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Marche contre l’antisémitisme : « Les gauches qui appellent à ne pas manifester renoncent à leur rôle historique »

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  • Marche contre l’antisémitisme : « Les gauches qui appellent à ne pas manifester renoncent à leur rôle historique »


    Rachida El Azzouzi

    onasJonas Pardo dispense des formations contre l’antisémitisme à des syndicats, des partis, des médias, etc. Dans le Club de Mediapart, où il tient un blog, il se présente ainsi : « Militant antiraciste, je vulgarise l’histoire de l’antisémitisme à partir de mes connaissances et de mon vécu personnel du racisme. » Arié Alimi, qui se décrit comme « avocat, de gauche, militant humaniste et décolonial, juif, qui ne renie pas un attachement à Israël », est engagé dans la lutte contre les violences policières et tous les racismes.

    Longtemps, ils ont dissimulé, comme beaucoup de Françaises et de Français, leur judéité. Parce qu’on le leur enseigne en famille dès le plus jeune âge. Puis ils l’ont assumée. Avec son lot de conséquences : quolibets, humiliations, discriminations, violences. Jonas Pardo a découvert que « se dire juif à gauche est un problème » : « Nous subissons une injonction géopolitique à nous positionner sur le conflit israélo-palestinien, comme les musulmans vis-à-vis du terrorisme djihadiste. »

    Les massacres du Hamas le 7 octobre 2023 les ont plongés dans « un cauchemar »et les ont mis aussi face aux maux qui accablent leur camp politique. Entretien croisé.

    La manifestation de ce dimanche 12 novembre crée la polémique et divise tout particulièrement à gauche. Allez-vous manifester ?

    Jonas Pardo : Oui, je serai à la manifestation, bien que l’appel soit absolument insatisfaisant, que la lutte contre l’antisémitisme par le gouvernement et par le parti présidentiel soit inefficace et problématique. J’irai marcher contre l’antisémitisme mais aussi contre l'extrême droite, qui n’a absolument rien à faire dans cette manifestation.

    Agrandir l’image : Illustration 1L'avocat Arié Alimi, en 2014. © Anna Margueritat / Hans Lucas via AFP

    Les gauches qui appellent à ne pas y aller sous couvert de présence de l’extrême droite non seulement se trompent, mais elles renoncent aussi à leur rôle historique. L’acte fondateur de la gauche pour moi, c’est l’affaire Dreyfus. Dire aujourd’hui : « On ne va pas dans la rue parce qu’il y a l’extrême droite », plutôt que de dire : « Nous allons dans la rue pour chasser l’extrême droite », c’est renoncer à son rôle historique.

    Arie Alimi : Je vais manifester sans aucun remords car j’ai toujours eu un seul credo : la lutte contre le racisme et l’antisémitisme ne se divise pas. De la même manière que j’ai appelé et suis allé sans aucun doute ni bégaiement le 10 novembre 2019 manifester contre l’islamophobie, malgré les critiques similaires du gouvernement, du PS, de la Licra, des LR [Les Républicains] et du RN [Rassemblement national], qui à l’époque nous reprochaient de manifester avec des islamistes ou des gens ne partageant pas les principes de la République, et malgré un appel insatisfaisant.

    L’enjeu, pour moi, c’est d’abord de manifester contre l’antisémitisme qui explose, d’être en solidarité avec les victimes et d’éviter que l’extrême droite n’entre dans l’arc républicain.

    La France insoumise est opposée à cette marche pour plusieurs raisons : parce que l'extrême droite est présente mais aussi, selon Jean-Luc Mélenchon ou le député David Guiraud, parce que cette manifestation contre l’antisémitisme reviendrait à approuver « un soutien inconditionnel au bombardement de l'armée israélienne sur Gaza ». Comprenez-vous ce dernier argument ?

    Jonas Pardo : Le contenu de l’appel à manifester, qui est « Pour la République, pour les valeurs de la République, contre l'antisémitisme », vide la lutte contre l’antisémitisme de son objet puisqu’on peut accoler n’importe quoi à ce flou des « valeurs de la République ».

    On le voit très bien en ce moment avec les mesures contre les étrangers, notamment la suppression de l’aide médicale aux étrangers (AME), dans le cadre du projet de loi sur l’immigration. Est-ce que refuser d’accueillir des étrangers répond aux valeurs de la République ? C’est un problème, tout comme la manière du gouvernement de mener la lutte contre l’antisémitisme.

    Dès le début des bombardements à Gaza, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a réduit les soutiens aux civils palestiniens à un soutien du Hamas en interdisant les manifs de soutien à la Palestine. Ce faisant, il radicalise les opinions et ajoute de l’huile sur le feu d’une situation déjà explosive.

    On est dans la trumpisation du débat médiatique.
    Jonas Pardo

    En miroir, Mélenchon assimile la défense des juifs ou la lutte contre l’antisémitisme à un soutien aux bombardements à Gaza. On est dans la trumpisation du débat médiatique. C’est le flou de tous les repères, qui ne peut que desservir la lutte contre l’antisémitisme et tous les racismes.

    Arié Alimi : David Guiraud est un ami, je le précise. Il tient une ligne stratégique, politique, et il faut savoir accepter les oppositions lorsqu’on partage beaucoup d’autres choses. Il considère qu’il ne faut pas aller à cette manifestation dans la mesure où elle pourrait constituer une instrumentalisation de la cause de la lutte contre l’antisémitisme, contre les musulmans et également contre le peuple palestinien, et qu’elle pourrait conduire justement à faire entrer le RN dans l’arc républicain.

    Je partage certains éléments de son analyse, mais pas le comportement à adopter pour éviter ces conséquences. On ne laisse jamais le terrain à l’extrême droite. Sinon ils s’installent et ils restent. Évidemment, notre seule présence ne suffit pas. Il faut impérativement que les présidents des assemblées à l’initiative clarifient la situation et expriment qu’ils ne sont pas les bienvenus.

    Jordan Bardella, président du Rassemblement national, a été jusqu’à nier l’antisémitisme du fondateur du parti, Jean-Marie Le Pen, pourtant condamné pour provocation à la haine raciale et négationnisme, avant de finalement admettre que ses propos étaient antisémites...

    Arié Alimi : C’est une stratégie qu’ils mènent au RN depuis un certain temps. Celle de la dissimulation de leur structure raciste et antisémite en essayant de se réhabiliter au détriment de la communauté juive. Elle s’est faite par l’intermédiaire des extrêmes droites juives comme la LDJ [Ligue de défense juive - ndlr] et de personnalités juives d'extrême droite. Il y a une vraie responsabilité de cette extrême droite juive dans la réhabilitation de l’extrême droite antisémite.

    Leur bataille culturelle est commune. Elle se mène contre la gauche et contre le monde arabo-musulman dans une guerre de civilisations où ceux qu’on tuait autrefois deviennent les alliés d’aujourd’hui. C’est inconcevable d’un point de vue intellectuel, mais c’est vrai que la politique, quelquefois, s’éloigne de la rationalité.

    Jonas Pardo : Cela montre l’incompréhension totale de ce qu’est l’antisémitisme aujourd’hui. Le débat sur le Rassemblement national se conjugue uniquement au passé. Le problème, ce n’est pas seulement que Jean-Marie Le Pen a eu des sorties négationnistes il y a trente ans. Le problème, c’est la vision du monde qui est intrinsèquement antisémite au Rassemblement national. Et les mots d’aujourd’hui de Marine Le Pen, de Jordan Bardella, s’ils ont changé par rapport au père Le Pen, s’inscrivent dans le même logiciel.

    Quand Marine Le Pen accuse le mondialisme, le cosmopolitisme, la finance internationale, les élites intellectuelles, elle lâche des bombes codées pour désigner les juifs, cette idée qu’il y aurait un groupe malfaisant qui agirait dans l’ombre. On le voit dans l’extrême droite en général, plus particulièrement à travers certaines de leurs grandes campagnes, à commencer par la théorie du « grand remplacement », une idée tout à la fois antisémite et islamophobe.


    Agrandir l’image : Illustration 2Jonas Pardo. © DR
    On le voit aussi à travers les paniques morales, par exemple les attaques contre les « woke », qui, pour moi, sont une reprise de l’accusation de marxisme culturel, faite à l’École de Francfort aux juifs allemands qui luttaient contre l’autoritarisme et les discriminations et qui étaient accusés de vouloir pervertir la culture nationale aux États-Unis.

    L’antiwokisme, c’est pareil, sauf qu’il est repris en France. Avec cette idée que l’identité française serait attaquée par l’import d’une culture mondialiste ou que sais-je. Cette matrice complotiste est consubstantielle à l’extrême droite. Sans antisémitisme, l’extrême droite ne serait pas l’extrême droite.

    La perte de boussole est totale. Serge Klarsfeld, par exemple, évoque un nouvel antisémitisme de gauche qui aurait remplacé celui de l’extrême droite. Il se trompe. Il s’est fait avoir par la main tendue du diable.

    L’idée d’un “nouvel antisémitisme” est un discours d’extrême droite qui vise à faire comme si l’antisémitisme d’extrême droite n’existait pas.
    Arié Alimi

    Quelles sont la réalité et les spécificités de cet antisémitisme qualifié de« nouvel antisémitisme » qui serait porté par la gauche et du fait des musulmans ?

    Jonas Pardo : Je ne pense pas qu’il y ait de rupture historique dans l’histoire de l’antisémitisme. Ce qui est nouveau, c’est le fait que ce n’est plus seulement l’extrême droite qui commet des actes antisémites, et je daterai cela depuis l’attentat de la rue Copernic en 1980, soit bientôt cinquante ans.

    Ce qu'on appelle « nouveau » n’a rien de nouveau. Ce sont toujours des actes qui se pensent comme des formes d’éradication de la domination, alors qu’elles ne sont que des expressions de désir d’ordre encore plus sécuritaire et féroce.

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    En ce moment, cet antisémitisme se véhicule non pas par la critique légitime du fait politique israélien, mais par la diabolisation d’une entité imaginaire fantasmée qui est nommée l’entité sioniste en place de l’État d’Israël. Cette forme de démonisation n’a rien de nouveau. C’est l’idée qu’il y a un groupe qui a un plan de domination à l’échelle régionale.

    Par ailleurs, le problème de la thèse du nouvel antisémitisme, c’est qu’elle établit qu’elle ne serait plus que le fait des musulmans, mais c’est complètement faux. On l’a vu pendant les manifs de « Jour de colère » en 2014 contre la politique fiscale du gouvernement Hollande, pendant les “gilets jaunes”, pendant le mouvement contre le passe sanitaire. Les actes antisémites ont été très concentrés pendant ces périodes-là. L’antisémitisme de l’extrême droite n’a pas disparu.

    Vous êtes d’accord, Arié Alimi ?

    Arie Alimi : L’idée d’un « nouvel » antisémitisme est un discours d’extrême droite qui vise à faire comme si l’antisémitisme d’extrême droite n’existait pas. C’est une lecture fausse, idéologique et extrêmement dangereuse puisqu’elle porte en soi les prémices d’un nouveau racisme.

    Je ne suis pas spécialiste de l’antisémitisme, mais je sais qu’il est protéiforme. Des causes multiples cohabitent, coexistent, se transforment, communiquent. Je sais qu’il a évolué à travers l’histoire, le temps, les conflits géopolitiques, les zones du monde. L’antisémitisme chrétien est né d’un conflit prosélyte et a construit le rapport du monde chrétien aux juifs.

    Il s’est transformé en antisémitisme politique par le biais du Protocole des Sages de Sion, un faux élaboré par le tsarisme blanc en Russie. Il a coexisté dans les pays d’Europe de l’Est, notamment avec son expression pogromiste ; en France, avec un antisémitisme généralisé qui s’est cristallisé au moment de l’affaire Dreyfus et a contribué à l’antisémitisme nazi, qui s’est conclu par la Shoah.


    L’antisémitisme est protéiforme. Des causes multiples cohabitent, coexistent, se transforment, communiquent.
    Arié Alimi
    Il est réapparu sous une autre forme à l’époque décoloniale du fait de l’intégration de l’État d’Israël dans l’identité juive et de l’identification du mouvement décolonial et du panarabisme à la lutte du peuple palestinien. Il s’est plus récemment enkysté violemment dans l’islamisme et le terrorisme islamiste. Tous ces antisémitismes coexistent aujourd’hui.

    Jonas Pardo : Quand Mohammed Merah tue des enfants à l’école Ozar Hatorah de Toulouse, il dit agir pour venger les enfants palestiniens. Cette accusation – les juifs tuent des enfants – est vieille comme le christianisme. Quand Ilan Halimi est torturé, kidnappé, assassiné, pour de l’argent, c’est l’idée que les juifs ont de l’argent. L’accusation est là aussi vieille comme le christianisme. C’est la surface de projection qui n’est plus la même. C’est Israël ou les Israéliens ou les sionistes, mais ce sont les juifs en réalité qui sont désignés.

    Idéologiquement, il y a trois lieux de production de l’antisémitisme : l’extrême droite, les milieux catholiques et intégristes, et, aujourd’hui, les milieux djihadistes. Avec une partie de reprise des thèmes de l’antisémitisme européen, mais aussi certains qui ont été absolument fabriqués dans le monde islamiste djihadiste.

    La gauche, elle, n’est pas un lieu de production idéologique de l’antisémitisme, dans le sens où les gens de gauche n’écrivent pas des théories ou des nouvelles accusations contre les juifs, mais c’est un lieu de reproduction antisémite. Ça ne veut pas dire qu’il est moins grave ou plus grave, mais ça veut dire qu’il faut agir dessus différemment, c’est d’ailleurs pour cela que je propose des formations aux gauches, tandis que je combats l’extrême droite.

    Idéologiquement, il y a trois lieux de production de l’antisémitisme : l’extrême droite, les milieux catholiques et intégristes, et, aujourd’hui, les milieux djihadistes.
    Jonas Pardo
    En juillet 2017, lors du 75e anniversaire de la rafle du Vél’ d’Hiv’, le président de la République a affirmé, que l’antisionisme était « la forme réinventée de l’antisémitisme ». Est-ce que l’antisionisme peut être un antisémitisme pour vous ?

    Arié Alimi : Quelle que soit la signification théorique que l’on donne à l’antisionisme, il ne saurait être initialement un antisémitisme. Mais il peut cependant être le faux-nez d’intentions individuelles antisémites. L’intégration d’Israël dans l’identité juive collective, qui est le fait de plusieurs facteurs et notamment des propos tenus par De Gaulle en 1967, comme l’explique l’historien Raymond Aron, sur le peuple « sûr de lui, fier et dominateur », mais également l’action d’institutions communautaires ou israéliennes, a finalement consacré et concrétisé l’assimilation entre l’antisionisme et l’antisémitisme de manière à empêcher toute critique de la politique de l'État d’Israël. C’est ce discours qui est repris aujourd’hui par le président de la République.

    Ça, c’est un drame absolu, et notamment pour les juifs de gauche que nous sommes, évidemment extrêmement critiques à l’égard de la politique de colonisation et d’occupation d’Israël qui ne respecte pas le droit international depuis plus de soixante ans, qui pérennise le conflit et empêche les Palestiniens d’avoir un État, une terre et une indépendance. C’est un piège sémantique qui a été voulu pour rendre impossible la pensée critique de l’État d’Israël.

    Jonas Pardo : Je crois qu’il est paresseux de dire que l’antisionisme est un antisémitisme. Pour comprendre, il faut revenir en 1897, en pleine montée de l’antisémitisme en Europe et en Russie. Deux propositions de solution au problème de l’antisémitisme sont élaborées par le monde juif.

    À Bâle, en Suisse, c’est la création de l’Organisation sioniste mondiale, qui propose la création d’un territoire où les juifs formeraient une majorité politique. La même année, en Lituanie, des juifs socialistes, réunis dans le parti Bund, proposent la révolution comme solution au problème de l’antisémitisme. L’antisionisme naît là. Il est aussi porté par des religieux qui pensent qu’il faut attendre la venue du Messie pour aller en Israël.

    Le problème, c’est que les bundistes vont pratiquement tous être éradiqués pendant la Shoah. C’est donc la solution nationale qui va s’affirmer comme la solution aux problèmes de l’antisémitisme européen. D’ailleurs, les juifs, sionistes ou pas, vont rejoindre Israël dans la précarité. Près de deux millions de personnes émigrent entre 1948 et la fin de l’URSS, tout simplement pour vivre quelque part.

    Aujourd’hui, quand les juifs se disent sionistes, souvent, c’est qu’ils pensent qu’Israël a le droit d’exister, ils disent : « Je soutiens cette proposition historique au problème de l’antisémitisme. » Et donc les antisionistes, que disent-ils ? Ils disent plusieurs choses qui n’ont rien à voir.

    Certains disent : « Je ne pense pas qu’il faut un État juif, mais un État binational judéo-arabe. » Sans commenter cette proposition, elle n’a rien d’antisémite. D’autres disent : « Non, les juifs n’ont rien à faire au Moyen-Orient. » Et là, on a un souci. Par ailleurs, on a vu dans l’extrême droite négationniste un antisémitisme qui s’est caché derrière l’antisionisme, chez Dieudonné et Soral, mais aussi dans les gauches altermondialistes ou décoloniales. On l’a vu le 7 octobre chez ceux qui ont poussé des cris de joie devant l’action du Hamas.

    Lorsqu’on nazifie les juifs, on n’est plus dans la critique légitime du fait politique israélien.
    Jonas Pardo
    Aujourd'hui, quand les juifs entendent : « Je suis antisioniste », ils entendent : « Je m'oppose à ce que les juifs puissent habiter quelque part »à tort ou à raison, selon l’interlocuteur, mais c’est ça qu’ils entendent. Et donc, il y a un problème d’éducation dès le départ parce qu’effectivement, l’antisionisme est un mot-valise qui recouvre des significations différentes.

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    • #3


      S’il y a une volonté de s’intéresser réellement à l’antisémitisme et aux ressentis des juifs, il faut connaître l’accusation de collusion sionisme-nazisme. C’est l’idée que les sionistes auraient collaboré avec les nazis pendant la Shoah contre les communistes. Cette accusation ignoble, qui emprunte au complotisme négationniste, implique une séparation entre des bons juifs antisionistes morts pendant la Shoah et les mauvais juifs sionistes qui se seraient prétendument compromis dans l’antisémitisme.

      Elle est construite à partir de l’accord Haavara [à l’été 1933 entre les représentations sionistes en Allemagne, l’Agence Juive et le régime nazi nouvellement mis en place – ndlr], qui a suscité beaucoup de débats au sein du monde juif et oublié la résistance juive sioniste, qui est une part certaine de la résistance juive tout court. Lorsqu’on nazifie les juifs, on n’est plus dans la critique légitime du fait politique israélien mais dans la diabolisation d’une entité imaginaire répulsive.

      Qu’avez-vous pensé du sketch de l’humoriste Guillaume Meurice à l’antenne de France Inter dans lequel il comparaît Benyamin Nétanyahou à un « nazi sans prépuce » ?

      Jonas Pardo : Le fait de nazifier les juifs a une histoire. Celle-ci commence avec les négationnistes, comme Robert Faurisson, qui répètent que les juifs ont inventé la Shoah et les chambres à gaz pour justifier le génocide des Palestiniens, le vrai génocide. Elle va être reprise dans la Russie soviétique dans un récit complètement délirant, affirmant que les sionistes auraient collaboré avec les nazis contre les communistes, et qui va ensuite se diffuser à l’intérieur du mouvement nationaliste arabe.

      Quand Guillaume Meurice fait sa blague avec Nétanyahou, il ne sait rien de tout cela. Je ne lui prête aucune intention. Je ne pense pas qu’il sache ce contenu, mais les juifs se sentent blessés, et ils ont des raisons objectives de se sentir blessés. Plutôt que de se jeter des anathèmes dans le débat public et de se précipiter dans la judiciarisation, il faut de la pédagogie.

      Il faut qu'on arrive à se comprendre, et pour cela, il faut aussi écouter le ressenti des juifs, comprendre pourquoi ils sont blessés et comprendre comment faire pour arrêter de les blesser, même quand on n’en a pas l’intention.

      Arié Alimi, est-ce que vous avez ri à la blague de Guillaume Meurice ?

      Arié Alimi : Je n’ai pas ri. Je n’ai pas trouvé ça drôle, mais je n’ai pas trouvé non plus drôle le fait qu’on le taxe d’antisémitisme et qu’on en fasse un telle polémique, que Radio France et France Inter utilisent une blague inappropriée pour en faire un antisémite et pour régler des comptes internes.

      La comparaison est malvenue, même si je considère que Benyamin Nétanyahou est l’un des responsables de la tragédie, qu’il s’est allié idéologiquement avec l’extrême droite au moment où Yitzhak Rabin a été assassiné pour en finir avec le processus de paix, en utilisant le Hamas pour fragiliser l’Autorité palestinienne et les revendications des Palestiniens.

      Jonas Pardo : Cette affaire est un cas d’école de notre incapacité à mener le débat public sur l’antisémitisme. On focalise sur Guillaume Meurice, alors que cette blague et cette banalisation du nazisme et de la Shoah sont récurrentes. Sarkozy, en 2009, a comparé ceux qui dénoncent les contrôles fiscaux à ceux qui dénonçaient les juifs pendant la Shoah. Même l’État d’Israël y a recours. Un de ses ambassadeurs s’est rendu avec une étoile jaune à l’Assemblée des Nations unies. Le gouvernement israélien traite le Hamas de nazi.

      La Shoah est devenue comme une espèce de mètre-étalon de l’horreur et tout est comparé avec cela. Le problème n’est pas Guillaume Meurice, mais la banalisation de la Shoah.

      Est-ce que vous comprenez, partagez les accusations d’antisémitisme, portées notamment par de nombreuses organisations juives, qui visent le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon ?

      Jonas Pardo : Je ne sais pas ce que Mélenchon pense des juifs au fond de son cœur et je m’en fiche. Le racisme n’a rien à voir avec les intentions mais tout avec les actes. Mélenchon a multiplié les paroles antisémites, sa dernière sortie sur l’assimilation de la marche contre l’antisémitisme au soutien des bombardements de Gaza m’a particulièrement choqué. Elle prolonge l’accusation qu’il fait à Yaël Braun-Pivet, qu’il désigne comme l’anti-France.

      On l’a vu encore la semaine dernière dans un tweet où il accusait Patrick Drahi, supposé propriétaire juif de Libération – qu’il n’est plus – et de BFM, de mentir sur les manifestations. Accusation de double allégeance, référence à l’emprise supposée des juifs sur le pouvoir et les médias. Mélenchon suicide La France Insoumise lorsqu’il assimile la défense des juifs aux soutiens des bombardements à Gaza. C’est une accusation dégueulasse qui vient justifier les violences que les juifs vivent aujourd’hui en France.

      Arié Alimi : Moi aussi, je ne peux pas sonder les cœurs mais il faut prendre en considération les perceptions et les ressentis d’antisémitisme. Quand le journaliste Taha Bouhafs a fait un tweet sur les petits fours du dîner du Crif [Conseil représentatif des institutions juives de France – ndlr], je savais qu’il ne connaissait pas la phrase de Jean Marie Le Pen et qu’il n’avait pas cette histoire en tête. Il était très jeune. Il est important de peser les codes et les résonances éventuelles avant de s’exprimer sur ces questions, au risque de se le voir reprocher.
      On ne peut combattre l’antisémitisme qu’en combattant les autres racismes. Ils se nourrissent les uns les autres.
      Arié Alimi
      Comment vivez-vous le moment actuel depuis les massacres du Hamas le 7 octobre à titre personnel ?

      Arié Alimi : Les atrocités du Hamas ont provoqué en moi un tremblement. Israël, dont l'intention première de la création est de permettre une protection, une sécurité des juifs du monde entier quand ils le souhaitaient individuellement ou collectivement, a paru n’être plus un lieu de refuge.


      J’ai eu aussi le sentiment d’une partie de la gauche qui n’a pas changé son logiciel au moment des premières communications sur le 7 octobre. Ils auraient dû prendre une pause et comprendre que ce qui s’était passé était d’une rare atrocité, et ne pas tenter de le corréler immédiatement à la situation historique.

      Jonas Pardo : Le 7 octobre a été un vrai cauchemar. Ce que j’ai perçu, c’est tout de suite l’intention antisémite des tueurs. La façon de spectaculariser la violence et de s’en réjouir, les tortures qui étaient infligées aux victimes et les réjouissances qu’ils faisaient autour. Ça a été le premier cauchemar, mais il y en a eu un deuxième, c’est les réactions des gauches, qui n’ont absolument pas été à la hauteur en ne condamnant pas immédiatement les atrocités du Hamas, de la part de La France insoumise.

      Il y a un temps pour l’analyse politique. L’action du Hamas s’inscrit dans un conflit territorial, mais il y avait un temps du deuil à respecter. Les juifs avaient besoin d’entendre : « On est avec vous. »

      La complexité de l’État d’Israël est qu’il mène une entreprise criminelle à travers la colonisation et le maintien du blocus de Gaza, mais cela ne saurait remettre en cause le caractère refuge d’Israël pour les juifs qui souhaiteraient s’y rendre. Ne voir dans Israël qu’une colonie revient à dire que la présence juive est indésirable au Moyen-Orient. Et alors, où les Israéliens devraient aller ?

      Comment vivez-vous aujourd’hui votre judéité dans ce climat de polarisation extrême où haines et fractures sont attisées, y compris dans vos propres cercles militants ?

      Arié Alimi : J’ai appris de la guerre de 2014. J’assume encore plus la stratification de mes identités. Avocat, de gauche, militant humaniste et décolonial, juif, qui ne renie pas un attachement à Israël. C’est compliqué mais c’est le propre de l’humanité. Et puis il y a des « en même temps » qui valent le coup.

      Jonas Pardo : J’ai vraiment changé de rapport à ma judéité après l’attentat de l’Hyper Cacher en 2015. Je suis passé d’une stratégie de la dissimulation à une stratégie d’apparition, et ça a provoqué autour de moi beaucoup de comportements similaires, de gens qui ont décidé de se dire juifs.

      Pourquoi étiez-vous dans la dissimulation ?

      Jonas Pardo : Dans ma famille et dans de nombreuses familles juives, on dit que pour vivre heureux, il faut vivre caché. Qui plus est, se dire juif à gauche est un problème. Les paroles des juifs sont conditionnées à leur rapport à Israël, comme si nous étions des représentants. Nous subissons une injonction géopolitique à nous positionner sur le conflit israélo-palestinien, comme les musulmans vis-à-vis du terrorisme djihadiste.

      À titre personnel, j’ai vécu plein de choses, des blagues, des humiliations, de l’exclusion. Quand je rencontre quelqu’un et qu’il apprend à un moment que je suis juif, c’est une prise de risque. C’est le sort des minorités invisibles. Je n’ai pas de signe extérieur de judéité, mais qui je suis et mon action le disent. C’est moi qui décide de me rendre visible et à ce moment-là, ça a des conséquences pour mes relations, pour ma vie.

      Arié Alimi : Quand on est juif, issu d’une école juive orthodoxe qui nous enseigne le risque permanent de l’assimilation et nous rappelle à l’étrangeté du non-juif, on vit dans une grande solitude. Elle est perceptible. Et puis on nous enseigne dès le plus jeune âge à ne pas trop se montrer dans sa judéité. Mon premier prénom à l’état civil est Frédéric. C’est déjà le signe de la peur et de la dissimulation.
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