Evolution et créationnismes
Guillaume Lecointre Département "Systématique et évolution",
Muséum national d'histoire naturelle, Paris
D’où venons-nous ? D’où vient l’univers que nous habitons ? A ces questions aussi légitimes que lancinantes, les Hommes ont d’abord forgé des réponses dans des mythes fondés sur l’introspection, les intuitions, la révélation. Leur réussite ne fut pas sans rapport avec la mise en place de pouvoirs politiques fondés sur le contrôle étroit des esprits. Au cours des siècles s’est forgée une autre approche de la connaissance du monde, fondée sur l’analyse rationnelle et la possibilité d’un dialogue organisé autour du réel par la reproduction d’expériences décisives. Ces expériences manipulaient des objets réels pour interroger le monde. La déduction de conclusions vérifiables, contrôlables, fondèrent alors l’assentiment non pas sur la foi en un dogme mais au contraire sur le scepticisme à l’égard des faits, le test, la vérification. Le réel, manipulé par des acteurs en mutuelle contradiction, leur permit de sortir du duel à l’aide de règles logiques respectées de tous. Les vérités sur les origines de notre monde n’allaient plus s’affronter sous forme de guerres de religions, mais sous la forme d’expériences et de contre-expériences ingénieuses. A cet égard, l’émergence de la science apparaît comme une émancipation de l’intellect, une liberté supplémentaire, un gain de civilisation. Certes, on peut regretter certaines applications des sciences incitées par tel pouvoir politique, tel conflit, telle contrainte idéologique ou économique. Mais ces problèmes concernent avant tout les mécanismes du contrôle citoyen de l’activité scientifique, pas de la démarche scientifique elle-même. Le créationnisme dit « scientifique » est, en lui-même, véritablement contradictoire : il est la volonté de fonder scientifiquement les récits de textes sacrés. Il y a incompatibilité constitutive entre une vérité intouchable et la démarche scientifique, simplement parce que l’impulsion sceptique initiatrice de toute démarche scientifique est insupportable au sacré.
DIVERSITE DES CREATIONNISMES
Commençons par distinguer le créationnisme « philosophique » du créationnisme « scientifique », distinction qui conduira à examiner les rapports entre science et philosophie. Le créationnisme philosophique stipule que la matière et/ou l’esprit ont été créés par une action qui leur est extérieure. L’affirmation opposée est celle d’un matérialisme immanentiste. Il s’agit d’affirmer que le monde réel est constitué de matière, y compris les manifestations très intégrées de celle-ci (« esprit », sociétés, etc.), que la matière, quelle que soit la description que l’on peut en faire, est incréée et porte en elle-même les ressources de son propre changement. Aucune de ces deux postures philosophiques n’est accessible empiriquement ; c’est-à-dire qu’elles ne peuvent être testées scientifiquement. Il s’agit bien là du terrain de la philosophie.
Examinons à présent les différentes versions du créationnisme philosophique. Les trois monothéismes ont adopté au cours de leur histoire diverses postures face à l’inadéquation logique entre le sens littéral des Ecritures et les résultats de la science. Déclinons ces postures dans un gradient de plus en plus néfaste à l’indépendance d’une démarche scientifique. Premièrement, on a adapté le sens des Ecritures aux résultats de la science. Cette attitude, généralement qualifiée de « concordiste », ne sera pas analysée ici. Deuxièmement, on a adapté le sens des résultats de la science à la lumière du dogme. Troisièmement, on a sollicité la société des scientifiques de l’intérieur afin qu’elle réponde à des préoccupations théologiques (fondation John Templeton, Université Interdisciplinaire de Paris). Quatrièmement, on a prétendu prouver scientifiquement la validité littérale des Ecritures par ce qui a été présenté comme de véritables démarches et expériences scientifiques (Créationnisme « scientifique » de H. Morris et D. Gish). Cinquièmement, on a nié purement et simplement les résultats de la science, soit en cherchant à démontrer leur fausseté au moyen de discours ré-interprétatifs mais sans expériences scientifiques (Harun Yahya, témoins de Jéhovah), soit au moyen de réinterprétations et de contre expériences qui se voulaient scientifiques (sédimentologie de Guy Berthault, mouvement du « dessein intelligent »). Enfin, on a intimidé les scientifiques en les sommant de récuser les résultats de leur travail (Galilée en astronomie, Buffon concernant l’âge de la terre, même Darwin dut faire des concessions entre la première et la seconde édition de l’ « Origine des Espèces »…) ou en les pourchassant. La première et la seconde posture ne seront pas traitées ici car ce texte n’a pas de prétention théologique. La sixième posture ne sera pas traitée non plus car ces pratiques ne se font plus aujourd’hui et ce texte n’a, par ailleurs, pas de prétention historique. Nous ne discuterons pas non plus du créationnisme philosophique du point de vue philosophique ; car ce n’est pas ici notre rôle. L’analyse qui va suivre est écrite par un scientifique ; par conséquent elle se bornera à analyser les stratégies discursives du créationnisme « scientifique ». Nous ne traiterons, d’un point de vue interne à la démarche scientifique, que des troisième, quatrième et cinquième postures, qui entendent mobiliser la science de l’intérieur, soit au niveau de la société des chercheurs, soit au niveau d’une redéfinition de la démarche scientifique elle-même que veulent imposer spiritualistes ou créationnistes pour parvenir à leurs fins respectives.
Ci-dessous figure une liste de créationnismes philosophiques qui seront traités.
I. Les créationnismes intrusifs :
I.1. Nier la science : le créationnisme négateur d’Harun Yahya.
I.2. Mimer la science : le créationnisme mimétique de H. Morris et D. Gish.
I.3. Plier la science : le « Dessein Intelligent » ou la théologie de William Paley présentée comme théorie scientifique
II. Le spiritualisme englobant :
II.1. Science et théologie vues comme les pièces d’un même puzzle : l’Université Interdisciplinaire de Paris (UIP)
II.2. La fondation John Templeton : lorsque la théologie finance la science.
Ces différents créationnismes philosophiques seront examinés un à un ; mais tous ne sont pas des créationnismes « scientifiques ». Lesquels d’entre-eux méritent l’appellation de « créationnisme scientifique », c’est-à-dire mettent la science au service d’une preuve de la création ? Il s’agit assurément des catégories I.2 et I.3 puisque dans la première la « science » prouve la Vérité des Ecritures et dans la seconde le créateur est incorporé comme explication « scientifique ». Pour ce qui concerne les catégories II.1 et II.2., il ne s’agit pas d’un créationnisme scientifique au sens précédent ; cependant la science est mobilisée par ces spiritualistes afin de servir d’autres desseins que l’élaboration de connaissances objectives, y compris d’accréditer une idée de création beaucoup plus sophistiquée. Ainsi, contrairement à une idée reçue, le créationnisme philosophique ne s’oppose pas nécessairement à d’idée d’évolution biologique. L’évolutionnisme théiste de Teilhard de Chardin en est un exemple dont on trouve des descendants au sein des spiritualismes modernes (catégorie II). La catégorie I est anti-évolutionniste, sauf peut-être pour certains adeptes du « Dessein Intelligent » pour qui les moyens par lesquels le Grand Concepteur réalise ses desseins pourraient incorporer la transformation (non darwinienne) des espèces. La catégorie II est évolutionniste. Mais tous sont anti-darwiniens, les premiers parce qu’ils refusent le fait de l’évolution biologique, les seconds parce que le modèle darwinien faisant intervenir hasard, variation, contingence, sélection naturelle ne les satisfait pas.
Guillaume Lecointre Département "Systématique et évolution",
Muséum national d'histoire naturelle, Paris
D’où venons-nous ? D’où vient l’univers que nous habitons ? A ces questions aussi légitimes que lancinantes, les Hommes ont d’abord forgé des réponses dans des mythes fondés sur l’introspection, les intuitions, la révélation. Leur réussite ne fut pas sans rapport avec la mise en place de pouvoirs politiques fondés sur le contrôle étroit des esprits. Au cours des siècles s’est forgée une autre approche de la connaissance du monde, fondée sur l’analyse rationnelle et la possibilité d’un dialogue organisé autour du réel par la reproduction d’expériences décisives. Ces expériences manipulaient des objets réels pour interroger le monde. La déduction de conclusions vérifiables, contrôlables, fondèrent alors l’assentiment non pas sur la foi en un dogme mais au contraire sur le scepticisme à l’égard des faits, le test, la vérification. Le réel, manipulé par des acteurs en mutuelle contradiction, leur permit de sortir du duel à l’aide de règles logiques respectées de tous. Les vérités sur les origines de notre monde n’allaient plus s’affronter sous forme de guerres de religions, mais sous la forme d’expériences et de contre-expériences ingénieuses. A cet égard, l’émergence de la science apparaît comme une émancipation de l’intellect, une liberté supplémentaire, un gain de civilisation. Certes, on peut regretter certaines applications des sciences incitées par tel pouvoir politique, tel conflit, telle contrainte idéologique ou économique. Mais ces problèmes concernent avant tout les mécanismes du contrôle citoyen de l’activité scientifique, pas de la démarche scientifique elle-même. Le créationnisme dit « scientifique » est, en lui-même, véritablement contradictoire : il est la volonté de fonder scientifiquement les récits de textes sacrés. Il y a incompatibilité constitutive entre une vérité intouchable et la démarche scientifique, simplement parce que l’impulsion sceptique initiatrice de toute démarche scientifique est insupportable au sacré.
DIVERSITE DES CREATIONNISMES
Commençons par distinguer le créationnisme « philosophique » du créationnisme « scientifique », distinction qui conduira à examiner les rapports entre science et philosophie. Le créationnisme philosophique stipule que la matière et/ou l’esprit ont été créés par une action qui leur est extérieure. L’affirmation opposée est celle d’un matérialisme immanentiste. Il s’agit d’affirmer que le monde réel est constitué de matière, y compris les manifestations très intégrées de celle-ci (« esprit », sociétés, etc.), que la matière, quelle que soit la description que l’on peut en faire, est incréée et porte en elle-même les ressources de son propre changement. Aucune de ces deux postures philosophiques n’est accessible empiriquement ; c’est-à-dire qu’elles ne peuvent être testées scientifiquement. Il s’agit bien là du terrain de la philosophie.
Examinons à présent les différentes versions du créationnisme philosophique. Les trois monothéismes ont adopté au cours de leur histoire diverses postures face à l’inadéquation logique entre le sens littéral des Ecritures et les résultats de la science. Déclinons ces postures dans un gradient de plus en plus néfaste à l’indépendance d’une démarche scientifique. Premièrement, on a adapté le sens des Ecritures aux résultats de la science. Cette attitude, généralement qualifiée de « concordiste », ne sera pas analysée ici. Deuxièmement, on a adapté le sens des résultats de la science à la lumière du dogme. Troisièmement, on a sollicité la société des scientifiques de l’intérieur afin qu’elle réponde à des préoccupations théologiques (fondation John Templeton, Université Interdisciplinaire de Paris). Quatrièmement, on a prétendu prouver scientifiquement la validité littérale des Ecritures par ce qui a été présenté comme de véritables démarches et expériences scientifiques (Créationnisme « scientifique » de H. Morris et D. Gish). Cinquièmement, on a nié purement et simplement les résultats de la science, soit en cherchant à démontrer leur fausseté au moyen de discours ré-interprétatifs mais sans expériences scientifiques (Harun Yahya, témoins de Jéhovah), soit au moyen de réinterprétations et de contre expériences qui se voulaient scientifiques (sédimentologie de Guy Berthault, mouvement du « dessein intelligent »). Enfin, on a intimidé les scientifiques en les sommant de récuser les résultats de leur travail (Galilée en astronomie, Buffon concernant l’âge de la terre, même Darwin dut faire des concessions entre la première et la seconde édition de l’ « Origine des Espèces »…) ou en les pourchassant. La première et la seconde posture ne seront pas traitées ici car ce texte n’a pas de prétention théologique. La sixième posture ne sera pas traitée non plus car ces pratiques ne se font plus aujourd’hui et ce texte n’a, par ailleurs, pas de prétention historique. Nous ne discuterons pas non plus du créationnisme philosophique du point de vue philosophique ; car ce n’est pas ici notre rôle. L’analyse qui va suivre est écrite par un scientifique ; par conséquent elle se bornera à analyser les stratégies discursives du créationnisme « scientifique ». Nous ne traiterons, d’un point de vue interne à la démarche scientifique, que des troisième, quatrième et cinquième postures, qui entendent mobiliser la science de l’intérieur, soit au niveau de la société des chercheurs, soit au niveau d’une redéfinition de la démarche scientifique elle-même que veulent imposer spiritualistes ou créationnistes pour parvenir à leurs fins respectives.
Ci-dessous figure une liste de créationnismes philosophiques qui seront traités.
I. Les créationnismes intrusifs :
I.1. Nier la science : le créationnisme négateur d’Harun Yahya.
I.2. Mimer la science : le créationnisme mimétique de H. Morris et D. Gish.
I.3. Plier la science : le « Dessein Intelligent » ou la théologie de William Paley présentée comme théorie scientifique
II. Le spiritualisme englobant :
II.1. Science et théologie vues comme les pièces d’un même puzzle : l’Université Interdisciplinaire de Paris (UIP)
II.2. La fondation John Templeton : lorsque la théologie finance la science.
Ces différents créationnismes philosophiques seront examinés un à un ; mais tous ne sont pas des créationnismes « scientifiques ». Lesquels d’entre-eux méritent l’appellation de « créationnisme scientifique », c’est-à-dire mettent la science au service d’une preuve de la création ? Il s’agit assurément des catégories I.2 et I.3 puisque dans la première la « science » prouve la Vérité des Ecritures et dans la seconde le créateur est incorporé comme explication « scientifique ». Pour ce qui concerne les catégories II.1 et II.2., il ne s’agit pas d’un créationnisme scientifique au sens précédent ; cependant la science est mobilisée par ces spiritualistes afin de servir d’autres desseins que l’élaboration de connaissances objectives, y compris d’accréditer une idée de création beaucoup plus sophistiquée. Ainsi, contrairement à une idée reçue, le créationnisme philosophique ne s’oppose pas nécessairement à d’idée d’évolution biologique. L’évolutionnisme théiste de Teilhard de Chardin en est un exemple dont on trouve des descendants au sein des spiritualismes modernes (catégorie II). La catégorie I est anti-évolutionniste, sauf peut-être pour certains adeptes du « Dessein Intelligent » pour qui les moyens par lesquels le Grand Concepteur réalise ses desseins pourraient incorporer la transformation (non darwinienne) des espèces. La catégorie II est évolutionniste. Mais tous sont anti-darwiniens, les premiers parce qu’ils refusent le fait de l’évolution biologique, les seconds parce que le modèle darwinien faisant intervenir hasard, variation, contingence, sélection naturelle ne les satisfait pas.

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