Interview : Jean-Pierre Luminet explique le modèle de l'Univers fini
Par Laurent Sacco, Futura-Sciences
18 février 2008
A l'occasion de la publication de nouveaux résultats confortant l'hypothèse d'un Univers fini, mais à la topologie particulière, l'un des principaux promoteurs de ce modèle, Jean-Pierre Luminet, répond aux questions de Futura-Sciences sur cette fascinante théorie cosmologique.
Futura-Sciences : Le modèle cosmologique dodécaédrique de Poincaré (Poincaré Dodecahedral Space, PDS) possède des caractéristiques distinctes du modèle de concordance [version actuelle du Modèle standard, communément acceptée aujourd'hui, NDLR]. Pouvez-vous nous rappeler brièvement lesquelles ?
Jean-Pierre Luminet : Le modèle de concordance actuellement considéré par beaucoup de cosmologistes est un modèle à la topologie simple, comme une sphère. Mais surtout il est plat et infini. Celui du PDS est un modèle clos, construit à partir d’une géométrie sphérique, mais à la topologie compliquée comme un pneu ou un bretzel. Il est donc fini mais, contrairement à un tore plat, il est caractérisé par une courbure positive.
En outre, il conduit à des prédictions concernant sa taille qui sont en principe testables, ce qui n’est pas le cas des modèles cosmologiques infinis. L’une de ces prédictions concerne les observations que l’on peut faire dans le spectre de puissance du rayonnement fossile. Comme la taille de l’Univers est finie et inférieure à l’horizon dans le cas du modèle PDS, on doit s’attendre à une coupure pour la taille des longueurs d’ondes présentes dans le spectre des fluctuations du rayonnement fossile. C’est facile à comprendre car des longueurs d’onde plus grandes que la taille de l’Univers sont évidemment exclues.
Futura-Sciences : Lorsque l’on mesure, dans toutes les directions de l’espace, l’intensité du rayonnement fossile, et que l’on effectue une sorte de moyenne, on trouve une courbe avec des pics et des oscillations : il s’agit de la fameuse variance cosmique qui dépend de l’échelle de résolution angulaire avec laquelle on analyse le rayonnement fossile.
Le spectre de cette courbe est une sorte de carte d’identité d’un Univers de forme et composition donnée, de même que le spectre d’un atome ou d’une molécule peut servir à l’identifier. Après la publication des données de WMap, c’est bien à ce niveau là que vous avez trouvé les premiers indices en faveur du modèle PDS que vous avez étudié avec vos collègues depuis quelques années ?
Jean-Pierre Luminet : Tout à fait ! Au début de la courbe de la variance cosmique, on constatait en 2003 que deux modes, dits quadripolaires et octopolaires, étaient moins présents que prévu dans le cadre du modèle de concordance. Or, c’est précisément le genre de choses auquel on doit s’attendre avec un Univers de taille finie, plus petit que l’horizon cosmologique. Cela correspond à l’absence des grandes longueurs d’onde dont j’ai parlé précédemment.
Le raffinement des mesures de WMap, au bout de trois années d’observations, a fait disparaître le désaccord entre la mesure du mode octopolaire et les prédictions du modèle de concordance mais le problème persiste toujours avec le mode quadripolaire : c’est un argument sérieux en faveur de notre modèle.

Figure 1. La courbe de la variance cosmique. En rouge, la prédiction du modèle de concordance. La croix en bas à gauche est conforme au modèle PDS et c'est un résultat observationnel. Crédit : Nasa
Futura-Sciences : Avec vos collègues (S. Caillerie, M. Lachièze-Rey, R. Lehoucq, A. Riazuelo, et J. Weeks), vous présentez votre modèle cosmologique comme une alternative au modèle de concordance, en particulier parce que vous pouvez être en meilleur accord avec le spectre de puissance du rayonnement fossile fourni par WMap que celui-ci. Toutefois, d’autres observations, comme les supernovae et les collisions entre amas de galaxies, indiquent la présence d’énergie noire et de matière noire. Cela est-il là aussi compatible avec votre théorie ?
Jean-Pierre Luminet : Nous avons évidemment étudié la question et, non seulement notre modèle incorpore la matière noire et l’énergie noire, mais il le fait avec des proportions identiques à celles du modèle de concordance. Il y a donc compatibilité avec les autres contraintes observationnelles que vous mentionnez.

Figure 2. Les proportions d'énergie noire (dark energy) et de matière noire (dark matter) dans l'Univers. Le reste est de la matière baryonique normale. Crédit : planetquest.jpl.nasa.gov
Futura-Sciences : Le modèle dodécaédrique de Poincaré possède une topologie rigide, cela veut-il dire qu’il fixe la densité totale de l’Univers ?
Jean-Pierre Luminet : Non, la densité de 1,018 que nous avons obtenue est celle qui permet l’ajustement le plus précis avec les données de WMap. Néanmoins, comme je vous l’ai dit, le PDS exige une courbure positive pour l’Univers. Cela signifie que la densité totale doit bien être supérieure à 1, sans quoi notre modèle serait réfuté par les observations.
Futura-Sciences : Dans votre cours de cosmologie [téléchargeable en fichier PPS, NDLR], vous parlez d’une autre contrainte sur la densité totale dans le modèle PDS: elle ne doit pas être inférieure à 1,009. Si cela était le cas, comme la future mission Planck le révélera peut-être, le PDS serait-il là aussi réfuté ?
Jean-Pierre Luminet : A strictement parler, non. En fait, il existe un intervalle de valeurs, pour la densité totale, qui correspond à des Univers dodécaédriques dans lesquels leur taille est plus petite que l’horizon. Dans ce cas, il est possible de savoir si nous sommes dans un Univers décrit par le modèle PDS. Dans le cas contraire, pour des valeurs en dehors de cet intervalle, notre Univers pourrait toujours être décrit par le modèle PDS mais sa taille serait supérieure à son horizon, et nous ne pourrions donc pas le départager d’autres modèles d’Univers, comme le modèle de concordance Lambda CDM.
Futura-Sciences : Le PDS est clos, avec une densité supérieure à la densité critique. Cela veut-il dire que son destin est de finir dans un Big Crunch ?
Jean-Pierre Luminet : Pour autant que nous le sachions, non, car l’énergie noire l’accélère exactement comme dans le cas du modèle de concordance. Il devrait donc continuer son expansion pour l’éternité.
Par Laurent Sacco, Futura-Sciences
18 février 2008
A l'occasion de la publication de nouveaux résultats confortant l'hypothèse d'un Univers fini, mais à la topologie particulière, l'un des principaux promoteurs de ce modèle, Jean-Pierre Luminet, répond aux questions de Futura-Sciences sur cette fascinante théorie cosmologique.
Futura-Sciences : Le modèle cosmologique dodécaédrique de Poincaré (Poincaré Dodecahedral Space, PDS) possède des caractéristiques distinctes du modèle de concordance [version actuelle du Modèle standard, communément acceptée aujourd'hui, NDLR]. Pouvez-vous nous rappeler brièvement lesquelles ?
Jean-Pierre Luminet : Le modèle de concordance actuellement considéré par beaucoup de cosmologistes est un modèle à la topologie simple, comme une sphère. Mais surtout il est plat et infini. Celui du PDS est un modèle clos, construit à partir d’une géométrie sphérique, mais à la topologie compliquée comme un pneu ou un bretzel. Il est donc fini mais, contrairement à un tore plat, il est caractérisé par une courbure positive.
En outre, il conduit à des prédictions concernant sa taille qui sont en principe testables, ce qui n’est pas le cas des modèles cosmologiques infinis. L’une de ces prédictions concerne les observations que l’on peut faire dans le spectre de puissance du rayonnement fossile. Comme la taille de l’Univers est finie et inférieure à l’horizon dans le cas du modèle PDS, on doit s’attendre à une coupure pour la taille des longueurs d’ondes présentes dans le spectre des fluctuations du rayonnement fossile. C’est facile à comprendre car des longueurs d’onde plus grandes que la taille de l’Univers sont évidemment exclues.
Futura-Sciences : Lorsque l’on mesure, dans toutes les directions de l’espace, l’intensité du rayonnement fossile, et que l’on effectue une sorte de moyenne, on trouve une courbe avec des pics et des oscillations : il s’agit de la fameuse variance cosmique qui dépend de l’échelle de résolution angulaire avec laquelle on analyse le rayonnement fossile.
Le spectre de cette courbe est une sorte de carte d’identité d’un Univers de forme et composition donnée, de même que le spectre d’un atome ou d’une molécule peut servir à l’identifier. Après la publication des données de WMap, c’est bien à ce niveau là que vous avez trouvé les premiers indices en faveur du modèle PDS que vous avez étudié avec vos collègues depuis quelques années ?
Jean-Pierre Luminet : Tout à fait ! Au début de la courbe de la variance cosmique, on constatait en 2003 que deux modes, dits quadripolaires et octopolaires, étaient moins présents que prévu dans le cadre du modèle de concordance. Or, c’est précisément le genre de choses auquel on doit s’attendre avec un Univers de taille finie, plus petit que l’horizon cosmologique. Cela correspond à l’absence des grandes longueurs d’onde dont j’ai parlé précédemment.
Le raffinement des mesures de WMap, au bout de trois années d’observations, a fait disparaître le désaccord entre la mesure du mode octopolaire et les prédictions du modèle de concordance mais le problème persiste toujours avec le mode quadripolaire : c’est un argument sérieux en faveur de notre modèle.

Figure 1. La courbe de la variance cosmique. En rouge, la prédiction du modèle de concordance. La croix en bas à gauche est conforme au modèle PDS et c'est un résultat observationnel. Crédit : Nasa
Futura-Sciences : Avec vos collègues (S. Caillerie, M. Lachièze-Rey, R. Lehoucq, A. Riazuelo, et J. Weeks), vous présentez votre modèle cosmologique comme une alternative au modèle de concordance, en particulier parce que vous pouvez être en meilleur accord avec le spectre de puissance du rayonnement fossile fourni par WMap que celui-ci. Toutefois, d’autres observations, comme les supernovae et les collisions entre amas de galaxies, indiquent la présence d’énergie noire et de matière noire. Cela est-il là aussi compatible avec votre théorie ?
Jean-Pierre Luminet : Nous avons évidemment étudié la question et, non seulement notre modèle incorpore la matière noire et l’énergie noire, mais il le fait avec des proportions identiques à celles du modèle de concordance. Il y a donc compatibilité avec les autres contraintes observationnelles que vous mentionnez.

Figure 2. Les proportions d'énergie noire (dark energy) et de matière noire (dark matter) dans l'Univers. Le reste est de la matière baryonique normale. Crédit : planetquest.jpl.nasa.gov
Futura-Sciences : Le modèle dodécaédrique de Poincaré possède une topologie rigide, cela veut-il dire qu’il fixe la densité totale de l’Univers ?
Jean-Pierre Luminet : Non, la densité de 1,018 que nous avons obtenue est celle qui permet l’ajustement le plus précis avec les données de WMap. Néanmoins, comme je vous l’ai dit, le PDS exige une courbure positive pour l’Univers. Cela signifie que la densité totale doit bien être supérieure à 1, sans quoi notre modèle serait réfuté par les observations.
Futura-Sciences : Dans votre cours de cosmologie [téléchargeable en fichier PPS, NDLR], vous parlez d’une autre contrainte sur la densité totale dans le modèle PDS: elle ne doit pas être inférieure à 1,009. Si cela était le cas, comme la future mission Planck le révélera peut-être, le PDS serait-il là aussi réfuté ?
Jean-Pierre Luminet : A strictement parler, non. En fait, il existe un intervalle de valeurs, pour la densité totale, qui correspond à des Univers dodécaédriques dans lesquels leur taille est plus petite que l’horizon. Dans ce cas, il est possible de savoir si nous sommes dans un Univers décrit par le modèle PDS. Dans le cas contraire, pour des valeurs en dehors de cet intervalle, notre Univers pourrait toujours être décrit par le modèle PDS mais sa taille serait supérieure à son horizon, et nous ne pourrions donc pas le départager d’autres modèles d’Univers, comme le modèle de concordance Lambda CDM.
Futura-Sciences : Le PDS est clos, avec une densité supérieure à la densité critique. Cela veut-il dire que son destin est de finir dans un Big Crunch ?
Jean-Pierre Luminet : Pour autant que nous le sachions, non, car l’énergie noire l’accélère exactement comme dans le cas du modèle de concordance. Il devrait donc continuer son expansion pour l’éternité.
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