FIGAROVOX/TRIBUNE - Tandis qu’une partie de la gauche dénonce les opérations israéliennes en Iran, l’écrivain d’origine syrienne Faraj Alexandre Rifai rappelle que c’est le régime des mollahs, et non l’État hébreu, qui est à l’origine du chaos dans la région.
Faraj Alexandre Rifai est essayiste et diplômé de l’ESSEC. Il a récemment publié Un syrien en Israël. À la rencontre de l’ennemi (Caradine, 2025).
En 1979, j’étais un jeune adolescent. Depuis la Syrie, nous avons officiellement célébré le retour de Khomeini à Téhéran et la chute du Shah, qualifié d’agent sioniste et de valet de l’Occident. Cela suffisait à justifier l’enthousiasme officiel. Soutenir les islamistes chiites, c’était, croyait-on, s’aligner contre l’axe américano-israélien. La cause palestinienne servait de catalyseur idéologique : tous ceux qui promettaient la destruction d’Israël étaient perçus comme des héros, chargés de venger «l’honneur de la Nation arabe». Mais derrière les slogans et les feux d’artifice, une partie importante de la société syrienne – y compris celle issue de milieux sunnites conservateurs – percevait déjà ce nouveau régime pour ce qu’il était : un retour au Moyen Âge. C’est une contradiction typiquement orientale : les mêmes sunnites qui considéraient les chiites comme des hérétiques sur le plan religieux voyaient dans la République islamique un régime rétrograde, obscurantiste, incompatible avec l’esprit syrien. Trop théocratique, trop dogmatique, trop hostile à la liberté.
Les communistes syriens, à la différence de leurs homologues iraniens qui s’étaient fourvoyés en soutenant la révolution islamique, observaient avec inquiétude cette régression. Même dans une Syrie déjà soumise à une dictature autoritaire, le recul des droits des femmes, des libertés individuelles, et de la pensée critique en Iran leur paraissait alarmant. C’est dire. Autre paradoxe : le régime syrien, officiellement laïc, dirigé par Hafez al-Assad, prétendait combattre l’islamisme sunnite des Frères musulmans, tout en s’alliant avec les islamistes chiites de Téhéran. Il combattait un islamisme pour mieux en adopter un autre. Une trahison stratégique, érigée en doctrine par un cynisme géopolitique sans scrupule.
C’est ainsi qu’un double processus d’entrisme idéologique s’est enclenché progressivement en Syrie et au Proche-Orient. D’un côté, les mollahs iraniens infiltraient les sphères du régime syrien, le parti Ba’ath et l’armée, mais aussi ses relais régionaux, notamment à travers le Hezbollah libanais et la carte palestinienne. De l’autre, les Frères musulmans poursuivaient leur propre entreprise d’islamisation des sociétés arabes, souvent avec le soutien des monarchies du Golfe. Au milieu, la cause palestinienne servait de passerelle entre deux visions de l’islam politique pourtant divergentes. Deux visions que tout opposait, l’une chiite, l’autre sunnite, mais que réunissait une même obsession : la haine d’Israël. Petit à petit, j’ai vu d’anciens marxistes syriens se convertir, idéologiquement, au culte de la «résistance islamique». J’ai vu des intellectuels glorifier Hassan Nasrallah, chef d’une milice confessionnelle au service de Téhéran. J’ai vu des laïcs justifier la théocratie au nom d’un prétendu antisionisme. Une réalité que je n’aurais jamais imaginée lorsque, adolescent, je militais dans la jeunesse communiste syrienne.
Le Hamas - branche palestinienne des Frères musulmans - a suivi ce même chemin de convergence. Initialement soutenu par les monarchies sunnites du Golfe, il a fini par se blottir dans les bras de ses premiers ennemis, les Chiites. Il a surtout fini se vendre aux mollahs, au mépris de ses propres fondements religieux. Ce ne sont plus les divergences de pratiques ou d’histoire religieuses qui comptent, mais la haine de l’ennemi commun qui sert désormais de boussole. Résultat : un «jihad chiite» applaudi dans des mosquées sunnites. L’idéologie a été sacrifiée sur l’autel de l’obsession antijuive.
Aujourd’hui, cette confusion idéologique continue de structurer l’imaginaire arabe, mais aussi le regard occidental, notamment à la gauche de l’échiquier politique. On brandit le drapeau iranien dans les manifestations pro-palestiniennes, tout en prétendant défendre les droits humains. On loue la résistance du Hamas, sans voir qu’il est financé, armé, et parfois même télécommandé depuis Téhéran. Cette schizophrénie morale a contaminé les universités françaises, certaines ONG ou certains partis politiques. Des étudiants dénoncent un prétendu apartheid israélien tout en applaudissant un régime qui lapide, torture, et exécute au nom d’Allah. Des intellectuels s’indignent des «crimes de guerre» d’Israël tout en défendant le droit d’un pouvoir iranien qui a écrasé dans le sang les révoltes à Téhéran.
Et certains responsables politiques osent aller plus loin dans la perversion morale : Clémentine Autain, députée de la République, n’a pas hésité à affirmer sur Sud Radio qu’Israël était devenu «une menace pour le monde». Une telle accusation, sans fondement ni scrupule, est un renversement accusatoire aussi grotesque que dangereux. Qu’un pays démocratique, agressé par des milices islamistes génocidaires, soit ainsi désigné comme le péril mondial, pendant qu’on excuse ou soutient un régime qui exécute des femmes et arme tous les groupes terroristes de la région, dit tout de l’état moral de cette gauche. Elle ne défend pas les opprimés : elle recycle la propagande des bourreaux. Ces contradictions devraient alerter. Elles devraient provoquer un réveil. Mais non. La diplomatie européenne continue d’amadouer l’Iran, au nom de la stabilité régionale, du pétrole, ou d’un hypothétique accord nucléaire. Durant plus de vingt ans, les négociations n’ont fait qu’accroître les capacités de nuisance du régime iranien, jusqu’à le laisser frôler la fabrication de la bombe.
Et quand Israël décide d’agir pour empêcher cette course à l’arme nucléaire — au nom de sa propre sécurité, mais aussi de celle de toute la région — c’est lui que l’on accuse de bellicisme. Comme si l’inaction face à une théocratie expansionniste était devenue la seule politique acceptable. La peur d’aggraver le conflit l’emporte sur le courage. L’obsession de ménager les dictatures théocratiques, pour ne pas froisser les «sensibilités» musulmanes, est devenue une politique en soi.
Je suis Syrien. Je viens d’un pays dévasté par les milices pro-iraniennes. Un pays instrumentalisé, asservi, et sacrifié sur l’autel des ambitions impériales de la République islamique. L’Iran n’a rien libéré : il a étouffé. Il n’a rien reconstruit : il a détruit. Il n’a jamais été un allié des peuples arabes : il a été l’allié de leurs tyrans et de leurs fossoyeurs. Ce régime, qui prétend défendre les Palestiniens, a bombardé les civils syriens. Il a installé ses missiles au Liban pour servir ses intérêts, pas ceux des Libanais. Il a infiltré l’Irak, appauvri le Yémen, et empoisonné toute la région. Partout où l’Iran avance, les peuples reculent. C’est l’Iran qui a détruit le Moyen-Orient, et non pas Israël. Et pendant ce temps, l’Occident détourne le regard. Pire : certains leaders politiques français osent critiquer ceux qui dénoncent la nature même du régime iranien. Quand Emmanuel Macron met en garde contre la volonté de changer le régime iranien, il feint d’ignorer que ce sont les Iraniens eux-mêmes qui, depuis des années, le défient, au prix de leur sang.
Il est temps de nommer les choses. L’Iran n’est pas un rempart contre le chaos : il en est la matrice. Il n’est pas un acteur de paix : il est le principal pourvoyeur de guerre au Proche-Orient. Il n’est pas un allié des Palestiniens : il les instrumentalise pour mieux frapper Israël et asseoir son influence.
Ceux qui détournent la critique vers Israël pour éviter de confronter l’idéologie des mollahs sont, consciemment ou non, les complices de leur projet. La République islamique d’Iran ne libère aucun peuple. Elle les soumet. Elle ne défend aucune cause. Elle les dévore. Je viens d’un pays que l’Iran a broyé. Je sais, d’expérience, que là où Téhéran avance, les peuples reculent.
Faraj Alexandre Rifai est essayiste et diplômé de l’ESSEC. Il a récemment publié Un syrien en Israël. À la rencontre de l’ennemi (Caradine, 2025).
En 1979, j’étais un jeune adolescent. Depuis la Syrie, nous avons officiellement célébré le retour de Khomeini à Téhéran et la chute du Shah, qualifié d’agent sioniste et de valet de l’Occident. Cela suffisait à justifier l’enthousiasme officiel. Soutenir les islamistes chiites, c’était, croyait-on, s’aligner contre l’axe américano-israélien. La cause palestinienne servait de catalyseur idéologique : tous ceux qui promettaient la destruction d’Israël étaient perçus comme des héros, chargés de venger «l’honneur de la Nation arabe». Mais derrière les slogans et les feux d’artifice, une partie importante de la société syrienne – y compris celle issue de milieux sunnites conservateurs – percevait déjà ce nouveau régime pour ce qu’il était : un retour au Moyen Âge. C’est une contradiction typiquement orientale : les mêmes sunnites qui considéraient les chiites comme des hérétiques sur le plan religieux voyaient dans la République islamique un régime rétrograde, obscurantiste, incompatible avec l’esprit syrien. Trop théocratique, trop dogmatique, trop hostile à la liberté.
Les communistes syriens, à la différence de leurs homologues iraniens qui s’étaient fourvoyés en soutenant la révolution islamique, observaient avec inquiétude cette régression. Même dans une Syrie déjà soumise à une dictature autoritaire, le recul des droits des femmes, des libertés individuelles, et de la pensée critique en Iran leur paraissait alarmant. C’est dire. Autre paradoxe : le régime syrien, officiellement laïc, dirigé par Hafez al-Assad, prétendait combattre l’islamisme sunnite des Frères musulmans, tout en s’alliant avec les islamistes chiites de Téhéran. Il combattait un islamisme pour mieux en adopter un autre. Une trahison stratégique, érigée en doctrine par un cynisme géopolitique sans scrupule.
J’ai vu d’anciens marxistes syriens se convertir, idéologiquement, au culte de la « résistance islamique ». J’ai vu des intellectuels glorifier Hassan Nasrallah, chef d’une milice confessionnelle au service de Téhéran. J’ai vu des laïcs justifier la théocratie au nom d’un prétendu antisionisme
Le Hamas - branche palestinienne des Frères musulmans - a suivi ce même chemin de convergence. Initialement soutenu par les monarchies sunnites du Golfe, il a fini par se blottir dans les bras de ses premiers ennemis, les Chiites. Il a surtout fini se vendre aux mollahs, au mépris de ses propres fondements religieux. Ce ne sont plus les divergences de pratiques ou d’histoire religieuses qui comptent, mais la haine de l’ennemi commun qui sert désormais de boussole. Résultat : un «jihad chiite» applaudi dans des mosquées sunnites. L’idéologie a été sacrifiée sur l’autel de l’obsession antijuive.
Aujourd’hui, cette confusion idéologique continue de structurer l’imaginaire arabe, mais aussi le regard occidental, notamment à la gauche de l’échiquier politique. On brandit le drapeau iranien dans les manifestations pro-palestiniennes, tout en prétendant défendre les droits humains. On loue la résistance du Hamas, sans voir qu’il est financé, armé, et parfois même télécommandé depuis Téhéran. Cette schizophrénie morale a contaminé les universités françaises, certaines ONG ou certains partis politiques. Des étudiants dénoncent un prétendu apartheid israélien tout en applaudissant un régime qui lapide, torture, et exécute au nom d’Allah. Des intellectuels s’indignent des «crimes de guerre» d’Israël tout en défendant le droit d’un pouvoir iranien qui a écrasé dans le sang les révoltes à Téhéran.
Et certains responsables politiques osent aller plus loin dans la perversion morale : Clémentine Autain, députée de la République, n’a pas hésité à affirmer sur Sud Radio qu’Israël était devenu «une menace pour le monde». Une telle accusation, sans fondement ni scrupule, est un renversement accusatoire aussi grotesque que dangereux. Qu’un pays démocratique, agressé par des milices islamistes génocidaires, soit ainsi désigné comme le péril mondial, pendant qu’on excuse ou soutient un régime qui exécute des femmes et arme tous les groupes terroristes de la région, dit tout de l’état moral de cette gauche. Elle ne défend pas les opprimés : elle recycle la propagande des bourreaux. Ces contradictions devraient alerter. Elles devraient provoquer un réveil. Mais non. La diplomatie européenne continue d’amadouer l’Iran, au nom de la stabilité régionale, du pétrole, ou d’un hypothétique accord nucléaire. Durant plus de vingt ans, les négociations n’ont fait qu’accroître les capacités de nuisance du régime iranien, jusqu’à le laisser frôler la fabrication de la bombe.
Et quand Israël décide d’agir pour empêcher cette course à l’arme nucléaire — au nom de sa propre sécurité, mais aussi de celle de toute la région — c’est lui que l’on accuse de bellicisme. Comme si l’inaction face à une théocratie expansionniste était devenue la seule politique acceptable. La peur d’aggraver le conflit l’emporte sur le courage. L’obsession de ménager les dictatures théocratiques, pour ne pas froisser les «sensibilités» musulmanes, est devenue une politique en soi.
Je suis Syrien. Je viens d’un pays dévasté par les milices pro-iraniennes. Un pays instrumentalisé, asservi, et sacrifié sur l’autel des ambitions impériales de la République islamique. L’Iran n’a rien libéré : il a étouffé. Il n’a rien reconstruit : il a détruit. Il n’a jamais été un allié des peuples arabes : il a été l’allié de leurs tyrans et de leurs fossoyeurs. Ce régime, qui prétend défendre les Palestiniens, a bombardé les civils syriens. Il a installé ses missiles au Liban pour servir ses intérêts, pas ceux des Libanais. Il a infiltré l’Irak, appauvri le Yémen, et empoisonné toute la région. Partout où l’Iran avance, les peuples reculent. C’est l’Iran qui a détruit le Moyen-Orient, et non pas Israël. Et pendant ce temps, l’Occident détourne le regard. Pire : certains leaders politiques français osent critiquer ceux qui dénoncent la nature même du régime iranien. Quand Emmanuel Macron met en garde contre la volonté de changer le régime iranien, il feint d’ignorer que ce sont les Iraniens eux-mêmes qui, depuis des années, le défient, au prix de leur sang.
Il est temps de nommer les choses. L’Iran n’est pas un rempart contre le chaos : il en est la matrice. Il n’est pas un acteur de paix : il est le principal pourvoyeur de guerre au Proche-Orient. Il n’est pas un allié des Palestiniens : il les instrumentalise pour mieux frapper Israël et asseoir son influence.
Ceux qui détournent la critique vers Israël pour éviter de confronter l’idéologie des mollahs sont, consciemment ou non, les complices de leur projet. La République islamique d’Iran ne libère aucun peuple. Elle les soumet. Elle ne défend aucune cause. Elle les dévore. Je viens d’un pays que l’Iran a broyé. Je sais, d’expérience, que là où Téhéran avance, les peuples reculent.
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