144 Robaiyats de Omar Khayyam - Traduites du perse par:
Claude Anet & Mirza Muhammad.
Paris, Éditions de la Sirène, 1920
1.
Ma loi est le vin et la belle humeur; - ma religion, l’indifférence à la foi et au doute.
J’ai demandé à ma fiancée qui est le monde: “Quelle dot veux-tu?” - Elle m’a dit: “Ton cœur joyeux est ma dot.”
2.
As-tu vu le monde? Tout ce que tu y as vu n’est rien. - Ce que tu as dit, ce que tu as entendu n’est rien.
Si tu as parcouru les sept climats, ce n’est rien. - Si tu es resté seul à méditer dans ta maison, ce n’est rien.
3.
De tous les voyages engagés sur cette longue route - aucun n’est revenu nous en révéler le secret.
Prends garde de rien oublier - dans notre caravansérail, car tu n’y reviendras pas.
4.
Suppose le monde ordonné à ton gré. Et puis après? - Suppose achevée la lecture de la lettre. Et puis après?
Suppose que tu as vécu cent ans selon les désirs de ton cœur. - Suppose que tu vives cent ans encore. Et puis après?
5.
Ceux qui étaient les pôles de la science - et dans l’assemblée des sages brillaient comme des phares,
Ils n’ont su trouver leur chemin dans la nuit sombre. - Chacun d’eux a balbutié un conte, puis s’est endormi.
6.
Ignorant, ce corps matériel n’est rien, - le cycle des cieux, la face de la terre ne sont rien.
Fais attention, dans ce combat entre la mort et la vie, - nous sommes attachés à un souffle, et ce souffle n’est rien.
7.
O mon cœur, suppose que tu as tous les biens de la terre. - Suppose que ta demeure ornée est pleine d’agrément.
Sois joyeux dans ce monde où tout nait pour mourir. - Suppose que tu y es assis deux ou trois jours, puis que tu te lèves.
8.
Nous avons erré longtemps par les villes et les déserts. - Nous avons parcouru la terre entière.
Nous n’avons pas rencontré un seul voyageur - qui ayant fait cette route en soit revenu.
9.
De la Terre à Saturne, - j’ai résolu tous les problèmes, - j’ai évité pièges et embuscades,
J’ai défait chaque nœud, sauf celui de la mort.
10.
Comme la Roue ne tourne tas selon les désirs du sage - qu'importe que tu comptes sept ou huit cieux!
Puisqu’il faut mourir et quitter ces rêves - qu’importe que les vers au tombeau ou les loups dans la campagne dévorent ton cadavre.
11.
O monde, tu accumules les ruines, - et sans fin tu nous accables.
O terre, si on ouvre ton sein - que de perles précieuses y sont ensevelies!
12.
Comme le sort de l’homme dans ce caravansérail à deux portes, - n’est que souffrance et agonie,
Heureux qui n’a vécu que le temps d’une respiration, - et plus heureux qui n’est pas né.
13.
Dans cette parade de foire, un ami ne le cherche pas. - Écoute ma parole, un refuge ne le cherche pas;
Accepte la douleur, un remède ne le cherche pas. - Vis joyeux dans les malheurs sans atteindre qui te plaigne.
14.
Celui qui a créé la terre et le cycle des cieux, - que de douleurs cuisantes il a mises au cœur de l’homme!
Que de lèvres comme le rubis, que de chevelures comme le musc - n’a-t-il pas enfouies dans le sein de la terre!
15.
Le monde qui ajoute chagrin à chagrin - ne crée un être qu’après en avoir détruit un autre.
Ceux qui n’y sont pas encore, s’ils connaissaient nos souffrances, - se garderaient d’y venir.
16.
Sur le tapis de la terre, je vois des gens endormis, - sous la terre, je vois des gens ensevelis.
Tant que je contemple le désert du néant, - j’y vois ceux qui ne sont pas encore venus et ceux qui sont déjà partis.
17.
Ce vieux caravansérail qu’on appelle le monde, - où loge le cheval pie du jour et de la nuit,
Est la salle de fête où cent Djemchids ont passé, - le palais ù cent Bahrams se sont reposés.
18.
Ce palais dont Bahram avait fait sa demeure, - la gazelle y cache ses faons et le lion y dort.
Bahram qui capturait les onagres sauvages - voit aujourd’hui comment la tombe a pris Bahram.
19.
Ne poursuis pas le bonheur; la vie est le temps d’un soupir. - Djemchid et Kaï-Kobad dansent, poussières au soleil.
Qu’est-ce que le monde? Qu’est-ce que la vie? - Un songe, un rêve, une illusion.
20.
Aujourd’hui tu n’as pas accès à demain - et le souci que tu t’en fais n’est que chimère.
Si ton cœur est sage, ne gâte pas ce souffle présent - car ce qui te reste de vie est le seul bien précieux.
21.
Assieds-toi et prends du vin: c’est là le royaume de Mahmoud. - Écoute ce que la harpe dit: c’est là les psaumes de David.
De ce qui n’est plus et de ce qui sera ne t’occupe pas. - Réjouis-toi dans le présent: c’est là le but de la vie.
22.
O Khayyam, si tu es ivre de vin, sois heureux. - Si tu es assis près d’un adolescent sans rides, sois heureux.
Comme le compte de ce monde est à la fin néant, - suppose qu tu n’es plus; tu vis, donc sois heureux.
23.
Bois du vin, car tu dormiras longtemps sous la terre, - sans compagnon, sans amis, sans femme.
Garde-toi de confier à personne ce secret: - Un coquelicot fané ne refleurit jamais.
24.
Cesse de penser à toi-même - de craindre la pauvreté, de poursuivre la richesse.
Bois du vin, une vie si lourde de tristesse - mieux vaut la passer dans le songe ou dans l’ivresse.
25.
Depuis que j’ai discerné mes pieds de mes mains, - le cycle affreux des jours a enchainé mes mains.
Quel regret de voir portés à mon compte - des jours passés sans maitresse et sans vin!
26.
Jusqu’à quand prendrai-je souci de ma fortune? - Jusqu’à quand prendrai-je souci du bonheur et du malheur?
Remplis la coupe, car je ne sais même pas - si cette bouffée d’air que j’aspire, je l’exhalerai vivant.
27.
La lune a déchiré la robe de la nuit. - Bois du vin; il n’est pas d’heure plus opportune.
Sois joyeux, sans soucis, car longtemps cette lune - brillera sur la tombe de chacun de nous.
28.
A la pointe de l’aube, adolescent propice, - joue, chante, et apporte le vin.
Car cent mille Djemchids et cent mille Kaï - le retour des hivers et des étés en a jonché la terre.
29.
On nous promet un paradis et des houris aux yeux de jais; - on nous promet le vin et l’hydromel.
Si nous avons choisi ici-bas le vin et les bien-aimées, - nous avons raison, puisque telle est la fin qui nous est promise là-haut.
30.
Comme l’eau de la rivière, comme le vent dans le désert - a passé un jour encore de ma vie et de la tienne,
Et tant que je vivrai, je ne me soucierai - ni du jour à venir ni du jour écoulé.
31.
Que l’échanson soit un adolescent aux lèvres de rubis, - qu’au lieu de vin, tu boives l’eau de la vie éternelle,
Que Vénus soit de la fête, que le Christ soit ton convive, - il n'est pas de joie, si le cœur n’est exempt de soucis.
32.
La saison des roses, un ruisseau le long d’un champ, - des adolescents fraiches comme des houris...
Apporte-moi le vin; ceux qui boivent à l’aube - ne se soucient ni de la mosquée ni de l’église.
33.
Ce vase était comme moi un amant malheureux - enchainé par la chevelure d’une femme.
Cette anse que tu vois à son col - était la main passée au cou d’une bien-aimée.
34.
Hier, au bazar, j’ai vu un potier - qui foulait sous ses pieds l’argile.
Et celle-ci lui disait dans son langage: - “J’ai été comme toi. Ménage-moi.”
35.
O potier, efforce-toi, si tu es intelligent, - de ne pas avilir l’argile dont fut pétri le fils d’Adam.
Le doigt de Féridoun, la paume de Kaï Khosrau, - tu les as mis sur ton tour. A quoi penses-tu donc?
36.
Où fleurit un coquelicot écarlate - a coulé jadis le sang d’un empereur.
Chaque violette qui sort de la terre - vient du grain de beauté au visage d’un adolescent.
37.
Avant toi et moi, il y avait des nuits et des jours, - et le ciel longtemps avait tourné sur lui-même.
Pose avec douceur le pied sur la terre, - car cette terre était peut-être l’œil vif d’un adolescent.
38.
La fleur qui pousse au bord d’un ruisseau - peut-être plonge-t-elle sa racine dans les lèvres décomposées d’une femme.
Ne foule pas dédaigneusement l’herbe, - car elle a grandi parmi les cendres d’un frais visage jadis semblable au coquelicot.
39.
J’ai été hier dans l’atelier d’un potier. - Je l’ai trouvé debout devant son établi.
Il pétrissait les cols et les anses de ses pots - des crânes des rois et des mains des mendiants.
40.
Je ne sais si celui qui m’a créé - m’a destiné au ciel ou à l’enfer. - Une coupe, une adolescente, un luth au bord d’un champ,
Je m’en satisfais au comptant et te laisse ton paradis à crédit.
41.
Je ne mérite d’entrer ni à la mosquée ni à l’église. - Dieu sait de quelle argile il m’a pétri.
Je suis comme un infidèle pauvre, comme une fille laide. - Je n’ai ni religion, ni fortune, ni espoir dans un autre monde.
42.
Cette Roue sous laquelle nous tournons - est pareille à une lanterne magique.
Le soleil est la lampe; le monde l’écran; - nous sommes les images qui passent.
43.
Ils assurent que nous vivrons avec des houris aux jardins du paradis. - Moi je dis qu’il est bon d’avoir du vin près de soi.
Prends ce qui est au comptant, fais fi de ce qui est à crédit, - car le son du tambour n’est agréable que de loin.
44.
On assure que celui qui boit ira en enfer. - Comment croire à cette parole mensongère?
Si celui qui aime le vin et celui qui aime l’amour vont en enfer, - demain tu trouveras le paradis plat comme la main.
Claude Anet & Mirza Muhammad.
Paris, Éditions de la Sirène, 1920
1.
Ma loi est le vin et la belle humeur; - ma religion, l’indifférence à la foi et au doute.
J’ai demandé à ma fiancée qui est le monde: “Quelle dot veux-tu?” - Elle m’a dit: “Ton cœur joyeux est ma dot.”
2.
As-tu vu le monde? Tout ce que tu y as vu n’est rien. - Ce que tu as dit, ce que tu as entendu n’est rien.
Si tu as parcouru les sept climats, ce n’est rien. - Si tu es resté seul à méditer dans ta maison, ce n’est rien.
3.
De tous les voyages engagés sur cette longue route - aucun n’est revenu nous en révéler le secret.
Prends garde de rien oublier - dans notre caravansérail, car tu n’y reviendras pas.
4.
Suppose le monde ordonné à ton gré. Et puis après? - Suppose achevée la lecture de la lettre. Et puis après?
Suppose que tu as vécu cent ans selon les désirs de ton cœur. - Suppose que tu vives cent ans encore. Et puis après?
5.
Ceux qui étaient les pôles de la science - et dans l’assemblée des sages brillaient comme des phares,
Ils n’ont su trouver leur chemin dans la nuit sombre. - Chacun d’eux a balbutié un conte, puis s’est endormi.
6.
Ignorant, ce corps matériel n’est rien, - le cycle des cieux, la face de la terre ne sont rien.
Fais attention, dans ce combat entre la mort et la vie, - nous sommes attachés à un souffle, et ce souffle n’est rien.
7.
O mon cœur, suppose que tu as tous les biens de la terre. - Suppose que ta demeure ornée est pleine d’agrément.
Sois joyeux dans ce monde où tout nait pour mourir. - Suppose que tu y es assis deux ou trois jours, puis que tu te lèves.
8.
Nous avons erré longtemps par les villes et les déserts. - Nous avons parcouru la terre entière.
Nous n’avons pas rencontré un seul voyageur - qui ayant fait cette route en soit revenu.
9.
De la Terre à Saturne, - j’ai résolu tous les problèmes, - j’ai évité pièges et embuscades,
J’ai défait chaque nœud, sauf celui de la mort.
10.
Comme la Roue ne tourne tas selon les désirs du sage - qu'importe que tu comptes sept ou huit cieux!
Puisqu’il faut mourir et quitter ces rêves - qu’importe que les vers au tombeau ou les loups dans la campagne dévorent ton cadavre.
11.
O monde, tu accumules les ruines, - et sans fin tu nous accables.
O terre, si on ouvre ton sein - que de perles précieuses y sont ensevelies!
12.
Comme le sort de l’homme dans ce caravansérail à deux portes, - n’est que souffrance et agonie,
Heureux qui n’a vécu que le temps d’une respiration, - et plus heureux qui n’est pas né.
13.
Dans cette parade de foire, un ami ne le cherche pas. - Écoute ma parole, un refuge ne le cherche pas;
Accepte la douleur, un remède ne le cherche pas. - Vis joyeux dans les malheurs sans atteindre qui te plaigne.
14.
Celui qui a créé la terre et le cycle des cieux, - que de douleurs cuisantes il a mises au cœur de l’homme!
Que de lèvres comme le rubis, que de chevelures comme le musc - n’a-t-il pas enfouies dans le sein de la terre!
15.
Le monde qui ajoute chagrin à chagrin - ne crée un être qu’après en avoir détruit un autre.
Ceux qui n’y sont pas encore, s’ils connaissaient nos souffrances, - se garderaient d’y venir.
16.
Sur le tapis de la terre, je vois des gens endormis, - sous la terre, je vois des gens ensevelis.
Tant que je contemple le désert du néant, - j’y vois ceux qui ne sont pas encore venus et ceux qui sont déjà partis.
17.
Ce vieux caravansérail qu’on appelle le monde, - où loge le cheval pie du jour et de la nuit,
Est la salle de fête où cent Djemchids ont passé, - le palais ù cent Bahrams se sont reposés.
18.
Ce palais dont Bahram avait fait sa demeure, - la gazelle y cache ses faons et le lion y dort.
Bahram qui capturait les onagres sauvages - voit aujourd’hui comment la tombe a pris Bahram.
19.
Ne poursuis pas le bonheur; la vie est le temps d’un soupir. - Djemchid et Kaï-Kobad dansent, poussières au soleil.
Qu’est-ce que le monde? Qu’est-ce que la vie? - Un songe, un rêve, une illusion.
20.
Aujourd’hui tu n’as pas accès à demain - et le souci que tu t’en fais n’est que chimère.
Si ton cœur est sage, ne gâte pas ce souffle présent - car ce qui te reste de vie est le seul bien précieux.
21.
Assieds-toi et prends du vin: c’est là le royaume de Mahmoud. - Écoute ce que la harpe dit: c’est là les psaumes de David.
De ce qui n’est plus et de ce qui sera ne t’occupe pas. - Réjouis-toi dans le présent: c’est là le but de la vie.
22.
O Khayyam, si tu es ivre de vin, sois heureux. - Si tu es assis près d’un adolescent sans rides, sois heureux.
Comme le compte de ce monde est à la fin néant, - suppose qu tu n’es plus; tu vis, donc sois heureux.
23.
Bois du vin, car tu dormiras longtemps sous la terre, - sans compagnon, sans amis, sans femme.
Garde-toi de confier à personne ce secret: - Un coquelicot fané ne refleurit jamais.
24.
Cesse de penser à toi-même - de craindre la pauvreté, de poursuivre la richesse.
Bois du vin, une vie si lourde de tristesse - mieux vaut la passer dans le songe ou dans l’ivresse.
25.
Depuis que j’ai discerné mes pieds de mes mains, - le cycle affreux des jours a enchainé mes mains.
Quel regret de voir portés à mon compte - des jours passés sans maitresse et sans vin!
26.
Jusqu’à quand prendrai-je souci de ma fortune? - Jusqu’à quand prendrai-je souci du bonheur et du malheur?
Remplis la coupe, car je ne sais même pas - si cette bouffée d’air que j’aspire, je l’exhalerai vivant.
27.
La lune a déchiré la robe de la nuit. - Bois du vin; il n’est pas d’heure plus opportune.
Sois joyeux, sans soucis, car longtemps cette lune - brillera sur la tombe de chacun de nous.
28.
A la pointe de l’aube, adolescent propice, - joue, chante, et apporte le vin.
Car cent mille Djemchids et cent mille Kaï - le retour des hivers et des étés en a jonché la terre.
29.
On nous promet un paradis et des houris aux yeux de jais; - on nous promet le vin et l’hydromel.
Si nous avons choisi ici-bas le vin et les bien-aimées, - nous avons raison, puisque telle est la fin qui nous est promise là-haut.
30.
Comme l’eau de la rivière, comme le vent dans le désert - a passé un jour encore de ma vie et de la tienne,
Et tant que je vivrai, je ne me soucierai - ni du jour à venir ni du jour écoulé.
31.
Que l’échanson soit un adolescent aux lèvres de rubis, - qu’au lieu de vin, tu boives l’eau de la vie éternelle,
Que Vénus soit de la fête, que le Christ soit ton convive, - il n'est pas de joie, si le cœur n’est exempt de soucis.
32.
La saison des roses, un ruisseau le long d’un champ, - des adolescents fraiches comme des houris...
Apporte-moi le vin; ceux qui boivent à l’aube - ne se soucient ni de la mosquée ni de l’église.
33.
Ce vase était comme moi un amant malheureux - enchainé par la chevelure d’une femme.
Cette anse que tu vois à son col - était la main passée au cou d’une bien-aimée.
34.
Hier, au bazar, j’ai vu un potier - qui foulait sous ses pieds l’argile.
Et celle-ci lui disait dans son langage: - “J’ai été comme toi. Ménage-moi.”
35.
O potier, efforce-toi, si tu es intelligent, - de ne pas avilir l’argile dont fut pétri le fils d’Adam.
Le doigt de Féridoun, la paume de Kaï Khosrau, - tu les as mis sur ton tour. A quoi penses-tu donc?
36.
Où fleurit un coquelicot écarlate - a coulé jadis le sang d’un empereur.
Chaque violette qui sort de la terre - vient du grain de beauté au visage d’un adolescent.
37.
Avant toi et moi, il y avait des nuits et des jours, - et le ciel longtemps avait tourné sur lui-même.
Pose avec douceur le pied sur la terre, - car cette terre était peut-être l’œil vif d’un adolescent.
38.
La fleur qui pousse au bord d’un ruisseau - peut-être plonge-t-elle sa racine dans les lèvres décomposées d’une femme.
Ne foule pas dédaigneusement l’herbe, - car elle a grandi parmi les cendres d’un frais visage jadis semblable au coquelicot.
39.
J’ai été hier dans l’atelier d’un potier. - Je l’ai trouvé debout devant son établi.
Il pétrissait les cols et les anses de ses pots - des crânes des rois et des mains des mendiants.
40.
Je ne sais si celui qui m’a créé - m’a destiné au ciel ou à l’enfer. - Une coupe, une adolescente, un luth au bord d’un champ,
Je m’en satisfais au comptant et te laisse ton paradis à crédit.
41.
Je ne mérite d’entrer ni à la mosquée ni à l’église. - Dieu sait de quelle argile il m’a pétri.
Je suis comme un infidèle pauvre, comme une fille laide. - Je n’ai ni religion, ni fortune, ni espoir dans un autre monde.
42.
Cette Roue sous laquelle nous tournons - est pareille à une lanterne magique.
Le soleil est la lampe; le monde l’écran; - nous sommes les images qui passent.
43.
Ils assurent que nous vivrons avec des houris aux jardins du paradis. - Moi je dis qu’il est bon d’avoir du vin près de soi.
Prends ce qui est au comptant, fais fi de ce qui est à crédit, - car le son du tambour n’est agréable que de loin.
44.
On assure que celui qui boit ira en enfer. - Comment croire à cette parole mensongère?
Si celui qui aime le vin et celui qui aime l’amour vont en enfer, - demain tu trouveras le paradis plat comme la main.
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