Les salafistes ont incendié ou détruit plus de cent mausolées faisant partie du patrimoine historique. Déterrer les morts est considéré comme un péché pour la plupart des musulmans. Polémique.
« Je ne comprends pas pourquoi ils veulent détruire les mausolées de ces grandes dames ou ces imams qui ont une aura de sainteté ... Comment peut-on célébrer le Ramadan loin du petit-fils de notre prophète Mohamad ? », commente hadja Nahda, indignée par le message que transmettent aujourd’hui les salafistes. Native de Louqsor, cette femme a fait 15 heures de train pour visiter le mausolée de Sidna Al-Hussein situé dans le quartier de Khan Al-Khalili.
Durant le mois du Ramadan, la mosquée est ouverte jour et nuit, éclairée par un faisceau de lumière verte, couleur qui va de pair avec la sainteté du lieu. Des lumières de toutes les couleurs et des guirlandes fluorescentes ornent le minaret et les voûtes de la mosquée d’Al-Hussein, petit-fils du prophète. Nahda vient s’y recueillir autant qu’elle peut durant le mois sacré comme tous ces gens qui ont cette ferveur religieuse.
« J’adore visiter les tombes et les mausolées de nos saints : Sidna Al-Hussein, Al-Sayeda Zeinab, Al-Sayeda Néfissa, Al-Imam Al-Chaféï et beaucoup d’autres. J’ai commencé très jeune à le faire et je viens souvent à Ahl Al-Beit (les membres de la famille du prophète). J’éprouve un extraordinaire bonheur corporel et spirituel en me recueillant ici », précise Nahda, qui est accompagnée de sa fille. Elle résume sa philosophie : « Lorsqu’on veut rencontrer un ministre, pour régler un problème, on se sert d’un membre de sa famille. C’est la même chose avec les saints, car ils sont proches de Dieu ».
Mais certains courants fanatiques ont ressorti une vieille fatwa (avis religieux) émise par un groupe de cheikhs partisans du wahhabisme (doctrine islamique issue du hanbalisme et fondée vers 1745 par Mohamad Ibn Abdel-Wahab (1703-1792), qui interdit la prière dans des mosquées abritant des mausolées. Cette même fatwa a ordonné le transfert de ces monuments funéraires en dehors du bloc habité de la cité de peur que les ignorants ne les glorifient.
Aujourd’hui, en visitant les lieux, les gens sont inquiets. Ils se demandent si ces lieux vont être vraiment détruits.
En effet, la confusion anime les visiteurs de ces mausolées depuis la déclaration faite par les salafistes. Quelques adeptes du salafisme ont dernièrement détruit huit mausolées à Qalioub, située à quelques kilomètres du Caire, provoquant ainsi une vive polémique. D’autres groupes salafistes ont assailli plus de 100 mausolées dans les différents gouvernorats égyptiens, comme Alexandrie, Kafr Al-Cheikh, Gharbiya et Charqiya.
« De tels faits vont provoquer une division parmi les musulmans », commente Dr Salem Abdel-Guélil, vice-ministre des Waqfs, qui condamne de tels agissements de la part des salafistes.
Abou-Fatma, originaire de Ménoufiya, vient de terminer sa prière d’al-échaa (dernière prière dans la journée) à la mosquée de Sidna Al-Hussein. Il fait le tour du mausolée plusieurs fois puis distribue du riz au lait aux pauvres. Il rapporte qu’il a vu de ses propres yeux des groupes de salafistes incendier le mausolée de Sidi Ezzeddine au village Bandar Tala, situé à Ménoufiya, à 180 km du Caire. La légende raconte que cet homme pieux donnait à manger aux pauvres. Comme les autres walis, son profil est celui d’un sage, au cœur charitable. Mais son mausolée a été complètement détruit par l’incendie. Heureusement, la mosquée de Sidi Ezzeddine y a échappé.
Une longue histoire
En effet, la visite de ces endroits qui produisent des miracles est ancrée dans la culture égyptienne depuis des siècles. « Les habitants de l’Egypte ancienne ont toujours cru à la bénédiction mais aussi à la malédiction. Les récits colportés par beaucoup d’Egyptiens concernant le pouvoir de certains saints remontent à la nuit des temps. Certains se sont même imposés dans les mœurs allant jusqu’à faire partie de la vie quotidienne. Pour le modeste citoyen, porter atteinte à un lieu saint est un crime », note Abdel-Hamid Hawas, historien.
D’Al-Hussein à Sayeda Zeinab, l’amour porté à ces saints est le même. Un grand nombre de gens affluent vers le mausolée de Sayeda Zeinab, petite-fille du prophète Mohamad. Grâce au prestige de la mosquée, le quartier porte aussi son nom. De style mamelouk, reconstruit au XIXe siècle, ce sanctuaire est visité par de nombreux fidèles qui touchent la grille de bronze entourant le tombeau et demandent, par leurs prières, la bénédiction de la défunte qui repose à l’intérieur. Chaque fidèle a un souhait à formuler : avoir un logement, un emploi ou retrouver un objet égaré ou un mari. Même les femmes stériles visitent les maqams pour concevoir.
A l’extrémité de la façade, une porte d’entrée est réservée aux femmes qui désirent visiter le mausolée. Oum Entessar a fait 300 km. Elle vient du gouvernorat de Minya, situé au sud du Caire, pour avoir la baraka (bénédiction) d’Oum Hachem ou Oum Al-Awaguez (un surnom d’Al-Sayeda Zeinab qui a la réputation de soigner les handicapés). Oum Entessar, qui a deux enfants souffrant de troubles moteurs, va aussi profiter des repas copieux offerts par les fidèles d’Al-Sayeda. Elle vient prier sur le tombeau de la sainte pour qu’elle réalise ses vœux portés sur un bout de papier qu’elle va glisser dans un trou du mur du mausolée : « Facilite-moi la vie. Guéris mes enfants. Je n’ai personne que Toi ... ô mon Dieu ».
Ahmad Adaoui, habitant Choubra, quartier populaire du Caire, rend visite une fois par mois à Ahl Al-Beit. Cette fois, il est accompagné de sa fille qui n’a pas eu d’enfants et espère avoir la baraka dans ce mausolée de l’imam Al-Chaféï, véritable chef-d’œuvre de l’époque ayyoubide qui s’étend de 1171 à 1250. « J’ai été voir plusieurs médecins. Mais rien à faire. Je me suis dit alors : laissons cela entre les mains de Dieu », dit sa fille qui est venue demander l’aide de ce saint, bien-aimé d’Allah. Son père ne supporte pas que l’on puisse toucher à des lieux pareils. « C’est triste. Les actes de violence n’ont pas épargné les mausolées des membres de la sainte famille du prophète Mohamad ! ? », dit-il, consterné.
La visite des mausolées : une hérésie
Selon un cheikh salafiste qui a requis l’anonymat, le fait de visiter des tombes ou mausolées des prophètes, des imams ou des saints est une forme d’idolâtrie. D’ailleurs, c’est un acte qui apprend aux gens la passivité et la dépendance. « Au lieu d’aller chez le médecin pour se soigner, on court derrière une illusion », avance-t-il.
Cependant, Al-Azhar a son mot à dire. Le cheikh d’Al-Azhar Dr Ahmad Al-Tayeb, la plus haute autorité de l’islam sunnite, a vilipendé les Wahhabites saoudiens en les qualifiant de khawarij de ce siècle : « Ils n’adhèrent pas à la sunna et à la gamaa (au groupe). Leurs actes de violence ne datent pas d’aujourd’hui et remontent au temps du prophète Mohamad. Ils n’ont pas hésité à tuer ses compagnons les plus proches comme Osman Ibn Affan, troisième calife ».
Conseil pour les fidèles
Et pour éviter les attaques des salafistes, certains tentent de trouver une sortie à cette impasse. En effet, le cheikh de la mosquée de Sayeda Zeinab rappelle toujours à ses fidèles qu’ils doivent éviter, lors de la visite des mausolées des imams, que la tombe ne soit directement sur la ligne de la qibla (direction de La Mecque) au moment d’accomplir leurs prières. D’ailleurs, le Messager d’Allah l’a interdit pour lui-même : « Ne faites de ma tombe ni votre qibla ni une mosquée, car Allah a maudit ceux qui ont transformé les tombes de leurs prophètes en mosquées », précise le gardien des lieux qui s’arrête un instant pour sommer les visiteurs de sortir afin de donner la chance à d’autres personnes d’entrer dans le mausolée.
Pour ou contre, le dossier des visites des mausolées fait l’objet d’une vive polémique chaude. « Si on détruit les maqams d’Ahl Al-Beit, il faudrait en faire autant pour la tombe du saint prophète, n’est-ce pas un mausolée aussi ? Et les Pyramides, devrions-nous les détruire aussi puisque les pharaons y sont enterrés ? Et la tombe du président Abdel-Nasser qui se trouve dans la mosquée de Kobri Al-Qobba, quartier du centre-est du Caire, et le mausolée du soldat inconnu ? … Nombreux sont les mausolées à détruire aussi », se demande Dr Zoukaa Al-Enssari, chercheuse dans le folklore populaire.
Manar Attiya
hebdo.ahram.org.eg
« Je ne comprends pas pourquoi ils veulent détruire les mausolées de ces grandes dames ou ces imams qui ont une aura de sainteté ... Comment peut-on célébrer le Ramadan loin du petit-fils de notre prophète Mohamad ? », commente hadja Nahda, indignée par le message que transmettent aujourd’hui les salafistes. Native de Louqsor, cette femme a fait 15 heures de train pour visiter le mausolée de Sidna Al-Hussein situé dans le quartier de Khan Al-Khalili.
Durant le mois du Ramadan, la mosquée est ouverte jour et nuit, éclairée par un faisceau de lumière verte, couleur qui va de pair avec la sainteté du lieu. Des lumières de toutes les couleurs et des guirlandes fluorescentes ornent le minaret et les voûtes de la mosquée d’Al-Hussein, petit-fils du prophète. Nahda vient s’y recueillir autant qu’elle peut durant le mois sacré comme tous ces gens qui ont cette ferveur religieuse.
« J’adore visiter les tombes et les mausolées de nos saints : Sidna Al-Hussein, Al-Sayeda Zeinab, Al-Sayeda Néfissa, Al-Imam Al-Chaféï et beaucoup d’autres. J’ai commencé très jeune à le faire et je viens souvent à Ahl Al-Beit (les membres de la famille du prophète). J’éprouve un extraordinaire bonheur corporel et spirituel en me recueillant ici », précise Nahda, qui est accompagnée de sa fille. Elle résume sa philosophie : « Lorsqu’on veut rencontrer un ministre, pour régler un problème, on se sert d’un membre de sa famille. C’est la même chose avec les saints, car ils sont proches de Dieu ».
Mais certains courants fanatiques ont ressorti une vieille fatwa (avis religieux) émise par un groupe de cheikhs partisans du wahhabisme (doctrine islamique issue du hanbalisme et fondée vers 1745 par Mohamad Ibn Abdel-Wahab (1703-1792), qui interdit la prière dans des mosquées abritant des mausolées. Cette même fatwa a ordonné le transfert de ces monuments funéraires en dehors du bloc habité de la cité de peur que les ignorants ne les glorifient.
Aujourd’hui, en visitant les lieux, les gens sont inquiets. Ils se demandent si ces lieux vont être vraiment détruits.
En effet, la confusion anime les visiteurs de ces mausolées depuis la déclaration faite par les salafistes. Quelques adeptes du salafisme ont dernièrement détruit huit mausolées à Qalioub, située à quelques kilomètres du Caire, provoquant ainsi une vive polémique. D’autres groupes salafistes ont assailli plus de 100 mausolées dans les différents gouvernorats égyptiens, comme Alexandrie, Kafr Al-Cheikh, Gharbiya et Charqiya.
« De tels faits vont provoquer une division parmi les musulmans », commente Dr Salem Abdel-Guélil, vice-ministre des Waqfs, qui condamne de tels agissements de la part des salafistes.
Abou-Fatma, originaire de Ménoufiya, vient de terminer sa prière d’al-échaa (dernière prière dans la journée) à la mosquée de Sidna Al-Hussein. Il fait le tour du mausolée plusieurs fois puis distribue du riz au lait aux pauvres. Il rapporte qu’il a vu de ses propres yeux des groupes de salafistes incendier le mausolée de Sidi Ezzeddine au village Bandar Tala, situé à Ménoufiya, à 180 km du Caire. La légende raconte que cet homme pieux donnait à manger aux pauvres. Comme les autres walis, son profil est celui d’un sage, au cœur charitable. Mais son mausolée a été complètement détruit par l’incendie. Heureusement, la mosquée de Sidi Ezzeddine y a échappé.
Une longue histoire
En effet, la visite de ces endroits qui produisent des miracles est ancrée dans la culture égyptienne depuis des siècles. « Les habitants de l’Egypte ancienne ont toujours cru à la bénédiction mais aussi à la malédiction. Les récits colportés par beaucoup d’Egyptiens concernant le pouvoir de certains saints remontent à la nuit des temps. Certains se sont même imposés dans les mœurs allant jusqu’à faire partie de la vie quotidienne. Pour le modeste citoyen, porter atteinte à un lieu saint est un crime », note Abdel-Hamid Hawas, historien.
D’Al-Hussein à Sayeda Zeinab, l’amour porté à ces saints est le même. Un grand nombre de gens affluent vers le mausolée de Sayeda Zeinab, petite-fille du prophète Mohamad. Grâce au prestige de la mosquée, le quartier porte aussi son nom. De style mamelouk, reconstruit au XIXe siècle, ce sanctuaire est visité par de nombreux fidèles qui touchent la grille de bronze entourant le tombeau et demandent, par leurs prières, la bénédiction de la défunte qui repose à l’intérieur. Chaque fidèle a un souhait à formuler : avoir un logement, un emploi ou retrouver un objet égaré ou un mari. Même les femmes stériles visitent les maqams pour concevoir.
A l’extrémité de la façade, une porte d’entrée est réservée aux femmes qui désirent visiter le mausolée. Oum Entessar a fait 300 km. Elle vient du gouvernorat de Minya, situé au sud du Caire, pour avoir la baraka (bénédiction) d’Oum Hachem ou Oum Al-Awaguez (un surnom d’Al-Sayeda Zeinab qui a la réputation de soigner les handicapés). Oum Entessar, qui a deux enfants souffrant de troubles moteurs, va aussi profiter des repas copieux offerts par les fidèles d’Al-Sayeda. Elle vient prier sur le tombeau de la sainte pour qu’elle réalise ses vœux portés sur un bout de papier qu’elle va glisser dans un trou du mur du mausolée : « Facilite-moi la vie. Guéris mes enfants. Je n’ai personne que Toi ... ô mon Dieu ».
Ahmad Adaoui, habitant Choubra, quartier populaire du Caire, rend visite une fois par mois à Ahl Al-Beit. Cette fois, il est accompagné de sa fille qui n’a pas eu d’enfants et espère avoir la baraka dans ce mausolée de l’imam Al-Chaféï, véritable chef-d’œuvre de l’époque ayyoubide qui s’étend de 1171 à 1250. « J’ai été voir plusieurs médecins. Mais rien à faire. Je me suis dit alors : laissons cela entre les mains de Dieu », dit sa fille qui est venue demander l’aide de ce saint, bien-aimé d’Allah. Son père ne supporte pas que l’on puisse toucher à des lieux pareils. « C’est triste. Les actes de violence n’ont pas épargné les mausolées des membres de la sainte famille du prophète Mohamad ! ? », dit-il, consterné.
La visite des mausolées : une hérésie
Selon un cheikh salafiste qui a requis l’anonymat, le fait de visiter des tombes ou mausolées des prophètes, des imams ou des saints est une forme d’idolâtrie. D’ailleurs, c’est un acte qui apprend aux gens la passivité et la dépendance. « Au lieu d’aller chez le médecin pour se soigner, on court derrière une illusion », avance-t-il.
Cependant, Al-Azhar a son mot à dire. Le cheikh d’Al-Azhar Dr Ahmad Al-Tayeb, la plus haute autorité de l’islam sunnite, a vilipendé les Wahhabites saoudiens en les qualifiant de khawarij de ce siècle : « Ils n’adhèrent pas à la sunna et à la gamaa (au groupe). Leurs actes de violence ne datent pas d’aujourd’hui et remontent au temps du prophète Mohamad. Ils n’ont pas hésité à tuer ses compagnons les plus proches comme Osman Ibn Affan, troisième calife ».
Conseil pour les fidèles
Et pour éviter les attaques des salafistes, certains tentent de trouver une sortie à cette impasse. En effet, le cheikh de la mosquée de Sayeda Zeinab rappelle toujours à ses fidèles qu’ils doivent éviter, lors de la visite des mausolées des imams, que la tombe ne soit directement sur la ligne de la qibla (direction de La Mecque) au moment d’accomplir leurs prières. D’ailleurs, le Messager d’Allah l’a interdit pour lui-même : « Ne faites de ma tombe ni votre qibla ni une mosquée, car Allah a maudit ceux qui ont transformé les tombes de leurs prophètes en mosquées », précise le gardien des lieux qui s’arrête un instant pour sommer les visiteurs de sortir afin de donner la chance à d’autres personnes d’entrer dans le mausolée.
Pour ou contre, le dossier des visites des mausolées fait l’objet d’une vive polémique chaude. « Si on détruit les maqams d’Ahl Al-Beit, il faudrait en faire autant pour la tombe du saint prophète, n’est-ce pas un mausolée aussi ? Et les Pyramides, devrions-nous les détruire aussi puisque les pharaons y sont enterrés ? Et la tombe du président Abdel-Nasser qui se trouve dans la mosquée de Kobri Al-Qobba, quartier du centre-est du Caire, et le mausolée du soldat inconnu ? … Nombreux sont les mausolées à détruire aussi », se demande Dr Zoukaa Al-Enssari, chercheuse dans le folklore populaire.
Manar Attiya
hebdo.ahram.org.eg
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