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Gilles Kepel: «Entre l’élection américaine et le chantage pétrolier iranien, la guerre suspendue de Netanyahou»

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  • Gilles Kepel: «Entre l’élection américaine et le chantage pétrolier iranien, la guerre suspendue de Netanyahou»


    TRIBUNE - Si des fuites datant du 20 octobre font état de plans israéliens pour attaquer des cibles en Iran, les alliés occidentaux d’Israël ne semblent pas prêts à laisser Netanyahou mener des frappes qui risqueraient de bouleverser le cours du pétrole, analyse le géopolitologue*.

    *Dernier livre paru : « Le Bouleversement du monde » (Plon, 2024).

    La mort de Yahya Sinouar, tué par des soldats israéliens le 16 octobre, fut un succès symbolique considérable pour Benyamin Netanyahou – mais sa traduction en victoire politique ou militaire n’en est pas acquise pour autant. Presque un an auparavant, le chef du Hamas avait été le concepteur de la razzia prenant en défaut le renseignement israélien et infligeant à l’État hébreu le pire pogrom de Juifs depuis la fin du nazisme. Sa liquidation sembla solder les comptes pour le premier ministre qui, en 2011, l’avait lui-même fait libérer de prison et envoyé à Gaza où il établirait un règne de fer. Et venant moins de trois semaines après l’élimination d’Hassan Nasrallah et la décapitation de l'état-major du Hezbollah à Beyrouth, autre réussite technologique remarquable par laquelle le Mossad lavait l’affront de sa faillite du 7 Octobre, cela paraissait assurer à Israël un avantage décisif sur ses adversaires de « l’axe de la résistance » dirigé par Téhéran.

    L’Iran, privé de son rempart avancé de défense contre l’État juif avec les coups portés à son mandataire libanais, devait être la prochaine cible pour assurer le basculement du rapport de force régional. D’autant que la mort suspecte de l’ancien président Raïssi, sanguinaire et fanatique, en hélicoptère, son remplacement par un « modéré » désireux de renouer des liens avec l’Occident, l’assassinat stupéfiant du président du bureau politique du Hamas, Haniyé, dans une résidence sécurisée des pasdarans lors des cérémonies solennelles d’inauguration de la présidence Pezeshkian, multipliaient les signes de flottement, voire les hypothèses de fractures au sommet de la République islamique, qu’une frappe - en rétorsion à la salve de missiles lancés depuis l’Iran vers Israël le 1er octobre 2024 – creuserait plus encore.



    Si des fuites datant du 20 octobre, imputées au renseignement américain, et diffusées par des sites pro-iraniens, font état de plans détaillés de cibles sur le territoire de la République islamique qui seraient visées par Tsahal, le contexte régional et international n’a toutefois pas permis de les matérialiser. En effet Joe Biden, dont la vice-présidente est engagée dans une campagne électorale au résultat extrêmement serré selon les sondages, ne peut se permettre que, dans les quinze jours précédant le 5 novembre, une frappe israélienne ait pour conséquence une flambée des prix du pétrole – se traduisant par l’augmentation du coût des carburants à la pompe pour les conducteurs… et électeurs américains, qui l’imputeraient à son gouvernement, le sanctionnant ainsi dans les urnes en votant pour Donald Trump.

    En effet, ce ne seraient pas seulement les puits iraniens qui seraient impactés (ils se trouvent en outre sous embargo) mais également ceux de toute la région du Golfe, péninsule arabique comprise. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, vient d’effectuer la semaine dernière une tournée historique dans les capitales arabes et turque pour les mettre en garde contre tout soutien à une attaque israélienne contre la République islamique et les inciter à appeler à la « désescalade ». Les terminaux pétroliers et gaziers du Golfe sont à portée des multiples relais de Téhéran dans la région : l’ont rappelé les dommages infligés aux raffineries saoudiennes de Abqaïq et de Khuraïs le 14 septembre 2019, qui avaient réduit de 60 % la production du royaume – entraînant immédiatement, en une seule journée, 15 % de hausse du brut à New York. En cinq ans, la capacité de frappe des drones et autres engins peu détectables a crû exponentiellement (comme vient de le rappeler ce 19 octobre l’attaque réussie contre une résidence de M. Netanyahou à Césarée, au cœur même d’Israël, en provenance du Liban), et la conjoncture pré-électorale à Washington incite le locataire en fin de bail de la Maison-Blanche à une prudence conjoncturelle infinie.



    Le message de Téhéran à ses voisins est limpide : une frappe israélienne contre son territoire verrait des actions – non-revendiquées – de ses divers mandataires pouvant déclencher en rétorsion un séisme « énergético-électoral » lors de la présidentielle américaine du 5 novembre.

    L’enjeu du conflit, précipité par le 7 Octobre, dépasse désormais largement l’antagonisme israélo-palestinien, et même le seul drame régional du Moyen-Orient – il est global, et son règlement éventuel ne peut advenir qu’avec l’implication concrète des grandes puissances qui se disputent l’hégémonie sur la planète. La guerre a cristallisé de nouveaux antagonismes mondiaux, permis de donner voix à des représentants d’un « Sud global » revendicatif face à un « Nord » accusé de génocide colonial, dont la mort de plus de 40 000 Palestiniens à Gaza serait l’aboutissement, tandis que se transforment les rapports de force économiques, financiers et démographiques, s’accroissent les migrations et se fracturent les sociétés selon des lignes de faille identitaires… Mais à l’automne 2024, et sans préjuger des développements ultérieurs en fonction des résultats du 5 novembre, la superpuissance demeure américaine, ne serait-ce que du point de vue militaire.

    Or ni les États-Unis, ni - moins encore - l’Union européenne, dont les dirigeants se sont tenus aux côtés d’Israël depuis le 7 Octobre lorsque sa sécurité était menacée, ne sont prêts à déléguer à M. Netanyahou le bénéfice d’une victoire militaire qui ferait passer la survie politique voire judiciaire du premier ministre, ainsi que sa coalition avec les suprémacistes et les colons de Cisjordanie, avant les grands équilibres de la planète, et menacerait les intérêts bien compris de l’Occident.


    Dans l’État juif lui-même, sa volatilité électorale est grande, et les regains de popularité que lui donna la promesse de ramener chez eux les habitants de Haute Galilée, après la liquidation d’Hassan Nasrallah le 28 septembre, ont été rapidement brisés par les drones meurtriers tirés depuis le Sud-Liban sur une caserne de Haïfa le 13 octobre. Au Moyen-Orient comme en Occident, nombreux sont ceux qui espèrent que soit mis un terme à la capacité de nuisance de la République islamique, supputent les contradictions entre ses dirigeants, et parient que la marginalisation du clergé ne sera pas moindre que la déprise du wahhabisme sur le royaume saoudien voisin.

    La perspective de la paix régionale, la solution à deux États et la capacité à financer celle-ci, la reconstruction de la Syrie, du Liban et de l’Irak (sans parler du Yémen), supposent en effet que le pouvoir se transforme en profondeur à Téhéran et que la nation iranienne et sa société civile participent positivement à celle-ci. Mais pareille évolution ne peut advenir qu’au terme d’une politique concertée internationalement où les États-Unis jouent leur rôle pleinement en disposant d’un gouvernement qui ne sera formé qu’en janvier 2025 : dans l’intervalle, chaque acteur régional s’efforce de marquer des points tactiques, mais les conséquences stratégiques de ce bouleversement du monde ne se feront pas sentir auparavant.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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