-Le report de l'élection présidentielle a dévoilé l'impératif d'identifier un consensus entre les différentes parties politiques et sociales, avant de se diriger vers des élections qui pourraient déboucher sur une guerre civile
Ekip |01.01.2022

AA / Istanbul
L’échec de l'organisation de l'élection présidentielle en Libye, à la date initialement prévue, a mis à nu une vérité doublée d’une évidence; le scrutin n'est pas un objectif en soi et ne représente point la panacée pour la crise de la légalité, et ce à défaut d'une réconciliation entre les différents protagonistes de la crise, ou du moins de l’identification d’un minimum syndical de consensus.
En effet, au mois de juin 2014, des élections législatives ont eu lieu, quarante jours après le lancement par Haftar de l'Opération « La Dignité », mais ces élections ont abouti à la scission du pays entre deux grands camps, qui dispose chacun de son gouvernement, de son Parlement et de son armée. La scission a même atteint les institutions de la Banque centrale et de la Compagnie nationale de Pétrole.
Même après l'annulation par la Cour constitutionnelle de l'élection de 2014, la Chambre des députés a fait peu de cas de cette décision et a continué à évoluer, jusqu'à aujourd'hui, à la faveur des accords de Skhirat de 2015 et de Genève et de Tunis en 2020.
** Des élections dans l'impasse
Les élections du 24 décembre 2021 étaient dés le début vouées à l’échec et se dirigeaient droit vers l’impasse, en particulier, après l’échec du Forum du Dialogue politique à parvenir à un accord au sujet de la « Règle constitutionnelle » pour la tenue du scrutin.
De plus, la Présidence de la chambre des députés a promulgué une loi relative à l’élection présidentielle sans vote des parlementaires, ce qui constitue une violation flagrante de l « Déclaration constitutionnelle ».
Quant à la loi sur élections législatives, elle a été votée en présence de seulement 34 députés, alors que le quorum exige au minimum la présence de 120 députés.
Ainsi, la base constitutionnelle et juridique des élections était fragile et l’annulation du vote par la Haute Cour est facilement envisageable en cas de tenue de l’élection, si la section constitutionnelle de cette Cour est rétablie et activée.
Toutefois, ce qui menaçait le plus le pays, en cas de tenue de l’élection, est la candidature de personnalités controversées et qui prêtaient le flanc aux polémiques, à l’instar de Seif al-Islam Kadhafi, fils de l’ancien Guide libyen, et le général à la retraite, Khalifa Haftar.
La victoire de Kadhafi ou le sacre de Haftar aurait signifié impérativement la non-reconnaissance par la région occidentale des résultats des élections, d’autant plus que les régiments et les bataillons de cette région du pays s’étaient engagés par le passé dans des conflits et affrontements contre les deux candidats en question.
Il est inenvisageable, voire impensable, que les éléments armés de ces régiments accepteraient d’être soumis à l’autorité de l’un des deux hommes, avec les conséquences éventuelles que cela représente, en cas de victoire de l’un d’eux.
Ainsi, les élections du 24 décembre sont nées tout en portant en elles-mêmes les germes de leur propre destruction, et ce pour absence de consensus entre les principaux protagonistes du conflit, de nature à baliser la voie pour l’organisation d’un référendum sur le projet de la constitution, après l’élection d’un nouveau parlement, et l’élection présidentielle sera ainsi le dernier épisode de ce processus électoral.
Même le député Ali Tekbali, pourtant considéré comme proche de Haftar, a considéré que « l’organisation des élections ce mois-ci (NDLR, décembre) enlisera le pays dans la spirale d’une guerre civile, en l’absence de consensus entre les forces politiques ».
Le report, d’un ou de six mois, voire d’une année de l’élection, aboutira aux mêmes résultats, si une base solide de réconciliation n’est pas aménagée entre les différentes parties du conflit, en particulier dans l’est et l’ouest, de même que si les personnalités controversées impliquées dans l’effusion du sang des Libyens ne sont pas écartées de la course à la Présidentielle, du moins lors de la phase constitutive des institutions constitutionnelles.
** La réconciliation : un préalable aux élections
C’est dans ce contexte que le penseur libyen Ali Sellabi, membre du Secrétariat général de l’Union générale des Savants Musulmans, avait mis l’accent sur la priorité de la réconciliation avant la tenue des élections.
Dans une déclaration faite au site « Arabi 21 », Sellabi a souligné que « la priorité consiste, aujourd'hui, à assurer une réconciliation sociétale et politique globale, à rétablir le rôle de la justice comme étant la partie qui tranche les litiges en suspens et à éviter de l'affaiblir en réactivant la section constitutionnelle ».
De son côté, Khaled Méchri, président du Haut Conseil d'Etat (Législatif consultatif), a relevé sa « conviction quant à la nécessité de se rapprocher de la Chambre des députés, d’édifier les jalons de la confiance et de mettre de côté tous les problèmes qui nous séparent, et ce malgré nos blessures et nos douleurs ».
Méchri, qui donnait une interview à la chaîne « Al-Jazeera », a ajouté que « Les Libyens sont convaincus, après des années de conflit, que personne n'est en mesure de gouverner la Libye par la force, et qu’une convergence entre les politiques sera à même de rassurer les groupes armés, en particulier, s’ils progressent sur la voie d'aplanir leurs différends ».
Il a fourni comme exemple pour corroborer son approche la Commission militaire mixte « 5+5 », où une « confiance totale règne entre ses membres ».
En effet, et en l'absence de réconciliation, il est difficile d'évoquer la réunification de l'institution militaire, même après la réunification du gouvernement et du Parlement. Cela a été insuffisant pour que l'Autorité exécutive assoie son autorité sécuritaire et sa souveraineté sur l'ensemble du territoire national.
La première rencontre entre le chef d'Etat-major de l'Armée libyenne, Mohamed Hadded, et le chef d'Etat-major des milices de Haftar, le 11 décembre dernier, dans la ville de Syrte (Nord), a représenté, malgré sa symbolique, un pas important pour réduire le gap qui sépare les forces de l'ouest de celles de l'est du pays, et pour mettre fin à la scission, en tant que prélude à la réunification de l'institution militaire.
En effet, sans réunification de l'institution militaire, évoquer des élections transparentes dont les résultats sont reconnus par tous et la soumission des institutions exécutives au nouveau pouvoir élu, demeure difficile.
La rencontre de l'ancien ministre de l'Intérieur, Fathi Bachagha, avec Khalifa Haftar, le 21 décembre, fut en dépit de tout ce qui a été dit quant à ses motivations, arrière-pensées et objectifs, un pas de plus sur la voie du rapprochement entre les enfants d'un seul pays, sans pour autant passer outre ou occulter le principe de la reddition des comptes.
** Le Conseil présidentiel et la réconciliation
Le Conseil présidentiel dirige le dossier de la réconciliation, qui fait souvent face à la condition de la reddition des comptes, ce qui nécessite un cadre juridique et un consensus politique et social, aussi bien vertical et horizontal, pour assurer une réconciliation globale.
Le Conseil présidentiel a annoncé, dans ce cadre, le 6 avril dernier, la mise sur pied d'un « Commissariat national de la réconciliation pour la résolution des litiges entre les Libyens ».
Pour sa part, Mohamed Manfi avait annoncé officiellement, en septembre dernier, le lancement du Projet de la « Réconciliation nationale inclusive », dans une mesure symbolique consistant à libérer un groupe de prisonniers.
De même, les trois membres du Conseil présidentiel, et à leur tête Mohamed Manfi, s'étaient rendu, en Algérie, à maintes reprises, que ce soit de manière séparée ou en tandem, pour bénéficier de l'expérience de ce pays voisin de la Libye dans le domaine de la réconciliation nationale. Ils ont, d’ailleurs, demandé aux autorités algériennes l'accueil de rencontres de réconciliation.
Le président algérien, Abdelmajid Tebboune, avait exprimé au cours d’une audience accordée, au mois de juin dernier, aux deux membres du Conseil présidentiel libyen, Abdallah Ellafi et Mousa Kouni, la « prédisposition de l’Algérie à accueillir des rencontres de réconciliation nationale, en réponse aux demandes formulées par les frères Libyens ».
Néanmoins, la réconciliation nécessite de convaincre les protagonistes politiques et sociaux qu’aucune partie n’est en droit ni en mesure d’éradiquer l’autre ou de l’éliminer, et qu’une vie digne et stable est tributaire de l’acceptation de l’idée du vivre-ensemble, et cela n’est possible que via la vérité et la tolérance ».
Le Conseil présidentiel libyen est conscient de cette vérité et dispose de sa propre vision en la matière, et qui a été d’ailleurs exprimée par Abdallah Ellafi, membre du Conseil, au mois de novembre dernier, lorsqu’il avait souligné la résolution de l’instance qu’il représente à « continuer sur la voie du projet de la réconciliation nationale inclusive, à laquelle doivent prendre part tous les Libyens, sans exclusion ni exclusive, et à exiger la reddition des comptes, aux fins d’édifier une réconciliation et une stabilité pérennes ».
La réalisation et l’accomplissement de la réalisation, dans son acception globale, impliqueront plusieurs années, dès lors que ce concept n’est pas lié uniquement aux lois, aux décisions et aux conférences, autant qu’il est lié aux convictions individuelle et collectives quant à la nécessité du vivre-ensemble dans un cadre empreint de tolérance, de coexistence et de pardon.
En effet, œuvrer à une véritable réconciliation entre les Libyens et nouer des liens de confiance et d’entraide entre les habitants des trois Régions (La Tripolitaine, La Cyrénaïque, Le Fezzan) aidera, indéniablement, à asseoir une plateforme appropriée e solide pour des élections transparentes, dont les résultats seront acceptés par tous et qui fonderont un Contrat social et politique à même de reconstruire l’Etat libyen sur des bases saines.
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