Annonce

Réduire
Aucune annonce.

La protection de la nature se financiarise : les dangers du capitalisme vert

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • La protection de la nature se financiarise : les dangers du capitalisme vert




    Dans une enquête très documentée, “African Arguments” démontre que la plupart des administrateurs des quatre plus grandes ONG de protection de la nature sont étroitement liés au secteur de la finance. Ce qui suscite l’inquiétude parmi les spécialistes de la conservation.

    Nous avons cherché à savoir qui étaient les 111 membres des conseils d’administration de Conservation International (CI), The Nature Conservancy (TNC), le World Wildlife Fund aux États-Unis (WWF-US) et la Société pour la conservation de la vie sauvage (Wildlife Conservation Society, WCS). Il s’avère qu’un peu plus de la moitié d’entre eux ont des liens avec le monde de la finance.

    Parmi eux figurent des PDG de banques d’investissement, des dirigeants de sociétés de capital-risque et même trois épouses de hauts responsables de sociétés de capital-investissement millionnaires ou milliardaires. Beaucoup sont affiliés à des géants tels que JP Morgan Chase, Goldman Sachs et le Blackstone Group, et d’autres à des sociétés financières moins connues mais gérant néanmoins des centaines de milliards de dollars. Ce sont eux qui définissent la vision et les objectifs des organismes de protection et fixent leur orientation stratégique.

    Nous avons transmis nos informations à plusieurs spécialistes de la conservation. Ils ont exprimé une forte inquiétude devant l’absence de contrôle pour les grandes ONG environnementales et les intérêts potentiellement divergents de la conservation de la nature et de la finance. Ils mettent également en garde contre les risques exponentiels des approches reposant sur les mécanismes du marché pour relever les défis environnementaux. Pour de nombreux spécialistes de la conservation, l’immense pouvoir et l’influence de CI, TNC, WWF-US et la WCS justifient un droit de regard sur leur gouvernance.

    Une indépassable fonction agenda


    En effet, ces quatre ONG déterminent de nombreuses façons l’agenda de la conservation dans le monde. Elles opèrent dans plus de 100 pays et États sur six continents et gèrent des projets de plusieurs millions de dollars concernant des centaines de millions d’hectares. Elles cherchent activement à peser sur les politiques nationales et internationales et leur voix est écoutée dans les forums multilatéraux tels que les Nations unies.

    De plus, les systèmes de mesure portant sur la biodiversité, l’insécurité hydrique, la qualité des sols et la déforestation (entre autres), qui finissent à un moment ou un autre par servir de base aux discussions sur la protection de la nature, ont généralement été développés et sont actualisés par les chercheurs de ces ONG. Comme le disent eux-mêmes le WWF-US et CI, leur analyse scientifique “détermine les priorités en matière de conservation”. L’Indice planète vivante (IPV), établi et actualisé par le WWF, est par exemple utilisé pour évaluer les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs de biodiversité fixés à l’échelle internationale. CI se flatte que ses 1 300 articles scientifiques ont été cités plus souvent que ceux des chercheurs d’universités de l’envergure de Harvard, Yale ou Stanford.

    Dans la même veine, l’auteur principal d’un rapport souvent cité en référence qui appelle à transformer 30 % des terres et mers de la planète en zones protégées d’ici à 2030 a été scientifique en chef du WWF pendant près de vingt-cinq ans. Cet objectif, connu sous le nom d’Objectif 30×30, a été défendu par la WCS, TNC et CI et validé par 190 pays lors de la COP15 en décembre 2022.

    Gigantisme financier


    Ces ONG disposent également d’un gigantesque pouvoir financier. Elles affichent à elles quatre un revenu annuel de 2 milliards de dollars, rendant dérisoires les modestes budgets des associations de conservation locales, nationales et même régionales. Leurs actifs totaux combinés s’élèvent à plus de 11,6 milliards de dollars, soit plus que le PIB annuel de 20 pays africains.

    Pour Aby Sène, professeure adjointe en gestion des aires protégées à l’université de Clemson, ce poids politique et financier rend ces quatre ONG “extrêmement puissantes” :
    “Elles décident de ce qui peut être qualifié de crise et conçoivent les indicateurs qui sont utilisés dans les discussions sur les politiques à mettre en place. La réalité est qu’elles orientent le discours mondial sur la conservation.”

    L’influence de cette poignée d’ONG, poursuit-elle, a engendré un “monopole” des idées, non seulement au niveau de la politique mondiale, mais aussi des politiques nationales. Dans la plupart des pays où opèrent ces grandes organisations, leur pouvoir financier et politique est sans commune mesure avec celui de leurs homologues locales. Selon certains défenseurs de l’environnement travaillant en Afrique, elles finissent souvent par prédominer dans l’espace que les nations dédient à la conservation.

    “Elles tiennent les rênes, et elles le savent”, commente le responsable d’une ONG sud-africaine de protection des océans, qui a demandé à garder l’anonymat : “C’est très simple : pour obtenir un financement du WWF-Afrique du Sud, il faut s’aligner sur leur vision et adopter leurs méthodes.”

    “Ces grosses ONG ont l’habitude de travailler avec des structures faibles qu’elles peuvent écraser”, déclare un chef masai qui dirige une association de protection de la nature au Kenya et a également demandé à rester anonyme. “Très peu peuvent résister par manque de moyens financiers, ajoute-t-il. Même les agences gouvernementales censées contrôler ces organisations dépendent d’elles.”

    Une “conservation-forteresse” néocoloniale


    Ce déséquilibre des pouvoirs doit d’autant plus être souligné que de nombreux acteurs de la protection de la nature expriment haut et fort leur désaccord avec l’approche de ces grandes ONG. Beaucoup les accusent notamment de promouvoir une “conservation-forteresse” : il s’agit pour eux d’un schéma néocolonialiste dicté d’en haut qui dépossède les populations locales des terres qu’elles géraient depuis des siècles et les remplacent par de hautes clôtures, des gardes armés et des hôtels de luxe.

    Cette approche, insistent-ils, ne fonctionne pas et conduit souvent à des violations des droits humains. En république du Congo par exemple, la WCS et le WWF ont été accusés de financer les sévices et les expulsions dont sont victimes les Pygmées bayaka et d’autres tribus de la forêt tropicale.

    Le chef masai mentionné plus haut accuse ces grandes ONG d’utiliser diverses stratégies pour dépouiller les populations indigènes de leurs terres ancestrales au Kenya et en Tanzanie. L’une des principales missions de son organisation consiste à éduquer les populations locales pour qu’elles puissent défendre leurs droits. “En aidant ces populations à s’organiser et à se doter d’outils de négociation, nous perturbons l’action [des grosses ONG], explique-t-il. Autant vous dire qu’elles ne nous aiment pas.”

    Certains défenseurs de l’environnement craignent que l’Objectif 30×30 (dont le financement a été estimé à environ 140 milliards de dollars par an) n’alimente l’expansion du modèle de conservation-forteresse. Ce projet affectera 300 millions de personnes, insistent-ils, et ouvrira la voie à “un gigantesque accaparement de terres, de la même ampleur que celui commis par l’Europe à l’époque coloniale”.

    Il est primordial de savoir qui définit les missions de ces quatre grandes ONG, poursuivent-ils, en raison de leur pouvoir dans la définition des objectifs de conservation. Ils jugent extrêmement alarmant le fait que la majorité des administrateurs de ces organisations soient issus du monde de la finance. Même s’il est connu que ces ONG sont depuis longtemps affiliées à de grandes entreprises (ExxonMobil, Walmart, General Motors, Gap, Apple et de nombreuses autres multinationales sont représentées dans leur conseil d’administration), le poids du secteur financier est plus récent et s’impose à un moment crucial dans l’action contre les crises du climat et de la biodiversité.

    DESSIN DE RAMSÈS, CUBA

    .L’indépassable loi du marché


    Il faut noter que la prise de pouvoir des financiers dans les conseils d’administration des grandes ONG environnementales a coïncidé avec l’importance croissante donnée aux solutions fondées sur les lois du marché pour lutter contre le changement climatique, ainsi qu’avec l’essor du marché du carbone. Le sujet des crédits carbone devait être l’un des deux “leviers transversaux” du dernier sommet africain sur le climat, qui s’est tenu du 4 au 6 septembre au Kenya. Les quatre ONG précitées sont fortement impliquées dans le marché du carbone : ce sont elles qui ont créé et qui gèrent les systèmes de compensation des émissions, et qui ont développé les méthodes et les règles relatives à leur contrôle.

    Ces systèmes permettent aux entreprises polluantes d’investir dans des projets de réduction des émissions ou de stockage du CO2, souvent à l’autre bout de la planète. Comme de nombreuses solutions apportées par le “capitalisme vert”, ils ont été présentés comme des mécanismes permettant à tout le monde d’être gagnant : les projets de conservation ont accès à de nouvelles lignes de financement en monétisant le CO2, qu’ils empêchent de pénétrer dans l’atmosphère sous la forme de crédits carbone négociables, et les entreprises compensent les émissions difficiles à réduire en achetant ces crédits.

    Mais ici encore, comme souvent avec les solutions du capitalisme vert, la réalité n’a pas été jusqu’à présent à la hauteur de la théorie. Une enquête menée récemment par The Guardian [et Die Zeit] a révélé que 94 % des crédits carbone liés à des projets de reforestation ou de protection des forêts qui ont été approuvés par le plus grand organisme mondial de certification [l’ONG Verra] étaient “sans valeur”. Plus encore, ils “pourraient même aggraver le dérèglement climatique”.

    Un rapport de Survival International sur le Northern Rangelands Trust (NRT), le “programme phare de crédits carbone” au Kenya, dit qu’il “pourrait générer environ 300 à 500 millions de dollars, voire davantage”, mais “ne présente pas d’arguments crédibles pour justifier son ’additionnalité’ en matière de carbone – un principe fondamental pour générer des crédits carbone”.

    Plusieurs organisations environnementales, dont Friends of the Earth [Les Amis de la Terre], considèrent les compensations carbone comme “une distraction dangereuse” et vont jusqu’à les qualifier d’“arnaque”.

    Nos quatre grandes ONG ont néanmoins continué de défendre bec et ongles le principe de compensation des émissions, et le marché volontaire du carbone a connu une croissance extrêmement rapide : en 2021, sa valeur était de 2 milliards de dollars, soit quatre fois plus qu’en 2020, et elle devrait atteindre 50 milliards de dollars d’ici à 2030. Le marché volontaire du carbone n’est pas seulement là pour durer, mais pour crever le plafond.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2

    Le puits sans fond des crédits carbone


    “La question n’est pas de savoir si les systèmes de compensation fonctionnent, mais à qui ils profitent”, déclare Lauren Gifford, une géographe critique de l’université d’État du Coloradoqui étudie les connexions entre la politique mondiale sur le climat, la protection de l’environnement, la justice et les marchés économiques et financiers.
    Selon ses recherches, les compensations volontaires de carbone ne réduisent pas automatiquement les émissions, mais profitent en revanche aux ONG et aux entreprises, qui tirent un revenu important de l’élaboration des projets de réduction ou de stockage de ces émissions. “Ces ONG sont étroitement impliquées dans certains des principaux dispositifs de financiarisation de la nature, ajoute-t-elle. Être une organisation à but non lucratif ne signifie pas qu’on ne cherche pas à accumuler du capital.”

    Les systèmes de compensation des émissions de carbone servent également le monde de la finance. En effet, la majeure partie de la valeur du marché volontaire du carbone est issue de la spéculation et des échanges réalisés à l’intérieur même de ce marché. Selon plusieurs enquêtes récentes, certains courtiers vendent des crédits carbone avec des marges gigantesques. On peut notamment lire dans un rapport de l’association Carbon Market Watch que 90 % des intermédiaires ne parlent pas de leurs honoraires ni de leurs marges, ce qui rend le fonctionnement interne de ce fameux marché complètement opaque ou presque.

    “Le chiffre de 2 milliards de dollars attribué à la taille du marché du carbone est extrêmement trompeur, affirme Gilles Dufrasne, principal auteur de ce rapport. Personne n’a la moindre idée de la somme allouée aux projets de compensation carbone mais une chose est sûre : ce n’est qu’une petite fraction de ce chiffre.”

    “Les crédits carbone sont aujourd’hui considérés comme des actifs dans lesquels investir, ajoute Gifford. Alors forcément, les institutions financières veulent participer dès le début à l’élaboration des systèmes de financiarisation et de monétisation de la conservation de la nature.”

    Profits versus conservation, un éternel conflit d’intérêts


    Le rôle des financiers dans la gouvernance des grandes ONG environnementales et les bénéfices tirés par tous de la financiarisation de la protection de l’environnement ne signifient pas qu’il existe un conflit d’intérêts. Notre enquête ne permet pas de porter des allégations d’irrégularités de la part des ONG ni des administrateurs sur lesquels elle a porté, et les experts que nous avons interrogés n’ont fait aucune déclaration en ce sens.

    Ce que nous avons découvert met toutefois en lumière une alliance difficile au sommet du secteur de la protection et la conservation de la nature. La vocation des ONG environnementales est censée être d’enrayer la perte de biodiversité, de défendre les espèces menacées et de protéger la nature. Celle de l’industrie financière est de faire des profits, y compris par la financiarisation de la conservation. Notre enquête montre comment des acteurs importants de la seconde gouvernent aujourd’hui la première.

    Nos investigations pointent également le déséquilibre des pouvoirs entre le petit groupe de millionnaires et milliardaires qui supervisent l’orientation stratégique de ces grandes organisations dans le Nord et les communautés marginalisées qui sont les plus touchées par leurs activités dans le Sud.

    L’influence et la richesse de ces mastodontes font qu’il est difficile de leur demander des comptes, et Sène craint que l’emprise grandissante des financiers ne complique encore les choses.

    “Lorsque les ONG de protection de la nature collaborent avec le tourisme de luxe ou les industries extractives, les gens le voient et peuvent en mesurer l’injustice, dit-elle. Mais lorsqu’il s’agit de choses comme les marchés de compensation carbone, le capital-risque et autres, tout devient beaucoup plus obscur.”

    En réaction à notre enquête, un porte-parole de TNC a tenu à faire savoir que le conseil d’administration de l’ONG était “composé de personnes aux parcours personnels et professionnels variés, dont certains dans le secteur des finances” et que ces personnes mettaient “toutes leurs compétences, y compris leur expertise financière, au service de TNC”. Le TNC, a-t-il insisté, n’adhère pas au modèle de la conservation-forteresse : il applique “une approche fondée sur les droits” pour travailler aux côtés des populations autochtones et des communautés locales.

    Conservation International, le WWF-US et la Wildlife Conservation Society n’ont pas répondu à nos demandes d’entretien.

    James Wan

    Lire l’article original
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

    Commentaire

    Chargement...
    X