Et dire qu'ils sont des millions de Marocains à être certains d'avoir aperçu l'alcoolo et banni heureux M5 à Madagascar sur la lune!
- Les claquements saccadés des portes des magasins voisins qu’on fermait dans la hâte, la rumeur qui enflait dans la rue, les regards furtifs et fuyants ou le soleil qui disparaissait à l’horizon ramenèrent mon père à sa raison. Le reste dans ma remémoration n’est qu’un brouhaha compact de pleurs, de lacérations de joues et de cris, et une foule désordonnée que je ne perçois plus que comme des ombres informes et dans mes cauchemars d’enfants, difformes. Je crois avoir vu Hassan II marcher derrière l’affût de canon transportant la dépouille de son père, sans pouvoir affirmer si de mes yeux je l’ai vu ou si seulement une image reconstituée dans ma mémoire par les photos qui ont fixé pour la postérité ce moment rare d’une tristesse collective envahissant sans prévenir tout un royaume. Tout, dans les limbes de ma mémoire implicite, est une succession de sensations et une suite de contours incertains.
Je sais maintenant que c’était le 26 février 1961, dixième jour du Ramadan. Je sais aussi qu’on n’était pas loin du coucher de soleil et de la rupture du jeûne et mon souvenir de la radio qui interrompe ses programmes pour ne plus diffuser que la psalmodie du Coran appartient lui aussi à cette zone floue des choses évanescentes où je ne peux distinguer ce qu’à l’instant j’ai vraiment su, de ce qu’à mon insu la mémoire collective a imprimé en moi. Même la pâleur de ma mère nous ordonnant d’aller chercher notre père, je ne peux en attester sans craindre une altération de mon imagination nourrie aux sources de la légende d’un homme- sultan, de plus en plus réfractaire au protectorat français, sanctifié par son consentement à l’exil, refusant la soumission aux volontés du colon ! Au risque de ne jamais revenir et au péril de sa vie et de celle de sa famille.
Mais je me souviens nettement que c’était la première et seule fois où ma mère m’avait fait peur.
Comment nous avions déboulé les escaliers, traversé au pas de course les quelques cents mètres qui séparaient notre maison du magasin de notre père, sont aussi brumeux que tout ce que nous avions vécu ces jours-là. Un refrain me revint près de quarante ans plus tard, quand je l’ai entendu au Mechouar, le jour de la première prière de vendredi de son petit-fils, le Roi, Mohammed VI ; des voix de femmes de Touarga scandant au passage du nouveau souverain : « A Jaich attahrir, ‘awnou Sidi Mohammed rah mazale sghir »*. Surpris par cette résurgence anachronique, j’ai pu extirper de mes réminiscences la version originale où les populations apostrophaient l’Armée de libération pour qu’elle apporte son soutien à Moulay El Hassan**, son père, qui venait de succéder à Mohammed al-khamiss.
Quid.Maroc (extraits).
- Les claquements saccadés des portes des magasins voisins qu’on fermait dans la hâte, la rumeur qui enflait dans la rue, les regards furtifs et fuyants ou le soleil qui disparaissait à l’horizon ramenèrent mon père à sa raison. Le reste dans ma remémoration n’est qu’un brouhaha compact de pleurs, de lacérations de joues et de cris, et une foule désordonnée que je ne perçois plus que comme des ombres informes et dans mes cauchemars d’enfants, difformes. Je crois avoir vu Hassan II marcher derrière l’affût de canon transportant la dépouille de son père, sans pouvoir affirmer si de mes yeux je l’ai vu ou si seulement une image reconstituée dans ma mémoire par les photos qui ont fixé pour la postérité ce moment rare d’une tristesse collective envahissant sans prévenir tout un royaume. Tout, dans les limbes de ma mémoire implicite, est une succession de sensations et une suite de contours incertains.
Je sais maintenant que c’était le 26 février 1961, dixième jour du Ramadan. Je sais aussi qu’on n’était pas loin du coucher de soleil et de la rupture du jeûne et mon souvenir de la radio qui interrompe ses programmes pour ne plus diffuser que la psalmodie du Coran appartient lui aussi à cette zone floue des choses évanescentes où je ne peux distinguer ce qu’à l’instant j’ai vraiment su, de ce qu’à mon insu la mémoire collective a imprimé en moi. Même la pâleur de ma mère nous ordonnant d’aller chercher notre père, je ne peux en attester sans craindre une altération de mon imagination nourrie aux sources de la légende d’un homme- sultan, de plus en plus réfractaire au protectorat français, sanctifié par son consentement à l’exil, refusant la soumission aux volontés du colon ! Au risque de ne jamais revenir et au péril de sa vie et de celle de sa famille.
Mais je me souviens nettement que c’était la première et seule fois où ma mère m’avait fait peur.
Comment nous avions déboulé les escaliers, traversé au pas de course les quelques cents mètres qui séparaient notre maison du magasin de notre père, sont aussi brumeux que tout ce que nous avions vécu ces jours-là. Un refrain me revint près de quarante ans plus tard, quand je l’ai entendu au Mechouar, le jour de la première prière de vendredi de son petit-fils, le Roi, Mohammed VI ; des voix de femmes de Touarga scandant au passage du nouveau souverain : « A Jaich attahrir, ‘awnou Sidi Mohammed rah mazale sghir »*. Surpris par cette résurgence anachronique, j’ai pu extirper de mes réminiscences la version originale où les populations apostrophaient l’Armée de libération pour qu’elle apporte son soutien à Moulay El Hassan**, son père, qui venait de succéder à Mohammed al-khamiss.
Quid.Maroc (extraits).
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