Coup de gueule. Si Marine Le Pen et Jordan Bardella raflaient la majorité absolue, le président, avertit l’essayiste, n’aurait plus d’autre option que de quitter le pouvoir.
Propos recueillis par Nathalie Schuck

Consternation. En novembre 2023, Alain Minc, qui connaît bien le président de la République, confiait au Point : « Emmanuel Macron ignore ce qu’est la politique. »Irresponsable, tempête celui qui fut longtemps le mentor d’Emmanuel Macron et n’a jamais cessé de lui dire les choses avec franchise, rédigeant sur son portable des textos épicés à l’attention du chef de l’État. Stupéfait par l’annonce de la dissolution, l’essayiste l’accuse de jouer par orgueil le destin du pays à la roulette russe. Si le RN approchait la majorité absolue à l’Assemblée, une élection présidentielle se tiendrait inéluctablement dans les six mois, prophétise-t-il. Avec, selon lui, comme candidat naturel du camp des modérés, celui qui assurerait l’intérim : Gérard Larcher.
Le Point : Cette dissolution, c’est Docteur Folamour à l’Élysée ?
Alain Minc : Jusqu’à présent, Emmanuel Macron était un joueur de poker qui ne mettait en jeu que son destin personnel, c’était sa liberté. Cette fois, il met en jeu notre pays, et c’est à mon avis impardonnable. Il a inventé la roulette russe, mais avec cinq balles dans le barillet et un seul compartiment vide. Y a-t-il une chance que la situation parlementaire soit plus favorable à l’univers macroniste dans trois semaines qu’elle ne l’est aujourd’hui ? Aucune.
Vous n’imaginez que des scénarios catastrophes ?
Il y a deux hypothèses. Une première où, avec l’effet d’entraînement des européennes et la règle extrêmement violente des 12,5 % des inscrits nécessaires pour se qualifier au second tour des législatives, le Rassemblement national obtient la majorité absolue ou tout près. Cela veut dire, concrètement, que nous aurons une élection présidentielle dans les six mois qui suivent.
Emmanuel Macron serait, selon vous, contraint de démissionner ?
Le RN aura de toute façon les moyens de le faire tomber. N’oublions pas que toutes les cohabitations que nous avons connues jusqu’à présent se tenaient entre deux partis de gouvernement polis, qui ménageaient l’avenir. Or les moyens matériels sont à Matignon, et l’Élysée ne vit que des crédits donnés par Matignon. Il y a de plus, chez Emmanuel Macron, un orgueil démesuré, dont on a vu dimanche soir les conséquences, qui fait qu’il n’acceptera jamais de devenir Albert Lebrun. Si tel était le cas, le candidat naturel du camp des modérés – qui peut être assez large – serait forcément le président par intérim, Gérard Larcher. Tout va très vite dans ce cas, entre vingt et trente-cinq jours. Celui qui occupe le job pour un mois bénéficie mécaniquement d’un avantage qui en fait le candidat naturel. Sans les ordres de Moscou, Alain Poher serait devenu président de la République. Dieu merci, Moscou veillait ! J’ajoute que Gérard Larcher serait un excellent candidat anti-Le Pen.
Et quel est l’autre scénario que vous évoquiez ?
L’autre hypothèse, c’est que l’Assemblée nationale soit encore plus ingouvernable, avec davantage de députés RN, beaucoup moins de députés macronistes, donc une équation presque insoluble. Mais cela peut ouvrir un espace aux Républicains pour faire le pivot, quel que soit leur score. Ils peuvent tendre la main à la droite dure, tout en dialoguant avec le centrisme, qu’on n’appellera plus le macronisme. Car le macronisme est mort. Au fond, tout se résume à une équation simple : au mieux le chaos, au pire le RN.
Une présidentielle anticipée avant les Jeux olympiques, c’est baroque, non ?
Non, après. Emmanuel Macron, qui a consacré des mois à préparer les JO, oublierait qu’il serait assez désagréable d’avoir Marine Le Pen à ses côtés comme Premier ministre.
Comment ça ? Elle a toujours dit qu’elle désignerait Jordan Bardella !
Oui, elle a cité Jordan Bardella pour Matignon si elle était élue présidente de la République ! Malheureusement, Marine Le Pen est un animal politique de première qualité, et elle sait qu’il faut occuper le job dans ce cas. Ce serait beaucoup plus dur à gérer pour Macron…
Vous croyez que le président a envisagé cette option ?
Excusez-moi, mais je pense qu’il n’a rien vu venir…
Ses proches à l’Élysée sont pourtant très fiers de ce « coup de maître » !
En 1968, quand le général de Gaulle dissout, Georges Pompidou, qui vient d’affronter Mai 68, mène la danse. Il y a quand même deux petites différences avec la situation que nous connaissons. Emmanuel Macron n’est pas encore le général de Gaulle, et Gabriel Attal, si brillant soit-il, n’est pas Georges Pompidou. Au titre des dissolutions subreptices, le seul précédent est 1997. Ça devrait être une leçon de choses ! Il y a une différence de nature, à mes yeux impardonnable : à l’époque, Jacques Chirac se trompe, Lionel Jospin devient Premier ministre, mais on reste entre personnes civilisées qui appartiennent au « cercle de la raison » – politique, pas économique. Dans le cas présent, le risque est grand d’installer au pouvoir le RN, que Macron, de manière totalement sincère, abhorre. Il ne se rend pas compte, parce qu’il croit encore à sa magie, qu’il a inventé la machine à se botter le derrière.
Il doit mener cette campagne, ou pas ?
S’il veut perdre encore des voix, oui. Jeudi dernier, il a merveilleusement présidé l’hommage aux anciens combattants. Quand on le regardait, on était fiers pour la France, qui était bien représentée. Mais, le même soir, il allait pérorer à la télévision dans une machine à perdre des voix ! Je dis toujours qu’il y a deux mots pour parler de politique en anglais : policy et politics. Jeudi, c’était 17 sur 20, voire 18, à Omaha Beach, et 3 sur 20, voire 2, le soir. Il ne comprend pas, et ça ne lui est pas tellement imputable, que sept ans d’un pouvoir absolu fabriquent une hostilité incroyablement lourde. Or son pouvoir a été absolu puisqu’il l’a exercé seul.
Ces législatives sont un défi logistique. N’y a-t-il pas un risque d’ingérences étrangères, russes au premier chef ?
Sans doute, mais ne les surestimons pas. Les Russes laissent quand même traîner leurs doigts. On ne sera malheureusement pas dans une élection qui se jouera à 20 000 voix.
Quel va être le poids de Macron en Europe, désormais ?
Les premières discussions pour le mercato européen vont se tenir, et son poids sera égal à zéro. En Europe, chacun est au fait de la politique intérieure de l’autre, donc chacun sait dans quelle situation il se trouve désormais.
N’est-ce pas aussi la faute de nos institutions, si présidentialistes ?
C’est un point clé. Dans les démocraties parlementaires, l’extrémisme est avalé par la nécessité de faire des coalitions, des compromis, et il y a toujours un chef d’État en surplomb. Giorgia Meloni ne peut pas faire n’importe quoi, elle doit composer avec Sergio Mattarella, qui veille. Le problème des institutions françaises, c’est qu’elles donnent le pouvoir absolu. Et, cette fois, elles peuvent le donner aux populistes d’extrême droite. Emmanuel Macron a déverrouillé ce risque. Ce qui s’est passé dimanche soir est sidérant : il a convoqué ses ministres pour leur annoncer sa décision. C’est la monarchie absolue. Louis XIV était davantage tenu par son Conseil qu’il ne l’est par son gouvernement
Propos recueillis par Nathalie Schuck

Consternation. En novembre 2023, Alain Minc, qui connaît bien le président de la République, confiait au Point : « Emmanuel Macron ignore ce qu’est la politique. »Irresponsable, tempête celui qui fut longtemps le mentor d’Emmanuel Macron et n’a jamais cessé de lui dire les choses avec franchise, rédigeant sur son portable des textos épicés à l’attention du chef de l’État. Stupéfait par l’annonce de la dissolution, l’essayiste l’accuse de jouer par orgueil le destin du pays à la roulette russe. Si le RN approchait la majorité absolue à l’Assemblée, une élection présidentielle se tiendrait inéluctablement dans les six mois, prophétise-t-il. Avec, selon lui, comme candidat naturel du camp des modérés, celui qui assurerait l’intérim : Gérard Larcher.
Le Point : Cette dissolution, c’est Docteur Folamour à l’Élysée ?
Alain Minc : Jusqu’à présent, Emmanuel Macron était un joueur de poker qui ne mettait en jeu que son destin personnel, c’était sa liberté. Cette fois, il met en jeu notre pays, et c’est à mon avis impardonnable. Il a inventé la roulette russe, mais avec cinq balles dans le barillet et un seul compartiment vide. Y a-t-il une chance que la situation parlementaire soit plus favorable à l’univers macroniste dans trois semaines qu’elle ne l’est aujourd’hui ? Aucune.
Vous n’imaginez que des scénarios catastrophes ?
Il y a deux hypothèses. Une première où, avec l’effet d’entraînement des européennes et la règle extrêmement violente des 12,5 % des inscrits nécessaires pour se qualifier au second tour des législatives, le Rassemblement national obtient la majorité absolue ou tout près. Cela veut dire, concrètement, que nous aurons une élection présidentielle dans les six mois qui suivent.
Emmanuel Macron serait, selon vous, contraint de démissionner ?
Le RN aura de toute façon les moyens de le faire tomber. N’oublions pas que toutes les cohabitations que nous avons connues jusqu’à présent se tenaient entre deux partis de gouvernement polis, qui ménageaient l’avenir. Or les moyens matériels sont à Matignon, et l’Élysée ne vit que des crédits donnés par Matignon. Il y a de plus, chez Emmanuel Macron, un orgueil démesuré, dont on a vu dimanche soir les conséquences, qui fait qu’il n’acceptera jamais de devenir Albert Lebrun. Si tel était le cas, le candidat naturel du camp des modérés – qui peut être assez large – serait forcément le président par intérim, Gérard Larcher. Tout va très vite dans ce cas, entre vingt et trente-cinq jours. Celui qui occupe le job pour un mois bénéficie mécaniquement d’un avantage qui en fait le candidat naturel. Sans les ordres de Moscou, Alain Poher serait devenu président de la République. Dieu merci, Moscou veillait ! J’ajoute que Gérard Larcher serait un excellent candidat anti-Le Pen.
Et quel est l’autre scénario que vous évoquiez ?
L’autre hypothèse, c’est que l’Assemblée nationale soit encore plus ingouvernable, avec davantage de députés RN, beaucoup moins de députés macronistes, donc une équation presque insoluble. Mais cela peut ouvrir un espace aux Républicains pour faire le pivot, quel que soit leur score. Ils peuvent tendre la main à la droite dure, tout en dialoguant avec le centrisme, qu’on n’appellera plus le macronisme. Car le macronisme est mort. Au fond, tout se résume à une équation simple : au mieux le chaos, au pire le RN.
Une présidentielle anticipée avant les Jeux olympiques, c’est baroque, non ?
Non, après. Emmanuel Macron, qui a consacré des mois à préparer les JO, oublierait qu’il serait assez désagréable d’avoir Marine Le Pen à ses côtés comme Premier ministre.
Comment ça ? Elle a toujours dit qu’elle désignerait Jordan Bardella !
Oui, elle a cité Jordan Bardella pour Matignon si elle était élue présidente de la République ! Malheureusement, Marine Le Pen est un animal politique de première qualité, et elle sait qu’il faut occuper le job dans ce cas. Ce serait beaucoup plus dur à gérer pour Macron…
Vous croyez que le président a envisagé cette option ?
Excusez-moi, mais je pense qu’il n’a rien vu venir…
Ses proches à l’Élysée sont pourtant très fiers de ce « coup de maître » !
En 1968, quand le général de Gaulle dissout, Georges Pompidou, qui vient d’affronter Mai 68, mène la danse. Il y a quand même deux petites différences avec la situation que nous connaissons. Emmanuel Macron n’est pas encore le général de Gaulle, et Gabriel Attal, si brillant soit-il, n’est pas Georges Pompidou. Au titre des dissolutions subreptices, le seul précédent est 1997. Ça devrait être une leçon de choses ! Il y a une différence de nature, à mes yeux impardonnable : à l’époque, Jacques Chirac se trompe, Lionel Jospin devient Premier ministre, mais on reste entre personnes civilisées qui appartiennent au « cercle de la raison » – politique, pas économique. Dans le cas présent, le risque est grand d’installer au pouvoir le RN, que Macron, de manière totalement sincère, abhorre. Il ne se rend pas compte, parce qu’il croit encore à sa magie, qu’il a inventé la machine à se botter le derrière.
Il doit mener cette campagne, ou pas ?
S’il veut perdre encore des voix, oui. Jeudi dernier, il a merveilleusement présidé l’hommage aux anciens combattants. Quand on le regardait, on était fiers pour la France, qui était bien représentée. Mais, le même soir, il allait pérorer à la télévision dans une machine à perdre des voix ! Je dis toujours qu’il y a deux mots pour parler de politique en anglais : policy et politics. Jeudi, c’était 17 sur 20, voire 18, à Omaha Beach, et 3 sur 20, voire 2, le soir. Il ne comprend pas, et ça ne lui est pas tellement imputable, que sept ans d’un pouvoir absolu fabriquent une hostilité incroyablement lourde. Or son pouvoir a été absolu puisqu’il l’a exercé seul.
Ces législatives sont un défi logistique. N’y a-t-il pas un risque d’ingérences étrangères, russes au premier chef ?
Sans doute, mais ne les surestimons pas. Les Russes laissent quand même traîner leurs doigts. On ne sera malheureusement pas dans une élection qui se jouera à 20 000 voix.
Quel va être le poids de Macron en Europe, désormais ?
Les premières discussions pour le mercato européen vont se tenir, et son poids sera égal à zéro. En Europe, chacun est au fait de la politique intérieure de l’autre, donc chacun sait dans quelle situation il se trouve désormais.
N’est-ce pas aussi la faute de nos institutions, si présidentialistes ?
C’est un point clé. Dans les démocraties parlementaires, l’extrémisme est avalé par la nécessité de faire des coalitions, des compromis, et il y a toujours un chef d’État en surplomb. Giorgia Meloni ne peut pas faire n’importe quoi, elle doit composer avec Sergio Mattarella, qui veille. Le problème des institutions françaises, c’est qu’elles donnent le pouvoir absolu. Et, cette fois, elles peuvent le donner aux populistes d’extrême droite. Emmanuel Macron a déverrouillé ce risque. Ce qui s’est passé dimanche soir est sidérant : il a convoqué ses ministres pour leur annoncer sa décision. C’est la monarchie absolue. Louis XIV était davantage tenu par son Conseil qu’il ne l’est par son gouvernement
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