Un génocide à Gaza ? L'accusation a rapidement été lâchée par plusieurs spécialistes du sujet, avant d’être reprise par l’Afrique du Sud dans son procès contre Israël devant la Cour Internationale de Justice. Cependant, si les grands médias ont souvent diffusé l’effroyable total des victimes directes des bombardements, bien peu d’attention médiatique a été portée à un autre drame : la situation de famine des Gazaouis, stratégie assumée de l’État d'Israël.
publié le 31/01/2024 Par Olivier Berruyer
Dans une décision du 26 janvier 2024 qui fera date, la Cour Internationale de Justice de La Haye – la plus haute instance judiciaire de l’ONU – a accueilli favorablement la demande de l’Afrique du Sud visant à protéger les Palestiniens du risque de génocide :
« 54. La Cour est d’avis que les faits et circonstances mentionnés ci-dessus suffisent pour conclure qu’au moins certains des droits que l’Afrique du Sud revendique et dont elle sollicite la protection sont plausibles. Il en va ainsi du droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés contre les actes de génocide et les actes prohibés connexes visés à l’article III et du droit de l’Afrique du Sud de demander qu’Israël s’acquitte des obligations lui incombant au titre de la convention [de 1948 contre les génocides]. »
La Cour a donc ordonné par quinze voix contre deux des mesures conservatoires, dont celle-ci :
« L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe. »
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe. »
On parle beaucoup depuis trois mois, à raison, du bilan effroyable des bombardements indiscriminés, qui approche les 30 000 morts et 70 000 blessés, soit respectivement 1,4 % et 3 % de la population palestinienne.
Nombre de Palestiniens tués par Israël à Gaza depuis le 7 octobre 2023 - Élucid
Ce lourd bilan est peu surprenant quand on sait que 70 % des immeubles ont été détruits dans la petite zone urbaine qu’est Gaza, ce qui en dit long sur l’intensité des bombardements.
Immeubles détruits dans la bande de Gaza au 5 janvier 2024 - Élucid
Le ministère de la Santé de Gaza – géré par le Hamas mais dont la fiabilité a été avérée par le passé – a fourni les identités et numéro de carte d’identité de ces victimes pour appuyer ses estimations. La presse, quant à elle, reconnaît que ce bilan humain est probablement sous-estimé, car les chiffres du ministère ne tiennent pas compte des corps restés sous les décombres ni des blessés amenés à décéder prochainement, du fait de la destruction massive du système de santé à Gaza.
Hôpitaux soutenus par MSF touchés ou soumis à des ordres d'évacuation, 29 janvier 2024, MSF International
Les Gazaouis (sur)vivent dans des conditions sanitaires déplorables. Avec une douche pour 4 500 personnes et un WC pour 220 personnes, le risque d’épidémie est important – des chiffres qui ont laissé le directeur de l'OMS au bord des larmes.
Si les bombardements indiscriminés ont été largement relayés par les médias, le blocus de Gaza est resté sous silence, aussi révoltant qu’il soit. Il a pourtant été présenté dès le 9 octobre par le ministre israélien de la Défense, Yoav Galant :
« J’ai ordonné un blocus total de Gaza. Pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, pas d’eau. Tout est coupé. Nous combattons des animaux humains, et nous agissons en conséquence. »
Les ONG avaient immédiatement dénoncé « l’utilisation de la faim comme arme de guerre». Depuis le début du siège, seulement 2 % de la nourriture habituelle est fournie aux deux millions de Gazaouis affamés. Les livraisons quotidiennes ont récemment augmenté, mais elles n'atteignent que 10 % à 20 % des quantités qui étaient livrées avant le 7 octobre.
L’IPC (Integrated Food Security Phase Classification) est un outil construit par l’ONU, chargé de mesurer la sécurité alimentaire dans le monde pour améliorer la prise de décision. Il définit cinq niveaux de sécurité alimentaire, d’IPC 1, situation normale, à IPC 5, catastrophe totale et/ou famine.
Dans sa dernière étude, elle estime que plus de la moitié des Gazaouis, soit 1,2 million de personnes, sont en urgence alimentaire (IPC 4), et que 580 000 Gazaouis sont en situation de catastrophe alimentaire (IPC 5), très proche de la famine.
Insécurité alimentaire dans la bande de Gaza - Élucid
Dans une étude comparant la situation dans 43 pays, l’IPC estime à plus de 600 000 le nombre de personnes en état de catastrophe alimentaire. Gaza concentre donc la majorité des risques de famine dans le monde.
Analyse de l'IPC sur l'insécurité alimentaire mondiale - Source
La réaction de l’économiste en chef du Programme alimentaire mondial des Nations unies, Arif Husain, souligne le caractère alarmant de la situation :
« De toute ma vie, je n'ai jamais rien vu de tel en termes de gravité, d'échelle et de vitesse. Si vous regardez globalement, mondialement [hors de Gaza], en ce moment, il y a environ 129 000 personnes qui sont en phase 5 de l'IPC [au sud Soudan, au Yémen et en Somalie], c'est-à-dire un type de faim catastrophique. À Gaza, ils sont 577 000. […]
Cela signifie que 80 % des personnes, soit quatre personnes sur cinq, en situation de famine ou de faim catastrophique [dans les seuls pays analysés par l’IPC] se trouvent actuellement à Gaza. C'est aussi ce qui rend cette situation sans précédent. »
Cela signifie que 80 % des personnes, soit quatre personnes sur cinq, en situation de famine ou de faim catastrophique [dans les seuls pays analysés par l’IPC] se trouvent actuellement à Gaza. C'est aussi ce qui rend cette situation sans précédent. »
Pendant ce temps, des centaines de camions remplis de nourriture restent bloqués à la frontière par Israël. Si la situation se poursuit, ce sont des milliers voire des dizaines de milliers de morts de faim qui sont à craindre. Poussée par la craindre d’un nouveau génocide, la CIJ (Cour Internationale de Justice), réunie à La Haye, a décidé de laisser un mois à Israël pour agir :
« 80. En outre, la Cour est d’avis qu’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza.
[La Cour] a décidé d’indiquer, elle estime qu’Israël doit lui fournir un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour exécuter la présente ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci. »
[La Cour] a décidé d’indiquer, elle estime qu’Israël doit lui fournir un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour exécuter la présente ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci. »
Des Palestiniens reçoivent leur ration de nourriture dans un camp de réfugiés à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 23 décembre 2023. (Photo par Mahmud HAMS / AFP)
À la suite de ce jugement, la réaction du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a été claire : Israël ne doit pas infléchir sa position. « La décision du tribunal antisémite de La Haye prouve ce que l’on savait déjà : ce tribunal ne cherche pas la justice, mais plutôt la persécution du peuple juif ». Sa récente « danse du crime contre l’humanité » semble le confirmer :
L’indifférence aux souffrances palestiniennes causées par la politique du gouvernement Netanyahou est effrayante. Ici, cette ancienne maire d’une colonie assume sans problème le crime d’affamement dans le but de perpétrer le crime contre l’humanité du transfert forcé de population : « Nous ne leur donnons pas de nourriture, ils devront partir. » Elle semble avoir oublié que toutes les frontières étant fermées, la seule sortie de Gaza est dès lors vers le ciel, chemin déjà emprunté par près de 30 000 Gazaouis...
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