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Pourquoi des médicaments essentiels viennent à manquer

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  • Pourquoi des médicaments essentiels viennent à manquer


    Multipliant les promesses sur la souveraineté industrielle en matière pharmaceutique, le président Emmanuel Macron affirme soutenir plus de cent projets de médicaments et de vaccins. Mais ces effets d’annonce masquent mal des pénuries toujours plus importantes, qui trouvent leur origine dans la primauté du libre-échange et le renoncement de l’État à imposer l’intérêt général contre les logiques purement financières des laboratoires.

    Un reportage de Ariane Denoyel



    nticancéreux, analgésiques, antiépileptiques… Des traitements essentiels viennent à manquer dans une France qui se targue d’être au cinquième rang mondial dans la production pharmaceutique. En 2022, plus de 3 700 médicaments ont été signalés en rupture ou à risque de rupture de stock — trois fois plus qu’en 2019 —, relevait un rapport du Sénat l’été dernier (1). Quelque 37 % des Français déclarent en avoir fait l’expérience en 2023 (2). « Les pénuries, qui concernent souvent des molécules anciennes, moins rentables pour l’industrie, ont sextuplé depuis 2017 », assure M. Jérôme Martin, cofondateur et coprésident de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds) : « L’État s’est laissé déposséder de sa vision à long terme, avec un gouvernement qui s’enferme dans le dogmatisme et une stratégie reposant sur les effets d’annonce. »

    Le rapport sénatorial constate l’insuffisance et le manque de lisibilité des mesures prises à compter des années 2010 pour renforcer la responsabilité des fabricants en matière de prévention, de déclaration et de gestion des pénuries, dans une Europe de plus en plus dépendante des importations venues d’Asie. « La négociation entre les pouvoirs publics et les grands laboratoires est structurellement déséquilibrée : les menaces d’arrêt de commercialisation, de déremboursement ou de déni d’accès précoce sont des armes de choix entre les mains des exploitants. Le résultat de ce chantage aux prix, encouragé par la financiarisation des laboratoires, est une explosion du prix en faveur des traitements innovants. »

    Pour garantir un « approvisionnement approprié et continu » — conformément aux dispositions de l’article L. 5121-29 du code de la santé publique —, un décret de 2021 instaure des plans de gestion des pénuries (PGP) (3). En pratique, précise Mme Catherine Simonin, qui représente la Ligue contre le cancer au sein de la fédération France Assos Santé, ces plans imposent « aux industriels la constitution de réserves de sécurité de deux à quatre mois pour six mille médicaments dits “d’intérêt thérapeutique majeur” (MITM) ». La direction générale de la santé (DGS) nous détaille les mesures réglementaires qui s’appliquent à la liste des MITM : « obligation de constituer des stocks, d’élaborer un plan de gestion des pénuries, d’informer les autorités dès que les industriels ont connaissance de tout risque de rupture de stock ou de toute rupture de stock pour ces médicaments ». La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 instaure la possibilité, après une procédure contradictoire, de compléter cette liste si un MITM n’y figure pas, précise encore la DGS.

    Si l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) n’a prononcé que huit pénalités financières entre 2018 et 2022 — pour un montant total de 922 000 euros —, aucune de ces sanctions n’avait pour motif une violation des obligations d’élaboration d’un PGP ou de constitution d’un stock de sécurité, en dépit des pénuries. Les MITM désignent les traitements dont l’arrêt peut mettre en jeu « le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante pour les patients au regard de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie ». Dans les faits, ils recouvrent la moitié des spécialités commercialisées en France. Étonnamment, il n’existe pas de liste répertoriant l’ensemble des MITM, mais seulement les médicaments pour lesquels quatre mois de provisions sont requis. Si un arrêté fixe la liste des classes thérapeutiques concernées, chaque fabricant doit identifier lui-même ses produits relevant de cette catégorie.

    Les MITM constituent le dernier avatar des « médicaments essentiels ». Comme souvent en matière de santé, cette notion — qui pourrait sembler relever de l’évidence scientifique — s’avère très complexe, litigieuse, et le recensement des substances concernées est soumis à de nombreuses influences. En 1977, l’établissement de la première liste de 186 médicaments essentiels par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait suscité une série de controverses méthodologiques, logistiques et politiques. Cette publication est néanmoins devenue une routine avec une vingt-troisième liste des médicaments « les plus efficaces, les plus sûrs et les plus rentables pour les affections prioritaires », parue le 26 juillet 2023 (4).

    De nouvelles molécules miracles… pour la saison prochaine


    Un inventaire des médicaments critiques « essentiels pour garantir la fourniture et la continuité de soins de santé de qualité et un niveau élevé de protection de la santé publique » a été dévoilé en décembre dernier par la Commission européenne (5). Il répertorie deux cents substances actives (les molécules qui ont une propriété thérapeutique et auxquelles on ajoute des excipients neutres) et doit « servir de socle à une analyse de la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement », précise l’un des porte-parole de l’institution, M. Stefan de Keersmaecker. Commission, Agence européenne du médicament (AEM) et États membres « pourront recommander des mesures pour remédier [aux vulnérabilités dans les chaînes d’approvisionnement] », ajoute-t-il. Une réponse bureaucratique ?

    En juin dernier, la diffusion d’une liste française des 450 « médicaments essentiels pour répondre aux besoins prioritaires des Français (6) » a suscité de nombreuses critiques, portant notamment sur l’opacité de son élaboration, sur les redondances, sur l’absence de certaines molécules ou la présence d’autres, dangereuses ou inutiles. « Il manque des “blocs” entiers, l’ophtalmologie, les soins dermatologiques courants, la gynécologie hors contraception d’urgence. Au total, c’est un résultat surprenant et décevant, je ne sais pas s’il faut l’attribuer à de la négligence, à de la précipitation ou à d’autres facteurs », constate M. Julien Gelly, de la revue médicale indépendante Prescrire. La liste devait être révisée en janvier 2024.


    Médicaments en France : production, pénuries, exportations -Cécile Marin-


    « La Haute Autorité de santé (HAS) n’a pas été sollicitée pour son élaboration en 2023. Cela relèverait pourtant (…) de ses missions », regrette M. Christian Guy-Coichard, président du Formindep, une association qui concourt, selon ses statuts, à « une information médicale indépendante ». La tâche de définir des solutions de rechange thérapeutiques quand un produit manque devrait revenir à la HAS, juge aussi Mme Simonin, qui déplore que les plans de gestion arrivent trop tard dans le cycle de production et de distribution des médicaments : « Ils répondent à une logique de rationnement, de priorisation, quand il faudrait agir en amont, en identifiant les phases critiques du point de vue industriel » (7).

    C’est précisément cette vision exhaustive et prospective de la chaîne industrielle du médicament qui semble faire défaut. Sur cent six projets financés par les plans France relance (2020-2022) et France 2030, seuls dix-huit ont concerné une réelle relocalisation et cinq portaient sur un médicament stratégique, lit-on dans le rapport du Sénat. À cet égard, la place faite au paracétamol se révèle emblématique : l’antalgique ne fait pas partie des médicaments pour lesquels il n’existe pas de solution de rechange thérapeutique et dont l’arrêt de traitement met en danger le patient ; la relocalisation de production de son produit actif n’a été choisie que pour le symbole, puisqu’il s’agit du médicament le plus vendu en France. L’opération va coûter 100 millions d’euros, dont 30 à 40 % à la charge de l’État — principalement sous forme de subventions, complétées par des avances remboursables.

    L’usine Seqens de Roussillon (Isère) devrait fabriquer d’ici 2025 entre le tiers et la moitié de la consommation européenne de paracétamol. Classée Seveso, à l’instar de nombre de sites fabriquant des principes actifs, ce type d’installation soulève quantité de problèmes. La production de ce site avait été délocalisée voici quinze ans, pour des raisons de coûts. « Sans la subvention accordée dans le cadre du plan de relance post-Covid, nous n’aurions pas pu conduire le projet », précise M. Pierre Luzeau, président-directeur général (PDG) de cette entreprise qui appartient au fonds américain SK Capital Partners (8). La société indique avoir mis au point, dans l’intervalle, une méthode de fabrication innovante « qui devrait [lui] permettre d’être aussi compétitive que les concurrents asiatiques ». Seqens possède aussi deux sites en Chine pour le paracétamol, mais refuse de communiquer les volumes produits.

    Une partie des projets soutenus par France relance concerne les étapes de production « aval » — façonnage et conditionnement —, moins critiques. Mais en se focalisant sur le lieu de fabrication, on minore l’importance de la structure de production. Faute de transparence, difficile d’apprécier dans quelle mesure les pénuries tiennent à la concentration de la production sur un petit nombre de sites plutôt qu’à la localisation de ces sites. « Une immense vague de fusions-acquisitions agite le secteur, très financiarisé, depuis plus d’une décennie ; elle aboutit à une centralisation des productions qui les fragilise fortement », estime Marc-André Gagnon, professeur à l’université canadienne de Carleton. Selon lui, les pouvoirs publics devraient instaurer un rapport de forces, notamment à travers la création d’un pôle public de fabrication de médicaments : « Il faut discipliner l’industrie », assure-t-il.

    En dépit des annonces récentes, comme celle du danois Novo Nordisk — 2,1 milliards d’euros d’investissements dans son usine de Chartres — et du britannique GSK — 240 millions d’euros d’investissements pour trois de ses sites français, dont l’usine de Mayenne, qui produit l’amoxicilline —, les relocalisations restent modestes. En 2017, l’AEM estimait que 40 % des médicaments vendus dans l’Union européenne étaient produits hors de son territoire.


    Malachi Farrell. — De la série « Covid les poches », 2020-2021
    ADAGP, Paris, 2024

    La pénurie d’amoxicilline, l’antibiotique le plus couramment utilisé, a marqué les esprits, alors que les services de pédiatrie étaient sollicités par de nombreux cas de bronchiolite l’hiver dernier. « Les médias insistaient ad nauseam sur la gravité du virus et l’intensité de l’épidémie sans mentionner d’autres facteurs majeurs de la saturation hospitalière », regrette un praticien hospitalier qui souhaite rester anonyme. « D’abord, le manque chronique de bras et de lits à l’hôpital. Puis les pénuries de médecins et pédiatres de ville : les consulter au début des symptômes permet d’éviter leur aggravation, tout comme l’administration précoce d’amoxicilline peut prévenir les surinfections bactériennes. Or les formes pédiatriques manquaient, pas les formules pour adultes… »

    Ce pharmacien hospitalier alerte : « Il est troublant de constater que, de plus en plus souvent, une crise sanitaire principalement liée à un contexte de pénurie ou de mauvaise gestion traumatise patients, parents et soignants, puis ouvre opportunément la voie à une solution médicamenteuse présentée comme miraculeuse pour la saison suivante. » Ainsi le succès du nirsévimab (le Beyfortus de Sanofi), admis au remboursement en France lors de l’été 2023, a conduit à son contingentement fin septembre. Si l’injection préventive semble présenter un léger bénéfice pour certains bébés fragiles, les bronchiolites sont « rarement graves chez les nourrissons nés à terme et en bonne santé », note Prescrire, qui souligne que les essais n’ont « pas démontré que le nirsévimab diminue la mortalité » (9).
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    « Bien que porteuse d’un discours très libéral, l’industrie prospère grâce à l’argent public »


    L’amoxicilline, qui fait partie des pénicillines à spectre élargi, avait par ailleurs fait l’objet d’une note de synthèse de l’ANSM en 2016. L’agence s’alarmait déjà de la « criticité de l’approvisionnement en substance active ». Elle identifiait quatorze producteurs, dont six dans l’Union européenne (en Autriche et en Espagne). La fabrication des matières premières en amont de cette substance active était entièrement réalisée dans des pays non européens, principalement en Chine. Avec l’Inde, elle fournit aujourd’hui 80 % des principes actifs utilisés par l’industrie pharmaceutique, contre 20 % il y a trente ans. Ces sites de production sont très insuffisamment contrôlés, ce qui entraîne des risques pour les patients (10).

    La communication du gouvernement s’est révélée particulièrement chaotique sur le sujet, évoquant régulièrement de rapides retours à la normale alors que le produit était encore « en tension » en décembre 2023, dans 60 % des officines, et particulièrement pour les formes pédiatriques buvables, indiquait M. Philippe ­Besset, président de la fédération des syndicats pharmaceutiques de France, sur BFM TV, le 27 décembre. Un an auparavant, l’ANSM avait dû autoriser la réalisation de préparations magistrales (en pharmacie ou à l’hôpital) par les officines pour les enfants de moins de 12 ans.

    GSK a refusé de répondre précisément à nos questions sur la provenance des matières premières utilisées dans son usine de Mayenne, se contentant de généralités sur le renforcement de la capacité de production du site. Le constat de l’opacité généralisée du secteur pharmaceutique et celui d’un manque chronique de volonté politique pour y mettre fin reviennent chez de nombreux observateurs indépendants. « Bien que porteuse d’un discours très libéral, l’industrie prospère grâce à l’argent public — des remboursements par la Sécurité sociale aux nombreuses subventions et autres crédits d’impôt », note M. Jean Poitou, pharmacien hospitalier et chargé de cours à l’université Grenoble-Alpes. « Elle maîtrise, en France, les arcanes d’une économie hyperrégulée et centralisée autour d’une poignée d’interlocuteurs-clés. Le tout en maintenant le secret sur ses coûts de fabrication et la ventilation exacte de ses recettes et dépenses. »


    Dépenses de santé et espérance de vie

    C. M.

    Le secteur pharmaceutique représente le deuxième récipiendaire du crédit d’impôt recherche (CIR), constatent les auteures du rapport sénatorial, Mmes Laurence Cohen et Sonia de La Provôté, soit 710 millions d’euros en 2020. Le CIR représentait 19 % de l’impôt dû par les entreprises pharmaceutiques en 2015, 34 % en 2021. Celles-ci comptabilisent même comme dépenses ouvrant droit au CIR les rachats d’une start-up pour s’approprier un médicament prometteur. « Alors que la recherche publique contribue pour près de moitié à l’effort de recherche-développement pharmaceutique, les profits tirés des médicaments innovants sont intégralement captés par les entreprises », constatent les sénatrices. Ainsi, pour les vaccins à ARN mis au point contre le Covid-19, l’essentiel des risques a été assumé par les pouvoirs publics. La publication sénatoriale leur recommande de réorienter les soutiens vers la production en France de médicaments essentiels. Les auteures proposent aussi de systématiser le recours aux conditionnalités (pérennité de la présence industrielle, localisation de la propriété intellectuelle, approvisionnement du marché français) et d’améliorer la transparence sur l’utilisation des aides publiques.

    Les entreprises ne cessent de brandir l’argument de l’innovation, notamment pour s’opposer aux baisses de prix des médicaments ou justifier leur rémunération. Mais depuis trois décennies elles n’ont conçu que très peu de produits réellement novateurs pour les maladies les plus courantes, au profit de traitements qui concernent des effectifs réduits de patients. Vendus à des prix exorbitants, complètement décorrélés de leurs coûts de production, ces traitements de pointe menacent l’avenir du système français de remboursement. Malgré l’instauration, en 2023, d’une contribution ciblant les médicaments à forte croissance et procurant un chiffre d’affaires élevé, leur poids sur la solidarité nationale ne cesse de croître. Pour certains produits, le rapport sénatorial déplore qu’un « laboratoire qui développe un médicament en monopole dispose, de fait, d’un droit de vie ou de mort sur les patients ». En 2018, la société américaine Vertex avait ainsi menacé d’arrêter un essai clinique mené en France sur des malades atteints de mucoviscidose si les négociations avec l’État pour fixer le prix d’un autre traitement n’aboutissaient pas. L’association Vaincre la mucoviscidose avait dénoncé un chantage du laboratoire. « Pour certains anticancéreux, nous avons calculé que les marges de l’industrie atteignent plus de 80 % », s’indigne M. Patrick Durisch, expert en politique de santé de l’organisation non gouvernementale (ONG) suisse Public Eye.

    Le 1er mars dernier, M. François Braun, alors ministre de la santé, déclarait devant l’Assemblée nationale : « Le dernier budget de la Sécurité sociale soutient fortement le secteur stratégique du médicament, en permettant une croissance nette d’environ 3 % entre 2022 et 2023 (…) [soit] 800 millions d’euros supplémentaires de montants remboursés [en 2023]. » La journaliste Rozenn Le Saint pointe que l’assurance-maladie a versé en 2022 plus du double de cette somme, précisément 2 milliards d’euros, au seul laboratoire Novartis (11). Novartis détient Sandoz, qui produit notamment de l’amoxicilline.

    Les États refusent de demander des comptes aux laboratoires pharmaceutiques


    Parallèlement, chaque année, la loi fixe une cible d’économies à réaliser passant par des objectifs de baisses de prix des médicaments — 825 millions d’euros en 2023. Pour les auteures du rapport sénatorial, le Comité économique des produits de santé, chargé de fixer les prix, devrait négocier avec les exploitants afin de les contraindre à maintenir l’accès à leurs médicaments matures dans le domaine public lorsqu’ils demandent l’admission au remboursement d’une nouvelle spécialité. Mais « il a été impossible de faire prospérer les modestes tentatives faites [en ce sens] », constatent-elles.

    L’Union européenne défend le soutien à l’« innovation » et envisage principalement de continuer à arroser d’argent public l’industrie, sans contreparties réelles. « On ne sort pas d’une logique néolibérale à l’origine même des pénuries, s’agace M. Durisch. On le constate aussi dans les négociations entourant actuellement la révision de la législation pharmaceutique de l’Union, ainsi que dans la préparation du futur “traité pandémie” de l’OMS : les avancées vers un contrôle accru des pouvoirs publics sur l’industrie sont peu à peu supprimées, sous l’action des lobbys. »

    « Par peur de froisser l’industrie, les gouvernements refusent de lui demander des comptes », commente M. Jaume Vidal, conseiller politique de Health Action International, une organisation qui défend l’accès aux médicaments essentiels. « Les accords de libre-échange imposent aux États des situations de compétition ; certains, comme ­l’Irlande et les Pays-Bas, mènent la course pour consentir le plus d’avantages aux laboratoires pharmaceutiques. L’Union européenne a raté une formidable occasion d’imposer la transparence lors du Covid. » Selon lui, l’opacité du secteur nourrit des soupçons d’instrumentalisation des pénuries, mais toute critique se voit assimilée au rejet de la science. L’indisponibilité des informations économiques et financières — coûts de production, marges, montant des aides, etc. — s’accompagne d’une séquestration, par les laboratoires, d’une part importante des données issues de leurs essais cliniques. Ils en dissimulent couramment les résultats démontrant un manque d’efficacité et faisant ressortir des effets indésirables. Un rapport de l’ONG Transparency International de 2017 estimait que 170 milliards de dollars étaient gaspillés chaque année dans la recherche médicale (12). La seule absence de publication intégrale des résultats des études menées dans le monde expliquerait la moitié de cette dilapidation. Le manque de transparence conduit à répéter des études pour des médicaments nocifs ou inefficaces et retarde la mise au point de bons traitements par défaut de coordination de l’effort de recherche. La situation de cette industrie, étroitement dépendante en France des cotisations sociales, témoigne de la captation des intérêts collectifs, orchestrée avec la complicité d’une partie de l’administration.

    Ariane Denoyel

    Journaliste, auteure de Génération zombie. Enquête sur le scandale des antidépresseurs, Fayard, Paris, 2021.

    (1)  « Rapport n° 828 fait au nom de la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française », Sénat, Paris, 2022-2023.

    (2)  « Baromètre des droits des personnes malades », mars 2023 (PDF).

    (3)  Décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 relatif au stock de sécurité destiné au ­marché national.

    (4)  « WHO model list of essential medicines, 23rd list, 2023 », Organisation mondiale de la santé (OMS).

    (5)  « La Commission publie la première liste de médicaments critiques de l’Union pour faire face aux pénuries », représentation en France de la Commission européenne, 12 décembre 2023.

    (6)  « Gestion des pénuries : publication de la liste des médicaments essentiels pour répondre aux besoins prioritaires des Français », ministère de la santé, Paris, 13 juin 2023.

    (7)  Sollicitée à de nombreuses reprises, la direction générale de la santé s’est contentée d’un courriel général sans répondre en détail à nos questions.

    (8)  Justin Delépine, « Médicaments : la France reprend-elle vraiment la main sur la production ? », Alternatives économiques, Paris, 1er.

    (9)  Prescrire, Paris, 1er septembre 2023.

    (10)  Jonathan Lambert, « “Bottle of lies” exposes the dark side of the generic-drug boom », National Public Radio, 12 mai 2019.

    (11)  Rozenn Le Saint, Chantage sur ordonnance. Comment les labos vident les caisses de la Sécu, Seuil, Paris, 2023.

    (12)  « Clinical trial transparency : A guide for policymakers », Transparency International, 2017.
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