C'est un peu long à lire mais c'est remarquablement bien documenté.
Par Jean-Claude Bregliano
Généticien
1ère partie
Depuis plus de dix ans, les OGM sont au centre d’une controverse qui n’est ni des plus claires, ni des plus sereines et cet état de choses a plutôt tendance à s’aggraver au fil du temps. Ce qui était au départ un simple débat a pris des allures de polémique, pour ne pas dire plus.
Une première condition indispensable pour qui veut tenter de clarifier les choses est de dissocier deux aspects très différents de cette question, l’un relevant du domaine scientifique, l’autre de questionnements socio-économiques et éthiques.
Qu’est-ce qu’un OGM ?
Le sigle OGM signifie « Organisme Génétiquement Modifié ». On entend par là un type de modification qui consiste à insérer, dans les chromosomes d’une espèce vivante, une molécule d’ADN[1] étrangère. Cette opération est possible grâce à des enzymes qui permettent de couper et de ligaturer avec précision des filaments d’ADN. La molécule insérée peut soit correspondre à un ou plusieurs gènes qui apportent de nouvelles fonctions à l’hôte soit, au contraire, aller bloquer le fonctionnement d’un gène donc supprimer une fonction indésirable. Cette opération entre dans le cadre du génie génétique, on parle de transgénèse. L’organisme ainsi modifié est dit transgénique. Le ou les gènes transférés peuvent provenir d’un autre individu de la même espèce, d’une autre espèce ou même d’un autre type d’organisme. Ainsi un gène de bactérie peut être transféré dans un animal ou dans une plante et réciproquement.
Ici nous parlerons surtout des plantes génétiquement modifiées (PGM), puisque ce sont elles qui sont au centre de la controverse.
Avant de disposer de cette technologie, comment procédaient les agriculteurs, et les chercheurs en amélioration des plantes, pour augmenter les qualités agronomiques des plantes cultivées ? La première méthode, probablement utilisée dès les débuts de l’agriculture, est une sélection très empirique : dans un champ, on choisit les plants qui présentent la meilleure qualité et on s’en sert pour obtenir les semences de la génération suivante. Depuis le début du XXe siècle on utilise des méthodes plus sophistiquées : production de mutations au hasard avec des agents mutagènes chimiques ou physiques (certaines radiations) ; croisements avec d’autres variétés ou espèces voisines pour introduire des gènes intéressants (de résistance aux maladies par exemple). Cette dernière méthode était la plus utilisée jusqu’à ces dernières années. Il s’agit donc bien de créer des plantes génétiquement modifiées, mais avec des méthodes dites « classiques », bien qu’elles ne se contentent pas toujours d’imiter des voies naturelles. Certaines font appel à des techniques élaborées (la mutagénèse notamment).
Pour un chercheur en amélioration des plantes la transgénèse a l’avantage :
L’Homme et la Nature
Les principales inquiétudes exprimées sur les plantes transgéniques sont liées à la technologie elle-même, qui est perçue comme radicalement différente des méthodes classiques de sélection. On lui oppose deux grandes objections.
La première objection est qu’elle ne respecte pas la « barrière d’espèce » puisqu’elle permet des échanges génétiques entre espèces différentes, transgressant ainsi une loi fondamentale de la nature, une sorte de tabou mystique. C’est le mythe de l’apprenti sorcier ou du savant fou, qui motive une hostilité de principe aux PGM chez beaucoup d’opposants.
On retrouve là un très ancien penchant à la sacralisation du ‘naturel’, assez largement répandu, qui va de pair avec la croyance que « c’est naturel donc c’est bon ». Sous-entendu : ce que fait l’homme est artificiel donc mauvais. Dans cette logique, il faut alors admettre qu’il n’y a jamais eu grand-chose de bon pour les humains depuis les temps lointains où ils se sont mis à tailler des pierres pour en faire des outils. Est-il naturel d’habiter dans des maisons et d’utiliser l’électricité ou la voiture ? Cette sacralisation du naturel va de pair avec le vieux mythe de la « Mère Nature », peut-être très poétique, mais pas du tout réaliste. Les actes de férocité et les poisons abondent dans le monde vivant.
Cette inquiétude sur le tabou de la « barrière d’espèce » n’est pas nouvelle, elle avait été émise et débattue par les chercheurs eux-mêmes entre les années 1974 et 76, dès que les techniques de génie génétique ont été mises au point et utilisées comme outils de recherche en laboratoire. Elle les a même amenés à décider d’un moratoire de près de 2 ans sur ce type d’expérience.
Depuis cette époque, la génétique nous a appris que les transferts de gènes interspécifiques existent bel et bien dans les conditions naturelles. Ce processus est appelé « transfert horizontal », par opposition au transfert vertical, qui se fait d’une génération à l’autre par la reproduction sexuée. Sa fréquence est faible, mais vu la durée de l’évolution biologique, son accumulation au fil des âges a due être considérable.
C’est maintenant un fait bien acquis, tous les êtres vivants de notre planète sont le résultat d’une évolution de plus de 3 milliards d’années où se sont produits des échanges génétiques de toutes sortes entre espèces et entre organismes très différents. Ceux qui apportaient une innovation avantageuse ont été favorisés par le jeu de la sélection naturelle et se sont perpétués au fil de l’évolution. La question que se posent maintenant les évolutionnistes est celle de l’impact de ces transferts sur le déroulement du processus évolutif : négligeable ou essentiel ? A suivre.
Mais la transgénèse naturelle (ou spontanée) ne se produit pas uniquement de façon sporadique au fil des âges géologiques. Pour certains organismes, elle fait partie intégrante de leur mode de vie.
Bref, tous les organismes du monde vivant, depuis les virus jusqu’à l’homme, sont le siège de génie génétique naturel. Ce fut une grande surprise pour les généticiens de découvrir, depuis la fin des années 70, que les génomes sont capables d’une grande plasticité. Cette découverte a conduit à une véritable rupture conceptuelle avec la vision fixiste héritée de la première moitié du XXe siècle.
Par Jean-Claude Bregliano
Généticien
1ère partie
Depuis plus de dix ans, les OGM sont au centre d’une controverse qui n’est ni des plus claires, ni des plus sereines et cet état de choses a plutôt tendance à s’aggraver au fil du temps. Ce qui était au départ un simple débat a pris des allures de polémique, pour ne pas dire plus.
Une première condition indispensable pour qui veut tenter de clarifier les choses est de dissocier deux aspects très différents de cette question, l’un relevant du domaine scientifique, l’autre de questionnements socio-économiques et éthiques.
- L’aspect scientifique comporte lui-même deux volets. Le premier relève directement de la génétique : les OGM représentent-ils quelque chose de radicalement nouveau dans le monde vivant ? L’autre concerne leurs risques et avantages éventuels.
- L’aspect socio-économique peut se résumer en une question : les OGM, au bénéfice de qui ? Mais cette question en cache une autre, bien plus cruciale : faut-il accepter la privatisation du patrimoine génétique des êtres vivants ?
Qu’est-ce qu’un OGM ?
Le sigle OGM signifie « Organisme Génétiquement Modifié ». On entend par là un type de modification qui consiste à insérer, dans les chromosomes d’une espèce vivante, une molécule d’ADN[1] étrangère. Cette opération est possible grâce à des enzymes qui permettent de couper et de ligaturer avec précision des filaments d’ADN. La molécule insérée peut soit correspondre à un ou plusieurs gènes qui apportent de nouvelles fonctions à l’hôte soit, au contraire, aller bloquer le fonctionnement d’un gène donc supprimer une fonction indésirable. Cette opération entre dans le cadre du génie génétique, on parle de transgénèse. L’organisme ainsi modifié est dit transgénique. Le ou les gènes transférés peuvent provenir d’un autre individu de la même espèce, d’une autre espèce ou même d’un autre type d’organisme. Ainsi un gène de bactérie peut être transféré dans un animal ou dans une plante et réciproquement.
Ici nous parlerons surtout des plantes génétiquement modifiées (PGM), puisque ce sont elles qui sont au centre de la controverse.
Avant de disposer de cette technologie, comment procédaient les agriculteurs, et les chercheurs en amélioration des plantes, pour augmenter les qualités agronomiques des plantes cultivées ? La première méthode, probablement utilisée dès les débuts de l’agriculture, est une sélection très empirique : dans un champ, on choisit les plants qui présentent la meilleure qualité et on s’en sert pour obtenir les semences de la génération suivante. Depuis le début du XXe siècle on utilise des méthodes plus sophistiquées : production de mutations au hasard avec des agents mutagènes chimiques ou physiques (certaines radiations) ; croisements avec d’autres variétés ou espèces voisines pour introduire des gènes intéressants (de résistance aux maladies par exemple). Cette dernière méthode était la plus utilisée jusqu’à ces dernières années. Il s’agit donc bien de créer des plantes génétiquement modifiées, mais avec des méthodes dites « classiques », bien qu’elles ne se contentent pas toujours d’imiter des voies naturelles. Certaines font appel à des techniques élaborées (la mutagénèse notamment).
Pour un chercheur en amélioration des plantes la transgénèse a l’avantage :
- d’être plus rapide et plus ciblée que les techniques antérieures. On peut introduire un seul gène dans un génome au lieu de centaines, plus ou moins au hasard, avec des caractères non souhaités, comme c’est le cas avec un croisement ;
- de rendre possible le transfert de gènes entre organismes très différents, par exemple d’une bactérie vers une plante, ce qui est évidemment impossible par croisement.
L’Homme et la Nature
Les principales inquiétudes exprimées sur les plantes transgéniques sont liées à la technologie elle-même, qui est perçue comme radicalement différente des méthodes classiques de sélection. On lui oppose deux grandes objections.
La première objection est qu’elle ne respecte pas la « barrière d’espèce » puisqu’elle permet des échanges génétiques entre espèces différentes, transgressant ainsi une loi fondamentale de la nature, une sorte de tabou mystique. C’est le mythe de l’apprenti sorcier ou du savant fou, qui motive une hostilité de principe aux PGM chez beaucoup d’opposants.
On retrouve là un très ancien penchant à la sacralisation du ‘naturel’, assez largement répandu, qui va de pair avec la croyance que « c’est naturel donc c’est bon ». Sous-entendu : ce que fait l’homme est artificiel donc mauvais. Dans cette logique, il faut alors admettre qu’il n’y a jamais eu grand-chose de bon pour les humains depuis les temps lointains où ils se sont mis à tailler des pierres pour en faire des outils. Est-il naturel d’habiter dans des maisons et d’utiliser l’électricité ou la voiture ? Cette sacralisation du naturel va de pair avec le vieux mythe de la « Mère Nature », peut-être très poétique, mais pas du tout réaliste. Les actes de férocité et les poisons abondent dans le monde vivant.
Cette inquiétude sur le tabou de la « barrière d’espèce » n’est pas nouvelle, elle avait été émise et débattue par les chercheurs eux-mêmes entre les années 1974 et 76, dès que les techniques de génie génétique ont été mises au point et utilisées comme outils de recherche en laboratoire. Elle les a même amenés à décider d’un moratoire de près de 2 ans sur ce type d’expérience.
Depuis cette époque, la génétique nous a appris que les transferts de gènes interspécifiques existent bel et bien dans les conditions naturelles. Ce processus est appelé « transfert horizontal », par opposition au transfert vertical, qui se fait d’une génération à l’autre par la reproduction sexuée. Sa fréquence est faible, mais vu la durée de l’évolution biologique, son accumulation au fil des âges a due être considérable.
C’est maintenant un fait bien acquis, tous les êtres vivants de notre planète sont le résultat d’une évolution de plus de 3 milliards d’années où se sont produits des échanges génétiques de toutes sortes entre espèces et entre organismes très différents. Ceux qui apportaient une innovation avantageuse ont été favorisés par le jeu de la sélection naturelle et se sont perpétués au fil de l’évolution. La question que se posent maintenant les évolutionnistes est celle de l’impact de ces transferts sur le déroulement du processus évolutif : négligeable ou essentiel ? A suivre.
Mais la transgénèse naturelle (ou spontanée) ne se produit pas uniquement de façon sporadique au fil des âges géologiques. Pour certains organismes, elle fait partie intégrante de leur mode de vie.
- Chez les bactéries, elle est monnaie courante et permet le transfert, entre espèces très différentes, des gènes de résistance aux antibiotiques.
- Certaines espèces bactériennes vont systématiquement insérer un petit groupe de leurs gènes, porté par un élément mobile (voir note 2), dans les chromosomes des plantes qu’elles infectent, amenant celles-ci à synthétiser des produits dont elles se nourrissent. Le mécanisme de cette transgénèse spontanée a d’ailleurs été utilisé par les chercheurs pour mettre au point la technologie des PGM.
- Pour certaines familles de virus, dont les « rétrovirus » (le plus connu est le virus du SIDA, mais d’autres sont inoffensifs), l’insertion de leur génome dans les chromosomes de l’organisme infecté est une étape obligatoire de leur reproduction. C’est là aussi une transgénèse tout à fait spontanée. Des dérivés de ces virus ont été les premiers outils utilisés pour les essais de thérapie génique.
- Une fois inséré dans un chromosome, le génome du rétrovirus peut se reproduire. Il peut alors arriver qu’un génome ’fils’ incorpore accidentellement un gène de la cellule hôte, il sera devenu transgénique. Lorsqu’il infectera des cellules d’un nouvel hôte, il apportera avec lui ce gène qui se retrouvera alors en surnombre. Si le rôle normal du gène en question est de contrôler la reproduction des cellules, ce surnombre pourra entraîner des divisions cellulaires anarchiques et aboutir à un cancer. On a donc là une double transgénèse, du virus et de l’hôte. C’est par ce mécanisme qu’un certain nombre de rétrovirus des oiseaux et des mammifères sont devenus cancérogènes.
Bref, tous les organismes du monde vivant, depuis les virus jusqu’à l’homme, sont le siège de génie génétique naturel. Ce fut une grande surprise pour les généticiens de découvrir, depuis la fin des années 70, que les génomes sont capables d’une grande plasticité. Cette découverte a conduit à une véritable rupture conceptuelle avec la vision fixiste héritée de la première moitié du XXe siècle.
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