L’œil est attentif, l’argument solide. Rien de ce qui touche à l’Islam ne lui est étranger et son éloquence, il l’emploi à revivifier le message islamique, à le débarrasser des scories accumulées durant les siècles obscurs pendant lesquels les Musulmans déroutés, en venaient à exiger de l’Islam seul à ce qu’il les rétablisse dans leur gloire passée. Le cheikh Mohamed El Ghazali rappelle quelques dures vérités et ne ménage pas ceux qui se sont assoupis à l’ombre de l’Islam.
Autour de quelques questions le cheikh Mohamed El Ghazali a tenu à rappeler quelques évidences.
En 1930 Chakib Arslan lançait sa fameuse interrogation : « Pourquoi les Musulmans sont-ils en retard et pourquoi les autres sont-ils en avance ? » Si cette question vous étais adressée, que répondriez-vous?
Interview paru dans le journal « Algérie Actualité » :
Cheikh Imam El Ghazali : Cette question mérite examen. Est-ce que le retard des Musulmans et le progrès des autres date des premiers temps (de l’Islam) ou depuis le Moyen Age ou depuis l’époque moderne. Je vous pose la question à mon tour et vous demande d’y répondre.
A.A. : il s’agit de l’époque contemporaine.
Cheikh Imam El Ghazali : L’époque moderne naturellement. Les Chrétiens en Europe ont progressé durant l’époque moderne tandis que les Musulmans n’ont pas avancé. La raison de ce retard réside dans le fait que les Musulmans se sont détournés des traditions vivantes que leur religion leur a élaborées. Leur religion s’est fondée sur le savoir, la justice, l’organisation, la propreté et bien d’autre valeurs sans lesquelles les civilisations ne sauraient exister. Ils ont délaissé ces valeurs de leur patrimoine et le résultat de tout cela a été leurs défaites et le rapport des forces a changé. En, effet, après que les Européens au Moyen Age étaient des peuples arriérés et ne comptaient pratiquement pas dans le monde, ils sont devenus des pays plus développés que les pays Musulmans, parce qu’ils ont tiré profit du patrimoine de civilisation que les Musulmans leur ont légué. La civilisation en Europe n’a guère plus de trois ou quatre siècles d’existence. De quelle époque date la Renaissance de l’Europe? Elle date du 16ème siècle et avant qu’était l’Europe. L’Europe était un agglomérat de tribus de Saxons, de Germains, de Gaulois, de Vandales et autres tribus sans aucune importance historique ni aucune civilisation digne de ce nom. Les Grecs eux-mêmes doivent aux Arabes la conservation de leur patrimoine et la promotion de leur philosophie. Si la civilisation européenne a progressé depuis la Renaissance c’est en raison du profit qu’elle a tiré du patrimoine arabe transmis par l’Andalousie, le Sud de l’Italie, et par l’Europe de l’Est. Sans cet apport de la civilisation islamique l’Europe n’aurait pas pu atteindre cet état de développement auquel elle est parvenue. Quand à nous, notre retard provient du fait que nous portons le titre de Musulmans alors que nous ne pratiquons pas vraiment l’Islam. En fait, nous avons sombré dans l’anarchie, la barbarie, l’ignorance préislamique, et ‘autre troubles que l’on ne saurait attribuer à l’Islam.
A.A. : Ernest Renan dans la célèbre conférence «l’Islamisme et la Science» qu’il avait donnée en Mars 1883 à la Sorbonne avait dressé un constat d’arriération. L’explication qu’il avançait était la «brutalité» du dogme musulman qui gouvernait la société sans séparation entre le spirituel et le temporel. Un siècle après, cette explication est reprise par beaucoup d’orientalistes. Faut-il y voir l’inimité que portent certains orientalistes à l’Islam ou bien, effectivement, cette affirmation contient-elle une part de vérité?
Cheikh Imam El Ghazali : L’orientalisme comporte plusieurs étapes. Au départ, l’orientalisme fut mauvais car il dépendait des gouvernements colonialistes, il reflétait les préjugés hérités des Croisades et il était mù par des motifs d’ordre religieux qui n’avaient aucun rapport avec la recherche scientifique désintéressée. Puis l’Orientalisme a évolué et il s’est trouvé parmi les orientalistes des gens équitables avec lesquels il a été possible de trouver un terrain d’entente. Je peux dire que Thomas Arnold(1), dans son livre «Histoire de la propagation de l’Islam», a été plus équitable qu’aucun autre historien malgré quelques erreurs. Par contre Goldziher(2) nourrissait à l’égard de l’Islam une certaine hostilité due à sa formation première. Sous couvert de science il a déformé les faits et a avancé des hypothèses qui n’ont aucun rapport avec la vérité historique. Mais il existe un certain nombre d’orientalistes plus nombreux qui servaient en quelque sorte d’avant-garde à l’activité des missionnaires. Les considérer comme des savants ne serait pas conforme à la vérité. Ernest Renan a parlé de l’Islam mais il n’a pas été équitable et c’est pour cela qu’il eut avec Djamel El Din El Afghani une controverse connue en Europe(3). El Afghani était un penseur qui fut l’un des pionniers de la Renaissance islamique et c’était un homme capable de discernement. Il est possible que Renan ait alors révisé un peu son jugement et ses idées mais en fait il est resté fidèle à ses préjugés contre l’Islam. Il ne peut être considéré comme un savant impartial. L’orientalisme présente quelques aspects positifs et beaucoup d’aspects négatifs. Nous étudions les savants orientalistes à la lumière de la raison impartiale qui reste l’arbitre en entre eux et nous. On ne peut dire en aucune manière qu’il se sont voués à la science pour elle-même et il ne se sont pas départis des préventions héritées de leur milieu depuis le début de l’orientalisme(4) et ils sont restés hostiles à l’Islam.
A.A. : Mais la séparation entre le spirituel et le temporel dont parle Renan?
Cheikh Imam El Ghazali : Cette objection de Renan est mal fondée. En effet, le prophète de l’Islam a dit: «Vous connaissez mieux que moi les choses nécessaires à votre vie terrestre», cela veut dire que vous, les Musulmans, n’êtes pas orientés dans un sens déterminé lorsqu’il s’agit de votre activité profane; il ne vous dit pas comment cultiver la terre, comment vous devez fabriquer vos instruments, comment vous devez organiser votre travail, comment vous mouvoir dans un sens ou dans un autre dans l’existence. Ces activités là ne font pas l’objet d’un enseignement islamique contraignant car le prophète de l’Islam, et les prophètes avant lui, ne sont pas venus apprendre aux hommes l’agriculture, l’industrie ou le commerce. L’Islam enseigne aux Musulmans leur religion c’est-à-dire la foi, l’éthique et comment mettre leur existence terrestre au service de leur religion mais les Musulmans restent libres de se comporter comme ils l’entendent dans les choses de leur vie terrestre. Si la question qui nous est posée signifie que l’Islam a donné des directives à ses adeptes pour leur vie terrestre, elle n’est pas exacte. Nous sommes libres, en effet, d’inventer et de découvrir ce que nous voulons dans tous les domaines de la vie. Si votre question signifie que la religion islamique ne peut pas mettre à son service les choses de la vie, cela parait étrange. Aucune philosophie, athée ou chrétienne, n’a maîtrisé les progrès de la civilisation sans les mettre à son service et en tirer prétexte pour faire triompher ses principes. Quel mal y a-t-il en cela?
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