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Insécurité alimentaire : l’Afrique affamée par le dérèglement mondial

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  • Insécurité alimentaire : l’Afrique affamée par le dérèglement mondial


    Conflits et instabilité politique, crise climatique, séquelles du colonialisme, guerre en Ukraine génèrent une spirale de la faim sur le continent, pourtant tourné vers la production agricole et l’exportation.

    Par Mathilde Gérard

    L’Afrique est le continent où l’insécurité alimentaire a le plus progressé ces dernières années. Les chiffres sont alarmants. Une personne sur cinq y souffre de la faim, soit le double de la moyenne mondiale, selon un rapport des Nations unies publié en 2023 ; près des deux tiers de sa population sont en situation d’insécurité alimentaire, ce qui signifie qu’elle n’a pas accès de façon régulière à une alimentation adéquate. Dans la Corne de l’Afrique et au Sahel, des millions d’enfants souffrent de malnutrition et d’émaciation sévères.Pourtant, de 65 % à 70 % de la population vit de l’agriculture, de l’élevage ou de la pêche. De quoi rappeler que le potentiel de souveraineté alimentaire est là.

    Ce n’est pas tant l’insuffisance de la production qui est en cause que des problèmes structurels : pauvreté, effets du dérèglement climatique, fragilisation des tissus agricoles familiaux, conflits et instabilité politique. « Les quinze pays d’Afrique de l’Ouest, parmi lesquels huit pays sahéliens, produisent chaque année 60 millions de tonnes de céréales,souligne Mamadou Goïta, membre du Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food) et directeur exécutif de l’Institut de recherche et de promotion des alternatives en développement (Irpad). La production en soi est suffisante, mais le nœud de la guerre, c’est l’organisation de la chaîne alimentaire. »



    Sources : « L'Etat de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde », 2023, FAO ; Acled ; Banque mondiale ; Ipcinfo.org ; Africa Agriculture Trade Monitor, 2023 ; OCDE ; Ourworldindata.org ; J. Powell, C.. Thyne, 2023 ; Africa Center for Strategic Studies ; Chirps ; Le Monde

    Infographie : Anandi Balada, FrancescaFattori, Delphine Papin et Riccardo Pravettoni

    A lui seul, le Mali produit entre 6 millions à 8 millions de tonnes de céréales par an en moyenne, selon l’Irpad, pour des besoins évalués à 3,5 millions de tonnes annuels. D’autres pays ont une production excédentaire, mais le continent enregistre aussi les plus forts taux de pertes agricoles (de 30 % à 40 % de la production), qui s’expliquent notamment par la distance qui sépare les cultures des lieux de transformation et de consommation, et des difficultés logistiques (transport, stockage…).

    Le développement de marchés territoriaux pourrait faciliter l’accès des populations à une production locale. M. Goïta cite l’exemple de la ville de Kati Dral, dans la région de Koulikoro, dans l’ouest du Mali, où un marché au bétail s’est élargi à d’autres denrées, attirant des acheteurs du Sénégal, de Guinée et du Burkina Faso. « Ce marché a réduit considérablement les problèmes d’accès à l’alimentation dans la région et a changé la nature de la circulation de nourriture, fait valoir l’expert malien. Environ 70 % de la nourriture produite dans cette zone est consommée par les populations locales ;elle voyage rarement au-delà de 100 kilomètres. »

    Un héritage historique


    Parmi les gros producteurs de cultures destinées à l’exportation (cacao et café en Côte d’Ivoire, coton au Bénin, thé au Kenya…), certains pays demeurent très dépendants des importations. « En se spécialisant dans des cultures pour l’export, des Etats ont abandonné des cultures traditionnelles plus nutritives et ont appauvri leurs sols [par la déforestation et l’usage d’intrants chimiques] », résume Alvaro Lario, président du Fonds international pour le développement agricole (FIDA), la banque de développement de l’ONU, qui plaide pour une rediversification agricole.Cette spécialisation est aussi un héritage historique, rappelle Lorine Azoulai, chargée du plaidoyer souveraineté alimentaire au CCFD-Terre solidaire :« Au sortir de la période coloniale, des programmes incitant à l’agriculture d’export et à la baisse des barrières douanières ont été mis en place, en échange de prêts. »

    Ces programmes ont par ailleurs pavé la voie à des pratiques de dumping alimentaire, dont le cas emblématique est celui des poudres de lait. « Grâce aux subventions de la politique agricole commune, l’Europe produit de la poudre de lait écrémé en grande quantité, qu’elle exporte à des prix dérisoires, note Lorine Azoulai. Sur les marchés ouest-africains, les sachets de poudre de lait se vendent moins de la moitié du prix du lait local. Au Nigeria, on estime à 1 milliard de dollars [950 millions d’euros] par an le coût des importations de produits laitiers. C’est autant d’argent envoyé vers l’extérieur qui ne vient pas en soutien aux filières agricoles locales. »

    Pour pallier ces déséquilibres commerciaux, des Etats réfléchissent à réformer leur politique fiscale. Le Sénégal a notamment pour projet d’exonérer de TVA le lait local. Pour le CCFD-Terre solidaire ainsi que pour les 170 autres ONG de la Coordination Sud, une partie de la solution aux problèmes d’insécurité alimentaire en Afrique viendra des pays du Nord, dont la cohérence des politiques publiques est mise en question. « La souveraineté alimentaire ne peut pas se penser sans solidarité, plaide Lorine Azoulai. On ne peut pas dire qu’on protège le marché européen par des mesures miroirs limitant les importations qui exercent une concurrence déloyale et, dans le même temps, imposer en Afrique cette même concurrence. »

    Remédier aux causes de la faim


    Les agences internationales soulignent, elles aussi, que les subventions agricoles ne soutiennent pas assez les pratiques vertueuses et les petits producteurs. « Il y a chaque année 700 milliards de dollars de subventions pour l’agriculture dans le monde, constate Alvaro Lario. Mais la marche à franchir est encore très haute pour que ces subventions permettent de produire de manière durable en respectant l’environnement, et que cela soit économiquement viable, notamment pour les petits paysans. »

    En 2003, les Etats africains s’étaient engagés, lors de la déclaration de Maputo, à investir 10 % de leur PIB dans leur agriculture. Promesses non tenues. « A part le Rwanda, qui est proche de l’objectif, la plupart des Etats sous-investissent dans leur agriculture, et la part de l’aide publique au développement consacrée à l’agriculture n’est que de 4 % à 5 %, déplore Alvaro Lario, président du FIDA. Il n’y a pas de hausse significative des investissements dans l’agriculture, qui nous placerait en bonne voie pour éradiquer la faim d’ici à 2030. »

    En parallèle, une tendance inquiète la société civile et une partie des experts : le développement d’initiatives publiques-privées pour le développement agricole, aux objectifs souvent opaques. « On est en train de mettre les politiques agricoles des pays africains dans les mains d’entreprises privées, avec des partenariats qui sont déconnectés des besoins des populations », s’alarme Mamadou Goïta, signalant la dépendance des petits producteurs aux fabricants de semences et d’intrants chimiques.

    La dette est une autre épée de Damoclès, qui freine les investissements des Etats dans une agriculture diversifiée et résiliente. Pour Jennifer Clapp, vice-présidente du panel d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire des Nations unieset professeure à l’université de Waterloo (Canada), il est urgent de prendre « des mesures pour réduire le poids de la dette des économies africaines. Celle-ci place les gouvernements dans une position intenable de devoir choisir entre rembourser leurs créditeurs ou assurer l’accès à l’alimentation de leurs populations ».

    La fragilisation des tissus ruraux africains a déstabilisé jusqu’aux régimes alimentaires et transformé les habitudes de consommation à une vitesse fulgurante. De plus en plus, le pain à base de farine de blé – importé – prend la place des bouillies traditionnelles, et le riz, consommé sous forme de brisures, s’est imposé comme aliment de base. « Beaucoup pensent que le riz est un produit traditionnel du Sénégal. Or, ça ne l’est pas, insiste Mamadou Goïta. C’est une culture qui a relégué à l’arrière-plan le mil et le sorgho. » Symbole de ces changements de pratiques, le cube de bouillon industriel, qui a remplacé, dans nombre de recettes nationales et sur les étals de marchés, le soumbala, condiment traditionnel.

    Un véritable travail de plaidoyer s’engage pour revaloriser la grande richesse et diversité agricole qui s’expriment d’un bout à l’autre du continent africain. Tubercules, manioc, igname, fonio… sont autant de cultures prometteuses, résistantes aux bouleversements du climat et garantes d’un bon équilibre nutritionnel. Un enjeu majeur, alors que l’Afrique voit progresser un autre fardeau de la malnutrition, l’obésité, qui touche un nombre croissant d’enfants et d’adultes.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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