Le dégel en cours s’accompagne d’une nouvelle « approche » côté français. Mais les attentes de Rabat sont nombreuses, en premier lieu dans le dossier du Sahara occidental.
Entre Paris et Rabat, le permafrost est-il en train de fondre ? D’un côté comme de l’autre, les signes annonciateurs de la sortie d’un hiver prolongé se multiplient, laissant augurer une période de réchauffement dans des relations franco-marocaines soumises pendant deux ans à des températures glaciales.
Le choix de Samira Sitail au poste d’ambassadrice du royaume à Paris a été approuvé le 19 octobre par le roi du Maroc. Sa prise de fonction officielle se fait attendre, mais sa nomination met un visage sur une représentation diplomatique qui n’en avait plus depuis janvier de cette année. Deux semaines plus tôt,Mohammed VI avait fini par accréditer l’ambassadeur de France à Rabat, Christophe Lecourtier, qui lui avait présenté ses lettres de créance après sa nomination il y a près d’un an.
Parallèlement à cette « normalisation » diplomatique, les rencontres entre responsables des deux pays se sont multipliées, témoignant, là aussi, d’une volonté de reprise. En octobre, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, s’est entretenu à Marrakech avec son homologue marocaine et le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch. Quant au directeur général de l’Agence française de développement, Rémy Rioux, il a été reçu courant novembre à Rabat par le ministre marocain des affaires étrangères, Nasser Bourita.
Mais le dégel s’annonce lent et progressif. « On y va prudemment, sans triomphalisme, et en restant modeste », explique-t-on à l’ambassade de France à Rabat, où l’on assure que les échanges avec de hauts fonctionnaires marocains n’ont jamais cessé et que des consultations régulières ont lieu de part et d’autre sur plusieurs sujets. Côté marocain, la discrétion, qui était encore de mise ces derniers mois, a disparu au profit d’un affichage assumé. Aux échanges en catimini avec des décideurs et représentants français ont succédé des rencontres qui font désormais l’objet de communiqués repris dans la presse marocaine.
« Gâchis »
S’il est la preuve d’un retour à la normale, ce redémarrage, insiste-t-on côté français, passe aussi par un changement de logiciel. « On a cru que l’on pouvait continuer avec le Maroc comme on l’a fait ces trente dernières années, mais ce n’est plus possible », admet-on à l’ambassade, en regrettant une forme d’« arrogance » et des « erreurs d’appréciation ».
Parmi elles, figure la vidéo d’Emmanuel Macron diffusée sur Twitter quelques jours après le séisme qui a frappé en septembre la région de Marrakech et provoqué la mort de 3 000 personnes. Le président français y déclarait vouloir s’adresser « directement aux Marocaines et aux Marocains ». Une prise de parole contraire au protocole, selon la presse marocaine, qui a reproché au chef de l’Etat de vouloir « enjamber » le roi.
Cette polémique, qui faisait suite au débat en France au sujet de l’envoi d’une aide humanitaire, à laquelle Rabat avait opposé une fin de non-recevoir, a conduit « à une prise de conscience à Paris », indique une source officielle française, en soulignant que le réchauffement dans les relations aurait pu avoir lieu dès le mois de juillet. « Mais le séisme a stoppé net la dynamique positive qui s’amorçait. »
Les autorités françaises disent désormais prôner une « approche partenariale plus équitable », en déplorant toutefois l’absence de relais entre les politiques français et marocains, « qui ne se connaissent pas ou peu ». « Il y a un besoin urgent de redécouverte mutuelle », observe la source précédemment citée.
L’acceptation, aussi, de ne plus se croire en terrain conquis. La récente sortie médiatique de Christophe Lecourtier, décrite dans la presse marocaine comme un exercice « de repentance », a ainsi été perçue comme un premier pas vers un mea culpa attendu. Invité le 13 novembre à s’exprimer sur la radio publique marocaine 2M, l’ambassadeur est longuement revenu sur la polémique des visas, qualifiant de « gâchis » la décision française de limiter leur délivrance aux ressortissants marocains.
S’il présage d’un nouveau printemps, le dégel entre la France et le Maroc va céder la place à un nouvel environnement, profondément modifié et pas forcément accueillant. « Quand la glace fond, ce n’est pas de l’herbe verte mais de la boue qui apparaît », confie, sous le sceau de l’anonymat, un spécialiste des relations franco-marocaines. De fait, les dossiers sensibles sont nombreux : la réactivation de la haute commission mixte France-Maroc, les accords conclus entre Rabat et Bruxelles sur la pêche et l’agriculture, le rapatriement des mineurs en situation irrégulière en France…
« Tout reprendre à zéro »
« Mais la question préjudicielle reste le Sahara occidental », signale Zakaria Aboudahab, qui enseigne les relations internationales à l’université Mohammed V de Rabat. Fin octobre, devant le Conseil de sécurité de l’ONU, qui a renouvelé pour un an le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso), le représentant permanent de la France auprès de l’ONU a réitéré « le soutien historique » de Paris au plan d’autonomie marocain, ajoutant qu’« il est temps désormais d’avancer ».
Des propos salués au Maroc, où l’on attend cependant davantage de la France. Non pas un revirement spectaculaire, comme celui opéré par l’ancien président américain Donald Trump – qui avait reconnu, en 2020, la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental –, mais « un saut psychologique », précise Zakaria Aboudahab, à l’image du pas en avant de Pedro Sanchez – le chef du gouvernement espagnol avait déclaré en 2022 que le plan d’autonomie de Rabat était « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend ».
Si la diplomatie française adopte la même position depuis 2007, d’anciens ambassadeurs au Maroc prônent la nécessité d’un changement dans le dossier du Sahara occidental. « Nous aurions dû emboîter le pas aux Américains, reconnaît Bruno Joubert, en poste à Rabat entre 2009 et 2012. Avec l’Espagne et une administration américaine qui font les yeux doux au Maroc, on ne peut pas se permettre de rester à l’écart. Nous devons reprendre le leadership au Conseil de sécurité [de l’ONU] et réaffirmer notre position plus fortement et de manière plus active, en concertation avec les Etats-Unis. » Quitte à se brouiller avec Alger ? L’ex-conseiller Afrique de Nicolas Sarkozy balaie l’argument : « Vouloir se rapprocher de l’Algérie aux dépens du Maroc était une idiotie. Les Algériens ne sont pas sensibles à la main tendue, mais à une position de force. Ils savent très bien que nous ne romprons pas avec Rabat. »
« On ne veut pas créer d’attentes inatteignables », répond-on à l’ambassade, en répétant que la France est un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, mais qu’elle reste attachée à une solution conforme au droit international. Quant à la visite d’Etat du président Emmanuel Macron au Maroc, « elle n’est pas un objectif en soi », prévient-on. « Nous voulons d’abord tout reprendre à zéro et déterminer ce que la France et le Maroc vont faire ensemble dans les cinquante prochaines années. »
Alexandre Aublanc(Casablanca)
Entre Paris et Rabat, le permafrost est-il en train de fondre ? D’un côté comme de l’autre, les signes annonciateurs de la sortie d’un hiver prolongé se multiplient, laissant augurer une période de réchauffement dans des relations franco-marocaines soumises pendant deux ans à des températures glaciales.
Le choix de Samira Sitail au poste d’ambassadrice du royaume à Paris a été approuvé le 19 octobre par le roi du Maroc. Sa prise de fonction officielle se fait attendre, mais sa nomination met un visage sur une représentation diplomatique qui n’en avait plus depuis janvier de cette année. Deux semaines plus tôt,Mohammed VI avait fini par accréditer l’ambassadeur de France à Rabat, Christophe Lecourtier, qui lui avait présenté ses lettres de créance après sa nomination il y a près d’un an.
Parallèlement à cette « normalisation » diplomatique, les rencontres entre responsables des deux pays se sont multipliées, témoignant, là aussi, d’une volonté de reprise. En octobre, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, s’est entretenu à Marrakech avec son homologue marocaine et le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch. Quant au directeur général de l’Agence française de développement, Rémy Rioux, il a été reçu courant novembre à Rabat par le ministre marocain des affaires étrangères, Nasser Bourita.
Mais le dégel s’annonce lent et progressif. « On y va prudemment, sans triomphalisme, et en restant modeste », explique-t-on à l’ambassade de France à Rabat, où l’on assure que les échanges avec de hauts fonctionnaires marocains n’ont jamais cessé et que des consultations régulières ont lieu de part et d’autre sur plusieurs sujets. Côté marocain, la discrétion, qui était encore de mise ces derniers mois, a disparu au profit d’un affichage assumé. Aux échanges en catimini avec des décideurs et représentants français ont succédé des rencontres qui font désormais l’objet de communiqués repris dans la presse marocaine.
« Gâchis »
S’il est la preuve d’un retour à la normale, ce redémarrage, insiste-t-on côté français, passe aussi par un changement de logiciel. « On a cru que l’on pouvait continuer avec le Maroc comme on l’a fait ces trente dernières années, mais ce n’est plus possible », admet-on à l’ambassade, en regrettant une forme d’« arrogance » et des « erreurs d’appréciation ».
Parmi elles, figure la vidéo d’Emmanuel Macron diffusée sur Twitter quelques jours après le séisme qui a frappé en septembre la région de Marrakech et provoqué la mort de 3 000 personnes. Le président français y déclarait vouloir s’adresser « directement aux Marocaines et aux Marocains ». Une prise de parole contraire au protocole, selon la presse marocaine, qui a reproché au chef de l’Etat de vouloir « enjamber » le roi.
Cette polémique, qui faisait suite au débat en France au sujet de l’envoi d’une aide humanitaire, à laquelle Rabat avait opposé une fin de non-recevoir, a conduit « à une prise de conscience à Paris », indique une source officielle française, en soulignant que le réchauffement dans les relations aurait pu avoir lieu dès le mois de juillet. « Mais le séisme a stoppé net la dynamique positive qui s’amorçait. »
Les autorités françaises disent désormais prôner une « approche partenariale plus équitable », en déplorant toutefois l’absence de relais entre les politiques français et marocains, « qui ne se connaissent pas ou peu ». « Il y a un besoin urgent de redécouverte mutuelle », observe la source précédemment citée.
L’acceptation, aussi, de ne plus se croire en terrain conquis. La récente sortie médiatique de Christophe Lecourtier, décrite dans la presse marocaine comme un exercice « de repentance », a ainsi été perçue comme un premier pas vers un mea culpa attendu. Invité le 13 novembre à s’exprimer sur la radio publique marocaine 2M, l’ambassadeur est longuement revenu sur la polémique des visas, qualifiant de « gâchis » la décision française de limiter leur délivrance aux ressortissants marocains.
S’il présage d’un nouveau printemps, le dégel entre la France et le Maroc va céder la place à un nouvel environnement, profondément modifié et pas forcément accueillant. « Quand la glace fond, ce n’est pas de l’herbe verte mais de la boue qui apparaît », confie, sous le sceau de l’anonymat, un spécialiste des relations franco-marocaines. De fait, les dossiers sensibles sont nombreux : la réactivation de la haute commission mixte France-Maroc, les accords conclus entre Rabat et Bruxelles sur la pêche et l’agriculture, le rapatriement des mineurs en situation irrégulière en France…
« Tout reprendre à zéro »
« Mais la question préjudicielle reste le Sahara occidental », signale Zakaria Aboudahab, qui enseigne les relations internationales à l’université Mohammed V de Rabat. Fin octobre, devant le Conseil de sécurité de l’ONU, qui a renouvelé pour un an le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso), le représentant permanent de la France auprès de l’ONU a réitéré « le soutien historique » de Paris au plan d’autonomie marocain, ajoutant qu’« il est temps désormais d’avancer ».
Des propos salués au Maroc, où l’on attend cependant davantage de la France. Non pas un revirement spectaculaire, comme celui opéré par l’ancien président américain Donald Trump – qui avait reconnu, en 2020, la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental –, mais « un saut psychologique », précise Zakaria Aboudahab, à l’image du pas en avant de Pedro Sanchez – le chef du gouvernement espagnol avait déclaré en 2022 que le plan d’autonomie de Rabat était « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend ».
Si la diplomatie française adopte la même position depuis 2007, d’anciens ambassadeurs au Maroc prônent la nécessité d’un changement dans le dossier du Sahara occidental. « Nous aurions dû emboîter le pas aux Américains, reconnaît Bruno Joubert, en poste à Rabat entre 2009 et 2012. Avec l’Espagne et une administration américaine qui font les yeux doux au Maroc, on ne peut pas se permettre de rester à l’écart. Nous devons reprendre le leadership au Conseil de sécurité [de l’ONU] et réaffirmer notre position plus fortement et de manière plus active, en concertation avec les Etats-Unis. » Quitte à se brouiller avec Alger ? L’ex-conseiller Afrique de Nicolas Sarkozy balaie l’argument : « Vouloir se rapprocher de l’Algérie aux dépens du Maroc était une idiotie. Les Algériens ne sont pas sensibles à la main tendue, mais à une position de force. Ils savent très bien que nous ne romprons pas avec Rabat. »
« On ne veut pas créer d’attentes inatteignables », répond-on à l’ambassade, en répétant que la France est un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, mais qu’elle reste attachée à une solution conforme au droit international. Quant à la visite d’Etat du président Emmanuel Macron au Maroc, « elle n’est pas un objectif en soi », prévient-on. « Nous voulons d’abord tout reprendre à zéro et déterminer ce que la France et le Maroc vont faire ensemble dans les cinquante prochaines années. »
Alexandre Aublanc(Casablanca)
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