Paris, 10 juillet 2008 - Nicolas Sarkozy a pris le 1er juillet 2008 la présidence de l’Union Européenne avec pour objectif avoué de mettre sur pied ce qu’il considère être un projet novateur -l’Union euro-méditerranéenne- en vue de bouleverser radicalement les rapports houleux entre les deux rives de la Méditerranée dont l‘entrechoc culturel a longtemps constitué la trame de l’histoire de l’Humanité.
Mais ce projet phare de la diplomatie sarkozienne butte toutefois d’emblée sur un malentendu fondamental au point de constituer un empêchement dirimant dressé, paradoxalement, par le propre concepteur du projet dans son discours de Tunis, l’équivalent pour le Monde arabe de son discours de Dakar sur le monde africain (juillet 2007), fondant le partenariat transméditerranéen sur une division raciale du travail sous l’effet de la conjonction de la «main d’œuvre» arabe et de «l’intelligence» française.
I- Le discours de Nicolas Sarkozy à Tunis: un partenariat fondé sur une vision raciale de la division du travail sur la base des stéréotypes coloniaux de la France
Nicolas Sarkozy l’avoue sans ambages avec une clarté qui ne laisse place à la moindre ambiguïté: «Vous avez une main d'oeuvre qui ne demande qu'à être formée, nous avons beaucoup d'intelligence et beaucoup de formation. (...) Ensemble, avec votre main d'oeuvre, avec nos écoles, nos universités, avec ce que nous échangerons, nous pouvons créer un modèle qui triomphera dans le monde entier", a soutenu le 29 avril à Tunis le président français devant un parterre de cinq cents patrons français et tunisiens, assurant toutefois que la France veut travailler «pas comme une puissance post-coloniale, mais comme une puissance qui partage avec vous une communauté de valeurs, à égalité ?
Cette précision aurait été bienvenue si elle ne fondait l’égalité sur un partage des rôles consacrant un rapport de subordination entre «l’Intelligence» de l’un et «la main d’œuvre» de l’autre. Un tel schéma augure mal de la viabilité de ce projet ambitieux car il signe la permanence d’une posture raciste des rapports entre la France et ses anciennes possessions, une xénophobie institutionnelle formulée par le premier magistrat de France, soixante ans après la décolonisation.
La conjugaison de la main d’oeuvre arabe et de l’intelligence française constitue une variation sur le thème récurrent de la pensée subliminale française, la traduction du rêve extatique d’une fraction de la population française depuis plusieurs générations qui se résume par cette formule lapidaire mais hautement expressive: «faire suer le burnous». Une rengaine orchestrant une mauvaise réédition d’une mauvaise émission de télévision « la tête et les jambes », le mauvais remake d’un mauvais film qui a ponctué tout le long du XX me siècle l’imaginaire français de la «chair à canons», au «bougnoule», au « sauvageon», à la «racaille» au «karcher» à la toute dernière saillie sarkozienne de Tunis.
Elle renvoie aux pires stéréotypes coloniaux quand bien même la transmission du savoir gréco-romain aux Européens se soit effectuée par l’entremise des Arabes, quand bien même la langue française soit métissée de l‘apport du lexique scientifique arabe -de Logarithme, à Algèbre, à Chimie, à Alcool, à Divan - quand bien même les Arabes de même que les Africains aient massivement volé au secours de la France, deux fois en un même siècle, fait rarissime ans l’histoire, pour pallier les défaillances du commandement politico-militaire français, c’est à dire la quintessence du génie français (1).
Au-delà de la décolonisation et des protestations verbales d’amitié, la France demeure intangible sur ce point là qui considère l’indigénat comme un statut permanent, un élément consubstantiel de la condition de vie des peuples ultramarins. L’autochtone d’au delà des mers est un indigène qui conserve ce statut à vie, que cela soit chez lui ou à l’extérieur de son pays natal, du moins dans l’optique française.
Il naît indigène dans son pays de naissance que ce pays soit sous domination ou indépendant et demeure indigène dans son pays d’accueil quelque soit son degré d’intégration ou son niveau social. Par une perversion de l’esprit qui puise son origine dans une psychorigidité nourrie d’une nostalgie de grandeur, l’immigré en France, --par transposition du schéma colonial à l'espace métropolitain, et, au delà à l’espace occidental--, est en effet perçu comme un indigène, ce qui fait paradoxalement de l’immigré, l’indigène de celui qui est étymologiquement l’indigène, une main-d'oeuvre relevant de la domesticité de convenance, dont l'expatriation assure sa subsistance et l'oblige par voie de conséquence, là aussi, à un devoir de gratitude envers le pays hôte.
Où qu’il soit, quoiqu’il fasse, quoiqu’il advienne, il est tenu à un devoir de gratitude à l’égard de ses anciens colonisateurs, ses nouveaux partenaires du projet euro-méditerranéen détenteurs du savoir, porteurs de progrès et de civilisation.
Le point culminant de ce travestissement a été atteint lors du choc pétrolier de 1973 consécutif au boycottage décrété par les pays arabes à l’encontre des Etats occidentaux soutenant Israël. Bien qu’officiellement épargnée par le boycottage pétrolier anti-occidental, bien qu’elle soit le principal bénéficiaire du boom pétrolier, le principal bénéficiaire des contrats pétro monarchiques, le partenaire privilégié du Monde arabe, la France donnera néanmoins libre cours à sa xénophobie.
Tout le monde garde présent à l'esprit les traits d'humour d'une époque où les Français exultaient de compenser leur absence de ressources naturelles par une prétendue supériorité intellectuelle, affichant leur fierté de ne "pas avoir de pétrole mais des idées", formule qui peut se décrypter de la façon suivante: "pas d'essence, mais la quintessence de l'esprit". Un humour qui sous-tendait une arabophobie ambiante dans une période où les arabo-musulmans étaient –déjà - cloués au pilori pour avoir osé frigorifier les Français avec leur crise de l’énergie, alors que le renchérissement du coût du pétrole, vécu comme un crime de lèse-majesté, ressortait d'un problème de rajustement des prix du brut, longtemps outrageusement favorables aux économies occidentales.
Un trait d'humour d’une ironie amère résume mieux que tout l’état d’esprit dominant des Français, immortalisé par l’humoriste Coluche vilipendant, par antiphrase, "l’Arabe qui mange le pain du Portugais qui mange le pain du Français". Les raisons de ce travestissement sont multiples de sorte que l'étranger est doublement étranger, voire étrange même. D'extraction modeste, affecté à des taches subalternes et pénibles de surcroît non valorisantes, l’immigré, parqué en marge des villes, est par définition et par destination un être en marge de la société, un élément marginal et non une composante de la société française. Il n'a de ce fait ni droit de cité, ni droit de regard, ni a fortiori droit de parole.
Soustrait à la vue du public, hors des usines, il ne dispose pas d'une existence propre. Il en est de même des pays à la périphérie de l’Europe. Si dans le subconscient français, les immigrés sont «les indigènes de la République», les pays extra européens du pourtour méditerranéen sont, par extension et par destination, «les indigènes de l’Europe». Telle est du moins la déduction que l’on peut faire du discours de Nicolas Sarkozy à Tunis au point que se pose la question de savoir si l’Union pour la Méditerranéenne qui devrait regrouper treize pays arabes ou musulmans --(Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Egypte, Palestine, Liban, Syrie, Jordanie, Turquie, Albanie, Kosovo et Bosnie)- et son corollaire le pacte de migratoire de Brice Hortefeux ne seraient pas en fin de compte une «Union en trompe l’œil pour contenir la majorité musulmane du voisinage européen».
Mais ce projet phare de la diplomatie sarkozienne butte toutefois d’emblée sur un malentendu fondamental au point de constituer un empêchement dirimant dressé, paradoxalement, par le propre concepteur du projet dans son discours de Tunis, l’équivalent pour le Monde arabe de son discours de Dakar sur le monde africain (juillet 2007), fondant le partenariat transméditerranéen sur une division raciale du travail sous l’effet de la conjonction de la «main d’œuvre» arabe et de «l’intelligence» française.
I- Le discours de Nicolas Sarkozy à Tunis: un partenariat fondé sur une vision raciale de la division du travail sur la base des stéréotypes coloniaux de la France
Nicolas Sarkozy l’avoue sans ambages avec une clarté qui ne laisse place à la moindre ambiguïté: «Vous avez une main d'oeuvre qui ne demande qu'à être formée, nous avons beaucoup d'intelligence et beaucoup de formation. (...) Ensemble, avec votre main d'oeuvre, avec nos écoles, nos universités, avec ce que nous échangerons, nous pouvons créer un modèle qui triomphera dans le monde entier", a soutenu le 29 avril à Tunis le président français devant un parterre de cinq cents patrons français et tunisiens, assurant toutefois que la France veut travailler «pas comme une puissance post-coloniale, mais comme une puissance qui partage avec vous une communauté de valeurs, à égalité ?
Cette précision aurait été bienvenue si elle ne fondait l’égalité sur un partage des rôles consacrant un rapport de subordination entre «l’Intelligence» de l’un et «la main d’œuvre» de l’autre. Un tel schéma augure mal de la viabilité de ce projet ambitieux car il signe la permanence d’une posture raciste des rapports entre la France et ses anciennes possessions, une xénophobie institutionnelle formulée par le premier magistrat de France, soixante ans après la décolonisation.
La conjugaison de la main d’oeuvre arabe et de l’intelligence française constitue une variation sur le thème récurrent de la pensée subliminale française, la traduction du rêve extatique d’une fraction de la population française depuis plusieurs générations qui se résume par cette formule lapidaire mais hautement expressive: «faire suer le burnous». Une rengaine orchestrant une mauvaise réédition d’une mauvaise émission de télévision « la tête et les jambes », le mauvais remake d’un mauvais film qui a ponctué tout le long du XX me siècle l’imaginaire français de la «chair à canons», au «bougnoule», au « sauvageon», à la «racaille» au «karcher» à la toute dernière saillie sarkozienne de Tunis.
Elle renvoie aux pires stéréotypes coloniaux quand bien même la transmission du savoir gréco-romain aux Européens se soit effectuée par l’entremise des Arabes, quand bien même la langue française soit métissée de l‘apport du lexique scientifique arabe -de Logarithme, à Algèbre, à Chimie, à Alcool, à Divan - quand bien même les Arabes de même que les Africains aient massivement volé au secours de la France, deux fois en un même siècle, fait rarissime ans l’histoire, pour pallier les défaillances du commandement politico-militaire français, c’est à dire la quintessence du génie français (1).
Au-delà de la décolonisation et des protestations verbales d’amitié, la France demeure intangible sur ce point là qui considère l’indigénat comme un statut permanent, un élément consubstantiel de la condition de vie des peuples ultramarins. L’autochtone d’au delà des mers est un indigène qui conserve ce statut à vie, que cela soit chez lui ou à l’extérieur de son pays natal, du moins dans l’optique française.
Il naît indigène dans son pays de naissance que ce pays soit sous domination ou indépendant et demeure indigène dans son pays d’accueil quelque soit son degré d’intégration ou son niveau social. Par une perversion de l’esprit qui puise son origine dans une psychorigidité nourrie d’une nostalgie de grandeur, l’immigré en France, --par transposition du schéma colonial à l'espace métropolitain, et, au delà à l’espace occidental--, est en effet perçu comme un indigène, ce qui fait paradoxalement de l’immigré, l’indigène de celui qui est étymologiquement l’indigène, une main-d'oeuvre relevant de la domesticité de convenance, dont l'expatriation assure sa subsistance et l'oblige par voie de conséquence, là aussi, à un devoir de gratitude envers le pays hôte.
Où qu’il soit, quoiqu’il fasse, quoiqu’il advienne, il est tenu à un devoir de gratitude à l’égard de ses anciens colonisateurs, ses nouveaux partenaires du projet euro-méditerranéen détenteurs du savoir, porteurs de progrès et de civilisation.
Le point culminant de ce travestissement a été atteint lors du choc pétrolier de 1973 consécutif au boycottage décrété par les pays arabes à l’encontre des Etats occidentaux soutenant Israël. Bien qu’officiellement épargnée par le boycottage pétrolier anti-occidental, bien qu’elle soit le principal bénéficiaire du boom pétrolier, le principal bénéficiaire des contrats pétro monarchiques, le partenaire privilégié du Monde arabe, la France donnera néanmoins libre cours à sa xénophobie.
Tout le monde garde présent à l'esprit les traits d'humour d'une époque où les Français exultaient de compenser leur absence de ressources naturelles par une prétendue supériorité intellectuelle, affichant leur fierté de ne "pas avoir de pétrole mais des idées", formule qui peut se décrypter de la façon suivante: "pas d'essence, mais la quintessence de l'esprit". Un humour qui sous-tendait une arabophobie ambiante dans une période où les arabo-musulmans étaient –déjà - cloués au pilori pour avoir osé frigorifier les Français avec leur crise de l’énergie, alors que le renchérissement du coût du pétrole, vécu comme un crime de lèse-majesté, ressortait d'un problème de rajustement des prix du brut, longtemps outrageusement favorables aux économies occidentales.
Un trait d'humour d’une ironie amère résume mieux que tout l’état d’esprit dominant des Français, immortalisé par l’humoriste Coluche vilipendant, par antiphrase, "l’Arabe qui mange le pain du Portugais qui mange le pain du Français". Les raisons de ce travestissement sont multiples de sorte que l'étranger est doublement étranger, voire étrange même. D'extraction modeste, affecté à des taches subalternes et pénibles de surcroît non valorisantes, l’immigré, parqué en marge des villes, est par définition et par destination un être en marge de la société, un élément marginal et non une composante de la société française. Il n'a de ce fait ni droit de cité, ni droit de regard, ni a fortiori droit de parole.
Soustrait à la vue du public, hors des usines, il ne dispose pas d'une existence propre. Il en est de même des pays à la périphérie de l’Europe. Si dans le subconscient français, les immigrés sont «les indigènes de la République», les pays extra européens du pourtour méditerranéen sont, par extension et par destination, «les indigènes de l’Europe». Telle est du moins la déduction que l’on peut faire du discours de Nicolas Sarkozy à Tunis au point que se pose la question de savoir si l’Union pour la Méditerranéenne qui devrait regrouper treize pays arabes ou musulmans --(Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Egypte, Palestine, Liban, Syrie, Jordanie, Turquie, Albanie, Kosovo et Bosnie)- et son corollaire le pacte de migratoire de Brice Hortefeux ne seraient pas en fin de compte une «Union en trompe l’œil pour contenir la majorité musulmane du voisinage européen».
Commentaire