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REPORTAGE - Les habitants du Mellah déplorent la lenteur des secours et la rénovation cosmétique de leur quartier.
La rue du rabbin Yaaqoub-Abtal, au cœur de l’ancien quartier juif de Marrakech, est un boyau étroit où la lumière du soleil ne pénètre que quelques heures par jour. Vendredi soir, la configuration des lieux n’a laissé aucune chance à Meriem al-Khazaraji. Lorsque la terre s’est mise à trembler, cette étudiante de 18 ans est sortie de chez elle à la hâte pour trouver refuge à l’air libre. «Nous avons franchi la porte ensemble, raconte Aziz Moulbi, le crâne enveloppé d’un épais bandage. Mais dès qu’on s’est retrouvé dehors, un pan du mur de la maison voisine s’est écroulé sur nous.»
Touché à la tête et à l’épaule, le couturier de 48 ans a aussitôt perdu connaissance. Sa jeune voisine, dont la tête a été percutée par une pierre, est pour sa part morte sur le coup - tout comme un autre résident de la maison mitoyenne, Abdelou Ahad al-Khourouf, qui avait le même âge.
Trois jours après la catastrophe, la stupeur s’efface au profit d’un mélange d’impatience et de colère dans les ruelles du Mellah, l’un des plus vieux quartiers de la Ville rouge, où s’entasse une population modeste d’artisans, de commerçants et de travailleurs journaliers. Craignant des répliques, de nombreux habitants se sont résignés à camper à l’extérieur de la médina, dans des parcs où sur des trottoirs, de crainte que leur demeure endommagée ne soit emportée par une réplique. Au pied des bâtiments pulvérisés par le tremblement de terre, des ouvriers munis de pelles et de pioches s’emploient à déblayer d’impressionnants amoncellements de gravats. Une équipe de la protection civile sillonne le quartier, accompagnée d’un chien sauveteur, à la recherche de cadavres encore enfouis sous les décombres. En l’absence de données officielles, les habitants indiquent qu’une vingtaine de corps ont été retrouvés rien que dans le Mellah. Des centaines d’autres personnes, au bas mot, se retrouvent sans abri.
«Où sont les autorités?»
«Où sont les autorités?», interroge Omra Chaaban, une voisine de la jeune Meriem, furieuse de constater que les seuls agents publics présents ce matin-là dans sa rue ont fait le déplacement pour relever les compteurs d’eau en vue d’établir les factures à venir. Comme de nombreux habitants, cette femme de 34 ans reproche aux pouvoirs publics d’avoir laissé des édifices anciens et fragiles se dégrader au point de ne guère pouvoir résister à un tremblement de terre. Il y a une dizaine d’années, le roi Mohammed VI avait certes témoigné de son attachement au Mellah en lançant un programme de réhabilitation financé à hauteur de 194 millions de dirhams (environ 20 millions d’euros) par le ministère de l’Habitat. Mais beaucoup, dans le quartier, se plaignent d’avoir été oubliés dans la mise en œuvre du projet. Ici ou là, des immeubles effondrés témoignent d’une forme d’abandon. «Cette maison? Elle n’a pas été démolie par le séisme», rit ainsi un habitant en désignant une façade aux couleurs pastel derrière laquelle on ne découvre que du vide. Selon lui, c’est une accumulation d’humidité causée par les eaux de pluie qui aurait provoqué son effondrement, il y a plusieurs années déjà…
Au coin de la rue el-Mouhsiniin et de la rue Sabaa, c’est en revanche bien par le séisme que la toiture d’un immeuble a été broyée, vendredi soir. Selon les voisins, une mère et sa fille de 5 ans ont été retrouvées sans vie sous les décombres. Hafida Boukhannouch, qui habite non loin, s’emporte contre les «autorités». «En 2016, ils se sont contentés de badigeonner un coup de peinture, dit-elle en désignant la façade rouge, comme si leur priorité était de créer un joli décor pour les touristes sans jamais se soucier des habitants.» Cette femme de 53 ans, qui a toujours habité le Mellah et gagne sa vie en vendant aux touristes de la place Jemaa el-Fna des teintures au henné, insiste pour faire visiter sa maison. Depuis le séisme, elle y retourne chaque jour pour y collecter un peu de nourriture mais refuse d’y dormir. «J’ai trop peur que tout s’effondre sur moi», soupire-t-elle en désignant le plafond qui, rongé de longue date par l’humidité, laisse désormais entrevoir sa maigre armature de bois et de terre sèche. «Quand les autorités sont passées dans le quartier, ce week-end, ils ont soigneusement relevé nos noms et numéros de carte d’identité, dit-elle. Mais quand on a voulu leur dire de quoi on avait besoin, ils ont refusé de nous écouter.»
La colère des habitants du Mellah
Toute critique du roi Mohammed VI étant, par principe, taboue, la colère des habitants du Mellah se concentre contre son «entourage», son «administration». «Lui, il a un bon cœur, estime Hafida Boukhannouch. On sent bien qu’il veut venir en aide à sa population. Mais autour de lui, il y a trop de gens qui ne veulent pas nous laisser exprimer nos besoins.» Les aides à la rénovation, assurent d’autres habitants, sont réservées à ceux qui ont de la «wasta», des relations en haut lieu. En 2016, Mohammed VI avait personnellement visité le Mellah pour observer les travaux de rénovation réalisés sous son autorité. «À l’issue de sa visite, il a demandé que des réparations complémentaires soient menées à bien, croit savoir Hafida, mais ses ordres n’ont pas été appliqués. Peu de temps après, l’un de nos voisins est mort dans l’effondrement de sa maison…»
À l’entrée de l’ancien quartier juif, où flottent d’entêtants parfums d’épices, la rumeur court que le roi pourrait venir bientôt au chevet de sa population meurtrie. Abdellatif Hammouchi, le directeur général de la sûreté nationale, s’est personnellement déplacé dimanche matin pour prendre la mesure des destructions infligées à la médina de Marrakech. Il s’est notamment arrêté place Jemaa el-Fna, où la secousse a emporté le minaret de la mosquée Kharbouch. «Un ami à moi l’a aussi vu à l’entrée du Mellah», raconte Mounir, 25 ans.
Dans le fondouk Moulay Moustafa, dont la cour carrée abrite en temps normal une douzaine d’artisans tisserands, la vie semble s’être arrêtée. D’importantes fissures, creusées par le séisme au niveau du deuxième étage, effraient la plupart des occupants. «Lorsque le bâtiment a été rénové, en 2016, nous étions allés avoir le pacha pour demander qu’ils remplacent les vieilles poutres. Mais les autorités avaient préféré s’en tenir à des travaux superficiels», se souvient Omar Laouissi, un quinquagénaire à la petite moustache blanche, en levant les yeux de sa machine à coudre. Cette fois, l’homme veut croire que l’administration se montrera à la hauteur des besoins créés par le séisme. «Comme beaucoup de gens ici, dit-il, je n’ai nulle part ailleurs où aller.»
La rue du rabbin Yaaqoub-Abtal, au cœur de l’ancien quartier juif de Marrakech, est un boyau étroit où la lumière du soleil ne pénètre que quelques heures par jour. Vendredi soir, la configuration des lieux n’a laissé aucune chance à Meriem al-Khazaraji. Lorsque la terre s’est mise à trembler, cette étudiante de 18 ans est sortie de chez elle à la hâte pour trouver refuge à l’air libre. «Nous avons franchi la porte ensemble, raconte Aziz Moulbi, le crâne enveloppé d’un épais bandage. Mais dès qu’on s’est retrouvé dehors, un pan du mur de la maison voisine s’est écroulé sur nous.»
Touché à la tête et à l’épaule, le couturier de 48 ans a aussitôt perdu connaissance. Sa jeune voisine, dont la tête a été percutée par une pierre, est pour sa part morte sur le coup - tout comme un autre résident de la maison mitoyenne, Abdelou Ahad al-Khourouf, qui avait le même âge.
Trois jours après la catastrophe, la stupeur s’efface au profit d’un mélange d’impatience et de colère dans les ruelles du Mellah, l’un des plus vieux quartiers de la Ville rouge, où s’entasse une population modeste d’artisans, de commerçants et de travailleurs journaliers. Craignant des répliques, de nombreux habitants se sont résignés à camper à l’extérieur de la médina, dans des parcs où sur des trottoirs, de crainte que leur demeure endommagée ne soit emportée par une réplique. Au pied des bâtiments pulvérisés par le tremblement de terre, des ouvriers munis de pelles et de pioches s’emploient à déblayer d’impressionnants amoncellements de gravats. Une équipe de la protection civile sillonne le quartier, accompagnée d’un chien sauveteur, à la recherche de cadavres encore enfouis sous les décombres. En l’absence de données officielles, les habitants indiquent qu’une vingtaine de corps ont été retrouvés rien que dans le Mellah. Des centaines d’autres personnes, au bas mot, se retrouvent sans abri.
«Où sont les autorités?»
«Où sont les autorités?», interroge Omra Chaaban, une voisine de la jeune Meriem, furieuse de constater que les seuls agents publics présents ce matin-là dans sa rue ont fait le déplacement pour relever les compteurs d’eau en vue d’établir les factures à venir. Comme de nombreux habitants, cette femme de 34 ans reproche aux pouvoirs publics d’avoir laissé des édifices anciens et fragiles se dégrader au point de ne guère pouvoir résister à un tremblement de terre. Il y a une dizaine d’années, le roi Mohammed VI avait certes témoigné de son attachement au Mellah en lançant un programme de réhabilitation financé à hauteur de 194 millions de dirhams (environ 20 millions d’euros) par le ministère de l’Habitat. Mais beaucoup, dans le quartier, se plaignent d’avoir été oubliés dans la mise en œuvre du projet. Ici ou là, des immeubles effondrés témoignent d’une forme d’abandon. «Cette maison? Elle n’a pas été démolie par le séisme», rit ainsi un habitant en désignant une façade aux couleurs pastel derrière laquelle on ne découvre que du vide. Selon lui, c’est une accumulation d’humidité causée par les eaux de pluie qui aurait provoqué son effondrement, il y a plusieurs années déjà…
En 2016, ils se sont contentés de badigeonner un coup de peinture, comme si leur priorité était de créer un joli décor pour les touristes sans jamais se soucier des habitants
Hafida Boukhannouch, un habitant du quartier
Hafida Boukhannouch, un habitant du quartier
Au coin de la rue el-Mouhsiniin et de la rue Sabaa, c’est en revanche bien par le séisme que la toiture d’un immeuble a été broyée, vendredi soir. Selon les voisins, une mère et sa fille de 5 ans ont été retrouvées sans vie sous les décombres. Hafida Boukhannouch, qui habite non loin, s’emporte contre les «autorités». «En 2016, ils se sont contentés de badigeonner un coup de peinture, dit-elle en désignant la façade rouge, comme si leur priorité était de créer un joli décor pour les touristes sans jamais se soucier des habitants.» Cette femme de 53 ans, qui a toujours habité le Mellah et gagne sa vie en vendant aux touristes de la place Jemaa el-Fna des teintures au henné, insiste pour faire visiter sa maison. Depuis le séisme, elle y retourne chaque jour pour y collecter un peu de nourriture mais refuse d’y dormir. «J’ai trop peur que tout s’effondre sur moi», soupire-t-elle en désignant le plafond qui, rongé de longue date par l’humidité, laisse désormais entrevoir sa maigre armature de bois et de terre sèche. «Quand les autorités sont passées dans le quartier, ce week-end, ils ont soigneusement relevé nos noms et numéros de carte d’identité, dit-elle. Mais quand on a voulu leur dire de quoi on avait besoin, ils ont refusé de nous écouter.»
La colère des habitants du Mellah
Toute critique du roi Mohammed VI étant, par principe, taboue, la colère des habitants du Mellah se concentre contre son «entourage», son «administration». «Lui, il a un bon cœur, estime Hafida Boukhannouch. On sent bien qu’il veut venir en aide à sa population. Mais autour de lui, il y a trop de gens qui ne veulent pas nous laisser exprimer nos besoins.» Les aides à la rénovation, assurent d’autres habitants, sont réservées à ceux qui ont de la «wasta», des relations en haut lieu. En 2016, Mohammed VI avait personnellement visité le Mellah pour observer les travaux de rénovation réalisés sous son autorité. «À l’issue de sa visite, il a demandé que des réparations complémentaires soient menées à bien, croit savoir Hafida, mais ses ordres n’ont pas été appliqués. Peu de temps après, l’un de nos voisins est mort dans l’effondrement de sa maison…»
À l’entrée de l’ancien quartier juif, où flottent d’entêtants parfums d’épices, la rumeur court que le roi pourrait venir bientôt au chevet de sa population meurtrie. Abdellatif Hammouchi, le directeur général de la sûreté nationale, s’est personnellement déplacé dimanche matin pour prendre la mesure des destructions infligées à la médina de Marrakech. Il s’est notamment arrêté place Jemaa el-Fna, où la secousse a emporté le minaret de la mosquée Kharbouch. «Un ami à moi l’a aussi vu à l’entrée du Mellah», raconte Mounir, 25 ans.
Dans le fondouk Moulay Moustafa, dont la cour carrée abrite en temps normal une douzaine d’artisans tisserands, la vie semble s’être arrêtée. D’importantes fissures, creusées par le séisme au niveau du deuxième étage, effraient la plupart des occupants. «Lorsque le bâtiment a été rénové, en 2016, nous étions allés avoir le pacha pour demander qu’ils remplacent les vieilles poutres. Mais les autorités avaient préféré s’en tenir à des travaux superficiels», se souvient Omar Laouissi, un quinquagénaire à la petite moustache blanche, en levant les yeux de sa machine à coudre. Cette fois, l’homme veut croire que l’administration se montrera à la hauteur des besoins créés par le séisme. «Comme beaucoup de gens ici, dit-il, je n’ai nulle part ailleurs où aller.»
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