
Impopulaire, le président de l’Autorité palestinienne est d’autant plus marginalisé depuis l’éclatement du conflit opposant ses rivaux du Hamas à Israël.
Par Lou Roméo
Publié le 27/10/2023 à 15h56
lors qu'Israël assiège la bande de Gaza en riposte à l'attaque sanglante lancée par le Hamas qui contrôle l'enclave depuis 2007, quel est encore le poids de Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne ? Inaudible depuis le début du conflit, le seul leader palestinien reconnu par la communauté internationale, auquel Emmanuel Macron a rendu visite à Ramallah, est jugé déconnecté de son peuple, dont les trois quarts souhaitaient déjà la démission avant le 7 octobre, selon le Palestinian Center for Policy and Survey Research (PSR).
Plusieurs manifestations ont ainsi éclaté en Cisjordanie pour appeler à son départ, aux cris de « Abbas, dégage », et un communiqué condamnant les attaques du Hamas contre des civils israéliens a dû être retiré, sous la pression de l'opinion publique palestinienne.
« Depuis l'attaque du Hamas, certains (en Cisjordanie) reprochent à Mahmoud Abbas de ne pas avoir réagi à la hauteur de l'ampleur de ce qu'il se passe dans la bande de Gaza, souligne l'historienne et anthropologue du politique Stéphanie Latte Abdallah, directrice de recherche au CNRS, rattachée au Centre d'études en sciences sociales du religieux (Cesor) d'EHESS. Le fait qu'il ait finalement renoncé à sa réunion avec Joe Biden à Amman, à la suite de l'explosion dans l'hôpital al-Ahli de Gaza, le 17 octobre, n'a pas suffi à calmer l'opinion. Les Palestiniens considèrent que l'Autorité ne les protège pas. »
Plus largement, poursuit la spécialiste, c'est le manque de progrès de la question palestinienne qui a rendu Mahmoud Abbas inaudible. « Abbas a et avait déjà une crédibilité très faible, analyse Stéphanie Latte Abdallah. Il est critiqué pour n'avoir pas obtenu grand-chose sur le volet politique, pour avoir adopté des modes d'action qui ne portent pas leurs fruits, et parce qu'il continue à coopérer avec les autorités israéliennes sans en tirer de bénéfices politiques. »
Une population très jeune
Malgré son apparente impasse, Mahmoud Abbas, au pouvoir depuis dix-huit ans, continue en effet à s'accrocher à un règlement négocié du conflit israélo-palestinien, conformément aux accords d'Oslo, dont il a été l'un des grands architectes. Mais cette position l'éloigne de son peuple, dont la majorité est née après leur signature en 1993, 39,2 % de la population en Cisjordanie est ainsi âgée de moins de 15 ans, pour une moyenne d'âge de 20 ans.
« Un décalage générationnel indéniable s'est creusé, explique Didier Billion. Mahmoud Abbas a 88 ans, les membres de l'Autorité palestinienne ont tous plus de 80 ans, et ils ont une vraie difficulté à comprendre les dynamiques et les enjeux de la société en Cisjordanie. »
Cette jeunesse reproche à l'Autorité palestinienne son impuissance : expulsée de la bande de Gaza par le Hamas en 2007, elle ne contrôle que partiellement la Cisjordanie, où le nombre de colons a presque triplé en trente ans.
Coopération sécuritaire
« Lors de la signature des accords d'Oslo, il y avait 280 000 colons en Cisjordanie, contre environ 740 000 aujourd'hui, poursuit Didier Billion. L'Autorité palestinienne a laissé faire… Je ne dis pas que sa situation est facile, mais c'est le cas, et la population palestinienne le lui reproche. Elle est discréditée aux yeux d'une large partie de la population, qui pense qu'elle est devenue une sorte de supplétif de l'armée israélienne, et ne l'accepte pas. »
La collaboration sécuritaire entre l'armée israélienne et l'Autorité palestinienne, considérée par certains comme l'une des rares réussites des accords d'Oslo, dans la mesure où elle aurait permis de déjouer plusieurs centaines d'attentats, est ainsi très impopulaire.
« La police palestinienne a tendance à s'interposer lors des contestations sur les check-points qui ferment actuellement les villes et villages de Cisjordanie, et à arrêter les manifestants, sans avoir les moyens de protéger la population palestinienne lorsque des affrontements éclatent avec des colons. Les Palestiniens lui reprochent donc sa faiblesse », souligne Stéphanie Latte Abdallah.
Déficit démocratique
Un grief qui s'ajoute au fait que le Fatah, le parti de Mahmoud Abbas, a perdu sa légitimité populaire depuis l'annulation des élections nationales en 2021. Il n'y a ainsi pas eu d'élections dans les Territoires palestiniens depuis 2006.
« On reproche à Mahmoud Abbas le déficit démocratique en Cisjordanie, pointe Stéphanie Latte Abdallah. Le motif officiel d'annulation des élections était que des bureaux de vote ne pouvaient être installés à Jérusalem, en raison du refus israélien, mais Abbas voyait surtout poindre une victoire de l'opposition, pas nécessairement du Hamas seul, deux listes d'opposition ayant aussi émergé au sein de son propre parti, le Fatah. Il y a aussi des accusations de corruption. »
Ainsi, si Abbas reste de jure le président de l'Autorité palestinienne, et donc un acteur central, il semble « en apesanteur », explique Didier Billion. « Il n'a plus de prise sur sa société… On peut le regretter, mais c'est ainsi. La question de sa succession est à la fois très claire et très compliquée, car ceux qui pourraient être des interlocuteurs dignes de ce nom, disposant en outre de la confiance d'une grande partie de Palestiniens, sont tous en prison. »
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