est une première. Et elle risque d’agacer le régime de Mohamed VI et ses différents organismes sécuritaires. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a concédé l’asile politique en Chine à deux youtubeurs et dissidents marocains. Et le plus étonnant encore, avec l’accord tacite des autorités chinoises.
Depuis le mois d’août, la youtubeuse Dounia Moustaslim, plus connue sous son nom marital de Dounia Filali, et son époux Adnane Filali sont officiellement reconnus comme des réfugiés politiques marocains en République de Chine.
Depuis l’adhésion en 1982 de la Chine à la Convention de 1951 sur les réfugiés et à son protocole de 1967, l’antenne locale du HCR, devenue bureau régional en 1997, procède à la détermination du statut de réfugié (DSR) sur place et le gouvernement chinois reconnaît le statut de réfugié accordé par le HCR.
Depuis le mois d’août, la youtubeuse Dounia Filali et son époux Adnane Filali sont officiellement reconnus comme des réfugiés politiques marocains en République de Chine (Facebook/Dounia Filali)
Mais il s’agit souvent de ressortissants de pays asiatiques limitrophes de la Chine.
Pékin aurait pu facilement manœuvrer pour faire avorter l’opération. Ce qu’il n’a pas fait. Apparemment, en toute connaissance de cause. L’opération aurait même été soutenue en sous-main par les Chinois après la révélation du scandale du logiciel espion israélien Pegasus.
Depuis un endroit tenu secret en Chine, Dounia Filali et son mari Adnane, qui ont accepté de témoigner à Middle East Eye, n’en reviennent toujours pas. Ils sont les premiers Marocains à avoir obtenu ce précieux sésame en Chine. Mais le chemin a été long et tortueux.
Sujets de société
Dounia Filali et son mari Adnane, c’est l’histoire d’un jeune couple marocain qui s’installe d’abord à Hong Kong en 2017, fonde une société de vente en ligne, puis un an plus tard, pour ne pas continuer à payer un prix astronomique pour leur logement, déménage à Shenzhen, une ville distante de quelques centaines de mètres seulement de l’ancienne colonie britannique.
Le couple n’a pas quitté le Maroc pour des raisons politiques, ni même économiques. Le père d’Adnane est le dessinateur et patron de presse Mohamed Filali, dont l’une des publications, le fanzine Akhbar Souk, était du temps de Hassan II l’une des plus vendues dans le royaume. Certains de ses numéros atteignaient facilement le million d’exemplaires vendus.
L’oncle de M. Filali est Abdelmajid Fenjiro, ancien directeur général de l’agence officielle de presse MAP et ancien ambassadeur du royaume au Liban. Un grand notable du régime, aujourd’hui décédé. C’est dire que rien ne prédestinait ce couple lié à la bourgeoisie oisive de Rabat à la dissidence politique.
Tout allait donc bien pour le couple jusqu’au jour où Dounia Filali a eu l’idée de créer en Chine une chaine de télévision sur Youtube.
Un moyen d’expression créé non pas pour dénoncer les travers du régime marocain mais pour traiter des sujets de société qui intéressent de plus en plus de Marocains avides d’informations hors des sentiers battus de la censure et de l’autocensure.
Des youtubeurs masculins qui traitent les affaires marocaines, il y en a beaucoup, au Maroc ou à l’étranger. Des youtubeuses, il faut les compter sur les doigts d’une seule main.
Avec son visage poupon, son éternel sourire, l’utilisation quasi systématique de la darija, la langue véhiculaire des Marocains, et le choix de certains thèmes, Mme Filali ne tarde pas à s’imposer sur les réseaux sociaux marocains.
Jusqu’au point où son mari décide à un moment donné d’abandonner ses activités commerciales pour se dédier exclusivement à la gestion de la chaîne Youtube de son épouse.
« Chaque vidéo de Dounia commençait à dépasser les 200 000 vues en quelques jours, et il nous a paru judicieux de délaisser nos affaires pour nous consacrer à l’exploitation de la chaîne », explique Adnane Filali à MEE.
Au Maroc, tant que vous traitez des sujets de société, même les plus délicats, vous êtes relativement à l’abri des ennuis.
Mais s’il vous arrive de vous intéresser à un sujet politique, comme par exemple les travers de la monarchie, les pouvoirs excessifs des différentes polices politiques et le sempiternel conflit du Sahara occidental – surtout si vous traitez l’information de manière neutre –, alors la machine de la police politique, largement identifiée dans deux grosses structures, la DGST (Direction générale de la sûreté du territoire, plus connue sous son ténébreux nom de DST) et la DGED (Direction générale des études et de la documentation), se mettent en marche pour soit vous obliger à vous aligner sur les thèses officielles, soit, en cas de refus, vous broyer.
Brutalement, souvent. On en a vu quelques exemples ces dernières années avec les cas de l’historien Maâti Monjib et ceux des journalistes Taoufik Bouachrine, Omar Radi, Soulaiman Raissouni et Imad Stitou. Tous condamnés à des peines de prison après des procès kafkaïens et truffés d’irrégularités flagrantes.
Opération de désinformation
Pour Dounia Filali, les tourments ont commencé quand elle a décidé d’interviewer l’ex-ministre des Droits de l’homme de Hassan II et ancien bâtonnier Mohamed Ziane, au mois de décembre 2020.
Avocat du journaliste Bouachrine et des détenus du hirak du Rif, maître Ziane est devenu ces dernières années la bête noire des services secrets marocains et de leur chef Abdellatif Hammouchi, qu’il cite nommément et critique dans ses multiples interventions.
En retour, il a été violemment persécuté. Son fils a été arrêté et condamné à trois ans de prison après une sombre affaire de « masques contrefaits », lui-même a été condamné à un an de prison avec sursis pour avoir caché une fausse plaignante que la justice marocaine voulait faire témoigner de force contre Bouachrine.
Suspendu temporairement de l’exercice de sa profession d’avocat pendant un an, Ziane est actuellement sous le coup d’une autre poursuite pénale, engagée par le ministère de l’Intérieur.
Récemment, il a été expulsé manu militari de son cabinet par la police après une décision de justice controversée. Une mesure qui a été condamnée par le bâtonnier de Rabat, qui l’a taxée d’illégale dans un communiqué.
On n’interviewe pas sans risque Me Ziane, une forte tête qu’un service de barbouzes est allé filmer incognito dans une chambre d’hôtel à Rabat, avant de remettre l’enregistrement à un site proche des sécuritaires.
L’interview de Ziane a eu un effet catalyseur sur la chaîne des Filali. Le chiffre des vues de ses vidéos, même les anciennes, a explosé et le nombre des abonnés a suivi. Plus de 265 000 à nos jours.
À partir de ce moment-là, quelqu’un a décidé en haut lieu de placer le couple Filali sur une liste noire de gêneurs à abattre. Par tous les moyens. Et la chasse à l’homme a commencé.
Une gigantesque opération de désinformation médiatique a été mise en branle pour réduire au silence le jeune couple. Avec des méthodes, un modus operandi et un langage jamais utilisés auparavant, même au plus dur des années de plomb sous Hassan II.
Des accusations ont commencé à être diffusées dans les sites connus pour leur proximité, voire leur totale dépendance, vis-à-vis des moukhabarat (services de renseignement).
Selon cette presse, Dounia Filali et son mari Adnane auraient trempé pêle-mêle dans la « contrefaçon », dans une « grosse affaire de blanchiment d’argent » et dans la « vente de poupées sexuelles gonflables », et 1 500 clients marocains escroqués auraient même porté plainte contre le couple au Maroc.
Vérification faite, aucune accusation n’a jamais été portée contre eux pour « contrefaçon » et « blanchiment d’argent ». Ni au Maroc ni à l’étranger.
Et leur société, assure Adnane Filali en s’esclaffant, « n’a jamais vendu de poupées sexuelles gonflables. Et encore moins au Maroc ». Quant aux 1 500 clients supposément escroqués, ils n’ont simplement jamais existé.
La seule accusation dont ils feraient l’objet et qui viserait uniquement Dounia Filali serait une plainte collective déposée par la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) et la Direction générale de la surveillance du territoire (DST), deux structures dirigées par l’inénarrable Hammouchi, ainsi que par la DGED.
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Depuis le mois d’août, la youtubeuse Dounia Moustaslim, plus connue sous son nom marital de Dounia Filali, et son époux Adnane Filali sont officiellement reconnus comme des réfugiés politiques marocains en République de Chine.
Depuis l’adhésion en 1982 de la Chine à la Convention de 1951 sur les réfugiés et à son protocole de 1967, l’antenne locale du HCR, devenue bureau régional en 1997, procède à la détermination du statut de réfugié (DSR) sur place et le gouvernement chinois reconnaît le statut de réfugié accordé par le HCR.
Depuis le mois d’août, la youtubeuse Dounia Filali et son époux Adnane Filali sont officiellement reconnus comme des réfugiés politiques marocains en République de Chine (Facebook/Dounia Filali)
Mais il s’agit souvent de ressortissants de pays asiatiques limitrophes de la Chine.
Pékin aurait pu facilement manœuvrer pour faire avorter l’opération. Ce qu’il n’a pas fait. Apparemment, en toute connaissance de cause. L’opération aurait même été soutenue en sous-main par les Chinois après la révélation du scandale du logiciel espion israélien Pegasus.
Depuis un endroit tenu secret en Chine, Dounia Filali et son mari Adnane, qui ont accepté de témoigner à Middle East Eye, n’en reviennent toujours pas. Ils sont les premiers Marocains à avoir obtenu ce précieux sésame en Chine. Mais le chemin a été long et tortueux.
Sujets de société
Dounia Filali et son mari Adnane, c’est l’histoire d’un jeune couple marocain qui s’installe d’abord à Hong Kong en 2017, fonde une société de vente en ligne, puis un an plus tard, pour ne pas continuer à payer un prix astronomique pour leur logement, déménage à Shenzhen, une ville distante de quelques centaines de mètres seulement de l’ancienne colonie britannique.
Le couple n’a pas quitté le Maroc pour des raisons politiques, ni même économiques. Le père d’Adnane est le dessinateur et patron de presse Mohamed Filali, dont l’une des publications, le fanzine Akhbar Souk, était du temps de Hassan II l’une des plus vendues dans le royaume. Certains de ses numéros atteignaient facilement le million d’exemplaires vendus.
L’oncle de M. Filali est Abdelmajid Fenjiro, ancien directeur général de l’agence officielle de presse MAP et ancien ambassadeur du royaume au Liban. Un grand notable du régime, aujourd’hui décédé. C’est dire que rien ne prédestinait ce couple lié à la bourgeoisie oisive de Rabat à la dissidence politique.
« Chaque vidéo de Dounia commençait à dépasser les 200 000 vues en quelques jours, et il nous a paru judicieux de délaisser nos affaires pour nous consacrer à l’exploitation de la chaîne »
- Adnane Filali
- Adnane Filali
Tout allait donc bien pour le couple jusqu’au jour où Dounia Filali a eu l’idée de créer en Chine une chaine de télévision sur Youtube.
Un moyen d’expression créé non pas pour dénoncer les travers du régime marocain mais pour traiter des sujets de société qui intéressent de plus en plus de Marocains avides d’informations hors des sentiers battus de la censure et de l’autocensure.
Des youtubeurs masculins qui traitent les affaires marocaines, il y en a beaucoup, au Maroc ou à l’étranger. Des youtubeuses, il faut les compter sur les doigts d’une seule main.
Avec son visage poupon, son éternel sourire, l’utilisation quasi systématique de la darija, la langue véhiculaire des Marocains, et le choix de certains thèmes, Mme Filali ne tarde pas à s’imposer sur les réseaux sociaux marocains.
Jusqu’au point où son mari décide à un moment donné d’abandonner ses activités commerciales pour se dédier exclusivement à la gestion de la chaîne Youtube de son épouse.
« Chaque vidéo de Dounia commençait à dépasser les 200 000 vues en quelques jours, et il nous a paru judicieux de délaisser nos affaires pour nous consacrer à l’exploitation de la chaîne », explique Adnane Filali à MEE.
Au Maroc, tant que vous traitez des sujets de société, même les plus délicats, vous êtes relativement à l’abri des ennuis.
Mais s’il vous arrive de vous intéresser à un sujet politique, comme par exemple les travers de la monarchie, les pouvoirs excessifs des différentes polices politiques et le sempiternel conflit du Sahara occidental – surtout si vous traitez l’information de manière neutre –, alors la machine de la police politique, largement identifiée dans deux grosses structures, la DGST (Direction générale de la sûreté du territoire, plus connue sous son ténébreux nom de DST) et la DGED (Direction générale des études et de la documentation), se mettent en marche pour soit vous obliger à vous aligner sur les thèses officielles, soit, en cas de refus, vous broyer.
Brutalement, souvent. On en a vu quelques exemples ces dernières années avec les cas de l’historien Maâti Monjib et ceux des journalistes Taoufik Bouachrine, Omar Radi, Soulaiman Raissouni et Imad Stitou. Tous condamnés à des peines de prison après des procès kafkaïens et truffés d’irrégularités flagrantes.
Opération de désinformation
Pour Dounia Filali, les tourments ont commencé quand elle a décidé d’interviewer l’ex-ministre des Droits de l’homme de Hassan II et ancien bâtonnier Mohamed Ziane, au mois de décembre 2020.
Avocat du journaliste Bouachrine et des détenus du hirak du Rif, maître Ziane est devenu ces dernières années la bête noire des services secrets marocains et de leur chef Abdellatif Hammouchi, qu’il cite nommément et critique dans ses multiples interventions.
En retour, il a été violemment persécuté. Son fils a été arrêté et condamné à trois ans de prison après une sombre affaire de « masques contrefaits », lui-même a été condamné à un an de prison avec sursis pour avoir caché une fausse plaignante que la justice marocaine voulait faire témoigner de force contre Bouachrine.
Suspendu temporairement de l’exercice de sa profession d’avocat pendant un an, Ziane est actuellement sous le coup d’une autre poursuite pénale, engagée par le ministère de l’Intérieur.
Récemment, il a été expulsé manu militari de son cabinet par la police après une décision de justice controversée. Une mesure qui a été condamnée par le bâtonnier de Rabat, qui l’a taxée d’illégale dans un communiqué.
On n’interviewe pas sans risque Me Ziane, une forte tête qu’un service de barbouzes est allé filmer incognito dans une chambre d’hôtel à Rabat, avant de remettre l’enregistrement à un site proche des sécuritaires.
L’interview de Ziane a eu un effet catalyseur sur la chaîne des Filali. Le chiffre des vues de ses vidéos, même les anciennes, a explosé et le nombre des abonnés a suivi. Plus de 265 000 à nos jours.
À partir de ce moment-là, quelqu’un a décidé en haut lieu de placer le couple Filali sur une liste noire de gêneurs à abattre. Par tous les moyens. Et la chasse à l’homme a commencé.
Une gigantesque opération de désinformation médiatique a été mise en branle pour réduire au silence le jeune couple. Avec des méthodes, un modus operandi et un langage jamais utilisés auparavant, même au plus dur des années de plomb sous Hassan II.
Des accusations ont commencé à être diffusées dans les sites connus pour leur proximité, voire leur totale dépendance, vis-à-vis des moukhabarat (services de renseignement).
Selon cette presse, Dounia Filali et son mari Adnane auraient trempé pêle-mêle dans la « contrefaçon », dans une « grosse affaire de blanchiment d’argent » et dans la « vente de poupées sexuelles gonflables », et 1 500 clients marocains escroqués auraient même porté plainte contre le couple au Maroc.
Vérification faite, aucune accusation n’a jamais été portée contre eux pour « contrefaçon » et « blanchiment d’argent ». Ni au Maroc ni à l’étranger.
Et leur société, assure Adnane Filali en s’esclaffant, « n’a jamais vendu de poupées sexuelles gonflables. Et encore moins au Maroc ». Quant aux 1 500 clients supposément escroqués, ils n’ont simplement jamais existé.
La seule accusation dont ils feraient l’objet et qui viserait uniquement Dounia Filali serait une plainte collective déposée par la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) et la Direction générale de la surveillance du territoire (DST), deux structures dirigées par l’inénarrable Hammouchi, ainsi que par la DGED.
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