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L’élevage industriel, prochaine source de pandémie ?

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  • L’élevage industriel, prochaine source de pandémie ?

    On observe des épidémies de façon incessante dans les élevages. Standardisation et promiscuité des bêtes ont transformé les fermes en véritables poudrières. Les flambées infectieuses se propagent et ne sont pas sans risque pour notre santé.

    L’année 2021 s’ouvre sur deux plaies sanitaires parallèles. Alors que le coronavirus sévit toujours, une flambée de H5N8 s’est déclarée dans la faune à l’automne. Ce virus de grippe aviaire s’était d’abord manifesté en Russie et en Israël durant l’été, avant que de multiples foyers ne soient détectés en Europe. Un scénario de plus en plus fréquent au sein des élevages. Les bêtes destinées à notre consommation n’ont jamais été aussi nombreuses.

    Si la Terre compte 7 à 8 milliards d’humains, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) recensait en 2019 quelque 25,9 milliards de poulets, 2,6 milliards de canards et d’oies, 1,5 milliard de bovins et 850 millions de cochons. Au point que l’écologue Serge Morand propose de rebaptiser notre époque « Bovinocène » ou « Gallinocène » (du latin gallus, le poulet), tant les animaux d’élevage dominent le paysage et la biomasse des mammifères. Or les épizooties (épidémies frappant les populations animales) se sont multipliées dans le sillage de l’intensification et de l’industrialisation de l’élevage.

    Selon les données de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), leur nombre a triplé ces 15 dernières années, passant d’une centaine en 2005 à 500 en 2019. Avec des taux de mortalité à la démesure des effectifs de la faune domestique. La peste porcine africaine qui a frappé la Chine en 2019 s’est ainsi soldée par un bilan vertigineux, avec la disparition de 200 millions de porcs, soit la moitié du cheptel porcin du pays. Or derrière les épizooties qui frappent les grands élevages modernes se profile aussi le spectre d’une possible contamination humaine, la barrière des espèces ayant été franchie par plusieurs agents pathogènes ces dernières décennies, de la maladie de la vache folle à la grippe aviaire.

    La menace n’est pas nouvelle. Depuis la révolution néolithique il y a 11 000 ans, marquée par la sédentarisation et la domestication des animaux, le voisinage entre hommes et bêtes de ferme s’est accompagné de multiples échanges infectieux. Les animaux d’élevage ont été les fourriers d’un certain nombre de calamités sanitaires pour l’homme. « La rougeole est le plus célèbre virus venu de l’élevage, explique François Moutou, vétérinaire et ancien directeur adjoint du laboratoire Santé animale de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Il existait chez les aurochs, les bovins sauvages que l’on a domestiqués dans la vallée de l’Indus et en Mésopotamie. Il vient du virus de la peste bovine, qui s’est adapté aux hommes à leur contact et tuait encore 8 millions de personnes par an dans les années 1970.

    Les virus de la grippe sont tous des virus d’oiseaux à l’origine, dont certains se sont humanisés en particulier au contact des canards d’élevage. À l’inverse, on a découvert en 2010 que la tuberculose ne venait pas des bovins mais que ce sont les humains qui les ont contaminés à partir d’une mycobactérie tellurique qui s’était adaptée aux Hommes en Afrique, peut-être avant l’apparition d’Homo sapiens. »

    Mais les termes de la cohabitation se sont infléchis de façon décisive avec l’industrialisation de l’élevage, qui démultiplie les risques sanitaires. « Il y avait 2,5 milliards d’individus en 1955, nous sommes aujourd’hui près de 8 milliards, bientôt 9 ou 10 milliards. Ces densités humaines génèrent automatiquement de la production de protéine de masse, note François Renaud, biologiste de l’évolution des organismes infectieux et directeur de recherche au CNRS, au sein de l’unité mixte Mivegec. Mais si dans la nature il y a un brassage génétique, le critère économique de productivité à la base de tout élevage industriel conduit à avoir des bêtes identiques, quasi clonées. Or, ce sont des boites de Petri : si un agent pathogène arrive parmi eux, il touche tous les animaux, avec une densité colonisable énorme. L’Homme a créé avec eux un réacteur biologique à pathogènes. »

    La grippe aviaire constitue à cet égard un cas d’école. Elle circule à la fois dans les populations de volatiles sauvages et domestiques, mais alors qu’elle est en général asymptomatique chez les espèces sauvages, qui co-évoluent avec elle depuis des millénaires, elle a pris une forme particulièrement dangereuse dans les grands élevages de poulets et de dindes, dont elle peut tuer 100 % des effectifs. Une létalité qui lui a valu les surnoms de « peste aviaire » ou d’« Ebola du poulet ». Une étude publiée en 2018 dans Frontiers in veterinary science concluait ainsi que sur 39 sous-types de virus aviaires H5 et H7 ayant gagné en virulence depuis 1959, 37 ont émergé dans des élevages industriels.

    Ainsi de la fameuse souche H5N1. « Le H5N1 est le pur produit d’un élevage intensif, » souligne François Renaud. « Un agent pathogène n’évolue pas forcément vers plus de virulence, car s’il est très virulent, il tue son hôte et meurt avec lui, diminuant ainsi son potentiel de contagiosité entre individus. Or, dans un élevage intensif, un agent infectieux qui est très contagieux peut aussi devenir de plus en plus virulent, car quand les animaux meurent, on les remplace et on rapporte de la matière première au parasite. Par la configuration même de ces élevages, on sélectionne ainsi artificiellement une pathogénicité forte qui ne se serait pas produite dans la nature car les hôtes du virus seraient morts avant. »

    Outre l’homogénéité génétique des bêtes et l’extrême promiscuité dans laquelle elles sont élevées – en France un poulet industriel dispose d’une surface équivalente à une feuille A4 – les flux de l’agro-industrie constituent un autre facteur sanitaire aggravant.

    La fragmentation de la production, avec des sites distincts pour la naissance, l’élevage et l’abattage des bêtes, et leurs circuits de commercialisation mondialisés multiplient les possibilités de diffusion des agents pathogènes. Partie d’Asie du Sud-Est en 2005, l’épizootie de H5N1 a emprunté non pas les couloirs de migrations des oiseaux sauvages, initialement incriminés, mais les routes commerciales pour gagner la Russie, l’Europe et l’Afrique.


    Si l’émergence de certaines de ces épizooties a pu provoquer émoi et alarme parmi les organisations sanitaires – l’OMS avait craint une nouvelle grippe espagnole lors de la première flambée de H5N1 – leur impact sur la santé humaine est jusqu’à présent resté limité. Le H5N1 a ainsi fait 455 morts et le H1N1, apparu au Mexique en 2009 et passé des porcs aux Hommes, a causé entre 18 500 et 575 400 morts selon les estimations.

    Autre cas de figure, les élevages intensifs jouent parfois le rôle d’intermédiaires dans la transmission des agents pathogènes entre la faune sauvage et l’Homme : le virus Nipah, l’exemple le plus meurtrier en date, issu de chauves-souris qui ont contaminé des porcs en Malaisie, lesquels ont à leur tour contaminé des Hommes, a été responsable du décès de 260 personnes en 1998.

    Mais si les scénarios catastrophes d’une contamination à grande échelle de la population humaine ne se sont pas produits, ils restent de l’ordre du possible. « La chance qu’on a eu avec le H5N1 à ce jour, c’est qu’il n’y a jamais eu de contamination Homme-Homme démontrée à ma connaissance, » explique François Renaud. « Les gens qui sont morts vivaient au milieu des élevages. Mais toute l’angoisse liée à la grippe aviaire réside dans le fait que le virus pourrait recombiner avec d’autres virus qui lui donneraient au hasard des réassortiments la clé pour une transmission Homme-Homme qui serait catastrophique. Le H1N1 est le produit de ce genre de réassortiment. Il serait apparu dans des élevages industriels mexicains, et est une recombinaison entre un virus de grippe humaine, d’oiseaux et de porcs. Il a créé une pandémie, mais il n’était pas très virulent, sinon il aurait causé beaucoup plus de dégâts. »

    Face au risque de flambée épizootique, les institutions internationales misent sur la biosécurité, un ensemble de normes élaborées par l’OIE et l’ONU dans les années 2000 pour minimiser le risque d’introduction de virus dans les fermes, et transposées dans le droit des États. Dans leurs versions les plus draconiennes, elles aboutissent à des exploitations comme la Guifei Mountain Sow Farm, en Chine. Dans cette ferme de 30000 porcs, les bêtes sont réparties dans des tours de 9 étages coupées de l’extérieur, les employés restant en quarantaine avant de pénétrer dans les bâtiments, dont ils ne sortent plus pendant trois mois. « La biosécurité à ce niveau n’a de sens que si l’on fait de l’élevage assez intensif, avec des flux tendus, » note François Moutou. « Les conditions et les dérives de l’élevage moderne, avec ses bêtes identiques, imposent des règles extrêmement fortes en la matière. »

    Un mal nécessaire mais pas toujours évident à mettre en place. « Le confinement, avec un maximum de précautions pour entrer et sortir des exploitations, minimise totalement le risque infectieux. Mais cela nécessite des infrastructures extrêmement lourdes et coûteuses, que beaucoup de pays n’ont pas les moyens de mettre en place. Pour moi c’est utopique, » estime François Renaud. Le zéro risque relève du reste largement du fantasme. La redoutable peste porcine africaine, arrivée en Europe en 2007, s’est ainsi répandue aussi bien dans les basses-cours que dans les fermes industrielles d’Europe de l’Est qui disposaient en théorie de protocoles stricts, en raison de « failles de biosécurité ».

    La journaliste Lucile Leclair, auteur d’un livre-enquête sur les épizooties dans les élevages, Pandémies, une fabrique industrielle, pointe quant à elle les effets pervers de la biosécurité telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, une fuite en avant aveugle aux risques inhérents à l’élevage industriel. « La biosécurité est à la fois un remède et un poison. Elle semble rassurante, mais elle aboutit à faire toujours plus de règles pour des élevages toujours plus dangereux. Le problème est qu’elle part d’une situation de crise, une épidémie, pour aboutir à des règles obligatoires hors crise, comme le confinement des animaux en permanence, qui sont imposées aux complexes industriels comme aux fermes paysannes. Ce répertoire de normes pousse à industrialiser les fermes, il revient à imposer le hors-sol. Mais qu’est-ce qui est le plus risqué : 35 000 poulets immuno-déprimés exportés sur tous les continents ou une ferme de 50 poulets qui vend ses animaux sur 50 km ? », interroge-t-elle.

    Et d’évoquer les paradoxes de la lutte contre la grippe aviaire en Asie. Une lecture partiale et partielle de la pandémie de H5N1, brocardant les oiseaux sauvages et les élevages de basse-cour en contact avec eux comme principaux vecteurs, y a conduit au renforcement de la logique industrielle, laquelle a pourtant joué le rôle de poudrière dans l’épizootie. « En Indonésie, le pays le plus touché, la diversité des producteurs de poulets a laissé place à une concentration des acteurs après la crise, avec trois grandes entreprises fournissant 70 % de la volaille du pays. En Thaïlande, la lutte contre le H5N1 a conduit à un effondrement des races de poulets locales, au profit de races génétiquement homogènes. »
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    En France, les normes de biosécurité, intégrées à la législation par un arrêté de 2016, ont connu certains aménagements. Les petits éleveurs de poulets en circuit court sont par exemple dispensés de confiner leurs volailles. « En revanche, tous les élevages de porcs sont soumis aux mêmes règles, dont l’obligation de construction de doubles clôtures couteuses pour éviter les contacts avec les sangliers sauvages, ce qui est un investissement trop lourd pour certains petits producteurs, » souligne Lucile Leclair. « Si vous ne respectez pas ces règles, vous ne recevez plus les aides de la PAC et vous n’avez plus le droit d’exercer le métier d’éleveur. Face à cette situation, deux formes de mobilisation sont apparues : certains éleveurs rentrent dans l’illégalité en ne déclarant pas leurs animaux, et il y a aussi un combat plus légaliste pour faire changer les règles, porté notamment par la Confédération paysanne en France, et le réseau Eco-ruralis, un syndicat roumain de 40 000 paysans, qui fait du lobbying à Bruxelles. Des représentants d’autres corps de métier se mobilisent aussi, comme le collectif de vétérinaires Zone verte en France. Ses membres ont refusé de participer aux formations de biosécurité dispensées aux éleveurs, et militent pour d’autres règles de biosécurité, comme la sélection de races plus résistantes et pas simplement plus productives, ou la réduction de l’usage des antibiotiques. »

    L’antibiorésistance est une autre bombe à retardement sanitaire de l’élevage industriel. D’après l’OMS, plus de la moitié des antibiotiques produits dans le monde sont destinés aux animaux d’élevage, auxquels ils sont administrés à des fins curatives, mais aussi préventives. Dans certains pays, les bêtes consomment jusqu’à 80 % d’entre eux, lesquels favorisent le développement de bactéries résistantes, transmissibles à l’Homme par contact avec les animaux ou consommation de viande.

    Il existe une prise de conscience du problème, tempère François Moutou. « En France, on a vraiment fait des progrès dans ce domaine. Entre 1999 et 2019, le tonnage d’antibiotiques vendus aux éleveurs est passé de 1311 t à 422 t. Cette baisse témoigne d’une amélioration des pratiques, qui va de pair avec un renforcement de la biosécurité. Elle a remplacé la prévention aux antibiotiques. Dans ce sens-là, elle est positive. » Reste que les politiques en la matière varient grandement d’un pays à l’autre et que l’usage global des antibiotiques dans l’élevage continue à croître, faisant le lit de l’antibiorésistance. Selon une étude publiée en 2016, si la tendance se poursuit, 10 millions de personnes pourraient mourir d’une maladie bactérienne en 2050, soit une personne toutes les trois secondes.

    « On en est arrivés à un point où il faut repenser notre façon de produire – un tiers de la production agricole mondiale est perdue chaque année, en partie gaspillée – et consommer moins de viande », note François Moutou. « Il n’y a pas de solution miracle. Dès que l’on doit produire en masse, que ce soit de la viande, des plantes ou des insectes, on est confronté automatiquement à des attaques pathogènes » insiste François Renaud. « On parle de l’élevage, mais l’espèce en élevage intensif aujourd’hui c’est l’Homme, » ajoute-t-il, un brin provocateur. « Il doit trouver de la ressource, qu’il va chercher dans l’élevage de masse ou dans les écosystèmes. La stabulation d’animaux sauvages en contact avec les humains, dans des conditions de précarité et de stress extrêmes, avant leur mise en vente sur les marchés, représente d’ailleurs un bouillon de culture encore plus grand pour les virus que l’élevage intensif... Nous avons atteint des densités de population énormes, qu’on ne trouve jamais dans la nature, avec des villes de 10 millions d’habitants. Pendant la guerre, on parlait de chair à canon. Aujourd’hui, nous sommes devenus de la chair à pathogènes. »

    DE MARIE-AMÉLIE CARPIO, NATIONAL GEOGRAPHIC
    PUBLICATION 27 JANV. 2021 10:19 CET
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