Le Pr Petr Horava a proposé l’an dernier un nouveau concept pour expliquer comment fonctionne l’Univers. Sa théorie, qui bouscule celle d’Einstein, remporte un succès croissant.
19.08.2010 | Anil Ananthaswamy | New Scientist
C’est une conférence qui a changé la façon dont nous concevons l’espace et le temps. Nous étions en 1908, et le mathématicien allemand Hermann Minkowski essayait d’exposer clairement la nouvelle idée géniale d’Albert Einstein – connue aujourd’hui sous le nom de théorie de la relativité restreinte –, qui explique comment les choses rapetissent avec la vitesse et comment le temps se déforme. “Désormais, l’espace en lui-même et le temps en lui-même sont condamnés à s’évanouir comme des ombres, déclara-t-il, et seule pourra prétendre à une existence indépendante une espèce d’union de l’un et de l’autre.”
L’espace-temps, ce tissu élastique dont la géométrie peut être modifiée par la force d’attraction des étoiles, des planètes et de la matière, était né. Ce concept a rendu de grands services, mais il se pourrait qu’on découvre qu’il n’était en réalité qu’une illusion si la nouvelle théorie proposée par Petr Horava s’avère juste. Ce physicien de l’université de Californie à Berkeley veut en effet déchirer ce tissu et séparer le temps et l’espace pour créer une théorie unifiée qui réconcilierait le monde de la mécanique quantique et celui de la gravitation. Cette théorie unifiée est l’un des plus grands défis de la physique moderne. Depuis qu’il a publié ses travaux, en janvier 2009, Horava et sa théorie ont fait couler beaucoup d’encre. Plus de 250 articles ont déjà été écrits à leur sujet.
Une théorie du tout dite “de la gravitation quantique”
Depuis maintenant plusieurs décennies, les physiciens tentent en vain de réconcilier la théorie générale de la relativité d’Einstein, qui décrit la gravitation, et la mécanique quantique, qui décrit les particules et les forces (à l’exception de la gravitation) aux plus petites échelles qui soient. Pour la théorie quantique, l’espace et le temps sont un cadre statique dans lequel les particules se déplacent. Dans la théorie de la relativité d’Einstein, non seulement l’espace et le temps sont inextricablement liés, mais l’espace-temps qui résulte de leur union est variable car modelé par les corps qu’il contient. Lier les deux théories et engendrer une théorie du tout, dite de la “gravitation quantique”, pourrait nous permettre de comprendre ce qui s’est passé im*médiatement après le big bang et ce qui se passe près des trous noirs, où la force de gravitation est énorme.
L’un des points sur lesquels le conflit entre la théorie quantique et celle de la relativité se manifeste pleinement est la constante de gravitation, nommée G, qui représente la force d’attraction s’exercant entre deux corps. A de grandes échelles, comme celles du système solaire ou de l’Univers, les équations de la relativité générale donnent une valeur de G qui correspond bien aux observations. Mais, lorsqu’on se situe à de très petites échelles, la relativité générale ne peut pas faire abstraction des fluctuations quantiques de l’espace-temps. Lorsqu’on les prend en compte, les calculs de G donnent des résultats bizarres et rendent toute prévision impossible.
Horava a cherché un moyen d’affiner les équations d’Einstein. Il a trouvé l’inspiration dans un domaine improbable, la physique de la matière condensée, et dans le matériau qui fait le plus parler de lui en ce moment : la mine de crayon à papier. Lorsqu’on retire le graphite gris et tendre d’une mine de crayon, on trouve une fine couche d’atomes de carbone, appelée graphène, à la surface de laquelle les électrons filent comme dans un flipper. Lorsqu’on amène ce graphène à une température proche du zéro absolu (– 273 °C), il se produit quelque chose d’extraordinaire : les électrons accélèrent leur course de façon spectaculaire.
C’est cette transformation qui a stimulé l’imagination de Horava. En effet, l’une des idées centrales de la relativité est que l’espace-temps doit posséder une propriété appelée “symétrie de Lorentz” : la vitesse de la lumière reste identique pour tous les observateurs quelle que soit la vitesse à laquelle ils se déplacent, alors que le temps et les distances se contractent exactement dans la même proportion. Ce qui a étonné Horava dans le graphène, c’est que la symétrie de Lorentz ne s’y manifeste pas toujours. Il s’est donc de*mandé si la même chose ne pourrait pas être vraie dans notre Univers. Il a alors commis l’impensable : modifier les équations d’Einstein de façon à supprimer la symétrie de Lorentz. Il a réalisé une autre grande modification. La théorie d’Einstein ne donne pas la direction prise par le temps, par exemple du passé vers le futur. Cependant, l’Univers tel que nous l’observons semble évoluer uniquement dans ce sens ; Horava a donc donné au temps une direction préférée. Une fois ces changements réalisés, il a découvert que la mécanique quantique pouvait alors décrire la gravitation à des échelles microscopiques sans donner les résultats absurdes obtenus lors des autres tentatives. “Tout à coup, nous avions de nouveaux éléments pour modifier le comportement de la gravitation sur des distances très petites”, commente Horava.
Résoudre l’énigme de la matière noire
La théorie de la gravitation de Horava pourrait aider à résoudre le vieux puzzle de la matière noire. Le mouvement des étoiles et des galaxies observé par les astronomes semble impliquer qu’il y a beaucoup plus de matière dans l’Univers qu’il n’y paraît. Autrement, les galaxies et les amas de galaxies se désagrégeraient. Mais cette conclusion résulte d’équations issues de la relativité générale. Et si celles-ci étaient légèrement à côté de la réalité ? Shinji Mukohyama, de l’université de Tokyo, a décidé d’en avoir le cœur net. Lorsqu’il a extrait les équations de la théorie de Horava, il a découvert qu’elles contenaient une variable qui n’est pas présente dans les équations issues de la relativité générale, et que cette variable supplémentaire reproduit justement les effets de la matière noire. Selon sa valeur, on peut ne pas prendre en compte l’intégralité de la matière noire dans les équations. L’énergie noire est un problème encore plus coriace. L’expansion de l’Univers a commencé à s’accélérer il y a quelques milliards d’années, et pour expliquer ce phénomène les physiciens ont invoqué l’énergie inhérente au vide de l’espace-temps : l’énergie noire. Mais il y a un gros hic. Selon les théories de la physique des particules, la puissance de l’énergie noire est 120 fois plus grande que celle qui est observée, et la relativité générale ne peut pas expliquer cette énorme différence. Ici aussi, la théorie de Horava peut venir à la rescousse. Elle comprend un paramètre qui peut être affiné pour que l’énergie noire soit réduite à une petite valeur positive, en accord avec le mouvement des étoiles et des galaxies.
Au milieu de tout ce remue-ménage, Horava garde son calme. Sur un mur de son bureau de Berkeley est accrochée une carte hollandaise du XVIIe siècle où la Californie est une île à l’ouest de l’Amérique. Elle donne une leçon qui lui tient à cœur. “Nous avons découvert une nouvelle terre, et c’est très excitant, déclare-t-il. Mais nous sommes très loin d’en connaître tous les recoins !”
19.08.2010 | Anil Ananthaswamy | New Scientist
C’est une conférence qui a changé la façon dont nous concevons l’espace et le temps. Nous étions en 1908, et le mathématicien allemand Hermann Minkowski essayait d’exposer clairement la nouvelle idée géniale d’Albert Einstein – connue aujourd’hui sous le nom de théorie de la relativité restreinte –, qui explique comment les choses rapetissent avec la vitesse et comment le temps se déforme. “Désormais, l’espace en lui-même et le temps en lui-même sont condamnés à s’évanouir comme des ombres, déclara-t-il, et seule pourra prétendre à une existence indépendante une espèce d’union de l’un et de l’autre.”
L’espace-temps, ce tissu élastique dont la géométrie peut être modifiée par la force d’attraction des étoiles, des planètes et de la matière, était né. Ce concept a rendu de grands services, mais il se pourrait qu’on découvre qu’il n’était en réalité qu’une illusion si la nouvelle théorie proposée par Petr Horava s’avère juste. Ce physicien de l’université de Californie à Berkeley veut en effet déchirer ce tissu et séparer le temps et l’espace pour créer une théorie unifiée qui réconcilierait le monde de la mécanique quantique et celui de la gravitation. Cette théorie unifiée est l’un des plus grands défis de la physique moderne. Depuis qu’il a publié ses travaux, en janvier 2009, Horava et sa théorie ont fait couler beaucoup d’encre. Plus de 250 articles ont déjà été écrits à leur sujet.
Une théorie du tout dite “de la gravitation quantique”
Depuis maintenant plusieurs décennies, les physiciens tentent en vain de réconcilier la théorie générale de la relativité d’Einstein, qui décrit la gravitation, et la mécanique quantique, qui décrit les particules et les forces (à l’exception de la gravitation) aux plus petites échelles qui soient. Pour la théorie quantique, l’espace et le temps sont un cadre statique dans lequel les particules se déplacent. Dans la théorie de la relativité d’Einstein, non seulement l’espace et le temps sont inextricablement liés, mais l’espace-temps qui résulte de leur union est variable car modelé par les corps qu’il contient. Lier les deux théories et engendrer une théorie du tout, dite de la “gravitation quantique”, pourrait nous permettre de comprendre ce qui s’est passé im*médiatement après le big bang et ce qui se passe près des trous noirs, où la force de gravitation est énorme.
L’un des points sur lesquels le conflit entre la théorie quantique et celle de la relativité se manifeste pleinement est la constante de gravitation, nommée G, qui représente la force d’attraction s’exercant entre deux corps. A de grandes échelles, comme celles du système solaire ou de l’Univers, les équations de la relativité générale donnent une valeur de G qui correspond bien aux observations. Mais, lorsqu’on se situe à de très petites échelles, la relativité générale ne peut pas faire abstraction des fluctuations quantiques de l’espace-temps. Lorsqu’on les prend en compte, les calculs de G donnent des résultats bizarres et rendent toute prévision impossible.
Horava a cherché un moyen d’affiner les équations d’Einstein. Il a trouvé l’inspiration dans un domaine improbable, la physique de la matière condensée, et dans le matériau qui fait le plus parler de lui en ce moment : la mine de crayon à papier. Lorsqu’on retire le graphite gris et tendre d’une mine de crayon, on trouve une fine couche d’atomes de carbone, appelée graphène, à la surface de laquelle les électrons filent comme dans un flipper. Lorsqu’on amène ce graphène à une température proche du zéro absolu (– 273 °C), il se produit quelque chose d’extraordinaire : les électrons accélèrent leur course de façon spectaculaire.
C’est cette transformation qui a stimulé l’imagination de Horava. En effet, l’une des idées centrales de la relativité est que l’espace-temps doit posséder une propriété appelée “symétrie de Lorentz” : la vitesse de la lumière reste identique pour tous les observateurs quelle que soit la vitesse à laquelle ils se déplacent, alors que le temps et les distances se contractent exactement dans la même proportion. Ce qui a étonné Horava dans le graphène, c’est que la symétrie de Lorentz ne s’y manifeste pas toujours. Il s’est donc de*mandé si la même chose ne pourrait pas être vraie dans notre Univers. Il a alors commis l’impensable : modifier les équations d’Einstein de façon à supprimer la symétrie de Lorentz. Il a réalisé une autre grande modification. La théorie d’Einstein ne donne pas la direction prise par le temps, par exemple du passé vers le futur. Cependant, l’Univers tel que nous l’observons semble évoluer uniquement dans ce sens ; Horava a donc donné au temps une direction préférée. Une fois ces changements réalisés, il a découvert que la mécanique quantique pouvait alors décrire la gravitation à des échelles microscopiques sans donner les résultats absurdes obtenus lors des autres tentatives. “Tout à coup, nous avions de nouveaux éléments pour modifier le comportement de la gravitation sur des distances très petites”, commente Horava.
Résoudre l’énigme de la matière noire
La théorie de la gravitation de Horava pourrait aider à résoudre le vieux puzzle de la matière noire. Le mouvement des étoiles et des galaxies observé par les astronomes semble impliquer qu’il y a beaucoup plus de matière dans l’Univers qu’il n’y paraît. Autrement, les galaxies et les amas de galaxies se désagrégeraient. Mais cette conclusion résulte d’équations issues de la relativité générale. Et si celles-ci étaient légèrement à côté de la réalité ? Shinji Mukohyama, de l’université de Tokyo, a décidé d’en avoir le cœur net. Lorsqu’il a extrait les équations de la théorie de Horava, il a découvert qu’elles contenaient une variable qui n’est pas présente dans les équations issues de la relativité générale, et que cette variable supplémentaire reproduit justement les effets de la matière noire. Selon sa valeur, on peut ne pas prendre en compte l’intégralité de la matière noire dans les équations. L’énergie noire est un problème encore plus coriace. L’expansion de l’Univers a commencé à s’accélérer il y a quelques milliards d’années, et pour expliquer ce phénomène les physiciens ont invoqué l’énergie inhérente au vide de l’espace-temps : l’énergie noire. Mais il y a un gros hic. Selon les théories de la physique des particules, la puissance de l’énergie noire est 120 fois plus grande que celle qui est observée, et la relativité générale ne peut pas expliquer cette énorme différence. Ici aussi, la théorie de Horava peut venir à la rescousse. Elle comprend un paramètre qui peut être affiné pour que l’énergie noire soit réduite à une petite valeur positive, en accord avec le mouvement des étoiles et des galaxies.
Au milieu de tout ce remue-ménage, Horava garde son calme. Sur un mur de son bureau de Berkeley est accrochée une carte hollandaise du XVIIe siècle où la Californie est une île à l’ouest de l’Amérique. Elle donne une leçon qui lui tient à cœur. “Nous avons découvert une nouvelle terre, et c’est très excitant, déclare-t-il. Mais nous sommes très loin d’en connaître tous les recoins !”
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