EXCLUSIF. Contre les renoncements et les lâchetés des politiques, notre éditorialiste publie « Sursaut » (L’Observatoire). Car il n’est pas trop tard pour inverser la vapeur.
Par François Miguet
Croissance raplapla, finances publiques hors de contrôle, déficit abyssal de la balance commerciale, productivité en berne, dégringolade du niveau scolaire, poursuite de la politique de gribouille sur le plan diplomatique, pagaille institutionnelle et parlementaire sans précédent sous la Ve République… Disons-le d'emblée : étant donné la piètre situation générale dans laquelle se trouve le pays au moment où nous écrivons ces lignes, nous nous attendions à ce que l'essayiste Nicolas Baverez, peu connu pour son optimisme, choisisse pour son nouvel essai l'un de ces titres ravageurs dont il a le secret.
Après La France qui tombe. Un constat clinique du déclin français (Perrin, 2003), Réveillez-vous ! (Fayard, 2012) ou encore L'Alerte démocratique (L'Observatoire, 2020), qu'allait donc choisir ce fidèle éditorialiste et ami de la rédaction du Point ? Surprise ! L'éternel inquiet – qui est aussi un grand lucide ayant saisi avant la majorité des observateurs la triste vérité comptable du bilan d'Emmanuel Macron – a choisi d'intituler son dernier opus Sursaut (L'Observatoire). Voici pourquoi.
Le Point : Votre dernier ouvrage, Sursaut, paraît à l'occasion du 21e anniversaire de votre best-seller La France qui tombe, et, à vous lire, c'est un bien triste anniversaire…
Nicolas Baverez : La France qui tombe entendait alerter sur le décrochage de notre pays et surtout appeler à la mobilisation pour le moderniser. Depuis sa parution, les chocs et les crises se sont multipliés – krach de 2008, pandémie de Covid-19, guerres d'Ukraine et de Gaza… La révolution numérique et la transition climatique ont formidablement accéléré. Et, en l'absence de vrais changements, la France est passée du décrochage au déclin. La démographie s'effondre ; la productivité chute ; la réindustrialisation patine ; le chômage se maintient à un niveau élevé ; la paupérisation et la violence minent des pans entiers du territoire et de la population ; la nation se désagrège ; notre diplomatie est marginalisée en Europe comme dans le monde. L'affaissement de la France s'étend sur plus de quarante ans, mais Emmanuel Macron l'a formidablement amplifié jusqu'à pousser notre pays à la rupture.
Rupture financière avec la perte complète de contrôle des finances publiques. Rupture institutionnelle avec la paralysie de la Ve République. Rupture diplomatique avec la sortie d'Afrique, la fin programmée de la présence en Asie-Pacifique avec le chaos en Nouvelle-Calédonie, l'effacement de notre pays au sein de la Commission et du Parlement européens. Sans oublier les errements et les revirements incessants autour de l'invasion de l'Ukraine par la Russie ou des massacres du 7 Octobre et de la logique de guerre qui gagne le Moyen-Orient.
En 2003, lors de la parution de La France qui tombe, nombre de personnalités ont tenté de vous faire passer pour un oiseau de malheur. Alain Juppé avait même écrit dans la revue Commentaire » une virulente critique, titrée « L'insoutenable légèreté du déclinisme ».
À partir du moment où l'on participe au débat public, la critique est légitime. Pour autant, j'ai été frappé par l'insoutenable légèreté de mes contradicteurs. Les critiques n'ont pas discuté le diagnostic ni les propositions de redressement du pays, mais instruit un procès en sorcellerie sur la posture. Mettre en doute la permanence de la grandeur de la France constituait à leurs yeux un crime de lèse-majesté, un acte de mauvais citoyen, voire d'un suppôt de l'extrême droite. Les faits sont pourtant têtus. Entre 2000 et aujourd'hui, la France est tombée du 4e au 7e rang économique mondial. Pis, en matière de PIB par habitant, nous sommes passés de la 10e à la 26e place depuis 1980. La richesse moyenne des Français est aujourd'hui inférieure de 15 % à celle des Allemands. Les élites étaient parfaitement informées. Elles ont choisi de mentir sciemment pour profiter des rentes publiques et privées dont bénéficiait la France – à commencer par celle de l'euro. Cette trahison rappelle la situation dénoncée par Julien Benda et Marc Bloch dans l'entre-deux-guerres. Les Français la paient maintenant au prix fort.
Vous êtes né en 1961. Cet échec, n'est-il pas celui de votre génération ?
Je suis effectivement né en 1961, à la fin de la guerre d'Algérie et au seuil de la plus belle décennie de croissance de l'histoire économique de la France. J'avais 20 ans lors de l'élection de François Mitterrand, qui légitima la Ve République avec l'alternance mais marqua aussi le début du décrochage français. Il existe une forme d'unité entre les trois premiers présidents de la Ve République : le général de Gaulle, Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing, figures historiques aux sensibilités très diverses, partageaient en effet la hantise de la débâcle de juin 1940 et la volonté de reconstruire la France comme puissance en privilégiant les enjeux de long terme et l'intérêt supérieur du pays, y compris en demandant des efforts aux Français. Sous le miracle de 1958, on trouve une modernisation à marche forcée qui a transformé au prix de grandes souffrances un pays rural en une société industrielle, urbaine et moderne. Deux générations ont reconstruit la France après 1945. Trois générations d'irresponsables l'ont défaite pour la laisser en 2024 devant l'alternative décrite par le général de Gaulle en 1958 : « le miracle ou la faillite ».
« Je t'en conjure, France, sois encore la grande France, reviens à toi, retrouve-toi. » En exergue de votre livre, vous avez mis ces mots d'Émile Zola. Est-ce à dire que vous êtes aussi révolté par la situation actuelle que l'auteur de la Lettre à la « France » lors de l'affaire Dreyfus ?
Dans son histoire récente, la France a connu trois grandes crises de la démocratie. La première à la fin du XIXe siècle, avec la montée du nationalisme et de l'antisémitisme qui culmine avec l'affaire Dreyfus (1894-1906), où la vérité a fini par triompher du mensonge. La deuxième durant les années 1930, qui s'achève par un effondrement économique, militaire mais plus encore politique et moral avec le régime de Vichy. La troisième est celle qui s'est ouverte depuis les années 2010.
Qu'ont en commun ces crises ? Elles s'ancrent dans un décrochage économique et un contexte de déflation qui exacerbent la colère sociale et alimentent l'extrémisme. Elles voient un repli de la France et des Français sur eux-mêmes et une incapacité à comprendre et à s'adapter aux transformations du capitalisme et du système géopolitique. Elles sont mises à profit par des démagogues qui, au lieu de s'interroger sur les dysfonctionnements de notre pays, attribuent ses maux à des boucs émissaires : aujourd'hui la mondialisation, l'Europe, les Allemands et toujours les Juifs ! L'antisémitisme reste le meilleur baromètre de la crise de la démocratie. Il est navrant de voir aujourd'hui la gauche française renouer avec cette sinistre tradition et prétendre effacer la mémoire de la Shoah au profit de celle de la colonisation dont la pointe avancée serait Israël. C'est Émile Zola qui a raison. Au lieu de céder aux passions collectives et à une violence nihiliste, les Français doivent retrouver foi dans les valeurs et la devise de la République – liberté, égalité, fraternité –, qui n'ont jamais été plus actuelles que dans l'histoire universelle du XXIe siècle.
À vos lecteurs, vous suggérez de suivre le conseil donné par Alexandre Soljenitsyne aux citoyens de l'Union soviétique : « Crois tes yeux, pas tes oreilles. » Vivons-nous vraiment dans une société du mensonge ?
Comme il existait après la guerre un voile idéologique sur la réalité des camps soviétiques, malgré les nombreux témoignages de rescapés, il existe aujourd'hui un voile idéologique sur la réalité du décrochage français. Sous les discours ronflants se cache une situation qu'il faut affronter. Pour l'industrie, nous ne produisons plus que 36 % des biens manufacturiers que nous consommons. Pour l'éducation, nous occupons, dans le classement Pisa de 2022, une calamiteuse 26e place sur 32 pays développés. Pour la santé, le prétendu meilleur système du monde est incapable d'assurer un accès minimal aux soins et est paralysé par des pénuries chroniques, et de plus en plus graves, de médicaments que l'on cache faute d'être capable d'y remédier. Pour la paix civile, chacun constate non seulement la multiplication des violences mais leur montée en intensité et leur sortie de toute limite. Pour la dette, nous empruntons plus cher que l'Espagne et le Portugal.
Mais certains n'hésitent pas à soutenir que la France est un pays « ultralibéral » alors que la dépense publique accapare 58 % de la richesse nationale. Et on reste sans voix quand on entend qu'il faudrait « lever le tabou de l'impôt » alors que les recettes publiques culminent à 52 % du PIB. Les seuls véritables tabous, ce sont la baisse des dépenses publiques et la réforme de l'État. Donc ouvrons nos yeux et croyons ce qu'ils nous montrent de l'état réel de notre pays.
Mais quel serait l'intérêt de la classe politique à mentir ?
Un mélange de renoncement et de lâcheté. La classe politique a enfermé la France dans le piège d'un système de décroissance à crédit dont elle ne sait plus comment sortir. Elle s'est installée dans la dépendance de clientèles qui la dominent désormais et qui vivent essentiellement de transferts sociaux financés par la dette. Aujourd'hui, le système est arrivé en bout de course.
Par François Miguet
Croissance raplapla, finances publiques hors de contrôle, déficit abyssal de la balance commerciale, productivité en berne, dégringolade du niveau scolaire, poursuite de la politique de gribouille sur le plan diplomatique, pagaille institutionnelle et parlementaire sans précédent sous la Ve République… Disons-le d'emblée : étant donné la piètre situation générale dans laquelle se trouve le pays au moment où nous écrivons ces lignes, nous nous attendions à ce que l'essayiste Nicolas Baverez, peu connu pour son optimisme, choisisse pour son nouvel essai l'un de ces titres ravageurs dont il a le secret.
Après La France qui tombe. Un constat clinique du déclin français (Perrin, 2003), Réveillez-vous ! (Fayard, 2012) ou encore L'Alerte démocratique (L'Observatoire, 2020), qu'allait donc choisir ce fidèle éditorialiste et ami de la rédaction du Point ? Surprise ! L'éternel inquiet – qui est aussi un grand lucide ayant saisi avant la majorité des observateurs la triste vérité comptable du bilan d'Emmanuel Macron – a choisi d'intituler son dernier opus Sursaut (L'Observatoire). Voici pourquoi.
Le Point : Votre dernier ouvrage, Sursaut, paraît à l'occasion du 21e anniversaire de votre best-seller La France qui tombe, et, à vous lire, c'est un bien triste anniversaire…
Nicolas Baverez : La France qui tombe entendait alerter sur le décrochage de notre pays et surtout appeler à la mobilisation pour le moderniser. Depuis sa parution, les chocs et les crises se sont multipliés – krach de 2008, pandémie de Covid-19, guerres d'Ukraine et de Gaza… La révolution numérique et la transition climatique ont formidablement accéléré. Et, en l'absence de vrais changements, la France est passée du décrochage au déclin. La démographie s'effondre ; la productivité chute ; la réindustrialisation patine ; le chômage se maintient à un niveau élevé ; la paupérisation et la violence minent des pans entiers du territoire et de la population ; la nation se désagrège ; notre diplomatie est marginalisée en Europe comme dans le monde. L'affaissement de la France s'étend sur plus de quarante ans, mais Emmanuel Macron l'a formidablement amplifié jusqu'à pousser notre pays à la rupture.
Rupture financière avec la perte complète de contrôle des finances publiques. Rupture institutionnelle avec la paralysie de la Ve République. Rupture diplomatique avec la sortie d'Afrique, la fin programmée de la présence en Asie-Pacifique avec le chaos en Nouvelle-Calédonie, l'effacement de notre pays au sein de la Commission et du Parlement européens. Sans oublier les errements et les revirements incessants autour de l'invasion de l'Ukraine par la Russie ou des massacres du 7 Octobre et de la logique de guerre qui gagne le Moyen-Orient.
En 2003, lors de la parution de La France qui tombe, nombre de personnalités ont tenté de vous faire passer pour un oiseau de malheur. Alain Juppé avait même écrit dans la revue Commentaire » une virulente critique, titrée « L'insoutenable légèreté du déclinisme ».
À partir du moment où l'on participe au débat public, la critique est légitime. Pour autant, j'ai été frappé par l'insoutenable légèreté de mes contradicteurs. Les critiques n'ont pas discuté le diagnostic ni les propositions de redressement du pays, mais instruit un procès en sorcellerie sur la posture. Mettre en doute la permanence de la grandeur de la France constituait à leurs yeux un crime de lèse-majesté, un acte de mauvais citoyen, voire d'un suppôt de l'extrême droite. Les faits sont pourtant têtus. Entre 2000 et aujourd'hui, la France est tombée du 4e au 7e rang économique mondial. Pis, en matière de PIB par habitant, nous sommes passés de la 10e à la 26e place depuis 1980. La richesse moyenne des Français est aujourd'hui inférieure de 15 % à celle des Allemands. Les élites étaient parfaitement informées. Elles ont choisi de mentir sciemment pour profiter des rentes publiques et privées dont bénéficiait la France – à commencer par celle de l'euro. Cette trahison rappelle la situation dénoncée par Julien Benda et Marc Bloch dans l'entre-deux-guerres. Les Français la paient maintenant au prix fort.
Vous êtes né en 1961. Cet échec, n'est-il pas celui de votre génération ?
Je suis effectivement né en 1961, à la fin de la guerre d'Algérie et au seuil de la plus belle décennie de croissance de l'histoire économique de la France. J'avais 20 ans lors de l'élection de François Mitterrand, qui légitima la Ve République avec l'alternance mais marqua aussi le début du décrochage français. Il existe une forme d'unité entre les trois premiers présidents de la Ve République : le général de Gaulle, Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing, figures historiques aux sensibilités très diverses, partageaient en effet la hantise de la débâcle de juin 1940 et la volonté de reconstruire la France comme puissance en privilégiant les enjeux de long terme et l'intérêt supérieur du pays, y compris en demandant des efforts aux Français. Sous le miracle de 1958, on trouve une modernisation à marche forcée qui a transformé au prix de grandes souffrances un pays rural en une société industrielle, urbaine et moderne. Deux générations ont reconstruit la France après 1945. Trois générations d'irresponsables l'ont défaite pour la laisser en 2024 devant l'alternative décrite par le général de Gaulle en 1958 : « le miracle ou la faillite ».
« Je t'en conjure, France, sois encore la grande France, reviens à toi, retrouve-toi. » En exergue de votre livre, vous avez mis ces mots d'Émile Zola. Est-ce à dire que vous êtes aussi révolté par la situation actuelle que l'auteur de la Lettre à la « France » lors de l'affaire Dreyfus ?
Dans son histoire récente, la France a connu trois grandes crises de la démocratie. La première à la fin du XIXe siècle, avec la montée du nationalisme et de l'antisémitisme qui culmine avec l'affaire Dreyfus (1894-1906), où la vérité a fini par triompher du mensonge. La deuxième durant les années 1930, qui s'achève par un effondrement économique, militaire mais plus encore politique et moral avec le régime de Vichy. La troisième est celle qui s'est ouverte depuis les années 2010.
Qu'ont en commun ces crises ? Elles s'ancrent dans un décrochage économique et un contexte de déflation qui exacerbent la colère sociale et alimentent l'extrémisme. Elles voient un repli de la France et des Français sur eux-mêmes et une incapacité à comprendre et à s'adapter aux transformations du capitalisme et du système géopolitique. Elles sont mises à profit par des démagogues qui, au lieu de s'interroger sur les dysfonctionnements de notre pays, attribuent ses maux à des boucs émissaires : aujourd'hui la mondialisation, l'Europe, les Allemands et toujours les Juifs ! L'antisémitisme reste le meilleur baromètre de la crise de la démocratie. Il est navrant de voir aujourd'hui la gauche française renouer avec cette sinistre tradition et prétendre effacer la mémoire de la Shoah au profit de celle de la colonisation dont la pointe avancée serait Israël. C'est Émile Zola qui a raison. Au lieu de céder aux passions collectives et à une violence nihiliste, les Français doivent retrouver foi dans les valeurs et la devise de la République – liberté, égalité, fraternité –, qui n'ont jamais été plus actuelles que dans l'histoire universelle du XXIe siècle.
À vos lecteurs, vous suggérez de suivre le conseil donné par Alexandre Soljenitsyne aux citoyens de l'Union soviétique : « Crois tes yeux, pas tes oreilles. » Vivons-nous vraiment dans une société du mensonge ?
Comme il existait après la guerre un voile idéologique sur la réalité des camps soviétiques, malgré les nombreux témoignages de rescapés, il existe aujourd'hui un voile idéologique sur la réalité du décrochage français. Sous les discours ronflants se cache une situation qu'il faut affronter. Pour l'industrie, nous ne produisons plus que 36 % des biens manufacturiers que nous consommons. Pour l'éducation, nous occupons, dans le classement Pisa de 2022, une calamiteuse 26e place sur 32 pays développés. Pour la santé, le prétendu meilleur système du monde est incapable d'assurer un accès minimal aux soins et est paralysé par des pénuries chroniques, et de plus en plus graves, de médicaments que l'on cache faute d'être capable d'y remédier. Pour la paix civile, chacun constate non seulement la multiplication des violences mais leur montée en intensité et leur sortie de toute limite. Pour la dette, nous empruntons plus cher que l'Espagne et le Portugal.
Mais certains n'hésitent pas à soutenir que la France est un pays « ultralibéral » alors que la dépense publique accapare 58 % de la richesse nationale. Et on reste sans voix quand on entend qu'il faudrait « lever le tabou de l'impôt » alors que les recettes publiques culminent à 52 % du PIB. Les seuls véritables tabous, ce sont la baisse des dépenses publiques et la réforme de l'État. Donc ouvrons nos yeux et croyons ce qu'ils nous montrent de l'état réel de notre pays.
Mais quel serait l'intérêt de la classe politique à mentir ?
Un mélange de renoncement et de lâcheté. La classe politique a enfermé la France dans le piège d'un système de décroissance à crédit dont elle ne sait plus comment sortir. Elle s'est installée dans la dépendance de clientèles qui la dominent désormais et qui vivent essentiellement de transferts sociaux financés par la dette. Aujourd'hui, le système est arrivé en bout de course.
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