
L'importance de la visite du président palestinien Mahmoud Abbas à Beyrouth ne tient pas à sa personne, perçue comme impuissante, mais à ce qu’il porte comme projets susceptibles de redessiner la région et d’accentuer la pression contre toute arme brandie face à l’entité ennemie, Abbas est le modèle de l’Arabe soumis que l’Occident souhaite voir se généraliser à tous les postes de pouvoir dans les pays de la région.
Il s’agit de sa deuxième visite au Liban depuis 2017, et de la première d’un dirigeant arabe après l’élection du président Joseph Aoun.
On rapporte qu’elle s’est concentrée sur les relations bilatérales, la situation sécuritaire et sociale dans les camps (de réfugiés palestiniens), ainsi que sur la nécessité d’empêcher qu’ils ne deviennent des plateformes exploitées par des forces extrémistes cherchant à les entraîner dans des confrontations avec leur environnement libanais. Il a également été question de l’avenir de la cause palestinienne et des crises régionales.
Mais « Abou Mazen » n’a pas changé, et son approche reste la même que celle des années précédentes, selon une personnalité présente lors de sa visite, qui ajoute que seules les circonstances ont changé. Il est venu réaffirmer sa politique biaisée, rompant ainsi avec la monotonie des élections et des affrontements à coloration confessionnelle, communautaire ou sociale à Beyrouth.
Les « jours d’Abbas » à Beyrouth ont été marqués par des rencontres officielles et non officielles, politiques et sécuritaires. Il a notamment rencontré les présidents Aoun, Nabih Berri et Nawaf Salam, ainsi que l’ancien ministre Ghazi Aridi représentant Walid Joumblatt, chef du Parti progressiste socialiste, actuellement hors du pays. Il a également tenu des réunions avec diverses forces politiques et des rencontres interpalestiniennes.
Dans le cadre de l’agenda américain — clairement exprimé par Morgan Ortagus, adjointe de l’envoyé spécial américain au Moyen-Orient, lors de ses visites au Liban concernant la question des armes et de leur monopole par l’État — le président de l’Autorité palestinienne a souligné aux responsables libanais que « les armes dans les camps ne seront pas en dehors du contrôle de l’État libanais ». Toutefois, la mise en œuvre de cette déclaration ne se fera pas nécessairement de la manière que certains imaginent.
Abbas demande au gouvernement libanais de limiter la coordination sécuritaire à l’OLP, qui proposera un mécanisme de gestion sécuritaire des camps
Selon des sources, Abbas a confirmé au président de la République qu’il « ne couvre aucune arme, car l’époque des armes est révolue. Il est favorable à tout mécanisme que l’État libanais décidera pour leur remise, mais pas par la force ». Il a également évoqué la question des armes de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui devrait à l’avenir jouer un rôle de gestion sécuritaire des camps, une fonction qu’elle s’engage à assumer exclusivement — ce qui ne dérangera pas les Américains tant que cela n’affecte pas la sécurité d’Israël.
Ce que Abbas cherche à obtenir, c’est une reconnaissance officielle libanaise des armes de l’OLP, en tant que représentante légitime des camps et des Palestiniens au Liban, et responsable de leur sécurité. Cela permettrait d’éviter de placer l’armée libanaise en première ligne, surtout en raison des profondes divisions entre factions palestiniennes qui pourraient générer des tensions.
Les discussions sont parties d’un principe fondamental : « les camps ne disposent pas d’armes lourdes », et les armes susceptibles de menacer la stabilité de la région sont situées à l’extérieur des camps et sont actuellement remises à l’armée libanaise. Abbas a déclaré qu’aucun Palestinien ne s’opposerait à la confiscation par les autorités libanaises de toute arme, lourde ou légère, hors des camps. Toutefois, il a souligné la nécessité de trouver un mécanisme pour traiter la question des armes légères à l’intérieur des camps, incluant la démilitarisation de toute faction détenant des armes lourdes.
Le projet porté par Abbas propose que les autorités libanaises collaborent avec l’Autorité palestinienne pour informer tous les Palestiniens du Liban que l’OLP est la seule entité habilitée à gérer la sécurité dans les camps, ce qui implique de cesser toute coordination entre les services de sécurité libanais et les autres factions palestiniennes.
L’OLP proposerait ensuite un mécanisme de régulation des armes dans les camps, incluant la création d’un organe sécuritaire chargé de leur protection et en coordination avec les autorités libanaises, avec l’engagement de nettoyer les camps de tous les individus recherchés par la justice libanaise, qu’ils soient impliqués dans des affaires de terrorisme ou de crimes de droit commun, et de lutter contre le trafic de drogue.
La deuxième question abordée par le président palestinien avec ses homologues libanais était celle de la consolidation des droits des Palestiniens et de l’allègement des pressions qu’ils subissent. Certains y ont vu un préambule à une potentielle naturalisation, surtout dans un contexte où un gouvernement israélien d’extrême droite cherche non plus à gérer le conflit mais à le liquider, en excluant les habitants de Gaza, de Cisjordanie et même des territoires de 1948 de la Palestine, ce qui pose évidemment la question du statut des Palestiniens de la diaspora. Bien que cela constitue une menace directe pour le Liban, la visite de Abbas n’a pas apporté de réponses claires à ces craintes ; certains estiment même que ses propos sur les droits des Palestiniens ouvrent la porte à un débat sensible.
La visite de Abbas intervient environ trois semaines après que le Liban a mis en garde le Hamas contre toute utilisation de son territoire pour des actions portant atteinte à sa sécurité nationale, menaçant de prendre des mesures strictes pour empêcher toute violation de sa souveraineté, suite à des tirs de roquettes depuis le sud du pays vers le nord d’Israël à la fin mars.
Alors que Aoun et Abbas ont insisté sur le renforcement de la coordination entre les autorités officielles libanaises et palestiniennes pour garantir la stabilité dans et autour des camps, la partie palestinienne a réaffirmé son engagement à ne pas utiliser le territoire libanais comme base pour des opérations militaires, et à respecter la politique de non-ingérence du Liban dans les affaires d’autres pays, ainsi que son éloignement des conflits régionaux.
Incitation sécuritaire et politique contre le Hamas
Il y a quelques semaines, les autorités libanaises ont émis des avertissements directs à l’encontre du mouvement Hamas, après avoir découvert que des éléments de la mouvance avaient tiré des roquettes sur les territoires palestiniens occupés.
Cet avertissement officiel libanais — appuyé localement, régionalement et internationalement — a été motivé par le fait que des parties non libanaises chercheraient à saboter un cessez-le-feu déjà inexistant dans le sud du pays.
La mesure, qui a conduit à un dialogue sur la remise par le Hamas de certains suspects accusés d’implication dans le lancement de roquettes, visait en réalité à provoquer une escalade des tensions avec le mouvement palestinien. L’objectif sous-jacent était de préparer des mesures officielles libanaises contre Hamas, similaires à celles prises par la Jordanie, qui avait prétexté l’existence d’un groupe palestinien fabriquant des armes pour soutenir la résistance, pour interdire les Frères musulmans. La véritable finalité de la décision jordanienne était d’éliminer toute présence de Hamas dans l’arène intérieure.
Bien que les contacts internes libanais aient permis d’endiguer la crise, l’idée d’interdire Hamas reste présente chez de nombreux acteurs, au premier rang desquels se trouve l’axe américano-saoudien-émirati-israélien, qui refuse toute présence de forces de résistance au Liban et dans les pays voisins d’Israël. Cette position a d’ailleurs été imposée à la nouvelle direction syrienne sous Ahmed al-Sharaa, et pousse à rechercher des moyens d’entraîner un affrontement entre les autorités libanaises et le Hamas, pour justifier une interdiction de ses activités, la fermeture de ses bureaux, et l’expulsion de ses dirigeants.
Des sources bien informées ont confié au journal Al-Akhbar que la visite du président palestinien Mahmoud Abbas à Beyrouth s’est accompagnée d’un renforcement des pressions extérieures en faveur de l’expulsion des hauts responsables de Hamas du Liban, dans le but d’affaiblir le mouvement au sein des camps, en le privant de sa capacité à défendre sa présence armée.
Mais les objectifs vont au-delà de l’expulsion : il s’agit aussi de faire disparaître tout cadre de dialogue national libano-palestinien actif. Dans ce contexte, Abbas a demandé à la partie libanaise la formation de trois comités : l’un pour les relations politiques, un autre pour le dossier sécuritaire, et un troisième pour les droits et services.
La première conséquence de cette demande serait la neutralisation du Comité de dialogue national libano-palestinien, relevant du Premier ministre Nawaf Salam, puisque les trois nouveaux comités travailleront directement avec les ministères et les agences de sécurité concernés. Étonnamment, le Premier ministre semble traiter ce sujet avec désinvolture, en acceptant tacitement l’érosion de ses prérogatives, tout en dégageant sa responsabilité sur les décisions susceptibles d’avoir un impact négatif sur les réfugiés palestiniens au Liban.
Par ailleurs, la décision de limiter les canaux de communication avec la seule Autorité palestinienne n’est pas entièrement prise au sérieux par les responsables libanais, qui ignorent les tensions internes du camp palestinien. Ils semblent ignorer que l’Autorité de Ramallah cherche à restructurer sa représentation au Liban, que le vice-président Hussein al-Sheikh envisage une réforme du statut diplomatique à Beyrouth, et qu’il est question de nommer un nouveau représentant en remplacement de l’ambassadeur actuel, Ashraf Dabbour, qui pourrait être promu membre du Comité central de l’OLP, tout en faisant de l’ambassade l’unique canal de représentation officielle, excluant tout contact avec les autres factions palestiniennes actives.
L’Autorité palestinienne s’est-elle compromise dans un complot sécuritaire au Liban ?
Al-Akhbar a appris que le Hamas a remis l’un de ses membres à la Direction du renseignement militaire libanais, après avoir été informé que le détenu aurait planifié une action contre Mahmoud Abbas lors de sa visite au Liban.
Un responsable sécuritaire libanais a néanmoins déclaré au journal que ces informations n’étaient pas précises, mais le Hamas a coopéré, et l’individu est resté sous la garde des renseignements militaires jusqu’à la fin de la visite de Abbas.
Selon Al-Akhbar, un haut responsable des services de renseignement généraux palestiniens a effectué plusieurs visites à Beyrouth récemment, accusant directement le Hamas, tout en faisant part de l’agacement des services palestiniens face à l’attitude libanaise à l’égard du mouvement. Il aurait affirmé disposer d’informations selon lesquelles des membres du Hamas s’apprêtaient à lancer des roquettes depuis le Liban vers Israël.
Après enquête, il est apparu que ce même responsable cherchait à orchestrer une mise en scène, où des combattants seraient filmés en train de lancer des roquettes, brandissant des drapeaux du Hamas et des portraits de dirigeants des Brigades al-Qassam, afin de fabriquer une preuve. Le débat portait sur le moment idéal pour arrêter les individus : avant l’opération pour qu’ils « avouent » une mission commanditée par Hamas, ou après, pour justifier une interdiction officielle du mouvement au Liban.
Al-Akhbar a aussi appris que les autorités libanaises ont été informées des détails de ce plan, parallèlement aux efforts en cours pour obtenir la remise d’un dernier suspect lié à un précédent tir de roquettes : Alaa Yassine, résident du camp de Rashidiyeh, qui refuse de se rendre par crainte d’être jugé pour d’anciennes affaires.
Yassine, proche de Hamas, avait déjà été mentionné dans une enquête de 2014, lorsque Ahmad Taha avait été condamné pour des tirs de roquettes vers la banlieue sud de Beyrouth, depuis un camp palestinien. À l’époque, les autorités avaient examiné les antécédents idéologiques du groupe impliqué. Hamas tenterait actuellement une dernière médiation avec Yassine pour qu’il se livre, sans quoi il sera considéré comme fugitif recherché.
al-akhbar.com
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