MARANINCHI, DOMINIQUE
Aix-Marseille Université. Institut Paoli-Calmettes-Marseille. Ex-président INCa
La recherche sur le cancer en France a connu une dynamique inédite en intégrant les soins dans
des plans de grande envergure dont d’autres s’inspirent. Faut-il poursuivre et porter de nouvelles
ambitions ou considérer qu’une inflexion est justifiée dans l’engagement de l’État dans ce
domaine ?
La politique française de lutte contre le cancer doit faire face à de nouveaux défis et être prête à
porter de nouvelles ambitions. Si le taux de « guérison » dans les pays occidentaux est passé de
30 % dans les années 1970 à plus de 50 % dans les années 2000, nous pouvons espérer que
75 % des personnes diagnostiquées en 2030 vivront plus de dix ans (1) : en quittant le statut de
« maladies chroniques », plusieurs cancers deviennent des maladies « curables », un changement
majeur pour les patients et le système de santé.
La prévention est le premier défi à relever : le fort engagement en santé publique du
gouvernement actuel devra s’assortir de nouveaux programmes ambitieux en recherches sur la
cancérogénèse et en interventions sur le terrain. Les stratégies de prévention et de dépistage
évolueront vers plus d’individualisation de la prise en compte des facteurs de risques.
La personnalisation des traitements, incluant le rétablissement des fonctions im munitaires, est un
changement con ceptuel à fort impact. La recherche y joue un rôle crucial dans l’expérimentation
de nouveaux parcours de soins adaptés aux hétérogénéités tumorales, mais aussi aux singularités
des personnes prises en charge « hors les murs » de l’hôpital. De nouvelles technologies sont
accessibles pour les tests diagnostiques, les nouveaux médicaments adaptés à la biologie de la
tumeur (2), l’imagerie, la robotique : elles transforment la prise en charge de nombreux cancers.
Recherche et soins doivent y rester associés et intégrer la maîtrise de données multiples et
complexes (« big data ») partagées entre chercheurs, soignants et malades, qui questionnent ces
approches nouvelles dans leur prise en charge. La recherche clinique évolue avec des évaluations
accélérées, ciblées sur des patients bien caractérisés et incluant le suivi en vie réelle. La
démocratie sanitaire s’impose dans la pratique du cancer avec des patients acteurs de la
recherche et des décisions les concernant. Face à ces enjeux, l’État et l’Institut national du cancer
(INCa) doivent être les porteurs et garants d’une politique forte, pour prévenir de nouvelles
inégalités et de potentiels conflits d’intérêts.
Le plan cancer continue jusqu’en 2019, mais après ? On doit dès maintenant questionner notre
capacité et notre volonté d’aller au-delà. Certaines incertitudes actuelles peuvent semer doutes et
interrogations : la non-reconduction « éventuelle » des plans Cancer, l’affaiblissement « éventuel »
de l’INCa dans le pilotage et le financement de la recherche, le désintérêt pour l’installation
d’infrastructures dédiées puissantes et durables, l’absence d’engagements de recherche d’amont
pour faire face à certains cancers « tueurs » (3) sont des sujets préoccupants, et les choix faits
pourraient durement infléchir la trajectoire vertueuse des années passées.
Nous ne doutons pas de l’engagement des ministres de la Santé et de la Recherche, en particulier
d’Agnès Buzyn, qui a porté dans sa carrière et lors de son mandat à la tête de l’INCa nombre de
ces réalisations avec conviction et succès. L’intégration de la recherche à la santé a été prise en
compte jusque-là par les deux ministères via l’INCa : cet engagement conjoint est déterminant, et
tout doit être fait pour éviter un retour aux situations antérieures cloisonnées et peu efficientes. Le
cancer n’est certes qu’un élément de la politique de santé et des sciences du vivant : néanmoins,
le transfert rapide des avancées de la recherche à la prise en charge des malades a été, et devrait
rester, un modèle de politique d’accès à l’innovation en santé, stimulant pour d’autres grandes
pathologies.
Il est l’heure de redonner une nouvelle lisibilité à la politique nationale en matière de lutte contre le
cancer, politique s’inscrivant dans la durée, et à inscrire cette démarche et cette ambition à
l’agenda des grands enjeux européens et internationaux.
(1) www.e-cancer.fr (2) Moins de 1 000 molécules sont à l’étude. (3) Notamment les cancers du
pancréas, du foie, du poumon, du cerveau chez les adultes et les enfants.
DOMINIQUEMARANINCHI
Aix-Marseille Université. Institut Paoli-Calmettes-Marseille. Ex-président INCa
La recherche sur le cancer en France a connu une dynamique inédite en intégrant les soins dans
des plans de grande envergure dont d’autres s’inspirent. Faut-il poursuivre et porter de nouvelles
ambitions ou considérer qu’une inflexion est justifiée dans l’engagement de l’État dans ce
domaine ?
La politique française de lutte contre le cancer doit faire face à de nouveaux défis et être prête à
porter de nouvelles ambitions. Si le taux de « guérison » dans les pays occidentaux est passé de
30 % dans les années 1970 à plus de 50 % dans les années 2000, nous pouvons espérer que
75 % des personnes diagnostiquées en 2030 vivront plus de dix ans (1) : en quittant le statut de
« maladies chroniques », plusieurs cancers deviennent des maladies « curables », un changement
majeur pour les patients et le système de santé.
La prévention est le premier défi à relever : le fort engagement en santé publique du
gouvernement actuel devra s’assortir de nouveaux programmes ambitieux en recherches sur la
cancérogénèse et en interventions sur le terrain. Les stratégies de prévention et de dépistage
évolueront vers plus d’individualisation de la prise en compte des facteurs de risques.
La personnalisation des traitements, incluant le rétablissement des fonctions im munitaires, est un
changement con ceptuel à fort impact. La recherche y joue un rôle crucial dans l’expérimentation
de nouveaux parcours de soins adaptés aux hétérogénéités tumorales, mais aussi aux singularités
des personnes prises en charge « hors les murs » de l’hôpital. De nouvelles technologies sont
accessibles pour les tests diagnostiques, les nouveaux médicaments adaptés à la biologie de la
tumeur (2), l’imagerie, la robotique : elles transforment la prise en charge de nombreux cancers.
Recherche et soins doivent y rester associés et intégrer la maîtrise de données multiples et
complexes (« big data ») partagées entre chercheurs, soignants et malades, qui questionnent ces
approches nouvelles dans leur prise en charge. La recherche clinique évolue avec des évaluations
accélérées, ciblées sur des patients bien caractérisés et incluant le suivi en vie réelle. La
démocratie sanitaire s’impose dans la pratique du cancer avec des patients acteurs de la
recherche et des décisions les concernant. Face à ces enjeux, l’État et l’Institut national du cancer
(INCa) doivent être les porteurs et garants d’une politique forte, pour prévenir de nouvelles
inégalités et de potentiels conflits d’intérêts.
Le plan cancer continue jusqu’en 2019, mais après ? On doit dès maintenant questionner notre
capacité et notre volonté d’aller au-delà. Certaines incertitudes actuelles peuvent semer doutes et
interrogations : la non-reconduction « éventuelle » des plans Cancer, l’affaiblissement « éventuel »
de l’INCa dans le pilotage et le financement de la recherche, le désintérêt pour l’installation
d’infrastructures dédiées puissantes et durables, l’absence d’engagements de recherche d’amont
pour faire face à certains cancers « tueurs » (3) sont des sujets préoccupants, et les choix faits
pourraient durement infléchir la trajectoire vertueuse des années passées.
Nous ne doutons pas de l’engagement des ministres de la Santé et de la Recherche, en particulier
d’Agnès Buzyn, qui a porté dans sa carrière et lors de son mandat à la tête de l’INCa nombre de
ces réalisations avec conviction et succès. L’intégration de la recherche à la santé a été prise en
compte jusque-là par les deux ministères via l’INCa : cet engagement conjoint est déterminant, et
tout doit être fait pour éviter un retour aux situations antérieures cloisonnées et peu efficientes. Le
cancer n’est certes qu’un élément de la politique de santé et des sciences du vivant : néanmoins,
le transfert rapide des avancées de la recherche à la prise en charge des malades a été, et devrait
rester, un modèle de politique d’accès à l’innovation en santé, stimulant pour d’autres grandes
pathologies.
Il est l’heure de redonner une nouvelle lisibilité à la politique nationale en matière de lutte contre le
cancer, politique s’inscrivant dans la durée, et à inscrire cette démarche et cette ambition à
l’agenda des grands enjeux européens et internationaux.
(1) www.e-cancer.fr (2) Moins de 1 000 molécules sont à l’étude. (3) Notamment les cancers du
pancréas, du foie, du poumon, du cerveau chez les adultes et les enfants.
DOMINIQUEMARANINCHI
