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Guerre et paix intérieure chez ibn ‘arabî

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  • Guerre et paix intérieure chez ibn ‘arabî

    GUERRE ET PAIX INTÉRIEURE CHEZ IBN ‘ARABÎ


    «Guerre» et «paix» sont deux notions antinomiques comme le mouvement et
    le repos: il n’y a pas de guerre paisible, comme il n’y a pas de paix conflictuelle.
    Nous ne pouvons pas les traiter comme un “oxymore”, bien que les mystiques
    aient été friands de cette figure de style qu’ils maniaient avec brio dans la poésie
    comme dans les œuvres de systématisation doctrinale. Le passage d’une situation
    à l’autre se fait en fonction des conditions objectives et des conjonctures. Dans le
    langage mystique, ce sont les états spirituels (aḥwâl, pl. de ḥâl) qui déterminent
    la situation dans laquelle se trouve l’adepte: situation de guerre (combat–
    mujâhada, ascèse–riyâḍa, observation des préceptes–‘ibâda, extase–wajd, etc.)
    ou situation de paix (quiétude–sakîna, stabilité–tamkîn, intimité–uns, etc.).
    Cependant, guerre et paix ne vont pas l’une sans l’autre: la guerre comme
    effort physique et épreuve morale finit par s’estomper et aboutir à la trêve. La
    tradition mystique met en scène le combat que la raison (al-‘aql) doit mener con-
    tre la passion (al-hawâ), une description classique que la plupart des soufis ont
    développé dans leurs manuels 1 . La conception canonique ou jurisprudentielle de
    la guerre, qu’on appelle habituellement jihâd, a été modifiée par la tradition mys-
    tique et orientée vers l’expérience intérieure. En s’appuyant sur les textes corani-
    ques et prophétiques, cette tradition a fait sienne la conception ésotérique de la
    guerre, reléguant le jihâd armé au rang de combat mineur n’ayant pas les mêmes
    vertus que la lutte de l’âme contre ses passions.

    1. Jihâd mineur et jihâd majeur

    Nous savons que la référence scripturaire qui fait valoir le jihâd intérieur est
    la parole du prophète qui, rentrant d’une expédition militaire, déclara: «Nous
    voici revenus de la lutte mineure (jihâd asghar) pour nous livrer à la lutte maje-
    ure (jihâd akbar)». Un de ses compagnons lui demanda ce qu’il entendit par
    «lutte majeure», il répondit: «la guerre du cœur», ou «la lutte contre les pas-
    sions». D’autres traditions prophétiques attestent de la valeur spirituelle du
    combat contre soi-même, et non pas contre l’autre. Ce combat “réflexif ” (qui
    vise le soi) et “introspectif ” (dont la direction se tend vers l’intérieur) revêt une
    grande valeur morale chez la plupart des soufis. Parmi ces traditions prophéti-
    ques, on retiendra le discours du prophète lors de son dernier pèlerinage (hajjat
    al-wadâ‘) qui fait état de la guerre contre soi-même à laquelle le combattant doit
    se livrer.

    Il dit: «Le croyant (mu’min) est celui dont les gens n’ont pas à se défier en ce
    qui concerne leurs biens et leur personne; le musulman (muslim) est celui dont
    les gens n’ont pas à redouter la langue ni la main; le combattant (mujâhid) est
    celui qui mène le combat contre lui-même dans l’obéissance à Dieu; et l’exilé
    (muhâjir), celui qui a quitté son foyer, est celui qui renonce à ses péchés» .

    Ce hadith est autant une description de la nature de ces personnages (le
    croyant, le musulman, le combattant et l’exilé) qu’une véritable définition du
    rôle que chacun joue, tour à tour, dans la pratique religieuse. Les personnages
    portent les significations à même leurs noms respectifs:

    1. Le croyant (mu’min) n’est pas uniquement celui qui atteste sa foi, mais
    aussi celui qui est digne de confiance (amîn).

    2. Le musulman (muslim) n’est pas seulement celui qui prouve son apparten-
    ance à l’islam, mais aussi celui qui s’abstient de faire du mal à autrui, et par rap-
    port auquel les autres se sentent à l’abri (du verbe salima, être sain et sauf).

    3. Le combattant (mujâhid) n’est pas celui qui désire triompher sur l’autre,
    mais celui qui a l’art et la manière de maîtriser son ego.

    4. Enfin, l’exilé (muhâjir) n’est pas celui qui délaisse ses obligations envers
    les siens, mais celui qui abandonne ses vices (du verbe hajara, abandonner, re-
    noncer, etc.).

    Ce texte est une leçon magistrale, herméneutique de surcroît (car il nous ren-
    voie (ta’wîl) à la racine étymologique des mots employés, à la fois comme signi-
    fications et comme fonctions), qui éclaire notre conception de la foi, de l’islam,
    du jihâd, et de la vertu. Nous savons pourquoi dans la mystique musulmane, la
    quête de la quiétude, de la beauté et de l’indulgence prévaut sur le ressentiment,
    l’antagonisme et la rétorsion, autant de volontés négatives attribuées au jihâd au
    sens militaire, devenues la proie des lectures étriquées.

    Nous verrons ci-après qu’une fouille terminologique dans le mot jihâd per-
    met de faire apparaître d’autres significations, autres que celles établies, léga-
    lisées et imposées par l’orthodoxie.
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