Lors d’une conférence de presse l’avocat de Boualem Sansal a dénoncé de multiples atteintes aux droits de l’écrivain franco-algérien. Critique du pouvoir algérien, l’auteur du « Serment des barbares » a été arrêté à l’aéroport d’Alger mi-novembre.
Les salons de la maison Gallimard à Paris, plus habitués à accueillir des réceptions et des rencontres littéraires, se sont transformés, le temps d’une conférence de presse, en comité de soutien à Boualem Sansal, écrivain fidèle et prolifique (une dizaine de romans traduit dans plusieurs langues) de la prestigieuse maison d’édition. Ce jeudi 11 décembre, près d’un mois après l’arrestation de l’écrivain franco-algérien, l’éditeur Antoine Gallimard et Me François Zimeray, mandaté pour représenter l’auteur en France, ont réuni la presse et appelé à la libération de Boualem Sansal. Au premier rang, se trouvait l’autre grand écrivain franco-algérien maison, Kamel Daoud, prix Goncourt 2024 pour « Houris ». Et aussi l’ancien ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer, fondateur du cercle de réflexion le Laboratoire de la République, l’écrivain Erik Orsenna ou encore la journaliste Laure Adler.
Antoine Gallimard s’est justifié de tenir cette conférence de presse inhabituelle en raison des « circonstances graves », du « rapport familial » avec Boualem Sansal qui a trouvé chez Gallimard un refuge pour ses écrits et parce que « la littérature est politique, tout ce qui est politique doit être aussi littéraire». « Ce qui compte n’est pas l’excès de liberté, mais la fermeture de la liberté ».
Accusé d’« atteinte à la sûreté de l’Etat et à l’intégrité du territoire national », Boualem Sansal avait été placé sous mandat de dépôt à l’unité pénitentiaire de l’hôpital Mustapha d’Alger, avant d’être transféré jeudi dernier à la prison de Koléa à 35 km de la capitale algérienne. Il paie sans doute l’entretien qu’il a accordé le 2 octobre au média français d’extrême droite « Frontières », dont il est membre du comité d’experts. Il y expliquait qu’au moment de la colonisation française « toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara », reprenant ainsi la thèse marocaine d’un territoire du royaume chérifien tronqué.
Atteintes au droit
La demande de remise en liberté déposée par ses avocats algériens a été rejetée ce jeudi. François Zimeray a indiqué ne pas avoir été autorisé à se rendre en Algérie. « Ma défense s’inscrit dans les pas de mes confrères qui, à partir de 1957, ont pris la défense d’Algériens, souvent du FLN [Front de libération nationale], poursuivis par les tribunaux français », a déclaré l’ancien ambassadeur de France pour les droits de l’Homme citant Gisèle Halimi. L’avocate et militante féministe avait notamment défendu Djamila Boupacha, militante du FLN torturée et violée par des militaires français. « Je ne suis pas sûr que l’Algérie se grandisse en maintenant Boualem Sansal en détention. La meilleure façon de lui donner raison serait de le maintenir en prison » dit-il encore, insistant sur le fait qu’il n’est pas dans une posture de « rupture » avec l’Algérie.
François Zimeray a indiqué se donner « quelques jours » avant de saisir l’ONU pour dénoncer les entraves aux droits de la défense. Il a expliqué que les charges pesant sur l’écrivain n’avaient pas été détaillées par l’accusation, et que Boualem Sansal avait été transféré dans un autre lieu de détention sans que ses avocats ni sa famille ne soient prévenus au préalable.
« Nous appliquerons le droit algérien. Le droit algérien c’est aussi les traités internationaux ratifiés par l’Algérie », a-t-il affirmé. « Y compris le traité des droits civils et politiques, et l’ensemble des grands textes internationaux adoptés dans le cadre multilatéral et consacrés par le droit international ». L’avocat a évoqué la possibilité d’engager des procédures devant le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, le comité juridique de l’Unesco, la commission africaine des droits de l’homme et des peuples de l’Union africaine, « dont l’Algérie est membre ».
Silence en Algérie
L’exercice est délicat pour son avocat et son éditeur. Ils savent que la moindre de leur parole, le plus petit détail de leurs propos pourraient être mal interprétés de l’autre côté de la Méditerranée et se retourner contre Boualem Sansal. « Notre rôle n’est pas de défendre un symbole mais l’homme », a estimé François Zimeray. La mission n’est pas évidente. L’avocat reconnaît le contexte politique « sensible ». « Il me paraît évident que Boualem Sansal fait les frais de sa liberté, d’une forme d’insouciance mais aussi d’une relation franco-algérienne particulièrement dégradée. »
Côté algérien, c’est le quasi black-out. La rare réaction officielle est venue du troisième homme de l’Etat, le président de l’Assemblée populaire nationale (APN), Brahim Boughali. Dans un communiqué, il a dénoncé « une tentative d’ingérence dans les affaires internes à l’Algérie », faisant référence à un débat au Parlement européen qui s’est tenu le 27 novembre. Brahim Boughali a averti : « La main de la loi s’étendra à quiconque oserait tenter de porter atteinte à la sécurité et à la stabilité de l’Algérie. »
Mobilisation
Depuis son arrestation à son arrivée à l’aéroport d’Alger, l’écrivain franco-algérien fait l’objet d’une intense campagne de mobilisation en France où sa popularité est bien plus grande que dans son pays natal. Antoine Gallimard a appelé à la constitution d’« un front d’écrivains », auquel s’est associé Jean-Marie Gustave Le Clézio, pour défendre la liberté d’expression. L’éditeur a également annoncé la création d’une association internationale d’écrivains pour défendre son auteur mais aussi d’autres écrivains opprimés. « On dépasse le conflit franco-algérien. On demande à l’Algérie de respecter les traités internationaux. »
Sur France Inter, son « frère » Kamel Daoud, objet de très vives critiques en Algérie est resté pessimiste sur le sort de l’écrivain de 80 ans. Mais il dit espérer que la mobilisation permettra de ne pas le « faire tomber dans l’oubli ». « Si on oublie en France le prix de la liberté, on la perdra. »
Par Le Nouvel Obs
Les salons de la maison Gallimard à Paris, plus habitués à accueillir des réceptions et des rencontres littéraires, se sont transformés, le temps d’une conférence de presse, en comité de soutien à Boualem Sansal, écrivain fidèle et prolifique (une dizaine de romans traduit dans plusieurs langues) de la prestigieuse maison d’édition. Ce jeudi 11 décembre, près d’un mois après l’arrestation de l’écrivain franco-algérien, l’éditeur Antoine Gallimard et Me François Zimeray, mandaté pour représenter l’auteur en France, ont réuni la presse et appelé à la libération de Boualem Sansal. Au premier rang, se trouvait l’autre grand écrivain franco-algérien maison, Kamel Daoud, prix Goncourt 2024 pour « Houris ». Et aussi l’ancien ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer, fondateur du cercle de réflexion le Laboratoire de la République, l’écrivain Erik Orsenna ou encore la journaliste Laure Adler.
Antoine Gallimard s’est justifié de tenir cette conférence de presse inhabituelle en raison des « circonstances graves », du « rapport familial » avec Boualem Sansal qui a trouvé chez Gallimard un refuge pour ses écrits et parce que « la littérature est politique, tout ce qui est politique doit être aussi littéraire». « Ce qui compte n’est pas l’excès de liberté, mais la fermeture de la liberté ».
Accusé d’« atteinte à la sûreté de l’Etat et à l’intégrité du territoire national », Boualem Sansal avait été placé sous mandat de dépôt à l’unité pénitentiaire de l’hôpital Mustapha d’Alger, avant d’être transféré jeudi dernier à la prison de Koléa à 35 km de la capitale algérienne. Il paie sans doute l’entretien qu’il a accordé le 2 octobre au média français d’extrême droite « Frontières », dont il est membre du comité d’experts. Il y expliquait qu’au moment de la colonisation française « toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara », reprenant ainsi la thèse marocaine d’un territoire du royaume chérifien tronqué.
Atteintes au droit
La demande de remise en liberté déposée par ses avocats algériens a été rejetée ce jeudi. François Zimeray a indiqué ne pas avoir été autorisé à se rendre en Algérie. « Ma défense s’inscrit dans les pas de mes confrères qui, à partir de 1957, ont pris la défense d’Algériens, souvent du FLN [Front de libération nationale], poursuivis par les tribunaux français », a déclaré l’ancien ambassadeur de France pour les droits de l’Homme citant Gisèle Halimi. L’avocate et militante féministe avait notamment défendu Djamila Boupacha, militante du FLN torturée et violée par des militaires français. « Je ne suis pas sûr que l’Algérie se grandisse en maintenant Boualem Sansal en détention. La meilleure façon de lui donner raison serait de le maintenir en prison » dit-il encore, insistant sur le fait qu’il n’est pas dans une posture de « rupture » avec l’Algérie.
François Zimeray a indiqué se donner « quelques jours » avant de saisir l’ONU pour dénoncer les entraves aux droits de la défense. Il a expliqué que les charges pesant sur l’écrivain n’avaient pas été détaillées par l’accusation, et que Boualem Sansal avait été transféré dans un autre lieu de détention sans que ses avocats ni sa famille ne soient prévenus au préalable.
« Nous appliquerons le droit algérien. Le droit algérien c’est aussi les traités internationaux ratifiés par l’Algérie », a-t-il affirmé. « Y compris le traité des droits civils et politiques, et l’ensemble des grands textes internationaux adoptés dans le cadre multilatéral et consacrés par le droit international ». L’avocat a évoqué la possibilité d’engager des procédures devant le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, le comité juridique de l’Unesco, la commission africaine des droits de l’homme et des peuples de l’Union africaine, « dont l’Algérie est membre ».
Silence en Algérie
L’exercice est délicat pour son avocat et son éditeur. Ils savent que la moindre de leur parole, le plus petit détail de leurs propos pourraient être mal interprétés de l’autre côté de la Méditerranée et se retourner contre Boualem Sansal. « Notre rôle n’est pas de défendre un symbole mais l’homme », a estimé François Zimeray. La mission n’est pas évidente. L’avocat reconnaît le contexte politique « sensible ». « Il me paraît évident que Boualem Sansal fait les frais de sa liberté, d’une forme d’insouciance mais aussi d’une relation franco-algérienne particulièrement dégradée. »
Côté algérien, c’est le quasi black-out. La rare réaction officielle est venue du troisième homme de l’Etat, le président de l’Assemblée populaire nationale (APN), Brahim Boughali. Dans un communiqué, il a dénoncé « une tentative d’ingérence dans les affaires internes à l’Algérie », faisant référence à un débat au Parlement européen qui s’est tenu le 27 novembre. Brahim Boughali a averti : « La main de la loi s’étendra à quiconque oserait tenter de porter atteinte à la sécurité et à la stabilité de l’Algérie. »
Mobilisation
Depuis son arrestation à son arrivée à l’aéroport d’Alger, l’écrivain franco-algérien fait l’objet d’une intense campagne de mobilisation en France où sa popularité est bien plus grande que dans son pays natal. Antoine Gallimard a appelé à la constitution d’« un front d’écrivains », auquel s’est associé Jean-Marie Gustave Le Clézio, pour défendre la liberté d’expression. L’éditeur a également annoncé la création d’une association internationale d’écrivains pour défendre son auteur mais aussi d’autres écrivains opprimés. « On dépasse le conflit franco-algérien. On demande à l’Algérie de respecter les traités internationaux. »
Sur France Inter, son « frère » Kamel Daoud, objet de très vives critiques en Algérie est resté pessimiste sur le sort de l’écrivain de 80 ans. Mais il dit espérer que la mobilisation permettra de ne pas le « faire tomber dans l’oubli ». « Si on oublie en France le prix de la liberté, on la perdra. »
Par Le Nouvel Obs
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