Le pays pourrait passer de 146 millions d’habitants en 2021 à 120 millions d’ici à 2070. Une débâcle de fond, liée autant à la guerre qu’à la gestion du Covid et à l’alcoolisme.
C’est une véritable tragédie démographique que vit la Russie. Depuis trois ans, le pays a enregistré une surmortalité d’environ deux millions de personnes due à la guerre, à la maladie et à l’exode, notamment de ses élites. L’espérance de vie des hommes de plus de quinze ans a diminué de près de cinq ans, pour atteindre le même niveau qu’en Haïti. Et étant donné que beaucoup d’hommes en âge de se battre sont morts ou en exil, les femmes sont désormais au moins dix millions de plus que les hommes.
Nationalisme contrarié
Si la guerre n’est pas la seule responsable de ces problèmes, ni même la cause principale, elle les amplifiés. Selon les estimations occidentales, entre 175.000 et 250.000 soldats russes auraient été tués ou blessés l’année dernière. De 500.000 à un million de jeunes gens éduqués ont pris le chemin de l’exil pour échapper à l’abattoir. Cette saignée aggrave une situation qui se dégrade depuis une trentaine d’années. La Russie a atteint son pic démographique en 1994, avec 149 millions d’habitants.
Depuis, la population tend à décliner. Elle s’élevait à 145 millions de personnes en 2021 et, si les tendances actuelles perdurent, l’ONU estime qu’elle pourrait ne pas dépasser 120 millions dans cinquante ans, vers 2070. Cela ramènerait le pays à la 15e place mondiale en termes de population, alors qu’il se classait au 6e rang en 1995. Le démographe Alexei Raksha remarque que si l’on ne prend en compte que les années de paix, le nombre de naissances enregistrées en avril 2022 a été le plus faible depuis le XVIIIe siècle.

Cette décroissance n’est pas l’apanage de la Russie. La plupart des ex-pays communistes ont connu des diminutions temporaires de leur démographie, mais aucun n’en a subi une de cette ampleur. Selon l’Agence officielle des statistiques, la population russe a diminué d’1,3 millions de personnes sur la période 2020-2021, enregistrant 1,7 million de décès de plus que de naissances.

Et cette chute est particulièrement marquée au sein de l’ethnie russe, qui accuserait, selon le recensement de 2021, une baisse de 5,4 millions entre 2010 et 2021. Sa proportion serait ainsi passée de 78à 72 % de la population totale. De quoi contrarier les rêves d’expansion du Russki mir (le monde russe) du président Vladimir Poutine.
Risque de troubles sociaux
Tout a commencé avant le conflit ukrainien par la gestion calamiteuse de la pandémie de Covid-19. Le bilan officiel est de 388.091 morts, mais selon nos calculs, la surmortalité entre 2020 et 2023 se situerait entre 1,2 et 1,6 million de décès. Soit un niveau comparable à celui de la Chine et des Etats-Unis, qui ont des populations beaucoup plus importantes. En réalité, la Russie pourrait avoir enregistré le plus grand nombre de disparitions liées au Covid après l’Inde et le taux de mortalité le plus élevé du monde, avec de 850 à 1.100 décès pour 100.000 habitants.
En ajoutant les morts de la pandémie à ceux de la guerre en Ukraine, la Russie aurait perdu entre 2020 et 2023 de 1,9 à 2,8 millions de personnes de plus qu’en temps normal. Que signifie cette évolution pour l’avenir? La démographie n’est pas toujours une fatalité, et la Russie avait d’ailleurs commencé à enrayer le déclin de sa population au milieu des années 2010. Comme l’a montré la mobilisation militaire, les conséquences des changements démographiques sont souvent complexes.
La baisse de la population de l’ethnie russe en âge d’être mobilisée va compliquer le recrutement annuel qui doit débuter en avril. Au-delà, l’impact de cette décroissance démographique va bouleverser profondément le pays - et pour le pire. Si la plupart des Etats ayant enregistré une diminution de leur population ont réussi à éviter de graves troubles sociaux, la Russie pourrait ne pas y parvenir. Sa population s’amoindrit rapidement et pourrait tomber à 130 millions d’habitants dès les années 2050.
Par ailleurs, ce déclin s’accompagne d’une aggravation de la pauvreté et d’une dégradation de l’état de santé: l’espérance de vie des hommes a chuté de 68,8 ans en 2019 à 64,2 ans en 2021, à cause du Covid et en raison des maladies liées à l’alcoolisme. Cette catégorie de population meurt désormais six ans plus tôt que les Bangladais et dix-huit ans plus tôt que les Japonais. Le pays pourrait en outre s’avérer incapable d’assurer ce qui permet à d’autres Etats de s’enrichir malgré le vieillissement de leur population: des niveaux d’éducation élevés et en progression.
Pays affaibli et appauvri
Le démographe Nicholas Eberstadt, de l’American Enterprise Institute, souligne que la Russie possède une combinaison particulière de mortalité du tiers-monde et d’éducation monde développé, en enregistrant sur ce second point parmi les meilleurs taux au monde chez les personnes de plus de 25 ans. Mais leur exode érode cet avantage. Selon le ministère des Communications, 10 % des employés du secteur informatique ont quitté le pays en 2022.
Beaucoup étaient de jeunes hommes. Leur départ déséquilibre un peu plus le ratio hommes femmes: en 2021, on comptait 121 femmes de plus de 18 ans pour 100 hommes. Pour autant, toutes ces sombres perspectives ne semblent pas calmer l’appétit de conquête de Vladimir Poutine. Mais elles sont en train de faire de la Russie un pays plus faible, plus pauvre et moins éduqué. Une nation que les jeunes gens fuient et où les hommes meurent dans leur soixantaine. L’invasion décidément été une catastrophe humaine, et pas seulement pour les Ukrainiens.
Par The Economist
C’est une véritable tragédie démographique que vit la Russie. Depuis trois ans, le pays a enregistré une surmortalité d’environ deux millions de personnes due à la guerre, à la maladie et à l’exode, notamment de ses élites. L’espérance de vie des hommes de plus de quinze ans a diminué de près de cinq ans, pour atteindre le même niveau qu’en Haïti. Et étant donné que beaucoup d’hommes en âge de se battre sont morts ou en exil, les femmes sont désormais au moins dix millions de plus que les hommes.
Nationalisme contrarié
Si la guerre n’est pas la seule responsable de ces problèmes, ni même la cause principale, elle les amplifiés. Selon les estimations occidentales, entre 175.000 et 250.000 soldats russes auraient été tués ou blessés l’année dernière. De 500.000 à un million de jeunes gens éduqués ont pris le chemin de l’exil pour échapper à l’abattoir. Cette saignée aggrave une situation qui se dégrade depuis une trentaine d’années. La Russie a atteint son pic démographique en 1994, avec 149 millions d’habitants.
Depuis, la population tend à décliner. Elle s’élevait à 145 millions de personnes en 2021 et, si les tendances actuelles perdurent, l’ONU estime qu’elle pourrait ne pas dépasser 120 millions dans cinquante ans, vers 2070. Cela ramènerait le pays à la 15e place mondiale en termes de population, alors qu’il se classait au 6e rang en 1995. Le démographe Alexei Raksha remarque que si l’on ne prend en compte que les années de paix, le nombre de naissances enregistrées en avril 2022 a été le plus faible depuis le XVIIIe siècle.

Cette décroissance n’est pas l’apanage de la Russie. La plupart des ex-pays communistes ont connu des diminutions temporaires de leur démographie, mais aucun n’en a subi une de cette ampleur. Selon l’Agence officielle des statistiques, la population russe a diminué d’1,3 millions de personnes sur la période 2020-2021, enregistrant 1,7 million de décès de plus que de naissances.

Et cette chute est particulièrement marquée au sein de l’ethnie russe, qui accuserait, selon le recensement de 2021, une baisse de 5,4 millions entre 2010 et 2021. Sa proportion serait ainsi passée de 78à 72 % de la population totale. De quoi contrarier les rêves d’expansion du Russki mir (le monde russe) du président Vladimir Poutine.
Risque de troubles sociaux
Tout a commencé avant le conflit ukrainien par la gestion calamiteuse de la pandémie de Covid-19. Le bilan officiel est de 388.091 morts, mais selon nos calculs, la surmortalité entre 2020 et 2023 se situerait entre 1,2 et 1,6 million de décès. Soit un niveau comparable à celui de la Chine et des Etats-Unis, qui ont des populations beaucoup plus importantes. En réalité, la Russie pourrait avoir enregistré le plus grand nombre de disparitions liées au Covid après l’Inde et le taux de mortalité le plus élevé du monde, avec de 850 à 1.100 décès pour 100.000 habitants.
En ajoutant les morts de la pandémie à ceux de la guerre en Ukraine, la Russie aurait perdu entre 2020 et 2023 de 1,9 à 2,8 millions de personnes de plus qu’en temps normal. Que signifie cette évolution pour l’avenir? La démographie n’est pas toujours une fatalité, et la Russie avait d’ailleurs commencé à enrayer le déclin de sa population au milieu des années 2010. Comme l’a montré la mobilisation militaire, les conséquences des changements démographiques sont souvent complexes.
La baisse de la population de l’ethnie russe en âge d’être mobilisée va compliquer le recrutement annuel qui doit débuter en avril. Au-delà, l’impact de cette décroissance démographique va bouleverser profondément le pays - et pour le pire. Si la plupart des Etats ayant enregistré une diminution de leur population ont réussi à éviter de graves troubles sociaux, la Russie pourrait ne pas y parvenir. Sa population s’amoindrit rapidement et pourrait tomber à 130 millions d’habitants dès les années 2050.
Par ailleurs, ce déclin s’accompagne d’une aggravation de la pauvreté et d’une dégradation de l’état de santé: l’espérance de vie des hommes a chuté de 68,8 ans en 2019 à 64,2 ans en 2021, à cause du Covid et en raison des maladies liées à l’alcoolisme. Cette catégorie de population meurt désormais six ans plus tôt que les Bangladais et dix-huit ans plus tôt que les Japonais. Le pays pourrait en outre s’avérer incapable d’assurer ce qui permet à d’autres Etats de s’enrichir malgré le vieillissement de leur population: des niveaux d’éducation élevés et en progression.
Pays affaibli et appauvri
Le démographe Nicholas Eberstadt, de l’American Enterprise Institute, souligne que la Russie possède une combinaison particulière de mortalité du tiers-monde et d’éducation monde développé, en enregistrant sur ce second point parmi les meilleurs taux au monde chez les personnes de plus de 25 ans. Mais leur exode érode cet avantage. Selon le ministère des Communications, 10 % des employés du secteur informatique ont quitté le pays en 2022.
Beaucoup étaient de jeunes hommes. Leur départ déséquilibre un peu plus le ratio hommes femmes: en 2021, on comptait 121 femmes de plus de 18 ans pour 100 hommes. Pour autant, toutes ces sombres perspectives ne semblent pas calmer l’appétit de conquête de Vladimir Poutine. Mais elles sont en train de faire de la Russie un pays plus faible, plus pauvre et moins éduqué. Une nation que les jeunes gens fuient et où les hommes meurent dans leur soixantaine. L’invasion décidément été une catastrophe humaine, et pas seulement pour les Ukrainiens.
Par The Economist
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