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  • « Selon René Girard, l’humanité devra bientôt choisir entre l’autodestruction...

    et une conversion à la non-violence radicale »

    Propos recueillis par Youness Bousenna


    Tableau « Le frère Pedro arrache le pistolet à El Maragato », 1806, par Francisco José de Goya y Lucientes (1746-1828), The Art Institute of Chicago, Mr. and Mrs. Martin A. Ryerson Collection. BRIDGEMAN IMAGES

    A l’occasion du centenaire de la naissance de René Girard (1923-2015), le socio-économiste Bernard Perret revient sur la pensée complexe et l’héritage contrasté de l’anthropologue catholique, qui considérait le sacré et la culture comme des créations visant à conjurer la propension humaine à la violence.

    René Girard aurait eu 100 ans cette année. Ce centenaire offre une circonstance pour réfléchir à l’œuvre et à l’héritage de cette figure intellectuelle majeure du dernier demi-siècle, décédée en 2015. Alors que le philosophe Benoît Chantre lui consacrera une biographie de 1 200 pages à la rentrée (René Girard, le 13 septembre, chez Grasset), l’ingénieur et socio-économiste Bernard Perret vient de signer Violence des dieux, violence de l’homme. René Girard, notre contemporain (Seuil, 384 pages, 25 euros), essai dans lequel ce membre du comité de rédaction de la revue Esprit, déjà auteur de Penser la foi chrétienne après René Girard (Ad Solem, 2018), livre une passionnante « synthèse critique » sur une œuvre à la fois magistrale et critiquable.

    Huit ans après sa disparition, quelle place occupe René Girard dans le paysage intellectuel ?


    Son influence est mondiale, ce qu’on ignore en France. Il est lu et commenté sur tous les continents, particulièrement aux Etats-Unis, où s’est déroulée toute sa carrière universitaire [il s’y expatrie dès 1947 pour sa thèse, et enseigne à l’université Stanford à partir de 1981]. Il existe un réseau de chercheurs très actifs autour de son œuvre, dans différents domaines, qui vont de la psychologie mimétique à l’anthropologie religieuse, sans oublier l’ethnologie et les études littéraires.

    Au regard de ce dynamisme, sa place reste discrète dans le paysage intellectuel français, où une connaissance superficielle de son œuvre l’associe vaguement aux notions de bouc émissaire et de désir mimétique. Les intellectuels d’envergure se réclamant de sa pensée – tels que Jean-Pierre Dupuy, Paul Dumouchel et Benoît Chantre – restent rares, et peu de thèses lui sont consacrées.

    Sa figure est surtout mobilisée par les milieux intellectuels conservateurs, ce qui s’explique assez bien par son catholicisme décomplexé et son pessimisme apocalyptique, associés à des thèmes connotés à droite, comme l’affaiblissement des institutions et la perte des différences symboliques. Il n’y avait pourtant chez lui aucune idéalisation du passé et toute récupération politique de sa pensée est un contresens.

    Je ne cherche pas non plus à me l’approprier, même si l’une des visées de mon livre est de recentrer discrètement son héritage intellectuel, en montrant pourquoi et en quoi il est incontournable, y compris pour des « progressistes ».

    Son œuvre s’articule autour de l’analyse du sacré et de la culture, considérés comme des créations visant à conjurer la propension humaine à la violence. Qu’est-ce qui lui a inspiré cet angle d’approche ?

    Ce geste théorique décisif s’enracine dans sa biographie. René Girard, qui avait eu 20 ans en pleine seconde guerre mondiale, reconnaissait avoir été habité dès sa jeunesse par un sentiment apocalyptique. Ce prisme va l’orienter vers une vision désenchantée du désir et des mirages de la modernité et, ultérieurement, vers l’hypothèse novatrice d’une origine conjointe du sacré et de la culture comme réponse à un risque structurel d’autodestruction violente des premiers groupes humains.

    C’est en étudiant la littérature que René Girard bâtit le premier étage de son œuvre. Quelle est l’importance de son premier ouvrage, « Mensonge romantique et vérité romanesque », (1961), où il jette les bases de sa pensée sur le désir mimétique ?

    En travaillant sur Cervantès, Dostoïevski, Stendhal, Balzac, Proust ou Flaubert, Girard réalise que ces auteurs partagent une même vision du désir, et de la propension de l’être humain à le fixer sur des objets qu’un médiateur (une publicité, un proche admiré, un rival…) lui désigne.

    Ainsi, dans Madame Bovary, de Flaubert (1857), le personnage d’Emma imite la conduite des héroïnes des romans populaires qu’elle dévore ; Julien Sorel, dans Le Rouge et le Noir, de Stendhal (1830), est obsédé par la figure de Napoléon, dont il cherche à imiter la conduite ; Don Quichotte, de Cervantès (1605), lui, veut égaler les héros de la chevalerie. Ainsi, le désir met en jeu le triangle formé par le sujet, l’objet et le médiateur : l’individu ne désire pas l’objet parce qu’il est bon et désirable en soi, mais parce qu’il est désiré par un autre, le médiateur.

    Malgré le schématisme avec lequel il lui arrivait de la formuler, la pensée de Girard sur le désir est complexe. Ce qu’il faut en retenir, c’est que ces interférences mimétiques exacerbent les appétits, pulsions et besoins préexistants, et confèrent au désir son caractère spécifiquement humain, son énergie créative et sa dangerosité.

    La focalisation de Girard sur la violence l’a conduit à mettre l’accent sur le devenir rivalitaire du désir, lorsque le médiateur devient lui-même obstacle et concurrent. Tout part de l’idée que, dans des sociétés sans institution judiciaire, les rivalités mimétiques sont susceptibles de s’exacerber, jusqu’à provoquer une explosion de violence contagieuse capable de détruire n’importe quelle communauté.

    Comment René Girard va-t-il, par la suite, déployer sa théorie sur l’origine violente du sacré et le sens du « bouc émissaire » ?

    La violence n’est qu’un filigrane de Mensonge romantique et vérité romanesque. C’est onze ans plus tard, dans La Violence et le sacré (1972), que René Girard, entre-temps nourri par une vaste littérature ethnologique et historique, expose son hypothèse centrale sur l’origine violente du sacré, qui fait du sacrifice la première réponse apportée par les humains au problème de la violence.

    Les premiers sacrifices auraient été, à l’origine, la ritualisation d’un processus de résolution d’une crise de violence mimétique. Le schéma est le suivant : un chaos violent (tous contre tous) conduit à la polarisation de cette violence sur un individu particulier (la « victime émissaire »), puis à la mise à mort de cette victime. S’ensuit un retour au calme, suivi d’un sentiment d’unanimité et parfois d’une mythification de la victime.

    L’un des tours de force de Girard tient à son analyse des mythes. Amorcée dans La Violence et le sacré, puis dans Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978), elle est reprise avec une argumentation plus serrée dans Le Bouc émissaire (1982). Il y explicite une interprétation des mythes et des rites qui s’oppose à celle de Claude Lévi-Strauss (1908-2009) : contrairement à ce dernier, René Girard soutient qu’ils ne sont pas des constructions arbitraires de l’esprit humain, mais de lointains échos de la violence fondatrice.

    René Girard n’a jamais clarifié ses soubassements méthodologiques, ni nourri son anthropologie par un travail de terrain. Ces reproches qui ont pu lui être formulés sont-ils valables à vos yeux ?

    Critiquer le flou épistémologique de Girard est justifié, car il y a dans son travail des impensés et des choix qui demandent à être explicités. Sa force, c’est-à-dire l’ampleur et la cohérence de son système, ne va pas sans contreparties : le fait d’avoir intégré une théorie du désir et de la violence dans une théorie de l’origine de la culture se révèle à la fois fécond et porteur de sérieuses limitations. Cela conduit à considérer dans une perspective très particulière des réalités humaines telles que les conflits, la sexualité, les phénomènes de domination et de violence systémique, ou même la vie spirituelle, au risque de gommer leur complexité.

    Sa pensée se fonde également sur des fondements controversés, comme faire de la violence primitive un invariant anthropologique ou postuler l’universalité de la notion de sacré, pourtant « provincialisée » par l’anthropologie critique des religions comme une création issue de la seule culture chrétienne. L’œuvre de René Girard n’est-elle pas biaisée par son ethnocentrisme ?

    René Girard assumait une forme d’ethnocentrisme, et prétendait même lui donner un fondement rationnel : pour lui, notre aptitude à déconstruire les mythes procède d’une innovation culturelle qui s’est produite en Occident. C’est parce que nous ne croyons plus à la culpabilité de nos boucs émissaires que nous sommes devenus capables de repérer et d’analyser les mécanismes persécuteurs dans nos propres sociétés. Pour lui, le fait même que l’expression « bouc émissaire » soit devenue une métaphore comprise par tous témoigne de cette compétence.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2

    Un autre indice de cette exception occidentale est la place prise par le souci des victimes dans nos débats de société. Girard ne manquait jamais d’observer qu’il s’agit là d’un marqueur des sociétés influencées par le christianisme.

    Quant au sacré, c’est justement en l’abordant sous le prisme de la violence que Girard échappe au soupçon de « provincialisme ». C’est un fait déroutant, quand on lit pour la première fois La Violence et le sacré : on n’y trouve nulle part de caractérisation phénoménologique du sacré – à quels types d’expériences subjectives et de visions du monde il correspond.

    On peut voir cela comme un manque, mais ce pourrait bien être paradoxalement la grande force de son approche. En définissant le sacré à partir de la violence comme « l’ensemble des postulats auxquels l’esprit humain est amené par les transferts collectifs sur les victimes réconciliatrices, au terme des crises mimétiques », il se situe en deçà de la diversité des conceptions et des sensibilités spirituelles, là où la question de l’ethnocentrisme ne se pose pas.

    René Girard fait de la Bible, et en particulier des Evangiles, un événement inédit dans l’histoire de l’humanité, fondant la singularité de la religion chrétienne. Quelle est l’originalité de sa lecture sur ce point ?

    Pour lui, la nouveauté fondamentale introduite par les récits de la mort de Jésus dans les Evangiles ne tient pas aux faits qui sont rapportés – un lynchage, comme il s’en est produit d’innombrables au cours de l’histoire –, mais à la manière d’en faire récit. Pour la première fois, un processus de bouc émissaire est raconté du point de vue d’une victime unanimement rejetée par sa communauté. Ce mode de narration, inédit selon Girard, fait des Evangiles une « révélation » au sens anthropologique de dévoilement de la logique victimaire qui régit l’ordre social.

    Qui plus est, l’enseignement moral et le comportement de Jésus sont en cohérence avec ce dévoilement, et y contribuent – quand il s’oppose, par exemple, à la lapidation de la femme adultère. Pour Girard, l’axe du christianisme est le dépassement du mode « sacrificiel » de gestion de la violence et l’instauration d’un rapport exempt de violence et de rivalité, avec Dieu et avec nos semblables.

    A cet égard, un nouveau flou entoure le statut de la pensée de René Girard, lui-même catholique : comment distinguer la dimension scientifique de la dimension apologétique de sa vision, qui repose sur un évolutionnisme allant des sociétés primitives, engluées dans la violence, au christianisme comme stade supérieur de civilisation, par son aptitude à la réguler ?

    Ce mélange des genres prête le flanc à la critique, c’est indéniable. On peut reprocher à Girard de n’avoir jamais cherché à clarifier les rapports entre l’anthropologie et la pensée religieuse. Articuler sans confusion ces deux manières de se rapporter au réel est une tâche philosophique à laquelle Girard ne s’est jamais attelé. Il défendait plutôt une sorte de continuité entre la science et la religion, arguant du fait que les grands textes religieux (surtout, pour lui, les écritures judéo-chrétiennes) et l’anthropologie mimétique s’éclairent mutuellement, ce qui bien sûr ne peut satisfaire un philosophe attaché à l’autonomie de la raison.

    Le pessimisme apocalyptique de René Girard a pris une place croissante avec le temps. Pourquoi prenez-vous vos distances avec cet aspect de sa pensée, en considérant qu’il devrait être « formulé de manière moins déterministe » ?

    Girard voyait le christianisme comme un principe de subversion minant la légitimité des institutions, et en déduisait que l’humanité se rapproche d’un moment de vérité où elle devra choisir entre l’autodestruction violente et une conversion à la non-violence radicale – c’est-à-dire, pour lui, à l’amour christique.

    Achever Clausewitz (2007), écrit dans le contexte de l’après-11 septembre 2001, est ainsi marqué par la conviction que la violence djihadiste naît du ressentiment rivalitaire contre l’Occident, qui porte en germe le déchaînement d’une violence incontrôlable. Les digues construites pour se protéger de la violence, à commencer par le droit et la concurrence marchande qui fondent le capitalisme, étaient selon lui en passe d’atteindre leurs limites.

    Au vu de l’actualité, je ne dirai pas que ce pessimisme est exagéré, même si cette prophétie d’une aggravation inéluctable de la violence me semble mal fondée. Si notre situation est apocalyptique, c’est parce que l’intensification des interdépendances et des contraintes de survie collective, en particulier écologiques, nous obligent à franchir de nouvelles étapes dans la construction d’un ordre humain non violent, et que rien ne garantit que nous en soyons capables.

    Violence des dieux, violence de l’homme. René Girard, notre contemporain, de Bernard Perret, Seuil, 384 p., 25 €.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

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    • #3
      La violence intrinsèque humaine est lié à la recherche de la calorie. (nourriture et énergie).

      L'une de des premières conséquences de cette caractéristiques a été l'apparition des clans puis des nations afin de constituer des collectifs capable de défendre la calorie possédé et ou se l'accaparer chez le voisin (exemple l'occupation marocaine du Sahara Occidentale).

      Observez la géopolitique, tout est accès sur l'accaparement de la calorie.

      C'est cela qui va nous détruire.

      Al akoumou ttakoutour hatta zourtoumou maqaabir.
      J'aime surfer sur la vague du chaos.

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