Par Moussa Diop
Le 26/05/2024 à 11h26Le curieux calcul du PIB algérien fait débat. Entre le «rebasage», la prise en compte du secteur informel et un taux de change «artificiel», le régime d’Alger annonce doubler la richesse du pays à l’horizon 2027, soit en 5 petites années. Face à ces bonds qui ne reflètent aucune évolution de la structure de l’économie algérienne, il y a des données réelles qui mettent à mal ce «miracle». Décryptage.
Par la magie des statistiques, le PIB de l’Algérie, qui s’était établi à 187 milliards de dollars en 2022 (donnée du FMI), est passé à 225 milliards de dollars (annonce du 5 août du président algérien Abdelmadjid Tebboune), puis à 233 milliards de dollars (annonce de Aïmene Benderrahmane, ancien Premier ministre), le 17 septembre 2023. Par cette même magie, la richesse créée par l’Algérie devrait atteindre 273 milliards de dollars en 2024, et ce sans que l’économie algérienne ne connaisse le moindre changement structurel. En clair, entre 2022 et 2024, le PIB algérien devrait passer de 187 à 273 milliards de dollars, ce qui revient à dire que la richesse créée par l’Algérie devrait croître de 46% en l’espace… de trois ans.
La hausse a été telle qu’elle a chamboulé le classement des pays les plus puissants d’Afrique, permettant à l’Algérie de se hisser dans le top 3 des pays les plus riches, en termes de PIB, devant le Nigeria! Se sentant pousser des ailes par cette envolée magique des chiffres, Abdelmadjid Tebboune a souligné, lors de sa dernière sortie le 19 mai au pôle universitaire de Sidi Abdallah, en marge des célébrations de la Journée nationale de l’étudiant, que 2027 sera une «année décisive» de numérisation et d’industrialisation véritable, pendant laquelle l’Algérie verra son Produit intérieur brut (PIB) dépasser les 400 milliards de dollars! Et à ce rythme, l’Algérie sera bientôt la première puissance économique du continent.
Seulement, les annonces répétées des PIB de l’Algérie battant des records de croissance ne reposent sur aucune donnée rationnelle. Rappelons que le Produit intérieur brut est la richesse créée par un pays donné sur une période d’un an. Elle est la somme des valeurs ajoutées de tous les agents économiques d’un pays, à laquelle sont additionnés la TVA (Taxe sur la valeur ajoutée) et les droits de douane, avant de soustraire les subventions à l’importation. Exprimé en prix courants (valeur nominale) et libellé ensuite en dollar américain, le PIB évolue d’une année à l’autre selon la richesse créée ou détruite. Cette évolution peut toutefois être trompeuse quand elle est gonflée par l’inflation (ou à l’inverse à cause de la déflation) et/ou par l’évolution du taux de change de la monnaie d’un pays vis-à-vis du dollar américain.
Faibles taux de croissance
D’où la question de savoir si cette forte évolution du PIB algérien est un simple artefact statistique ou bien une véritable hausse nominale. En réalité, cette forte hausse du PIB ne résulte pas d’une dynamique de création de richesses, comme en attestent les taux de croissance enregistrés par l’Algérie au cours de ces dernières années: 3,2% en 2016, 1,3% en 2017, 1,2% en 2018, 1,0% en 2019, -5,1% en 2020, 3,4% en 2021, 3,2% en 2022 et 4,2% en 2023. Ce ne sont donc pas ces taux de croissance qui sont à l’origine de cette miraculeuse progression du PIB du pays. Sans croissance à deux chiffres, comment un PIB peut progresser de 46% en l’espace de trois ans?!
D’autres facteurs, artefacts statistiques et manipulation du taux de change du dinar algérien par rapport au dollar américain expliquent les bonds annoncés du PIB algérien.
Tout a débuté le 5 août, quand le président Abdelmadjid Tebboune, lors d’un entretien avec des médias algériens, a expliqué que «sans prendre en considération le marché et la production parallèle en Algérie, le Produit intérieur brut a atteint 225 milliards de dollars en 2022», avant d’ajouter que «ce chiffre officiel pourrait passer à 240 ou 245 milliards de dollars si l’économie parallèle y était incluse». Quelques jours après cette sortie, c’est au tour du Premier ministre de l’époque, Aïmene Benderrahmane, de confirmer la sortie du président Tebboune, en le corrigeant au passage, pour indiquer que le «vrai chiffre» du PIB algérien est de 233 milliards de dollars. D’un coup, le PIB algérien est passé de 187 milliards de dollars à 225 puis à 233 milliards de dollars.
Effet du «rebasage»
Face aux insistantes questions sur cette soudaine et étrange hausse du PIB, les autorités algériennes ont fini par expliquer qu’elle résultait du changement de l’année de base, ou «rebasage», sans toutefois dévoiler le mode de calcul adopté. Le «rebasage» des comptes nationaux est une opportunité idoine pour introduire de nombreuses améliorations dans la mesure de l’activité économique (naissance d’activité économique), ou de corriger des erreurs d’estimation et de mesure repérées au cours de la base précédente (expansion continue du secteur informel…). Il permet de mieux prendre en compte l’évolution de la structure de l’économie d’un pays, notamment les mutations des secteurs productifs en incluant de nouvelles activités qui sont nées et/ou qui se sont développées depuis le «rebasage» précédent. En considérant ces facteurs, on recalcule le PIB avec cette nouvelle année de base, et cela se traduit naturellement par une hausse du PIB du pays.
Concrètement, le «rebasage» en Algérie a fait passer l’année de référence de 1989 à celle de 2001 pour le PIB de 2022. Et le calcul qui en a résulté a fait bondir ce dernier de manière mécanique. «En septembre 2023, le Premier ministre algérien a décidé de réviser le calcul du PIB sans divulguer le mode de modélisation et les paramètres utilisés. Cette révision a entraîné une augmentation du PIB de 187 milliards de dollars en 2022 à 233 milliards de dollars, soit un accroissement de 46 milliards de dollars», explique l’économiste Abdelghani Youmni.
Après le changement de l’année de base opéré en 2023, Meriem Benmouloud, Haut Commissaire à la numérisation avec rang de ministre, a annoncé le 13 décembre 2023 qu’un nouveau changement de l’année de référence de calcul du PIB est opéré en 2024, pour passer de la référence 2001 à 2011 «en vue de l’amélioration continue des comptes nationaux économiques». En clair, Alger procède à deux «rebasages» des comptes nationaux sur deux années successives, alors que la Commission statistique des Nations unies recommande de «rebaser» les comptes nationaux environ tous les 5 ans. Cet artefact est derrière la forte hausse du PIB prévu en 2024, de 165 milliards de dollars.
Après quelques hésitations, le Fonds monétaire international (FMI) a fini par accepter les nouvelles données rebasées du PIB , avancées par l’Algérie. Après avoir révisé ces données, le FMI prévoit 267 milliards de dollars de PIB en 2024, 277 milliards de dollars en 2025, 287 milliards de dollars en 2026 et 294 milliards de dollars en 2027. On est certes très loin des 400 milliards de dollars «décrétés» par Tebboune en 2027, même si les estimations du FMI reposent sur les «rebasages» fournis par les autorités algériennes et ne correspondent pas à une croissance de l’économie ou à une révolution dans de nouveaux secteurs créateurs de richesse.
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