens, l’un disant à l’autre « Je ne veux pas mourir », « Moi non plus » répondit l’autre. Leur peur est restée en moi. Que va-t-il leur arriver ? Quel est leur avenir ?
Et pourtant, en dépit du caractère presque désespéré de cette situation, qui pourrait ne jamais changer, les Palestiniens se montrent étonnamment forts. Bien que l’oppression israélienne se poursuive et s’aggrave, avec de nouvelles formes d’oppression militaire, les Palestiniens ne se sont pas rendus ; ils continuent à vivre là.
C’est un peuple d’une résilience étonnante. Ils ne se rendront jamais. Les Israéliens peuvent bien en tuer un grand nombre, détruire leurs maisons, détruire leurs vies, mais ils ne pourront jamais détruire leur espoir d’une autre vie, d’une autre et meilleure façon de vivre ensemble.
Quoi que les Israéliens fassent, ils ne pourront pas enlever aux Palestiniens leur espoir et leur dignité. En dépit de toutes les inégalités, les Palestiniens gardent toujours l’espoir.
Les Israéliens ont le pouvoir ; les Palestiniens ont la dignité.
Les Israéliens possèdent les avions depuis lesquels ils jettent des bombes sur la population de Gaza, ils ont des bulldozers fabriqués ici aux Etats-Unis, pas loin de chez moi ; ils peuvent faire tout cela mais, malgré cette inégalité de puissance, les Israéliens ne pourront jamais détruire l’espoir et la dignité des Palestiniens.
La suite de l'entretien
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