Annonce

Réduire
Aucune annonce.

OCP (MAROC) et MOSAIC (USA) : cas pratique d’une guerre de l’information dans l’industrie mondiale du phosphate

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • OCP (MAROC) et MOSAIC (USA) : cas pratique d’une guerre de l’information dans l’industrie mondiale du phosphate



    Dans un contexte de protectionnisme galopant et d’inflation mondiale, les problématiques de sécurité et de souveraineté alimentaires sont devenues des priorités stratégiques pour tous les pays du monde. Dans ce sens la production et la distribution de phosphate et d’engrais deviennent des enjeux majeurs pour assurer une fourniture de produits de qualité sur toutes les chaines de valeur agricoles.

    Contexte et enjeux de l’industrie du phosphate

    Une lutte farouche affecte l’industrie mondiale du phosphate pour le contrôle des marchés phares. Cette lutte concerne principalement les plus grands acteurs du secteur en l’occurrence le Russe Phosagro, l’Américain Mosaic, le Saoudien Ma’aden et le Marocain OCP. Ces principaux acteurs forment un oligopole.

    Un des acteurs en l’occurrence l’Office Chérifien des Phosphates OCP sous la houlette de son emblématique dirigeant Mostafa Terab, mène depuis 2006 une stratégie ambitieuse de développement de ses parts de marché à l’export particulièrement sur le marché stratégique américain afin de satisfaire son ambition de devenir le leader mondial de la production de phosphate. En effet, OCP dispose au Maroc de plus de 70 % des réserves mondiales (i) en phosphate.

    Cette ambition se traduit sur le terrain par une stratégie marketing et commerciale rôdée pour pénétrer les marchés importants comme les Etats-Unis d’Amérique, le Brésil, l’inde mais aussi par des investissements énormes permettant de créer des synergies et d’optimiser les coûts(ii) de production. Les Etats-Unis sont la quatrième destination pour les expéditions de phosphates d’OCP derrière le Brésil, l’Inde et le Bangladesh.

    « Le Maroc était le premier exportateur de MAP et DAP [principaux engrais phosphatés] aux États-Unis en 2019, comptant pour 60 % des importations, suivi par la Russie avec 25 % », a indiqué en juillet 2021 l’agence de notation Fitch.

    A titre d’illustration chiffrée, le marché américain représentait 21 % des exportations du groupe, juste derrière l’Amérique du Sud (30 %). Les chiffres bruts des exportations marocaines aux États-Unis sont encore plus parlants : 1,3 million de tonnes en 2017, 1,8 million en 2018 et plus de 2 millions en 2019 – soit environ 1,9 milliard de dollars sur trois ans.

    Face à cette percée sur le marché américain, un des concurrents de OCP, leader sur son marché américain, en l’occurrence la société MOSAIC déclenche un affrontement avec une guerre informationnelle sur plusieurs fronts. L’enjeu est de taille car la société MOSAIC connait des difficultés financières qui commencent à se répercuter sur sa valeur boursière(iii).


    Présentation des protagonistes

    Le groupe OCP (Office chérifien des phosphates) (iv), fondé le 7 août 1920 au Maroc et transformé en 2008 en une société anonyme (OCP SA), est le premier exportateur de phosphate brut, d’acide phosphorique et d’engrais phosphatés dans le monde.

    Le groupe OCP compte près de 20 000 collaborateurs implantés principalement au Maroc, sur quatre sites miniers et deux complexes chimiques, ainsi que sur d'autres sites internationaux. Le groupe détient plusieurs filiales à l'intérieur et à l'extérieur du Maroc. En 2018, son chiffre d'affaires s'élevait à 55,9 milliards de dirhams marocains (5,4 milliards de dollars), et à 54 milliards de dirhams(v) en 2019 (5,3 milliards de dollars).

    Le groupe OCP est une entreprise semi-publique sous contrôle de l’Etat, elle agit avec le même dynamisme et la même souplesse qu’une grande entreprise privée, versant à l’Etat marocain tous les droits de recherche et d’exploitation des phosphates. L’entreprise est gérée par un directeur et contrôlée par un conseil d’administration présidé par le Premier ministre. Le groupe OCP participe au budget de l’Etat par versement de ses dividendes.

    Le groupe Mosaic (vi) Company est l'un des principaux producteurs et distributeurs mondiaux de phosphate et de potasse pour l'industrie agricole mondiale. Mosaic (8,7 milliards https://www.accesswire.com/733442/Mo...dates-Guidance (vii) de dollars de CA en 2020) emploie plus de 13 000 personnes dans six pays pour servir les agriculteurs du monde entier.

    Mosaic est bien positionné pour desservir les régions agricoles les plus prometteuses du monde avec des réserves à long terme et des actifs de production efficaces stratégiquement placés. Son réseau de distribution est vaste pour bien servir les clients.

    Faire appel à la guerre de l’information et au droit pour sortir un concurrent du marché

    D’emblée, pour contrer la société marocaine OCP, deux requêtes ont été déposées (viii) plus précisément le 26 juin 2020 auprès du Département américain du Commerce, par le producteur de phosphate, de potasse et d’engrais américain The Mosaic Company. L’entreprise accuse le groupe OCP de faire du dumping (ix) , de bénéficier de subventions de l’Etat marocain et de lui livrer, partant, une concurrence déloyale. Ces requêtes avaient pour objectif de « demander l’ouverture d’enquêtes pour l’instauration des droits compensateurs, des taxes sur les importations d’engrais phosphatés en provenance du Maroc et de Russie ». Le spécialiste mondial des phosphates concentrés s’estime lésé par la concurrence des « volumes importants » en provenance de ces deux pays ». Une « distorsion de marché » qui lui serait « préjudiciable », concluait l’entreprise américaine.

    Par ailleurs et entre autres, il a été reproché au Gouvernement Marocain d’avoir des droits souverains sur les phosphates au Maroc et d’accorder à l’OCP des droits miniers exclusifs pour accéder à ces ressources.

    En effet sur le plan juridique le dumping est considéré aux USA comme illégal dans le cadre de l’importation de produits ayant des prix inférieurs à ceux pratiqués sur leur marché national. Par conséquent les entreprises américaines impactées négativement par ce dumping peuvent avoir recours à la justice pour la réparation du préjudice subi et réclamer l’attribution de droits compensateurs compensant leurs pertes. Les droits sont des moyens utilisés par la législation américaine pour se prémunir contre l’importation de produits à bas prix de certains pays concurrents, et pour contrarier ce fléau la réglementation passe par l’imposition de droits de douane supplémentaires sur les produits importés pouvant varier entre 0% et 400%.

    Pour rappel, les actions de lobbying et d’influence de Mosaic remontent à 2017 avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir aux USA. En effet quelques mois seulement après le début de la présidence de Donald Trump en 2017, Mosaic Co. a retenu les services de Ballard Partners, pour imposer des droits de douane sur les importations d'engrais.

    Avec l'aide de Ballard, les dirigeants de Mosaic ont organisé des réunions de haut niveau avec des responsables du commerce de la Maison Blanche pour discuter de ce qu'ils prétendaient être des subventions injustes pour les importateurs étrangers, selon des courriels obtenus via une demande liée à la procédure du Freedom of Information Act (FOI) par American Oversight, un organisme de surveillance des politiques publiques américaines à but non lucratif.

    La campagne de lobbying a conduit l'administration Trump à recommander des taxations en 2020. Ainsi pour donner suite au litige opposant le groupe OCP à l’américain Mosaic, la Commission du commerce international des États-Unis a annoncé qu’elle avait finalisé son enquête et qu’en guise de conclusion les importations subventionnées d’engrais phosphatés en provenance du Maroc et de Russie ont gravement nui à l’industrie américaine du phosphate. De ce fait, le Département américain du commerce a décidé d’émettre des ordonnances de droits compensateurs sur les engrais phosphatés provenant de Russie et du Maroc, qui resteront en vigueur pendant au moins cinq ans. Les taux de dépôt en espèces pour ces importations devraient être d’environ 20% pour le producteur marocain OCP, 9% et 47% pour les producteurs russes PhosAgro et EuroChem, respectivement (x), et 17% pour tous les autres producteurs russes.

    Ainsi nous assistons à l’utilisation des textes juridiques et des actions d’influence comme leviers pour mener une guerre économique afin d’éliminer un concurrent et consolider ses parts de marché. En la matière, on connait la puissance américaine, notamment depuis les affaires Alstom dans l’énergie nucléaire et les révélations d’Edward Snowden dans les années 2013-2015. En effet nous savons que le gouvernement américain a mis en place une structure d’outils juridiques unique au monde comme le Foreign Corrupt Practices Act déployé par le Department of Justice mettant sous pression les industriels non-américains concurrents.

    Nouveau contexte de guerre russo-ukrainienne : opportunité de riposte pour OCP

    En réponse aux attaques du groupe américain, l’OCP avait réfuté le discours, selon lequel le groupe marocain bénéficierait de subventions émanant des pouvoirs publics. Dans un communiqué l’OCP avait expliqué qu’il opérait en totale conformité avec les lois et les réglementations relatives aux ventes de ses produits sur le marché américain.

    Le Groupe OCP avait en vain contesté la décision de l’administration américaine de taxer les importations d’engrais, auprès de la Cour fédérale des États-Unis. Aujourd’hui de l’eau a coulé sous les ponts malgré le réchauffement climatique. En effet, le prix des engrais flambe. Avec le conflit entre l’Ukraine et la Russie, la situation s’est davantage compliquée pour les principaux producteurs agricoles à travers le monde dont les Etats-Unis. De plus Moscou, en guerre contre Kiev, a recommandé aux entreprises russes, dont la major PhosAgro, de suspendre temporairement ses exportations sur le marché des engrais. A quelque chose malheur est bon, la situation en Ukraine semble avoir même ouvert des boulevards. Conséquence : Aux Etats-Unis, les engrais coûtent quatre fois plus cher qu’en 2021


    ...

  • #2
    Afin de riposter et conserver ses activités aux USA, OCP a mis en place un schéma tactique pour mener une lutte d’influence et une guerre informationnelle par le contenu. Ce schéma s’est appuyé sur plusieurs leviers d’ordre politico-diplomatique, d’ordre technique mais aussi sur des cabinets de communication et de lobbying présents aux USA

    . Sur le volet juridique, OCP s’est attaché les services de son conseil historique aux États-Unis, le cabinet Covington & Burling, dont le conseil senior Stuart E. Eizenstat, ancien haut cadre de l’administration américaine, a été le lobbyiste officiel d’OCP entre 2008 et 2015.

    . Sur le plan de la lutte d’influence, début décembre 2020, le spécialiste des questions agricoles de Fleishman Hillard, Tony Zagora, a lancé une campagne à destination de l’opinion publique américaine et des organisations d’agriculteurs. Intitulée « Stand with US Farmers (xi) », elle met en garde contre la réduction de l’offre d’engrais et la hausse des prix que risque de provoquer le litige déclenché par Mosaic contre l’OCP, appelant à la combattre avec l’envoi d’une pétition au Congrès. Par conséquent, toute cessation d’approvisionnement en engrais marocains sur le marché américain pénaliserait grandement le fermier américain

    . Sur le plan du lobbying, la société OCP a activé des lobbystes embauchés pour influencer les lobbys agricoles dont le puissant National Corn Growers Association (NCGA) qui a récemment mené une intervention en faveur du groupe OCP contre cette situation (xii)et a protesté par écrit auprès de l’ITC et de Mosaic accusant ce dernier d’avoir mis en place une barrière tarifaire que ne peuvent surmonter ses concurrents

    . Sur le plan stratégique et commercial, OCP s’est allié avec le conglomérat Américain Koch Industries. Cette nouvelle alliance a pour but d’offrir des relais au groupe marocain contre le lobbying effectué par son compétiteur aux États-Unis. En 2019, les entreprises affiliées à Koch Industries avaient dépensé au moins 10,9 millions de dollars en activités de lobbying.
    . Sur le plan de la communication financière, le groupe OCP publie ses résultats et comptes financiers aux normes IFRS. « Il suffit de les consulter pour savoir s’il y a une subvention étatique ou pas », confiait à Maroc Hebdo une source autorisée de l’OCP.

    Une guerre informationnelle qui continue

    La contre-offensive du groupe OCP (xiii) pour contester l’imposition de droits de douane qui lui ferment le marché américain, au grand bonheur de son concurrent américain, semble porter ses fruits du moins au niveau des deux Chambres du parlement qui petit-à-petit, se rangent du côté de la cause du géant des phosphates marocain en demandant à l’ITC de supprimer les droits compensateurs sur les importations d’engrais phosphatés du Groupe OCP. Alors qu’ils n’étaient que dix-sept sénateurs à soutenir le groupe marocain, ils sont actuellement près d’une centaine de parlementaires des deux tendances à prendre cause pour l’OCP.

    Le sénateur du Kansas, Roger Marshall est intervenu en appelant la Commission du commerce internationale à lever les taxes sur les engrais de l’OCP. Ce sénateur américain a affirmé que les engrais marocains ne constituent pas une menace pour ceux fabriqués localement et que continuer à les taxer nuisait avant tout aux agriculteurs américains.

    A priori l’affaire semble mieux engagée. Tant et si bien que le Tribunal du commerce international envisage même de faire appel de la décision prise en mars 2021 par la Commission américaine du commerce international (ITC) d’imposer des droits compensateurs de 19,9 % sur les engrais fabriqués au Maroc. Pour la Cour fédérale, cette mesure de l’ITC, ne fait qu’amplifier les difficultés des producteurs américains subissant de plein fouet une flambée généralisée des cours des intrants, liée au conflit russo-ukrainien.
    La contre-offensive du Groupe OCP semble avoir porté ses fruits (xiv).

    La procédure est toujours en cours au niveau des juridictions et une audience présidée par le juge américain Stephen Alexander Vaden, a eu lieu à la fin du mois dernier à New York devant la Cour fédérale du commerce international des États-Unis (USCIT) pour en débattre. La décision est attendue au moment où les taxations sur les engrais resteront en vigueur jusqu’en 2026. En attendant MOSAIC GROUP joue largement la carte du protectionnisme. Le groupe américain n’a cessé de rappeler les 3 500 emplois qu’il représente aux États-Unis.

    EGE

    Commentaire

    Chargement...
    X