Ces jeunes royalistes marocains, troupe de choc du pouvoir
Fondé en plein "printemps arabe", le mouvement marocain « La jeunesse royaliste » est devenu au fil du temps de plus en plus actif aussi bien sur Internet que sur le terrain et compte des sections dans plusieurs pays étrangers. Alors que son action est marquée par la violence, le caractère légal et les sources de financement de l’organisation posent question, de même que l’étrange protection dont elle semble bénéficier de la part du régime.POLITIQUES > HICHAM MANSOURI > 5 DÉCEMBRE 2019
Affiche de propagande et de menace des « fidèles serviteurs du trône »Traduit de l’arabe par Brigitte Trégaro.
Apparue dans le contexte du printemps arabe, "La jeunesse royaliste" fait partie de ces mouvements baltaji (voyous, à la solde du pouvoir) qui regroupent généralement des délinquants et des repris de justice payés par les régimes autoritaires pour s’opposer par la violence à toutes les formes de contestation politique. Les baltaji se livrent à des intimidations contre les manifestants, sabotant les marches de protestation et organisant des contre-manifestations de façon à faire apparaître une division de la société autour de certaines questions politiques et sociales.
Le terme baltaji vient du turc balta, la hache servant à trancher les arbres. Il désignait à l’origine les fantassins ottomans chargés de préparer l’invasion en coupant les arbres sur la route. Une dénomination qui n’a rien perdu de son caractère symbolique puisque les actions des baltaji ouvrent généralement la voie à des campagnes de répression des opposants. Le rôle de ces hommes de main consiste essentiellement à décrédibiliser les mouvements de contestation forts.
S’il est largement répandu dans le monde arabe, le terme de baltajiya a également des équivalents qui varient selon les pays : chabbiha en Syrie, balataja au Yémen, milichia en Tunisie, mourtaziqa en Libye, rabbata au Soudan, ziran en Jordanie… Au Maroc, on parle de ayyacha (« vivistes ») en référence à l’expression Ach al-malik (« Vive le roi ») que les baltaji scandent en toutes circonstances.
PRINTEMPS « BALTAJI », AUTOMNE DÉMOCRATIQUE ?
C’est la « bataille des chameaux » du Caire, l’un des épisodes les plus marquants de la révolution égyptienne, qui a mis ce phénomène en lumière. Le 2 février 2011, plusieurs individus armés de couteaux, de gourdins et de pierres avaient agressé les manifestants pour tenter de les déloger de la Place Al-Tahrir qu’ils occupaient depuis le 25 janvier. L’incident avait fait des dizaines de morts et des centaines de blessés.
ABONNEZ-VOUS GRATUITEMENT À LA LETTRE D’INFORMATION HEBDOMADAIRE D’ORIENT XXI
Dans une vidéo, le président fondateur Mohamed Dali reconnaît que La jeunesse royaliste, créée dès le lendemain des manifestations, est une organisation anti-20 Février. Lancée depuis l’Italie où il vivait alors, sous le nom de « Mouvement de la jeunesse royaliste des Marocains résidant en Italie », celle-ci s’est ensuite élargie et a pris l’appellation de « Mouvement de la jeunesse royaliste des Marocains à l’étranger et au Maroc » en raison des nombreuses demandes d’adhésion en provenance d’autres pays dans le cadre de « l’application des hautes instructions de Sa Majesté le Roi », explique celui qui se présente sur sa page Facebook comme un « investisseur ». Selon les vidéos de propagande, le mouvement, qui compte plus de 260 sections au Maroc et ailleurs, accueille également des membres d’autres nationalités (Sénégal, Côte d’Ivoire, Égypte, Chine…).
Selon d’autres sources, il aurait été fondé le 10 janvier 2011, soit cinq semaines avant le déclenchement du 20-Février. Si les informations fournies par le site Le360 — proche du pouvoir — sont exactes, cela signifie que les fondateurs ont devancé la rue et anticipé les événements annoncés par les événements alors en cours en Tunisie et en Égypte.
UN BRAS PARAMILITAIRE
Le mouvement de La jeunesse royaliste s’est d’abord illustré en organisant des attaques contre les participants aux manifestations du 20-Février, déclinaison marocaine du printemps démocratique. L’une de ses premières recrues est Amine El-Baroudi, surnommé « l’homme au revolver » depuis la publication d’une vidéo dans laquelle il proférait des menaces en brandissant un revolver. Lors d’une opération menée sous le nom de « révolution des œufs », il avait lancé des œufs sur les militants du 20-Février. Il avait également fait campagne dans la rue pour le « oui à la nouvelle Constitution », s’en prenant aux opposants au référendum. Puis en octobre 2013, armé d’une chaise, il avait déversé des torrents d’injures sur un groupe de jeunes qui s’embrassaient symboliquement devant le Parlement en solidarité avec deux adolescents arrêtés à Nador suite à la diffusion d’une photo les montrant en train d’échanger un baiser. Il y a eu également « l’homme à la hache » qui, dans une vidéo postée sur YouTube, apparaissait armé d’une hache et menaçait de mort les membres du Mouvement du 20-Février, accusant ceux-ci ainsi que Al-Adl Wal-Ihsane (Justice et bienfaisance) et la Gauche unie de vouloir faire tomber le régime pour s’emparer du pouvoir et détruire le pays.
Le même scénario s’est répété lors du Hirak du Rif, en 2016. De nombreuses vidéos montraient ainsi des membres de la Jeunesse royaliste essayant de saboter des rassemblements et des marches de protestation, notamment le sit-in de solidarité avec le mouvement organisé le 28 mai 2017 à Casablanca, auquel participaient des personnalités politiques comme la secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU) Nabila Mounib. Puis, en juin de la même année, c’est à coups de pierres et d’armes blanches et aux cris de « Vive le roi » et « Mohamed VI est notre seul roi » que des dizaines de Jeunes royalistes avaient agressé les citoyens solidaires du Hirak sur la place Al-Taghyir à Tanger, les accusant de trahir le pays et de servir des agendas séparatistes.
« SI TU DÉPASSES LES LIMITES, TU ES MORT ! »
La violence des Jeunes royalistes est telle qu’elle leur a même valu des accusations de meurtre. Selon la Ligue de l’action communiste, ils auraient ainsi, le 27 octobre 2011, poignardé à mort Kamal El-Hassani, un militant de l’Association nationale des diplômés au chômage du Maroc et du Mouvement du 20-Février à Al-Hoceima. L’organisation a alors été comparée par certains politologues aux groupes d’extrême droite en Europe.
Dans un document écrit visé par l’administration territoriale locale, les membres du mouvement s’engagent à ne pas « trahir le pays et le Roi symbole de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale selon la devise Dieu, la patrie, le Roi », sous peine de perdre leur qualité de membre. Une affiche de propagande officielle montre, sur fond rouge — couleur du drapeau national — et au centre de la devise du royaume, le roi entouré de cinq hommes armés et cagoulés à la manière des commandos, avec la légende : « Ici c’est le Maroc, si tu dépasses les limites, tu es mort ». voir la photo d’illustration
La stratégie numérique de l’organisation repose sur la réaction plutôt que sur l’action, et ses campagnes — qu’elles soient électroniques ou de terrain — sont généralement menées pour contrer une nouvelle force de contestation ou soutenir une nouvelle orientation du régime (dans la foulée d’un discours royal, par exemple). Les Jeunes royalistes saluent l’action de quatre ou cinq personnalités et déclarent « la guerre » à quiconque ose critiquer celles-ci, qui sont : le roi, son conseiller Fouad Ali El-Himma, le chef des renseignements Abdellatif Hammouchi (directeur général à la fois de la Sûreté nationale et de la Direction de la surveillance du territoire), et le patron des dossiers terroristes Abdelhak Khiame (directeur du Bureau central d’investigation judiciaire,BCIJ), auxquels s’ajoute parfois le milliardaire Aziz Akhannouch, ami du souverain et ministre de l’agriculture depuis 2007.
Pour atteindre ses objectifs de communication, le mouvement base son argumentaire sur le risque de « discorde » (fitna) et sur le danger de « l’intervention de l’étranger », rappelant le contexte géopolitique régional et « les ravages » du printemps arabe (« la dévastation arabe », selon l’expression d’un membre). « Voulez-vous que le Maroc devienne une nouvelle Syrie ou une nouvelle Libye ? », répètent inlassablement les militants, qui s’emploient à présenter une image positive de la monarchie. Ainsi, le chef de l’État ne doit pas être tenu pour responsable des problèmes du pays, dont il n’est d’ailleurs pas toujours au courant, car « le roi est bien, c’est son entourage qui est mauvais ou corrompu ».
Soucieux de renforcer son efficacité sur les réseaux sociaux, le mouvement a fait appel à une nouvelle génération d’« influenceurs électroniques » tels Mohamed Sekkaki alias « l’homme à la casquette ». Dans une vidéo publiée sur sa page Facebook, ce dernier justifie son adhésion au mouvement par le fait qu’incarcéré à deux reprises, il a été lâché par tout le monde, excepté la Jeunesse royaliste qui l’a soutenu dans son épreuve en venant en aide à son épouse. « Dites-lui de s’occuper plutôt de ses affaires, car aucun peuple ne mérite que l’on se sacrifie pour lui », auraient conseillé les militants à cette dernière.
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Fondé en plein "printemps arabe", le mouvement marocain « La jeunesse royaliste » est devenu au fil du temps de plus en plus actif aussi bien sur Internet que sur le terrain et compte des sections dans plusieurs pays étrangers. Alors que son action est marquée par la violence, le caractère légal et les sources de financement de l’organisation posent question, de même que l’étrange protection dont elle semble bénéficier de la part du régime.POLITIQUES > HICHAM MANSOURI > 5 DÉCEMBRE 2019


Apparue dans le contexte du printemps arabe, "La jeunesse royaliste" fait partie de ces mouvements baltaji (voyous, à la solde du pouvoir) qui regroupent généralement des délinquants et des repris de justice payés par les régimes autoritaires pour s’opposer par la violence à toutes les formes de contestation politique. Les baltaji se livrent à des intimidations contre les manifestants, sabotant les marches de protestation et organisant des contre-manifestations de façon à faire apparaître une division de la société autour de certaines questions politiques et sociales.
Le terme baltaji vient du turc balta, la hache servant à trancher les arbres. Il désignait à l’origine les fantassins ottomans chargés de préparer l’invasion en coupant les arbres sur la route. Une dénomination qui n’a rien perdu de son caractère symbolique puisque les actions des baltaji ouvrent généralement la voie à des campagnes de répression des opposants. Le rôle de ces hommes de main consiste essentiellement à décrédibiliser les mouvements de contestation forts.
S’il est largement répandu dans le monde arabe, le terme de baltajiya a également des équivalents qui varient selon les pays : chabbiha en Syrie, balataja au Yémen, milichia en Tunisie, mourtaziqa en Libye, rabbata au Soudan, ziran en Jordanie… Au Maroc, on parle de ayyacha (« vivistes ») en référence à l’expression Ach al-malik (« Vive le roi ») que les baltaji scandent en toutes circonstances.
PRINTEMPS « BALTAJI », AUTOMNE DÉMOCRATIQUE ?
C’est la « bataille des chameaux » du Caire, l’un des épisodes les plus marquants de la révolution égyptienne, qui a mis ce phénomène en lumière. Le 2 février 2011, plusieurs individus armés de couteaux, de gourdins et de pierres avaient agressé les manifestants pour tenter de les déloger de la Place Al-Tahrir qu’ils occupaient depuis le 25 janvier. L’incident avait fait des dizaines de morts et des centaines de blessés.
ABONNEZ-VOUS GRATUITEMENT À LA LETTRE D’INFORMATION HEBDOMADAIRE D’ORIENT XXI
Dans une vidéo, le président fondateur Mohamed Dali reconnaît que La jeunesse royaliste, créée dès le lendemain des manifestations, est une organisation anti-20 Février. Lancée depuis l’Italie où il vivait alors, sous le nom de « Mouvement de la jeunesse royaliste des Marocains résidant en Italie », celle-ci s’est ensuite élargie et a pris l’appellation de « Mouvement de la jeunesse royaliste des Marocains à l’étranger et au Maroc » en raison des nombreuses demandes d’adhésion en provenance d’autres pays dans le cadre de « l’application des hautes instructions de Sa Majesté le Roi », explique celui qui se présente sur sa page Facebook comme un « investisseur ». Selon les vidéos de propagande, le mouvement, qui compte plus de 260 sections au Maroc et ailleurs, accueille également des membres d’autres nationalités (Sénégal, Côte d’Ivoire, Égypte, Chine…).
Selon d’autres sources, il aurait été fondé le 10 janvier 2011, soit cinq semaines avant le déclenchement du 20-Février. Si les informations fournies par le site Le360 — proche du pouvoir — sont exactes, cela signifie que les fondateurs ont devancé la rue et anticipé les événements annoncés par les événements alors en cours en Tunisie et en Égypte.
UN BRAS PARAMILITAIRE
Le mouvement de La jeunesse royaliste s’est d’abord illustré en organisant des attaques contre les participants aux manifestations du 20-Février, déclinaison marocaine du printemps démocratique. L’une de ses premières recrues est Amine El-Baroudi, surnommé « l’homme au revolver » depuis la publication d’une vidéo dans laquelle il proférait des menaces en brandissant un revolver. Lors d’une opération menée sous le nom de « révolution des œufs », il avait lancé des œufs sur les militants du 20-Février. Il avait également fait campagne dans la rue pour le « oui à la nouvelle Constitution », s’en prenant aux opposants au référendum. Puis en octobre 2013, armé d’une chaise, il avait déversé des torrents d’injures sur un groupe de jeunes qui s’embrassaient symboliquement devant le Parlement en solidarité avec deux adolescents arrêtés à Nador suite à la diffusion d’une photo les montrant en train d’échanger un baiser. Il y a eu également « l’homme à la hache » qui, dans une vidéo postée sur YouTube, apparaissait armé d’une hache et menaçait de mort les membres du Mouvement du 20-Février, accusant ceux-ci ainsi que Al-Adl Wal-Ihsane (Justice et bienfaisance) et la Gauche unie de vouloir faire tomber le régime pour s’emparer du pouvoir et détruire le pays.
Le même scénario s’est répété lors du Hirak du Rif, en 2016. De nombreuses vidéos montraient ainsi des membres de la Jeunesse royaliste essayant de saboter des rassemblements et des marches de protestation, notamment le sit-in de solidarité avec le mouvement organisé le 28 mai 2017 à Casablanca, auquel participaient des personnalités politiques comme la secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU) Nabila Mounib. Puis, en juin de la même année, c’est à coups de pierres et d’armes blanches et aux cris de « Vive le roi » et « Mohamed VI est notre seul roi » que des dizaines de Jeunes royalistes avaient agressé les citoyens solidaires du Hirak sur la place Al-Taghyir à Tanger, les accusant de trahir le pays et de servir des agendas séparatistes.
« SI TU DÉPASSES LES LIMITES, TU ES MORT ! »
La violence des Jeunes royalistes est telle qu’elle leur a même valu des accusations de meurtre. Selon la Ligue de l’action communiste, ils auraient ainsi, le 27 octobre 2011, poignardé à mort Kamal El-Hassani, un militant de l’Association nationale des diplômés au chômage du Maroc et du Mouvement du 20-Février à Al-Hoceima. L’organisation a alors été comparée par certains politologues aux groupes d’extrême droite en Europe.
Dans un document écrit visé par l’administration territoriale locale, les membres du mouvement s’engagent à ne pas « trahir le pays et le Roi symbole de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale selon la devise Dieu, la patrie, le Roi », sous peine de perdre leur qualité de membre. Une affiche de propagande officielle montre, sur fond rouge — couleur du drapeau national — et au centre de la devise du royaume, le roi entouré de cinq hommes armés et cagoulés à la manière des commandos, avec la légende : « Ici c’est le Maroc, si tu dépasses les limites, tu es mort ». voir la photo d’illustration
La stratégie numérique de l’organisation repose sur la réaction plutôt que sur l’action, et ses campagnes — qu’elles soient électroniques ou de terrain — sont généralement menées pour contrer une nouvelle force de contestation ou soutenir une nouvelle orientation du régime (dans la foulée d’un discours royal, par exemple). Les Jeunes royalistes saluent l’action de quatre ou cinq personnalités et déclarent « la guerre » à quiconque ose critiquer celles-ci, qui sont : le roi, son conseiller Fouad Ali El-Himma, le chef des renseignements Abdellatif Hammouchi (directeur général à la fois de la Sûreté nationale et de la Direction de la surveillance du territoire), et le patron des dossiers terroristes Abdelhak Khiame (directeur du Bureau central d’investigation judiciaire,BCIJ), auxquels s’ajoute parfois le milliardaire Aziz Akhannouch, ami du souverain et ministre de l’agriculture depuis 2007.
Pour atteindre ses objectifs de communication, le mouvement base son argumentaire sur le risque de « discorde » (fitna) et sur le danger de « l’intervention de l’étranger », rappelant le contexte géopolitique régional et « les ravages » du printemps arabe (« la dévastation arabe », selon l’expression d’un membre). « Voulez-vous que le Maroc devienne une nouvelle Syrie ou une nouvelle Libye ? », répètent inlassablement les militants, qui s’emploient à présenter une image positive de la monarchie. Ainsi, le chef de l’État ne doit pas être tenu pour responsable des problèmes du pays, dont il n’est d’ailleurs pas toujours au courant, car « le roi est bien, c’est son entourage qui est mauvais ou corrompu ».
Soucieux de renforcer son efficacité sur les réseaux sociaux, le mouvement a fait appel à une nouvelle génération d’« influenceurs électroniques » tels Mohamed Sekkaki alias « l’homme à la casquette ». Dans une vidéo publiée sur sa page Facebook, ce dernier justifie son adhésion au mouvement par le fait qu’incarcéré à deux reprises, il a été lâché par tout le monde, excepté la Jeunesse royaliste qui l’a soutenu dans son épreuve en venant en aide à son épouse. « Dites-lui de s’occuper plutôt de ses affaires, car aucun peuple ne mérite que l’on se sacrifie pour lui », auraient conseillé les militants à cette dernière.
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