Concurrence d’Airbnb, mesures contre les passoires thermiques : les facteurs s’accumulent pour faire du marché locatif parisien un vrai cauchemar pour les candidats à la location, constate la correspondante en France de ce journal belge.
Trouver une location à Paris a toujours été un parcours du combattant, mais, aujourd’hui, c’est une véritable bataille”, lâche Thomas Silva. Plus de vingt ans que cet agent immobilier est dans le secteur, pourtant il n’avait encore jamais connu une situation pareille. Il n’y a pratiquement aucune annonce de location d’appartement en vitrine de son agence et, dès qu’il met une nouvelle annonce en ligne, il reçoit une avalanche de courriels et d’appels de candidats. “Cent par heure. Et ils m’appellent jusqu’à tard le soir”, raconte-t-il.Les studios et les appartements avec une ou deux chambres sont particulièrement prisés.
Pour les visites, bien avant l’heure du rendez-vous, les candidats s’attroupent devant la porte du graal. Il n’est d’ailleurs pas rare que la cage d’escalier soit pleine à craquer d’aspirants à la location désespérés qui, à l’aide d’un copieux dossier – bulletins de salaire, avis d’imposition, lettres de recommandation et de motivation, fiches de renseignements sur les garants, et bien plus encore – essaieront de convaincre l’agent immobilier qu’ils sont les locataires idéaux.
Sus aux passoires thermiques…
Anne-Sophie Fostier en a eu des dizaines, des rendez-vous de la sorte. Comédienne, free-lance, elle n’a pas exactement le profil d’une personne avec qui un bailleur signerait les yeux fermés. “Quand j’ai face à moi un couple de deux salariés ou un étudiant qui est financé par ses parents, je n’essaie même plus. C’est peine perdue. Et c’est démoralisant”, soupire-t-elle.
“Une grande partie des petits appartements ont une mauvaise note de performance énergétique et doivent être rénovés pour pouvoir être reloués”, ce qui explique, nous dit Thomas Silva, une partie du problème.
“Ceux qui veulent rénover ne trouvent souvent pas d’entreprise ou se heurtent aux prix élevés des matériaux de construction. Beaucoup de propriétaires décident donc aujourd’hui de vendre quand leurs locataires s’en vont.”
Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il est interdit depuis le début de l’année en France de relouer les logements les moins bien isolés (avec un diagnostic de performance énergétique G+). En 2025, les logements classés G disparaîtront eux aussi du marché. En 2028, ce sera au tour de ceux qui sont classés F et, en 2034, de ceux qui sont classés E. Le fait qu’en 2018 plus de 2,3 millions de logements en région parisienne (soit 45 % du total des résidences principales) étaient étiquetés E, F ou G explique en partie les tensions sur le marché parisien, où l’architecture est davantage conçue pour avoir du charme et du prestige que pour lutter contre le réchauffement climatique.
Des prêts plus chers
Mais les certificats énergétiques ne sont pas les seules raisons de ces tensions sur le marché locatif, qui touchent aussi d’autres grandes villes de l’Hexagone. Ces derniers mois, les taux d’intérêt des prêts, notamment immobiliers, ont grimpé en flèche. Selon L’Observatoire Crédit Logement, le nombre de prêts accordés a même été divisé par deux en une année. Bref, beaucoup de Français doivent reporter leur projet d’achat et rester en location.
Pierre Madec, économiste, rappelle que la crise sur le marché locatif privé ne date pas d’hier. Après la flambée des prix immobiliers au début de ce siècle, le gouvernement français a tenté d’encadrer de plus en plus les loyers pour limiter la paupérisation des locataires.La politique fiscale du président Emmanuel Macron, qui a notamment transformé l’impôt sur la fortune en un impôt sur la fortune immobilière, a aussi joué un rôle aux yeux de l’économiste.
Autre problème notoire : les appartements de type Airbnb. Les locations touristiques rapportent entre 2,5 et 3 fois plus que les locations classiques et sont fiscalement plus intéressantes. Même le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, remet aujourd’hui en question la fiscalité avantageuse des hébergements touristiques. Ces dernières années, des milliers d’appartements qui étaient auparavant mis en location classique ont été transformés en meublés touristiques [selon les sources, il y a entre 22 000 et 40 000 logementsAirbnb à Paris], un problème que la capitale tente de résoudre en introduisant de nouvelles règles.
Des mesures insuffisantes
Au début de l’année scolaire, le marché locatif est toujours particulièrement animé. Célia Montargues commence sous peu sa première année de droit, et elle a quitté sa ville natale du Mans pour la Ville Lumière. “J’ai commencé cet été à chercher un studio ou une chambre, mais je me suis vite rendu compte que je n’étais pas la seule !” rit-elle. Finalement, elle a trouvé une chambre dans un appartement qu’elle partage avec trois autres étudiants. Pas à Paris intra-muros, contrairement à son projet initial, mais en banlieue, à Saint-Denis. “Ah, c’est moins romantique que ce que je m’étais imaginé, mais c’est toujours mieux que de faire des allers-retours tous les jours entre la maison de mes parents au Mans et Paris, ce que j’ai brièvement envisagé, dans les moments de désespoir, pendant ma recherche d’appartement.”
Cette situation, le gouvernement français essaie de la redresser, mais les professionnels de l’immobilier craignent que ses mesures ne résolvent pas la crise. D’un côté, le budget annuel que le gouvernement consacre aux primes pour la rénovation des logements énergivores a augmenté, certes, mais, de l’autre, il devient moins intéressant pour les particuliers d’investir dans la construction de logements neufs destinés à la location là où le marché immobilier est le plus tendu. Les municipalités luttent par ailleurs contre les logements vacants, notamment en augmentant la fiscalité sur les résidences secondaires. À Paris, plus d’un appartement sur dix est une résidence secondaire qui n’est occupée que de temps en temps.
De Standaard
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