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Evolution et créationnismes

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  • Evolution et créationnismes

    Evolution et créationnismes

    Guillaume Lecointre
    Département "Systématique et évolution",
    Muséum national d'histoire naturelle, Paris

    D’où venons-nous ? D’où vient l’univers que nous habitons ? A ces questions aussi légitimes que lancinantes, les Hommes ont d’abord forgé des réponses dans des mythes fondés sur l’introspection, les intuitions, la révélation. Leur réussite ne fut pas sans rapport avec la mise en place de pouvoirs politiques fondés sur le contrôle étroit des esprits. Au cours des siècles s’est forgée une autre approche de la connaissance du monde, fondée sur l’analyse rationnelle et la possibilité d’un dialogue organisé autour du réel par la reproduction d’expériences décisives. Ces expériences manipulaient des objets réels pour interroger le monde. La déduction de conclusions vérifiables, contrôlables, fondèrent alors l’assentiment non pas sur la foi en un dogme mais au contraire sur le scepticisme à l’égard des faits, le test, la vérification. Le réel, manipulé par des acteurs en mutuelle contradiction, leur permit de sortir du duel à l’aide de règles logiques respectées de tous. Les vérités sur les origines de notre monde n’allaient plus s’affronter sous forme de guerres de religions, mais sous la forme d’expériences et de contre-expériences ingénieuses. A cet égard, l’émergence de la science apparaît comme une émancipation de l’intellect, une liberté supplémentaire, un gain de civilisation. Certes, on peut regretter certaines applications des sciences incitées par tel pouvoir politique, tel conflit, telle contrainte idéologique ou économique. Mais ces problèmes concernent avant tout les mécanismes du contrôle citoyen de l’activité scientifique, pas de la démarche scientifique elle-même. Le créationnisme dit « scientifique » est, en lui-même, véritablement contradictoire : il est la volonté de fonder scientifiquement les récits de textes sacrés. Il y a incompatibilité constitutive entre une vérité intouchable et la démarche scientifique, simplement parce que l’impulsion sceptique initiatrice de toute démarche scientifique est insupportable au sacré.


    DIVERSITE DES CREATIONNISMES


    Commençons par distinguer le créationnisme « philosophique » du créationnisme « scientifique », distinction qui conduira à examiner les rapports entre science et philosophie. Le créationnisme philosophique stipule que la matière et/ou l’esprit ont été créés par une action qui leur est extérieure. L’affirmation opposée est celle d’un matérialisme immanentiste. Il s’agit d’affirmer que le monde réel est constitué de matière, y compris les manifestations très intégrées de celle-ci (« esprit », sociétés, etc.), que la matière, quelle que soit la description que l’on peut en faire, est incréée et porte en elle-même les ressources de son propre changement. Aucune de ces deux postures philosophiques n’est accessible empiriquement ; c’est-à-dire qu’elles ne peuvent être testées scientifiquement. Il s’agit bien là du terrain de la philosophie.

    Examinons à présent les différentes versions du créationnisme philosophique. Les trois monothéismes ont adopté au cours de leur histoire diverses postures face à l’inadéquation logique entre le sens littéral des Ecritures et les résultats de la science. Déclinons ces postures dans un gradient de plus en plus néfaste à l’indépendance d’une démarche scientifique. Premièrement, on a adapté le sens des Ecritures aux résultats de la science. Cette attitude, généralement qualifiée de « concordiste », ne sera pas analysée ici. Deuxièmement, on a adapté le sens des résultats de la science à la lumière du dogme. Troisièmement, on a sollicité la société des scientifiques de l’intérieur afin qu’elle réponde à des préoccupations théologiques (fondation John Templeton, Université Interdisciplinaire de Paris). Quatrièmement, on a prétendu prouver scientifiquement la validité littérale des Ecritures par ce qui a été présenté comme de véritables démarches et expériences scientifiques (Créationnisme « scientifique » de H. Morris et D. Gish). Cinquièmement, on a nié purement et simplement les résultats de la science, soit en cherchant à démontrer leur fausseté au moyen de discours ré-interprétatifs mais sans expériences scientifiques (Harun Yahya, témoins de Jéhovah), soit au moyen de réinterprétations et de contre expériences qui se voulaient scientifiques (sédimentologie de Guy Berthault, mouvement du « dessein intelligent »). Enfin, on a intimidé les scientifiques en les sommant de récuser les résultats de leur travail (Galilée en astronomie, Buffon concernant l’âge de la terre, même Darwin dut faire des concessions entre la première et la seconde édition de l’ « Origine des Espèces »…) ou en les pourchassant. La première et la seconde posture ne seront pas traitées ici car ce texte n’a pas de prétention théologique. La sixième posture ne sera pas traitée non plus car ces pratiques ne se font plus aujourd’hui et ce texte n’a, par ailleurs, pas de prétention historique. Nous ne discuterons pas non plus du créationnisme philosophique du point de vue philosophique ; car ce n’est pas ici notre rôle. L’analyse qui va suivre est écrite par un scientifique ; par conséquent elle se bornera à analyser les stratégies discursives du créationnisme « scientifique ». Nous ne traiterons, d’un point de vue interne à la démarche scientifique, que des troisième, quatrième et cinquième postures, qui entendent mobiliser la science de l’intérieur, soit au niveau de la société des chercheurs, soit au niveau d’une redéfinition de la démarche scientifique elle-même que veulent imposer spiritualistes ou créationnistes pour parvenir à leurs fins respectives.
    Ci-dessous figure une liste de créationnismes philosophiques qui seront traités.

    I. Les créationnismes intrusifs :
    I.1. Nier la science : le créationnisme négateur d’Harun Yahya.
    I.2. Mimer la science : le créationnisme mimétique de H. Morris et D. Gish.
    I.3. Plier la science : le « Dessein Intelligent » ou la théologie de William Paley présentée comme théorie scientifique
    II. Le spiritualisme englobant :
    II.1. Science et théologie vues comme les pièces d’un même puzzle : l’Université Interdisciplinaire de Paris (UIP)
    II.2. La fondation John Templeton : lorsque la théologie finance la science.

    Ces différents créationnismes philosophiques seront examinés un à un ; mais tous ne sont pas des créationnismes « scientifiques ». Lesquels d’entre-eux méritent l’appellation de « créationnisme scientifique », c’est-à-dire mettent la science au service d’une preuve de la création ? Il s’agit assurément des catégories I.2 et I.3 puisque dans la première la « science » prouve la Vérité des Ecritures et dans la seconde le créateur est incorporé comme explication « scientifique ». Pour ce qui concerne les catégories II.1 et II.2., il ne s’agit pas d’un créationnisme scientifique au sens précédent ; cependant la science est mobilisée par ces spiritualistes afin de servir d’autres desseins que l’élaboration de connaissances objectives, y compris d’accréditer une idée de création beaucoup plus sophistiquée. Ainsi, contrairement à une idée reçue, le créationnisme philosophique ne s’oppose pas nécessairement à d’idée d’évolution biologique. L’évolutionnisme théiste de Teilhard de Chardin en est un exemple dont on trouve des descendants au sein des spiritualismes modernes (catégorie II). La catégorie I est anti-évolutionniste, sauf peut-être pour certains adeptes du « Dessein Intelligent » pour qui les moyens par lesquels le Grand Concepteur réalise ses desseins pourraient incorporer la transformation (non darwinienne) des espèces. La catégorie II est évolutionniste. Mais tous sont anti-darwiniens, les premiers parce qu’ils refusent le fait de l’évolution biologique, les seconds parce que le modèle darwinien faisant intervenir hasard, variation, contingence, sélection naturelle ne les satisfait pas.
    Dernière modification par Evidences, 11 octobre 2013, 17h42.

  • #2
    Dans le monde occidental, le créationnisme « scientifique » le plus puissant et le mieux organisé est certainement celui de certains fondamentalistes protestants, qui cherche les preuves scientifiques de l’intégralité des affirmations de La Genèse de la Bible. Littéralement, la Bible ne parle pas d’évolution des espèces mais de création. En prenant le texte non pas comme une métaphore mais au pied de la lettre, les créationnistes s’orientent à coup sûr vers un conflit avec ce que dit la science d’aujourd’hui du déroulement historique et des modalités de la formation de notre univers, de notre planète et de la vie qui s’y développe. Ce conflit est à deux étages. D’abord, un conflit factuel : les faits tels que les racontent les créationnistes (toutes les espèces sont le fruit d’une création divine, la terre a 6000 ans) ne concordent pas avec ceux produits par la science d’aujourd’hui (la diversité des espèces est le fruit d’un développement généalogique passé au cours duquel elles se sont transformées, et la terre a 4,5 milliards d’années). Ensuite il faut traiter d’un conflit beaucoup plus profond : comment les créationnistes prétendent-ils prouver scientifiquement ce qu’ils avancent ?

    Les créationnismes philosophiques, lorsqu’ils se doublent d’intentions scientifiques, tombent dans l’erreur épistémologique. En effet, en tentant de prouver scientifiquement une Création, soit tel ou tel fait semblant conforter le dogme ou la validité des Ecritures (contemporanéité des couches sédimentaires, jeunesse de la terre, etc.), dans le premier cas il s’agit d’un scientisme extrême puisqu’ils font outrepasser ses droits à la science en la faisant légiférer sur un terrain expérimentalement inaccessible, dans le second cas ils tentent de prouver ce qui est déjà écrit dans le marbre et, dès lors, le scepticisme initial à l’égard des faits, attitude requise pour toute démarche scientifique, n’est plus de mise.

    Cette première critique montre bien que, pour traiter ces questions, il ne suffit pas de relever les erreurs factuelles commises par les créationnistes. Quand bien même ne commettraient-ils pas d’erreurs, leur démarche n’en serait pas valide pour autant. Il faut donc inévitablement définir la connaissance objective, rappeler comment les scientifiques l’acquièrent, définir les limites de la science. Ensuite, et seulement ensuite, on peut comprendre pourquoi les constructions créationnistes sont des fraudes scientifiques, pourquoi « créationnisme » et « scientifique » sont deux mots antagonistes. Définir les limites de la démarche scientifique implique en soi d’examiner les rapports entre science et philosophie. C’est également utile car c’est sur ces frontières que les spiritualistes convoquent la science.

    PERIMETRE DES SCIENCES
    Le socle élémentaire des sciences


    Le matérialisme philosophique a fondé la condition méthodologique des sciences modernes. Dans le triangle Paris-Londres-Amsterdam du dix-septième siècle, le naturalisme généralisa les conditions de l’expérience scientifique ; travail qu’a continué le matérialisme philosophique du dix-huitième siècle, et qui aboutit à un nouveau contrat passé entre la science et la connaissance, toujours en vigueur aujourd’hui. La connaissance du monde réel se caractérise désormais par une universalité non dogmatique. Cela veut dire qu’il ne suffit plus de déclarer, par autorité ou par tradition, qu’un texte est sacré pour que ses assertions soient considérées comme universellement valables. La possibilité qu’ont les hommes d’y accéder ne passe plus par son exégèse, le verbiage scolastique, la révélation, la conversion, la manipulation des consciences, l’intimidation, la guerre. Cette connaissance du réel, de portée universelle, est celle qui unira les hommes au lieu de les diviser. Pour cela, elle doit désormais se fonder sur la possibilité de vérifier ses assertions par un rapport direct au monde réel, l’expérience scientifique (certes, ce changement ne s’est pas fait tout d’un coup et durant des siècles les assertions dogmatiques invérifiables se sont mélangées aux expériences). Si la validité d’une assertion est vérifiée par des observateurs indépendants, cette nouvelle connaissance devient, au bout d’un certain temps, objective. Pour qu’elle le soit, la science doit respecter dans ses méthodes de travail quatre piliers qui sont, chacun, toujours requis aujourd’hui :

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    • #3
      1. Scepticisme initial sur les faits
      Nous n’expérimentons sur le monde réel que parce que nous nous posons des questions. Si ce qui est à découvrir est déjà écrit, nous n’avons d’emblée qu’une parodie de science. Ceci se produit chaque fois qu’une force extérieure à la science lui dicte ce qu’elle doit trouver. Il y a trois forces fondamentalement antagoniques au travail du scientifique. Les forces mercantiles ont besoin d’utiliser le vernis de la science pour vanter la supériorité d’un produit à vendre. Ce qui est à prouver –la supériorité de la marchandise- est commandé d’avance. Il arrive que des forces politiques aient besoin d’utiliser les résultats de la science pour justifier un pouvoir en place (voir à ce sujet Laudet, 2006) ; ou aillent jusqu’à tordre le démarche scientifique pour leurs causes. La génétique de Lyssenko et l’anthropologie nazie fournissent les exemples les plus classiques. Les forces religieuses procèdent de même lorsqu’elles convoquent la science pour venir justifier un texte sacré ou un dogme, ou qu’elles se servent d’un texte sacré pour valider de l’extérieur les résultats de la science comme le font les musulmans. Mon métier est de construire des phylogénies. A partir d’un échantillon d’espèces prélevées dans le monde vivant, ma question est « qui est plus proche de qui que d’un troisième ? Comment s’organisent leurs relations d’apparentement ? ». Même si je commence mes investigations avec une palette de possibilités de réponses en tête ; cette palette reste modifiable et laisse largement place aux surprises. Une bonne partie de notre activité consiste à vérifier (en multipliant les sources de données, par exemple) si ce que l’on trouve finalement ne serait pas un artéfact, une méprise. Cela est aisément compréhensible : il ne s’agit pas de publier des erreurs qui seraient réfutées aussitôt. Si la surprise résiste, si rien n’indique qu’elle résulte d’une erreur, alors elle est publiée. Certains sont convaincus que le scientifique passe son temps à vouloir démontrer des propositions, pour ne pas dire des préconceptions ; je dirais plutôt qu’il passe son temps à mettre à l’épreuve ce qu’il a trouvé sans le vouloir.

      2. Réalisme
      Le monde là dehors existe indépendamment et antérieurement à la perception que j’en ai et aux descriptions que l’on en fait. Je ne vois aucun sens à l’activité scientifique, en tant que poursuite collective d’un projet de connaissance universelle, si ce réalisme n’est pas de mise.

      3. Rationalité
      Elle consiste simplement à respecter les lois de la logique et le principe de parcimonie. Aucune démonstration scientifique ne souffre de fautes de logique ; la sanction immédiate étant sa réfutation. L’universalité des lois de la logique, soutenue par le fait que les mêmes découvertes en mathématiques et en géométrie ont pu être faites de manière convergente par différentes civilisations, reçoit une explication naturaliste : elle proviendrait de la sélection naturelle. Les théories que nous acceptons sur le monde sont les plus économiques en hypothèses. Plus les faits sont cohérents entre eux et moins la théorie qu’ils soutiennent a besoin d’hypothèses surnuméraires non documentées. Les théories les plus parcimonieuses sont donc les plus cohérentes. La parcimonie est une propriété d’une théorie ; elle n’est pas la propriété d’un objet réel. Ce n’est pas parce que nous utilisons la parcimonie dans la construction de nos arbres phylogénétiques que nous supposons que l’évolution biologique a été parcimonieuse, comme le croient erronément certains. Le principe de parcimonie est utilisé partout en sciences, mais il peut être aussi utilisé hors des sciences, chaque fois que nous avons besoin de nous comporter en êtres rationnels. Le commissaire de police est, sur les écrans de télévision, le plus médiatisé des utilisateurs du principe de parcimonie. Il reconstitue le meurtre avec économie d’hypothèses, ce n’est pas pour autant que le meurtrier a ouvert le moins de portes possibles, tiré le moins de balles possible et économisé son essence pour se rendre sur les lieux du crime.

      4. Matérialisme méthodologique
      Tout ce qui est expérimentalement accessible dans le monde réel est matériel ou d’origine matérielle. Est matériel ce qui est changeant, c’est-à-dire ce qui est doté d’énergie. La science ne travaille pas avec des catégories par définition immatérielles (esprits, élans vitaux, transcendance, etc.) ; cela participe de sa définition. Il faut rappeler plusieurs points importants concernant le matérialisme. Il s’agit d’un matérialisme méthodologique, c’est-à-dire de conditions de travail. Dit autrement, ce qu’on appelle « science » depuis deux siècles ne peut appréhender du monde réel que ce qui est matériel ou manifestations sophistiquées relevant en dernière instance du monde matériel. Il ne faut pas confondre cela avec un matérialisme philosophique. En effet, le matérialisme scientifique en action n’a pas pour vocation de valider l’immanentisme de la matière. Beaucoup de créationnismes sophistiqués critiquent la science en la faisant passer pour philosophiquement prisonnière d’une option philosophique matérialiste ; ce qui leur permet de revendiquer symétriquement le retour du créateur au sein même de l’explication scientifique. Or, si la philosophie matérialiste a, au cours de l’histoire, créé les conditions d’une émancipation politique de l’activité des scientifiques ; si la science est matérialiste en méthodes, en revanche elle ne doit rien en retour à la philosophie matérialiste, pas plus qu’à n’importe quelle philosophie. Elle n’en est aucunement prisonnière : elle est tout simplement philosophiquement non intentionnée. Pour autant, elle n’est peut-être pas dénuée de conséquences vis-à-vis de la philosophie, certains philosophes comme Quiniou considèrent que les résultats de la science constituent une contrainte passive pour la philosophie. Passive dans le sens où cette contrainte n’a jamais été produite à dessein.

      Ces propriétés nous donnent un périmètre d’action des sciences expérimentales, et du même coup définissent la science par ses méthodes. On remarquera que cette définition est la plus large qui soit ; beaucoup plus large que les critères de scientificité retenus par les poppériens, et au-delà de l’imprécise et regrettable division entre « sciences dures » et « sciences molles ». Mais si la science a pris son essor grâce à la philosophie matérialiste, elle n’est pas pour autant cette philosophie. Comme le rappelle Charbonnat (2007), « Le matérialisme ne subsiste dans les sciences qu’à l’état de méthode, et non pas comme conception de l’origine, démarche non empirique par définition. ». C’est en ce sens qu’on parle de « matérialisme méthodologique » ou de « matérialisme épistémologique ». Cette distinction est d’une importance considérable pour comprendre les rapports entre science et philosophie, et ceci pour deux raisons. La première est que ces rapports sont asymétriques, comme on va le développer plus loin. La seconde relève de l’autodéfense intellectuelle : les spiritualistes se sont empressés de présenter ce matérialisme méthodologique comme un « a priori » philosophique (par exemple dans l’encart de membres de l’UIP publié par Le Monde, 23 février 2006, ou par le prédicateur turc Harun Yahya), ou même un a priori idéologique (Johnson, 1997), comme une soumission forcée de la science au marxisme (toujours selon le même Phillip Johnson, principal instigateur du mouvement « Intelligent design »), ignorants ou feignant d’ignorer l’histoire des sciences. Le but est pour eux, en apparence, d’inviter les scientifiques à tirer les pleines implications métaphysiques de leurs découvertes, en réalité de mettre en balance ce qui est présenté comme un a priori matérialiste d’une part, avec une science fondée sur un a priori spiritualiste d’autre part, afin de justifier le retour de la transcendance au sein même des méthodes scientifiques pour les uns (Intelligent Design), pour littéralement « revenir au moyen âge » (selon le secrétaire de l’UIP) dans les rapports entre science et théologie pour les autres, ou revenir au Coran pour d’autres encore (Harun Yahya).

      Sciences et philosophie


      Les rapports entre la science et la philosophie sont asymétriques. La science a acquis, depuis deux siècles, une pleine indépendance de ses productions. Cela veut dire qu’aucune force extérieure aux seules contraintes méthodologiques qu’elle s’est fixée à elle-même ne saurait lui dicter d’avance ce qu’elle a à découvrir ou démontrer, sous peine de corruption du processus expérimental et démonstratif. Cela vaut pour les forces mercantiles, idéologiques ou religieuses citées plus haut, mais aussi pour les injonctions morales ou politiques, les philosophies. Rappelons encore ici que si la philosophie matérialiste a émancipé les sciences, en retour les sciences ne lui doivent rien, pas plus à elle qu’à n’importe quelle autre philosophie. C’est en ce sens qu’on ne saurait demander à la science, comme le font les spiritualistes, de servir sur commande une posture philosophique, quelle qu’elle soit. Le rapport est asymétrique en ce sens que la philosophie, si elle le souhaite, peut en revanche prendre en compte les résultats des sciences expérimentales. Mais en aucun cas ces résultats n’auront été produits à dessein. Le rapport est asymétrique également dans le sens où, tout en ne produisant rien sur commande, la science a de surcroît le pouvoir d’exercer une fonction critique sur les productions de la philosophie, des religions, des superstitions, des pseudosciences, dès lors que ces productions prétendent légiférer dans le monde réel. Ainsi la science est passivement contraignante pour la philosophie, en ce sens que toute philosophie reste libre de prendre en compte ou non une telle contrainte.

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      • #4

        DESCRIPTION DES CREATIONNISMES
        Le créationnisme négateur


        Il existe un créationnisme négateur qui n’essaie même pas de contredire la science. Celle-ci, en conflit avec les Ecritures est rejetée en bloc, œuvre d’hommes pécheurs. Nul besoin de s’intéresser à la science. Ce créationnisme là, devenu minoritaire, n’est pas intrusif puisqu’il n’analyse pas les résultats de la science. Le créationnisme devient intrusif dès lors qu’il les contredit activement en mobilisant une apparente logique dans leurs négations. Le créationnisme négateur s’exprime publiquement aux Etats-Unis d’Amérique à partir des années 1920. En 1919 la World Christian Fundamental Association est créée, organisation fondamentaliste (le terme vient de là) qui s’en tient à une interprétation littérale des Ecritures. Baptistes et presbytériens provoquent des démissions forcées de professeurs des écoles et tentent de faire interdire l’enseignement de la théorie darwinienne de l’évolution par pas moins de trente-sept projets de loi déposés entre 1921 et 1937. Ces tentatives réussissent dans le Tennessee en 1925, dans le Mississippi en 1926, l’Arkansas en 1928 et au Texas en 1929. C’est dans cette ambiance qu’a lieu le fameux procès de Thomas Scopes à Dayton en 1925 et que se forgent entre 1935 et 1937 les premières associations et journaux créationnistes. On distingue déjà à cette époque les young earth creationists qui pratiquent une lecture littérale des onze premiers chapitres du livre de la Genèse : l’univers a été créé en six jours de vingt-quatre heures chacun ; toutes les espèces ont été créées ex nihilo sous leur forme actuelle au cours de la semaine de création voici 6000 ans ; le déluge explique les roches sédimentaires et les fossiles. On distingue également les old-earth creationists, qui admettent une création bien plus longue que celle des textes ; ne prennent pas les textes à la lettre et tentent de réconcilier certaines données scientifiques avec le livre de la Genèse à l’aide de montages variés (gap theory, day-age theory, etc.). Parmi ces derniers, les plus audacieux ont été même qualifiés de progressive creationists. Mais qu’on ne s’y trompe pas : tous refusent en bloc l’évolution biologique et requièrent l’intervention directe de Dieu en particulier en ce qui concerne l’apparition de l’homme.

        Ces courants existent toujours. Leur prosélytisme sert aux intégrismes des trois monothéismes. Par exemple, dans sa négation du fait évolutif, le musulman Harun Yahya n’hésite pas à piocher dans tout ce que la négation de la théorie darwinienne de l’évolution peut compter de sites sur la toile, et surtout chez les fondamentalistes protestants. Son « Atlas de la création », luxueux volume de 772 pages 28 x 38 cm et plus de cinq kilogrammes, a été gratuitement distribué en janvier 2007 à des centaines d’exemplaires (deux mille selon les dires de l’éditeur) à tous les laboratoires français travaillant de près ou de loin sur l’évolution, ainsi qu’à de nombreux lycées des grandes villes (en région parisienne, lyonnaise, marseillaise, etc.). En mars 2007 c’est au tour de la Belgique et de la Suisse d’être inondés, comme l’ont été plusieurs pays de langue anglaise auparavant. L’auteur, Adnan Oktar de son vrai nom, prédicateur proche de l’extrême droite turque, négationniste de l’holocauste, interné plusieurs fois en prison ou en asile psychiatrique (Le Monde, 9 février 2007), en serait à son sixième volume du même standard. La maison d’édition Global, basée à Istambul, emploie 92 personnes et publie exclusivement son œuvre traduite dans plusieurs dizaines de langues. Sa « fondation pour la recherche scientifique » était considérée en 2001 par le journal Science comme « l’un des mouvements anti-évolutionnistes les plus puissants hors des Etats-Unis ». Des expositions circulent, des livres pour enfants sont distribués gratuitement. Ses thèses figurent dans les livres scolaires turcs depuis 1985. Les sources financières restent pour le moment inconnues. Il s’agit ici d’un créationnisme à la fois négateur et intrusif dans le sens où il y a manipulation et réinterprétation de faits scientifiques mais pas véritablement d’expériences scientifiques. L’enjeu est d’imposer la « vérité scientifique » du Coran au darwinisme. La plus grande partie du livre s’emploie à exposer une photographie en couleur et grand format d’un fossile en face de laquelle une photo d’un animal actuel semblable est censée prouver qu’il n’y a pas eu d’évolution. Après la réitération fastidieuse du même argument des centaines de fois et d’innombrables erreurs scientifiques d’identification, la dernière partie du livre montre plus explicitement le travail idéologique sous-jacent. C’est à cet endroit que les travaux américains des tenants de l’ « Intelligent Design » (voir plus loin) sont cités en exemple. C’est aussi là où la théorie darwinienne de l’évolution est rendue responsable, pêle-mêle, du nazisme, du stalinisme, du terrorisme, du chômage. Adepte d’une terre ancienne de 4,6 milliards d’années et de créations successives, l’auteur nous invite à nous tourner vers le Coran.

        Le créationnisme mimétique


        Suite à la vague d’annulations des lois anti-évolution dans les années 1960, les créationnismes des Etats-Unis d’Amérique changent de stratégie. Les créationnistes modernes ne s’opposent plus à la Science, mais au contraire entendent gagner leur crédibilité auprès d’un public naïf ou désinformé en se prétendant eux-mêmes scientifiques. Ils ont donc inventé « le créationnisme scientifique » pour combattre la science sur son propre terrain, trouver et promouvoir les preuves scientifiques en faveur d’une interprétation littérale de la Genèse biblique. Ainsi la terre n’aurait que 6000 ans et les fossiles seraient expliqués par le déluge. Deux siècles de géologie et de paléontologie sont réinterprétés de fond en comble ; au besoin par le moyen d’expérimentations, et la biologie évolutionniste niée de manière à ce que la bible soit « scientifiquement prouvée ».

        En 1969, H. M. Morris, ingénieur, baptiste, fonde la Creation Science Inc. destinée à publier des livres et donner un véritable point de départ du créationnisme dit « scientifique ». En 1970, H. Morris et D. Gish (pharmacologue) fondent le Creation Science Research Center et essaiment en Australie et en Nouvelle Zélande. Il s’agit de prouver scientifiquement la littéralité du texte sacré, à l’aide de fraudes s’il le faut. En 1978 ils écrivent : « Vendez de la science… Qui peut objecter à l’enseignement de plus de science ? N’utilisez pas le mot « créationnisme ». Parlez de science ». En 1981, l’Arkansas et la Louisiane adoptent le « balanced treatment » dans l’enseignement, qui consiste à traiter dans les programmes scolaires à part égale théorie darwinienne de l’évolution et création. Suite au fameux procès de Little Rock, la loi de l’Arkansas est jugée anti-constitutionnelle en 1982 ; de même pour celle de Louisiane en 1985. En 1987, la cour suprême des Etats-Unis confirme ces jugements condamnant l’enseignement du créationnisme « scientifique » dans les écoles publiques. Dans les années 1980, Morris et Gish essaiment tout de même en Afrique du Sud, en Suisse et en Suède, Brésil, Bolivie, Nigeria, aux Philippines… (voir Hiblot, 1997, dans « Pour Darwin » dirigé par Patrick Tort aux Presses Universitaires de France). L’entreprise a été florissante. Aux Etats Unis, le créationnisme « scientifique » a depuis 25 ans ses instituts de recherche qui délivrent des PhD, leurs chercheurs qui publient dans leurs journaux, leurs musées. La science est donc imitée dans tous ses détails. En parallèle, ils pratiquent un harcèlement feutré sur le système éducatif américain largement décentralisé. Ici où là, au gré des compositions sociales des conseils, leurs efforts percent, souvent contrecarrés par des décisions de justice. Au début des années 2000, les conseils de l’éducation d’au moins sept états ont tenté de gommer Darwin des programmes scolaires. L’Alabama, le Nouveau Mexique, le Nebraska ont déjà pris des mesures effectives. Au Kansas, ils ont pour un moment remporté une victoire qui fit grand bruit durant l’été 1999. Sous la pression des créationnistes, le conseil de l’éducation de l’Etat du Kansas vota la suppression de toute référence à l’évolution biologique dans les programmes de toutes les écoles publiques de l’état, de la maternelle jusqu’à la fin des études secondaires, dès la rentrée 2000. Non pas qu’il fut soudainement interdit d’enseigner l’évolution au Kansas, mais cette théorie centrale de la biologie fut tout simplement rendue facultative car supprimée des connaissances exigibles aux examens. Ainsi les districts les plus conservateurs eurent tout le loisir de l’ignorer : certains conseils locaux envisagèrent d’adopter des manuels créationnistes, tandis que d’autres déclarèrent qu’ils continueraient à enseigner l’évolution biologique. Sans l’exigibilité aux examens, les professeurs sous la pression des parents créationnistes peuvent éviter le sujet pour ne pas avoir d’ennuis. Bien que l’Etat du Kansas revint sur cette décision au début de l’année 2001, cette affaire nous montre les conséquences du lobbying sur un système éducatif décentralisé, dans un pays où ce qui correspondrait à une “laïcité” ne se traduit pas en actes. Les Etats-Unis sont loin d’en avoir fini, avec l’impact médiatique qu’a eu le mouvement de l’ « Intelligent Design » en 2004 et 2005 (voir plus loin)…

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        • #5
          En Australie, pays où le médecin Michael Denton publia en 1985 « Evolution, a theory in Crisis », le poids politique et économique des créationnistes (via la Creation Science Foundation) est considérable. Leur lobbying est tel qu’au début des années 1980, l’état du Queensland autorisa l’enseignement du créationnisme en tant que Science dans les écoles. Ian Plimer, professeur de Géologie à l’Université de Melbourne, refusa de laisser les créationnistes s’infiltrer dans le système éducatif de son pays. Plimer a pu prouver, au cours de six années de procès incessants, que les créationnistes australiens étaient responsables de fraudes scientifiques et financières. En Australie, les avocats sont payés sans budget ni limitation de durée tant que le procès se poursuit. Les fondamentalistes sont soutenus financièrement par une activité commerciale intense de cassettes vidéo et audio, livres, et autres supports de leur message sectaire. Ils utilisent donc toutes les tactiques légales en vue de retarder et d’empêcher l’action en justice d’apparaître à la cour, ceci pour essouffler financièrement leur ennemi. Ainsi Plimer dut vendre sa maison pour continuer les procès (voir son récit dans « Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences », Syllepse, 2001). A l’automne 2005, le ministre fédéral australien de l’Education, le libéral Brendan Nelson, déclara que les thèses de l’ « Intelligent Design » pourraient « être enseignées dans les écoles au même titre que les théories de l’évolution, selon les souhaits des parents », et fut relayé ensuite par le cardinal George Pell, archevêque catholique de Sydney, qui appela les écoles à « sortir du dogme de l’évolution ». Une pétition signée de 70 000 professeurs et chercheurs contre l’enseignement de l’ID fut envoyée fin octobre aux gouvernements des états australiens et rencontra un certain écho dans les ministères. Dans l’Etat des Nouvelles Galles du Sud, la ministre de l’Education Carmel Tebbutt a publiquement déclaré son opposition à l’introduction de l’ID dans l’enseignement des sciences. Pourtant, plusieurs écoles privées anglicanes et catholiques ont fait savoir qu’elles contourneraient l’avis de la ministre en incorporant l’ID au cours de philosophie.

          En France, l’attitude la plus courante face au créationnisme « scientifique » est l’amusement. On se croit à l’abri, on ne voit aucune raison de s’inquiéter. On ignore peut-être que la Creation Research Society créée en 1963 aux U.S.A. et la Science Research foundation turque sont plus que jamais de puissants moteurs de l’extension du créationnisme sur tous les continents. Que sur la toile il n’y a plus de frontières et qu’il suffit qu’une fondation ait les moyens financiers suffisants pour traduire ses thèses en de multiples langues et donner à son site une apparence universitaire… que les universités et muséums français n’ont même pas les moyens de se payer ! Ainsi n’importe quel élève de Première ou de Terminale aura le loisir, lors de la préparation d’exposés ou de ses Travaux Pratiques Encadrés, de reproduire à son insu certains discours des designers… Que les profits que les créationnistes tirent de leur commerce en Australie ou aux USA servent à leur expansion, y compris en Europe. La Suisse hébergea en 1984 le premier congrès européen créationniste. Le plus grand des congrès de ce type a eu lieu en Angleterre à l’été 2006, pays où les créationnistes peuvent donner des conférences à l’école et dans les universités. La Suède ouvrit le premier musée créationniste à Umea en 1996. Des femmes et hommes politiques européens prennent publiquement position « contre Darwin » et/ou en faveur du créationnisme sans aucune compétence scientifique, comme l’ont fait, à l’automne 2006, le vice-ministre de l’Education polonais Miroslaw Orzechowski, le député européen Maciej Giertych, et son fils Roman Giertych, ministre de l’Education polonais qui s’en remet à son père pour juger de telles questions. En février 2004 Letizia Moratti, ministre italienne de l’Education et de la Recherche sous Berlusconi, proposait un décret éradiquant tout cours sur l’évolution dans le primaire et le secondaire. Toujours en 2004, la ministre serbe de l’Education, Liliana Colic a été forcée de démissionner après avoir tenté un coup de force imposant l’éradication de la théorie darwinienne de l’évolution si les thèses créationnistes n’étaient pas enseignées à part égale. Aux Pays Bas en 2005, la ministre de l’Education Maria Van der Hoeven voulut initier un débat public sur l’enseignement de la théorie darwinienne de l’évolution pour mettre en balance et « compléter » celle-ci avec les thèses du mouvement du « dessein intelligent » (voir ci-dessous). En juin 2007, le président du Conseil de l’Europe, l’ultra-catholique Luc Van den Brande, et le conseil de l’Europe avec lui, cédèrent aux pressions des groupes religieux intégristes en renvoyant en commission –c’est-à-dire aux oubliettes– le rapport de Guy Lengagne qui analysait les avancées du créationnisme dans les systèmes éducatifs européens et préconisait leur mise à l’écart des cursus scientifiques. Le rapport de Lengagne ne sera pas discuté en session plénière, ce qui est grave d’abord pour les pays de l’Est, davantage touchés par ces phénomènes que ne l’est la France.

          Le créationnisme « scientifique » n’est pas véritablement visible en France et ne diffuse qu’en dehors de la sphère publique. En effet, les programmes scolaires des collèges et des lycées sont élaborés de manière centralisée, ce qui les préserve, dans une certaine mesure, des prosélytismes et lobbyings religieux. L’évolution biologique reste au programme des sciences de la Nature au collège et au lycée. L’affaire du Kansas ne saurait se produire ici, pour des raisons d’abord structurelles, et dans une certaine mesure culturelles. La laïcité française, culturellement ancrée –pour le moment– priverait un courant créationniste « scientifique » offensif de toute représentation dans l’opinion. En revanche, à la faveur de la diffusion de son grand frère, le créationnisme philosophique, qui, lui, a pignon sur rue, l’extension du créationnisme dans la sphère privée est sensible : des communes peu regardantes ouvrent leurs salles pour des conférenciers créationnistes ; des cassettes vidéo créationnistes fabriquées en Hollande circulent dans certains lycées ; des tracts et même des livrets en provenance de diverses confessions sont distribués à la sortie de collèges ou lycées pour “rectifier” les cours de biologie (voir le rapport Obin, 2004). Diverses associations tiennent des propos très clairement créationnistes, d’idéologie intégriste catholique, tel le Cercle d’Etude Historique et Scientifique fondé en 1971, qui revendique 600 membres. L’infiltration du créationnisme est peut-être plus lente en France qu’ailleurs. Elle est polymorphe car nourrie de confessions diverses, mais l’activisme de sa composante attachée au fondamentalisme protestant n’est pas découplé des puissants moyens financiers dont jouit le créationnisme à l’étranger. On peut prédire qu’en matière d’éducation, cet activisme s’exprimera « par le haut », via l’Union européenne, et qu’en matière de recherche « par les côtés », c’est-à-dire par l’amenuisement des fonds publics pour la recherche au profit d’une part croissante des ressources financières que les chercheurs seront forcés de capter auprès de fondations ou de mécénats privés (voir plus bas, concernant la fondation John Templeton).

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          • #6
            LES FORMES PRESENTABLES DU CREATIONNISME PHILOSOPHIQUE : DES INITIATIVES « SCIENCES ET RELIGIONS » POUR DISSOUDRE LES LIMITES ENTRE LE COLLECTIF ET L'INDIVIDUEL, ENTRE LE PUBLIC ET LE PRIVE

            La fondation John Templeton


            La fondation John Templeton finance toutes les initiatives de rapprochement entre science et religion. Cette fondation nord-américaine, créée en 1987 par un riche investisseur américain très lié au fondamentalisme protestant, a pour objectif « de favoriser l’excellence pour des recherches qui encouragent les explorations universelles des dimensions morales et spirituelles de la vie et de l’humanité.». Elle distribue dans le monde entier des fonds aux projets scientifiques (astrophysique, biologie, médecine, psychologie…) qui visent au rapprochement entre « science et religion » et à une continuité entre sciences et théologie : « The John Templeton Foundation seeks to pursue new insights at the boundary between theology and science (…) »). Les citations de John Templeton témoignent de la volonté de trouver Dieu : « Il y a de fortes indications pour penser que des réalités ultimes se dissimulent derrière le Cosmos. La plus forte, selon nous, vient de cette nouvelle manière de comprendre la créativité du Cosmos : sa capacité à s’auto-organiser. Dans une perspective théologique, il est très tentant d’identifier cette remarquable tendance à l’activité du Créateur, à sa nature profonde. ». La fondation se défend d’être créationniste au sens du « créationnisme scientifique », mais il s’agit bien ici d’un créationnisme philosophique qui utilise le créationnisme « scientifique » comme repoussoir afin de ramener les scientifiques raisonnables dans le giron de la théologie –et surtout de les financer pour cela.

            Pourtant, les scientifiques professionnels ont passé un contrat avec la connaissance. En tant que construction collective de connaissances objectives, la science entendue comme méthode d’approche du réel se limite à ce qui est empiriquement testable. Leur profession, à titre collectif, n’a pas à prendre position activement sur le plan métaphysique, ceci relevant du métier de philosophe (ou de théologien). Les manifestations d'interface de type "science et art", "science et religion", "science et poésie", "science et bande dessinée", etc. sont stimulées par l'autre partie, qui a besoin d'examiner ses rapports à la science. En d'autres termes, si la fondation Templeton a pour but de rapprocher science et théologie, c'est que le besoin vient des théologiens, pas de la science en tant que méthode collective d’investigation avec ses objectifs propres, pour laquelle les problèmes métaphysiques sont inaccessibles empiriquement. Ou alors il faudrait soit que les scientifiques aient des problèmes à résoudre relativement à l’art, la bande dessinée ou à la théologie (etc.) au cœur de leurs méthodes de démonstration (ce qui, en fait, est hors champ), soit changer de contrat collectif en vigueur depuis un peu plus de deux siècles et faire de la communauté des scientifiques une communauté respectivement d'artistes, d'auteurs de bandes dessinées, de théologiens et/ou de philosophes.

            Cette asymétrie ne remet aucunement en cause la liberté individuelle d'opter pour une métaphysique de son choix. Mais ce choix ne saurait en rien constituer un projet collectif de connaissance objective. Les connaissances empiriques, universellement testables, constituent la partie de nos savoirs qui unissent les hommes, et c’est pour cela qu’elles sont politiquement publiques. Les options métaphysiques restent personnelles et politiquement privées car elles peuvent diviser les hommes et donc devenir dans le champ politique une source d’oppression. Les organisations telles que le Discovery Institute (promotrice de l’idée d’Intelligent Design), la John Templeton Foundation ou l’Université Interdisciplinaire de Paris en France ont bien compris que pour faire gagner du terrain à la théologie il faut brouiller les limites épistémologiques de légitimité entre l’individuel et le collectif, et les limites politiques entre le privé et le public. Ils ont bien compris qu'en finançant des scientifiques, des laboratoires, des colloques, elles peuvent coopter des scientifiques individuellement afin de créer la confusion sur le projet collectif d'une profession ; et faire passer une posture métaphysique pour scientifiquement validée –et donc collectivement validée. Il est donc de leur plus haut intérêt de se faire les amis de la science et des scientifiques. La fondation Templeton soutient l’American Association for the Advancement of Science qui publie le journal Science, et soutient surtout de nombreuses recherches. Sur le long terme, l’« ouverture » au dialogue entre science et religion sur laquelle la fondation Templeton ou l’UIP fondent leur communication risque de s’avérer désastreuse pour l’autonomie de la science dans un contexte où le financement public des recherches ne cesse de diminuer au profit des financements privés… de ce type.

            Des providentialismes qui se connaissent bien


            Si l’UIP en France et la John Templeton foundation (JFT) aux Etats-Unis d’Amérique sont explicitement sur la même ligne, toutes deux se démarquent haut et fort du mouvement du dessein intelligent (ID). Pourtant, il a existé des liens entre l’ID et la JFT. Une information datée du 1er septembre 2000 disponible sur le site américain Science&Theology News, évoque une conférence intitulée « The Nature of Nature » sponsorisée conjointement par la JTF et le Discovery Institute. Le thème principal du colloque de quatre jours était l’Intelligent Design. Cette collaboration claire entre les deux institutions complète les conclusions de l’enquête de Philippe Boulet-Gercourt concernant les rapports entre JTF et l’ID : « La fondation Templeton, qui encourage la réconciliation de la science et de la religion, a proposé de financer des projets de recherche dans le domaine de l’ID. ». Les travaux de ces deux structures n’ont pas toujours été si différents que la JTF le prétend aujourd’hui. Rappelons que les partisans de l’ID ont perdu un procès très médiatisé en décembre 2005. Cette mauvaise publicité a amené des structures comme l’UIP et la JTF à tenter de se démarquer d’un mouvement spiritualiste qui aurait perdu du crédit aux yeux de l’opinion publique, après avoir fait de par le passé un bout de chemin avec les idées ou les promoteurs de l’ID. La fondation Templeton prend aujourd’hui clairement appui sur l’UIP pour étendre sa vision du monde sur l’Europe, mais a changé son fusil d'épaule concernant l’ID lorsqu' elle comprit que l'ID était médiatiquement discréditée.

            La JFT finance l’UIP, laquelle a fait preuve, elle aussi, de convergences de vue avec l’ID. Au colloque anniversaire des dix ans de l’UIP, intitulé Sciences Civilisation, Cultures qui s'est tenu le 7 janvier 2006, l’après-midi a été l’occasion de présenter des thèmes comme La lumière : du symbole religieux à la théorie photonique, Taoïsme et science et notamment Le design et le principe anthropique dans la tradition islamique. Durant ces exposés, les intervenants n’hésitent jamais à parler de leur foi. On note la participation de Philipp Johnson (fer de lance de l’ID) et de Michael Denton (également défenseur de l’ID) aux travaux organisés par Jean Staune dans ce qui n’était pas encore l’UIP avant 1995. Mais bien après la création de l’UIP, il existe des comptes rendus élogieux sur les livres de M. Denton dans la revue de l’UIP, « Convergences » (N°4 : p. 9). Jean Staune publie dans sa collection chez Fayard la traduction française d’un livre de Denton « L’évolution a-t-elle un sens ? ». On peut même lire la traduction, en 1998, d’un article de P. Johnson dans « Convergences » (n°7, p. 20). Le même P. Johnson bénéficie, pour la traduction française de son Darwin on Trial, d’une préface d’Anne Dambricourt-Malassé, à l’époque membre de longue date de l’UIP, et non des moindres, livre où il délivre déjà toute la stratégie argumentative de l’ID.

            D’autre part il peut être pertinent de mettre en parallèle l’Intelligent Design et l’UIP pour souligner une communauté de stratégie, ce qui constitue une position a minima, sachant les liens passés entre Denton (ID), Johnson (ID), Dambricourt (UIP) et Staune (UIP). L’UIP ne relève pas d’une activité scientifique normale (institution produisant des publications évaluées par les pairs au niveau international), elle est une entreprise de communication utilisant des scientifiques pour la réintroduction du religieux dans les activités du secteur public. Elle veut passer pour véritable institution scientifique sans en payer le prix. Pour faire passer pour scientifique une entreprise de communication d’inspiration mystique, elle fonctionne par infiltration, contamination du monde des scientifiques et brouillage des légitimités épistémologiques. L’UIP est une organisation née hors des sciences, et c’est pour cela qu’elle accorde autant d’importance aux prix et aux médailles. C’est là le fer de lance de sa communication. L’organisation n’existe que par le prosélytisme de Jean Staune, qui n’a jamais eu d’expérience de recherche de longue durée (voir Le Monde, 2 septembre 2006), et par le spiritualisme de quelques chercheurs en activité, que Staune a su fédérer. Certains scientifiques qui participent à l’UIP ne sont eux-mêmes peut-être pas conscients du contexte politique dans lequel ils sont. D’autres le sont. Mais, faut-il le rappeler, dans tous les métiers il existe des gens, parfois de très haut niveau, oublieux des fondements même de leur contrat professionnel. Ce n’est pas pour autant qu’il faut redéfinir le contrat social de chacune de ces professions. Pourtant, c'est par les noms de « sommités » qui participent à l’UIP, que Jean Staune entend légitimer une redéfinition de la science par son « nouveau paradigme ».

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            • #7

              LES ENTORSES A LA SCIENCE


              Les créationnistes commettent de fréquentes entorses aux règles énoncées ci-dessus en guise de socle à toutes les sciences. La première est l’entorse au scepticisme, car dans toute expérience du créationnisme dit « scientifique » la foi imprime une idée préconçue du résultat qui devra sortir. Il n’y a pas vraiment d’entorse à la logique, mais plutôt cette logique est en œuvre sur des prémisses fausses. Les entorses au matérialisme méthodologique sont à l’œuvre indirectement dans tous les créationnismes, qu’ils soient « scientifiques » ou seulement philosophiques, soit lorsque le résultat est suivi d’évocations incongrues d’entités immatérielles ou de mise en perspective des résultats dans le cadre du dogme, soit lorsque de véritables faux sont constitués.

              La foi introduite en sciences, entorse au scepticisme

              Les créationnismes « scientifiques » (créationnisme négateur, créationnisme mimétique, dessein intelligent) aspirent soit à une réintroduction de la foi dans la démarche scientifique, soit une mise en compatibilité forcée des résultats de la science avec leurs dogmes, réalisant ainsi une « nouvelle alliance » entre science et spiritualité. La foi peut-elles s’intégrer dans une démarche scientifique ? Dans le Petit Robert, on trouve : « foi : le fait de croire à un principe par une adhésion profonde de l’esprit et du cœur qui emporte la certitude ». On comprend tout de suite qu’il n’y a plus besoin d’expérience scientifique. Lorsque l’on porte une oreille scientifique aux discours mystiques, la foi peut être soit source d’hypothèses à tester, soit elle-même moyen d’investigation. Dans le premier cas, la foi est corruptrice puisque cette "certitude" ne tolère le test de l’expérience scientifique que s'il la conforte. La foi et l’idéologie jouent d’ailleurs le même rôle corrupteur à l’égard de la science, décrit dans « La pensée hiérarchique et l’évolution » par Patrick Tort (Aubier, 1983) et si bien illustré par S. J. Gould dans son célèbre ouvrage « La mal-mesure de l’Homme » (réédité au livre de Poche). Alors les expériences sont refusées sur le seul motif du résultat qu’elles donnent, ou bien sont truquées. Gould montre qu’un procédé courant est le tri conscient ou inconscient dans la collecte des « faits » ou des données. En revanche, l’expérimentateur scientifique se prépare à accepter n’importe quel résultat pourvu que sa mise en place soit rigoureuse.

              Dans le second cas, c’est-à-dire lorsqu’elle se propose d’être intégrée à la méthode scientifique, la foi rend l’expérience non testable. Pourquoi ? Parce que la foi est fille de l’endoctrinement ou de la révélation, tout au moins le fruit d’un parcours mystique. Pour être outil de la science, elle nécessiterait que tous les expérimentateurs potentiels aient subi le même itinéraire mystique personnel avant même d’avoir commencé l’expérience, pour que celle-ci puisse être reproduite. Ce qui est déjà perdu d’avance : tous les hommes de ce monde ne se réclament pas de la même foi, loin de là. Et si cela était possible, cela annulerait finalement la nécessité d’une réitération de l’expérience. Il manque à la spiritualité et à la foi deux propriétés essentielles pour prétendre être source ou outil de science : structuration et universalité de leur contenu. L’universalité de la science, elle, tient à l’universalité des réalités matérielles de ce monde et à l’universalité des règles de la logique.

              Entorses à la logique

              En général, tout créationniste bon stratège ne commettra pas la faute d’illogisme. La logique est respectée, mais elle agit sur des prémisses erronées, ou sur une sélection tendancieuse des faits. Par exemple, Michael Denton dans « L’évolution, une théorie en crise » (Flammarion) exerce un esprit critique sur les bases d’une discipline qu’il n’a pas comprise, ou sur des données sélectionnées. L’intégration honnête de toutes les données et le respect de l’exacte armature logique des disciplines incriminées (par exemple l’anatomie comparée ou les phylogénies moléculaires) montrent clairement comment Denton parvint à construire une logique qui n’est qu’apparente parce que mal fondée. La restitution des fondements corrects éclairent alors des contradictions internes à Denton (voir « Pour Darwin », sous la direction de P. Tort, PUF, 1997 ; et « Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles », sous la direction de Jean Dubessy et Guillaume Lecointre, Syllepse, 2001). De même, le livre récemment traduit en français de Michael Cremo et Richard Thompson « L’histoire secrète de l’humanité » (éditions du Rocher, 2003) est un exemple remarquable de sélection des données plus ou moins mises en cohérence de manière à « étayer » la présence humaine sur terre depuis le précambrien, conformément aux mythes bouddhiques. Enfin, exemple ultime, l’ « Atlas de la Création » d’Harun Yahya fait fonctionner une logique rudimentaire sur des faits erronés. On présente une photographie luxueuse d’un fossile accompagnée d’une photographie d’un être vivant actuel censé lui correspondre. L’identité des deux pièces à conviction est supposée démontrer qu’il n’y a pas eu d’évolution (notons que Jean Staune, de l’UIP, utilisait le même argument contre l’évolution au sujet du cœlacanthe dans Le Figaro Magazine du 26 octobre 1991). L’exercice est reproduit des centaines de fois, comme si la réitération pouvait être source de preuve. Plus de la moitié des identifications sont erronées, allant parfois jusqu’à se tromper d’embranchement. Par exemple, on met en face d’un échinoderme crinoïde fossile un annélide tubicole actuel, lesquels sont censés être identiques. Pas moins de cinq espèces distinctes sont présentées comme étant des « perches » (les erreurs sont très nombreuses, arrêtons-nous là). Mais là n’est pas le principal : si, quand bien même, les identifications étaient justes, l’identité de formes actuelles à des formes fossiles (panchronisme) est déjà intégré à la théorie de l’évolution. Moins de 5% d’un génome code pour la forme ; et ce n’est pas parce qu’une morphologie est stable à l’échelle macroscopique qu’une espèce s’est arrêtée d’évoluer à d’autres échelles : la variation est inhérente à la vie. Et quoi qu’il en soit, il est plus important de démonter la mécanique idéologique à l’œuvre, démontrer sa prédation sur la science, que de décrire une logique rudimentaire fonctionner sur des faits erronés.

              Mais on détecte également des entorses à la simple rationalité. La rationalité peut être comprise comme la pratique de la logique à laquelle on a adjoint le principe de parcimonie. Le principe de parcimonie ou principe d’économie d’hypothèses implique que lorsque nous faisons une inférence sur le monde réel, le meilleur scénario ou la meilleure théorie sont ceux qui font intervenir le plus petit nombre d’hypothèses ad hoc, c’est-à-dire non documentées. Ceci est vrai chez les historiens, chez les professionnels des phylogénies, chez n’importe quel expérimentateur qui doit deviner ce qui s’est passé au sein des cellules de sa boîte de Petri. Mais le principe de parcimonie n’est pas seulement requis en sciences. Il est requis chaque fois que nous avons besoin de nous comporter rationnellement. Toute personne qui cherche ses clés infère un scénario de ce qui a bien pu se passer. Personne n’irait imaginer une série d’étapes surnuméraires non documentées par des traces. Pourtant, « Un créateur ne peut être exclu du champ de la science », nous dit Jean Staune, secrétaire général de l’UIP (Le Monde, 2 septembre 2006). Une affirmation aussi forte remet en cause rien moins que le principe de parcimonie.

              Entorses au matérialisme méthodologique et entorses à l'expérimentation


              La philosophie sépare classiquement deux catégories, l’esprit et la matière. Le premier est immatériel par définition. Partant de là, on peut définir deux monismes exclusifs l’un de l’autre et un dualisme : un réalisme spiritualiste stipulerait que tout du monde réel n’est qu’esprit, un réalisme matérialiste stipulerait que tout du monde réel est matière ou manifestations intégrées de celle-ci, ou encore un dualisme stipulait que le monde réel renferme des manifestations relevant des deux catégories philosophiques. La spiritualité est tout ce qui relève de l’esprit et dégagé de toute matérialité. Nier le matérialisme méthodologique des sciences implique d’introduire des facteurs relevant de l’esprit au sein des méthodes scientifiques. Cependant, le spiritualisme « scientifique » incarné par les créationnistes, par les promoteurs de la pseudo-théorie du « dessein intelligent », mais aussi en France par l’ « Université Interdisciplinaire de Paris », échoue à expliquer comment l’esprit pourrait être utilisé par les scientifiques comme moyen d’investigation.

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              • #8
                Leur argumentation principale consiste à déclarer la matière, dans sa description scientifique ultime, comme dissolue dans des formes déclarées immatérielles ; et comme les descriptions qu’on en fait n’ont plus rien à voir avec une matière familière à nos sens (en gros, serait matériel ce qui a un volume et une masse), on parle de « déchosification de la matière ». Il faut rappeler toujours et encore avec Quiniou (2004b) ou Collin (2006) que le matérialisme ne dépend pas d’une description particulière de la matière telle que peut la produire la science physique. Rappelons qu’il n’y a ici rien de nouveau et que bien des penseurs idéalistes ont proclamé la mort du matérialisme chaque fois que la description de la matière changeait de forme. Faire dépendre la validité philosophique, et même épistémologique du matérialisme d’une description scientifique particulière de la matière, comme le fait d’Espagnat avec sa « déchosification » de la matière, est une confusion entre concept scientifique (changeant) et catégorie philosophique. Selon le mot de Collin (2006), c’est confondre la structure du monde physique et le processus de connaissance. En d’autres termes, rien dans l’intellectualisation croissante du concept scientifique de matière, et dans son éloignement de notre représentation sensible, n’implique qu’on doive cesser d’y voir, selon le mot de Quiniou (2004b) « l’instance générale productrice de toutes les formes de réalité ». Après avoir administré trois pages de réfutation des confusions de d’Espagnat sur la « disparition de la matière », Collin (2004) conclut : « La matière comme catégorie demeure comme fondement de ce qui doit être expérimenté et comme garantie de l’objectivité des résultats atteints. On ne peut pas savoir ce qu’est la matière puisque la matière n’est pas et que c’est au contraire l’objet de la physique (atome, élément, etc.) qui est matière. Tout le progrès scientifique depuis les Grecs a été déterminé dans le sens de l’élucidation des composants de la matière, mais en même temps la matière apparaît toujours comme la frontière où s’est arrêtée la connaissance dans cette recherche ».

                Le spiritualisme « scientifique » est par définition aux antipodes de la science en ce sens qu’il nie la nécessité d’un recours exclusif aux réalités matérielles de ce monde pour établir des vérités. Or, le recours aux expériences et aux observations sur le monde matériel est la seule garantie de leur reproductibilité, critère fondamental du statut de connaissance objective, et donc de scientificité. Introduite comme élément de construction d’une quelconque affirmation sur le monde réel, la spiritualité rend donc cette affirmation non testable scientifiquement. Si les promoteurs d’une spiritualisation de la science identifiaient leur démarche comme purement théologique ; que l’on soit d’accord ou pas avec celle-ci, force serait de constater que chacun serait à sa place, en quelque sorte. Le problème réside dans le fait que le spiritualisme « scientifique », créationniste « scientifique » ou seulement providentialiste, n’entend pas s’identifier à la seule théologie et fait passer sa démarche sous l’appellation de « science ». On a donc ici un vrai problème de démarcation et de définition, doublé d’un problème politique. En effet, et à titre d’exemple qui pourrait se répéter, c’est en déguisant la pseudo-théorie du « dessein intelligent » en science que cette théologie a bien failli passer dans les programmes scolaires américains.

                Il est impossible de réaliser une expérience scientifique qui se voudrait sérieuse et qui, en même temps, ferait appel aux forces immatérielles de l’Esprit. Les créationnistes le savent, et ont pourtant besoin de « prouver scientifiquement » le dogme. Ils ont donc recours pour cela à la fabrication de faits, c’est-à-dire à des fraudes caractérisées. Les limites de la fraude sont floues. On ne peut pas vraiment qualifier de « fraude » des interprétations aberrantes. Mais la fabrication de pièces est clairement une fraude. Stephen J. Gould a souvent raconté les pièces exposées dans des musées créationnistes, comme par exemple un moulage montrant un trilobite (un animal fossile de l’ère primaire, c’est-à-dire vieux d’environ 400 millions d’années) superposé à un pied humain, moulage supposé « attester » la coexistence de l’homme et du trilobite durant le déluge. Ian Plimer, géologue australien de l’Université de Melbourne, a clairement exposé les fraudes créationnismes dans Telling lies for God, Reason versus creationism publié en Australie en 1994. Il a démontré publiquement lors des procès contre les créationnistes australiens leurs fraudes scientifiques et financières. Le livre de Cremo et Thompson (voir ci-dessus) est saisissant d’aveuglement mystique dans l’interprétation de pièces qui vont de l’artéfact non intentionnel à ce qui ressemble à des pièces fabriquées intentionnellement.


                L'ENJEU AFFICHE PAR LES CREATIONNISTES « SCIENTIFIQUES » ET LES SPIRITUALISTES : LA MORALE


                Qu’il s’agisse du mouvement « Intelligent Design » aux Etats-Unis, véritable créationnisme scientifique, ou de l’ « Université Interdisciplinaire de Paris » (UIP), fer de lance en France d’un créationnisme philosophique, le providentialisme propose d’incorporer des éléments de spiritualité dans la démarche scientifique, soit comme source d’hypothèses à tester, soit comme éléments de preuve : « Un créateur ne peut être exclu du champ de la science », nous dit Jean Staune, secrétaire général de ladite université, dans un article traitant de l’UIP (Le Monde, 2 septembre 2006). Une affirmation aussi forte remet en cause rien moins que les limites de la science, c’est-à-dire le nouveau contrat que la science avait passé avec la connaissance voici deux siècles, et qui mettait le créateur hors du champ légitime de la science. Les questions relatives à celui-ci devaient être traitées par d’autres modes d’affirmation sur le monde (philosophie, théologie). Cette affirmation remet aussi en cause le principe de parcimonie, normalement utilisé partout en sciences (voir plus haut). Quelle stratégie permettrait de masquer de telles remises en cause ? La première des stratégies consiste à tabler sur le manque de formation de nos intellectuels, de nos journalistes et du public en histoire des sciences et en épistémologie. Cette stratégie est quelque peu passive. La seconde stratégie, plus active, consiste à faire à la science ce qu’on fait en général au matérialisme : on lui reproche d’être immorale. On propose alors de réintroduire la providence dans la mécanique démonstrative des sciences pour la moraliser, afin qu’elle s’imprègne de « valeurs ». La communication providentialiste est assez bien rôdée et, sans que nous ne nous en apercevions, imprègne les plus généralistes de nos media.

                L’argument est fallacieux pour plusieurs raisons. La première est que la spiritualité n’a pas nécessairement à être convoquée dès lors qu’elle n’a pas le monopole de la morale. Mais surtout, la seconde est qu’on confond deux niveaux, d’une part le cœur méthodologique des sciences (en quelque sorte le moteur du véhicule), le « comment on démontre », qui est amoral et non pas immoral, et d’autre part le contrôle social de la science (le volant du véhicule) qui est le niveau de l’éthique. Tout se passe comme si, parce que la voiture ne se dirige pas où l’on souhaite, il fallait spiritualiser le moteur au lieu de spiritualiser le volant –si tant est qu’il faille spiritualiser quoi que ce soit. A nous, citoyens, de nous emparer du volant – à quoi voulons-nous utiliser notre science ? – mais laissons la logique et les méthodes scientifiques tranquilles.

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                • #9
                  Les spiritualistes de l’Université Interdisciplinaire de Paris, en intitulant leur déclaration publiée dans Le Monde « Pour une science sans a priori » (23 février 2006), convoquent les scientifiques sur le versant de la métaphysique en les menaçant de se couper de la société s’ils refusent d’obtempérer. Notons que le rapport de la science et de la philosophie vis-à-vis la société est, chez eux, inversé. Leur rôle n’est plus d’initier « la société » à de nouvelles découvertes ou de nouvelles idées, mais de se plier aux représentations de « la société » sous peine de se couper d’elle ! Leur préoccupation communicante est ici à peine voilée. En d’autres termes, au lieu d’expliquer à cette société que la science ne saurait servir aucune métaphysique, que les prétendues attentes de la société impliquent d’abord la mobilisation des philosophes, qu’éthique et morale se gèrent au niveau du contrôle citoyen des activités de la science, et non au niveau des méthodes de démonstration ; ils reproduisent les confusions qui sont celles de la majorité de nos concitoyens pour en tirer un bénéfice de communication. Nous l’avons vu, de la science vers la philosophie, ou de la science vers la métaphysique, la science ne peut opérer qu’une contrainte critique passive (« servir à »), mais pas au soutien actif d’une posture métaphysique (« servir ») ; elle n’est pas outillée pour cela. Or, c’est bien un soutien actif de la science en faveur de postures métaphysiques spiritualistes qu’attendent les signataires de la déclaration. Un tel soutien serait un dévoiement de ce que peuvent réellement faire et dire les scientifique dans l’exercice de leur métier, comme l’ont souligné des scientifiques opposés à la déclaration spiritualiste dans le même journal (Le Monde, 5 avril 2006). S’ajoute à cela un aspect plus politique : un scientifique du secteur public payé par un Etat laïque n’est pas légitime lorsqu’il faire croire que sa science sert telle ou telle posture métaphysique. On ne tolèrerait pas cela d’un enseignant utilisant l’autorité de sa fonction pour promouvoir sa religion dans une classe. En d’autres termes, si l’on convoque le scientifique à la barre du tribunal métaphysique, où la peine encourue est de « se couper de la société », c’est en tant que philosophe qu’il doit y aller et laisser la science tranquille. S’il s’agit d’un philosophe conséquent au tribunal de l’UIP, le dialogue risque d’être une fois de plus un affrontement philosophique entre matérialisme et spiritualisme.

                  L’article du journal Le Monde paru le 2 septembre 2006 poursuit à ce titre cette même confusion, et montre comment le spiritualisme tire profit des mauvaises articulations intellectuelles entre science et philosophie, science et morale, science et éthique. Le journaliste Michel Alberganti analyse le mouvement providentialiste français nommé « Université Interdisciplinaire de Paris » et démasque le jeu de son initiateur et secrétaire général Jean Staune, avec raison. Mais c’est pour réduire ensuite le propos de la majorité des scientifiques à quelques slogans dont il dit que ce sont ceux de « militants ». Le « militant » est implicitement disqualifié puisqu’il est soupçonné de plier les faits aux besoins de sa cause. L’article supposé nous renseigner sur le rôle de l’UIP ne fait que personnaliser l’opposition entre le matérialisme méthodologique auquel se conforme silencieusement l’immense majorité des démarches scientifiques, et le providentialisme déclaré de quelques uns. Il souligne l’existence de « confusions » dans les recherches en Biologie sans les préciser, en oubliant de dire d’abord que la théorie darwinienne de l’évolution reste la meilleure théorie que l’on ait pour le moment –non pas parfaite ni dogmatique mais simplement la plus cohérente. Il tait que sa remise en cause prend ses sources en dehors de la Biologie. Surtout, et c’est là la meilleure illustration des confusions qui règnent, le journaliste donne ensuite amplement la parole à Pierre Perrier, autre membre de l’UIP, parole justifiée par l’argument d’autorité d’un Curriculum vitae. Perrier prône le retour des valeurs dans les sciences, qu’Alberganti identifie à l’éthique tout en laissant confuse la fin de son article. En raison de l’indépendance des méthodes et des objectifs de la science déjà évoquée plus haut, la grande majorité des scientifiques n’utilise pas de valeurs dans le cours des démonstrations ni ne démontrent le bien fondé de valeurs. Même si certains ont pu le faire au cours de l’Histoire des sciences, ils ont été récusés a posteriori (Gould, 1983). Cela n’empêche pas pour autant les scientifiques d’exprimer ou de se plier à des valeurs au niveau du contrôle social de la science, par exemple lorsqu’un biologiste signe une charte contre la souffrance animale alors que l’anesthésie d’un animal ne sert pas en elle-même à l’expérience. En ne soulignant pas en fin d’article cette différence de niveaux, celui du cœur démonstratif et celui du contrôle social, Alberganti laisse entendre que les scientifiques conscients du matérialisme de leurs méthodes nient l’éthique, ce qui est faux. Il reproduit ainsi la manipulation des providentialistes. On peut penser que ce n’est qu’un incident. En fait, il s’agit de l’illustration d’un défaut majeur et très répandu de formation épistémologique qui finira par avoir des conséquences politiques. Or l’identification correcte des contours de la démarche scientifique, nous l’avons vu aux USA, est aussi et déjà un problème politique.

                  Nous avons déjà identifié la relation asymétrique entre science et philosophie, et la nécessaire cécité des méthodes scientifiques à l’égard des questions et pressions politiques, idéologiques, morales, religieuses, mercantiles. Répétons-le, il s’agit bien des méthodes de démonstration, pas du contrôle social qui s’organise atour. D’autre part, il n’est pas question de délivrer ici une vision angélique de la science mais de rappeler le type de contrat que le scientifique passe avec la connaissance. Les scientifiques sont des femmes et des hommes comme les autres. Ici ou là, ils ne savent pas toujours résister à ces diverses pressions, et leurs méthodes du même coup peuvent s’en ressentir. Mais cela ne nous autorise pas à oublier, ou pire nier, qu’il existe un type de contrat que le scientifique a signé avec la connaissance, qui stipule le respect d’un ensemble de contraintes méthodologiques. En d’autres termes, ce n’est pas parce que une loi (« il est interdit de tuer son voisin ») subit parfois des entorses (« hier untel a tué son voisin d’un coup de fusil ») que cette loi elle-même est injustifiée. Il reste du devoir des scientifiques de faire identifier les spécificités des assertions qu’ils produisent, même si les règles qui les régissent subissent parfois des entorses.

                  Un scientisme naïf, précisément parce qu’il est ignorant des limites méthodologiques de la science citées plus haut, et de son unique but de faire progresser les connaissances objectives, consiste à assigner à la science des tâches pour lesquelles elle n’est pas faite aujourd’hui : répondre sur l’existence de Dieu, ou valider des postures politiques. Par exemple, on entend ici ou là qu’ « il ne faut pas être raciste parce que la science nous dit que les races n’existent pas ». Ici aussi on commet une intrusion du scientifique dans le champ moral et politique. Et si la science donnait subitement un sens à la notion de race, faudrait-il alors pour autant devenir raciste ? Les bonnes raisons de ne pas être raciste doivent être morales et politiques, la science n’a pas à être convoquée. Le scientisme naïf croit que la science doit avoir réponse à tout et tout de suite, quelle que soit la nature de la question. Pour la même raison il rejette la science dès qu’elle ne répond pas (à tort ou à raison) à une question ou dès qu’elle change son interprétation sur tel ou tel fait. Ou bien il convoque la providence pour combler ce qui est vécu comme une insupportable lacune. Nous ne sommes pas éduqués à laisser temporairement de l’inexpliqué dans notre représentation du monde. La science ne répond pas à n’importe quel type de questions, seulement à celles qui relèvent d’un accroissement de connaissance objective. Et même dans ce champ là, elle n’explique pas tout (sinon elle n’aurait plus de travail), elle a pour vœu de tout expliquer potentiellement, et selon ses propres méthodes, ce qui est différent. Les « trous » dans nos connaissances objectives ne sont pas des justifications pour changer ces méthodes, pour y introduire la religion ou pour rejeter des sciences, mais une zone de travail à investir par les scientifiques.

                  QUELQUES PIEGES A DEJOUER POUR LE CORPS ENSEIGNANT

                  Faits et théories


                  La stratégie de communication des anti-évolutionnistes commence par affirmer haut et fort que l’évolution « n’est qu’une théorie ». Le « que » suggère une dépréciation des théories par rapport aux faits. Cette vision implique que seul le fait, n’importe quel fait, serait noble et surtout s’exprimerait de lui-même, laissant les théories au niveau des spéculations sans fondements ni preuves. L’un des motifs épistémologiques urgents à enseigner est qu’en sciences il n’y a pas de faits possibles sans théorie autour, et sans une certaine mécanique de la preuve. C’est banal, mais c’est très important. Une dent humaine fossilisée dans un terrain inhabituel est un fait extraordinaire si l’on a en tête toute l’anatomie comparée des dents et la stratigraphie. Sinon ça n’est qu’un vulgaire caillou. Cela ne veut pas dire que la connaissance objective n’a pas de portée universelle… car une théorie reste acceptée tant qu’elle n’est pas réfutée elle-même par des expériences reproductibles. Les faits assurent la cohérence d’une théorie tandis que la théorie investit l’appréhension du fait. Faits et théories se construisent ensemble. Charles Otis Whitman écrivit qu’ « une théorie sans faits est une fantaisie, mais des faits sans théorie ne sont que chaos ». Malheureusement, dans la bouche du public et surtout celles des créationnistes, le mot « théorie » est souvent péjoratif, assimilé à des spéculations sans fondements car seul le fait serait noble. Par conséquent, tout manipulateur habile a recours aux seuls « faits ». Le mot est d’autant plus martelé que l’on veut vous empêcher d’identifier toute la construction théorique ou la représentation du monde qu’il y a derrière.

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                  • #10
                    Quelles sont les manières d’établir la preuve ?

                    L’une des objections spontanées à la théorie de l’évolution consiste à dire que d’une part l’évolution biologique n’est pas expérimentable et d’autre part que finalement on ne peut rien savoir de l’évolution passée parce qu’on n’a pas de machine à remonter le temps pour « aller y voir ». La première objection est tout simplement erronée. On expérimente l’évolution biologique sur des organismes à temps de génération courts comme des mouches drosophiles, des champignons ou des bactéries. L’industrie agronomique ne cesse de courir après l’évolution des parasites, ravageurs et autres destructeurs de plantes cultivées. D’autre part, on n’a pas besoin de machines à remonter le temps pour que l’évolution soit crédible. En fait, on ne peut pas comprendre les sciences de l ‘évolution si l’on a pas conscience qu’elles renferment différents régimes de preuve. Pour faire court, nous les nommerons ici « preuve historique » et « preuve expérimentale ».

                    1 . La preuve historique

                    La preuve historique consiste à observer des faits actuels, les mettre en cohérence, en déduire les conditions du passé à l’origine de ces faits. Dans cet exercice de rétrodiction, c’est la cohérence maximale des faits qui garantit la pertinence de la conclusion et le pouvoir explicatif de la théorie. La cohérence d’une théorie est mesurée à l’aide de formules mathématiques simples. Parmi plusieurs théories possibles, on choisit celle donc la valeur de cohérence est maximale. Les observations de départ étant reproductibles, la preuve historique est donc reproductible par autrui, par conséquent elle produit de la connaissance objective. Par exemple, en sciences de l’évolution, les chercheurs construisent des phylogénies, c’est-à-dire construisent des arbres qui traduisent les degrés d’apparentement relatifs entre des êtres vivants. Ces degrés d’apparentement ne sont pas construits à l’aide de machine à remonter le temps, ni sur la base de registres d’état civil. Ces arbres résultent d’un exercice de reconstitution à partir d’observations à expliquer. Ces observations sont les répartitions des attributs des êtres vivants. Si nous avons cinquante espèces animales devant les yeux, nous sommes immédiatement capables d’observer leurs attributs. Certaines ont quatre pattes. Parmi celles-ci, certaines ont des poils. Parmi celles-ci, certaines ont le pouce opposable au reste des doigts. Ces attributs (pattes, poils, pouce opposable) ne sont pas distribués n’importe comment. Ils sont distribués parmi les espèces selon une hiérarchie perceptible : tout ceux qui ont le pouce opposable ont déjà les poils, tous ceux qui ont des poils ont déjà quatre pattes… c’est-à-dire que la répartition des attributs n’est pas complètement chaotique : on ne trouve pas de poils en dehors de ceux qui ont quatre pattes, ni de pouce opposable en dehors de ceux qui ont des poils. Il y a des attributs à expliquer, leur mise en cohérence maximale se traduit par la construction de groupes, qui peuvent prendre la forme d’ensembles emboîtés, ou bien d’un arbre (nous tairons la recette ici par souci de place). Ici, la cohérence maximale consiste à mettre dans un seul et même ensemble tous ceux qui ont des poils, au lieu de les ranger séparément avec ceux qui n’en ont pas en ensembles distincts. Pour réaliser cette mise en cohérence, on utilise la représentation de l’arbre (qui est une série d’ensembles emboîtés). De manière sous-jacente à notre action, c’est la phylogenèse qui explique cet emboîtement des attributs en un « ordre naturel ». L’arbre phylogénétique résultant traduit non seulement les degrés relatifs d’apparentement des espèces par l’emboîtement de leurs attributs, mais il raconte également le déroulement historique de leur apparition, c’est-à-dire l’ordre relatif de leur acquisition. On a donc reconstitué une histoire argumentée et vérifiable par autrui.

                    2 . La preuve expérimentale

                    La preuve expérimentale, quant à elle, consiste davantage à agir sur le monde réel en mimant des forces évolutives telles qu’on se les représente. Pour simuler l’origine abiotique de molécules biologiques tels les acides aminés, Stanley Miller et Harold Urey ont soumis des composés abiotiques simples (méthane, hydrogène, ammoniaque, eau) à certaines conditions physiques dont on pensait qu’elles devaient être celles d’une terre primitive (chaleur, électricité). Ils ont fabriqué in vitro de nombreux acides aminés (constituants élémentaires des protéines) et les bases puriques des acides nucléiques (constituants élémentaires de l’ADN). Lorsqu’ils travaillaient sur des espèces à temps de génération très court, les biologistes ont pu « voir » l’évolution dans leur laboratoire. Dès les années trente, Philippe L’Héritier et Georges Teissier ont vérifié l’évolution biologique expérimentalement en maintenant des populations de 3000 à 4000 petites mouches du vinaigre dans des cages et en les soumettant à certaines contraintes de nourriture. On fait aujourd’hui cela couramment avec des bactéries, notamment lors de « phylogénies expérimentales » réalisées en laboratoire. Le régime de preuve est dit ici « hypothético-déductif ». C’est l’expérience qui explique la phylogenèse.

                    Il est très important de comprendre que toute la biologie et toutes les sciences de l’évolution fonctionnent ainsi sur deux régimes de preuves distincts. Les sciences des structures (anatomie comparée, embryologie descriptive, paléontologie, systématique, phylogénie moléculaire…) sont des sciences historiques : la phylogenèse explique la répartition des structures à travers le vivant. Les sciences des processus (génétique moléculaire, embryologie, physiologie, génétique des populations, écologie…) sont des sciences expérimentales où la phylogenèse est expliquée par des expériences. Dans le premier cas, la phylogenèse explique, dans le second elle est à expliquer. Si l’on se trompe de régime de preuve, on arrive vite à des aberrations. C’est pourtant ce que font certains scientifiques, en prétendant que la systématique (la science des classifications) n’est pas une science parce qu’elle ne suit pas un schéma argumentatif de type hypothético-déductif fondé sur une expérience. C’est aussi ce que feront les créationnistes, en reprochant à la paléontologie de ne pas être une science pour les mêmes raisons.

                    On constate donc que la scientificité d’une affirmation tient plus à son objectivité, c’est-à-dire à la possibilité de la vérifier par la reproduction d’expériences ou d’observations, qu’au régime de preuve lui-même : expérimental ou historique.


                    PREMIERE POSTFACE A L'ATTENTION DES ENSEIGNANTS

                    Les lycéens et les universitaires travaillent de plus en plus à partir d’internet. Tout étudiant qui cherche des informations sur la théorie de l’évolution, s’il oublie l’accent aigu, trouvera les sites du mouvement du dessein intelligent. Lors d’une rencontre avec des lycéens, ils m’ont eux-mêmes interpellé sur ce que qu’affirment ces sites. Les enseignants doivent savoir que ce mouvement appelle les élèves à poser dix questions à leurs enseignants, questions destinées à mettre les enseignants de biologie dans l’embarras.

                    De quoi s’agit-il ? Nous avons là une nouvelle stratégie d’attaque anti-évolutionniste, illustrée de manière exemplaire par le livre de J. Wells intitulé « Les icônes de l’évolution », abondamment présenté et commenté sur la toile, et dont le style arrogant est typique des mouvements religieux anti-évolutionnistes américains. Wells est instruit, et va dénicher les petites incohérences dans la communication scientifique, les débats contradictoires internes normaux dans une théorie qui évolue, les accidents de l’histoire et les erreurs dans les données. Il les déconnecte du corpus général qui permettrait de réinterpréter les erreurs en question. En les isolant, il les monte à la hauteur de falsifications majeures de la théorie de l’évolution. Il évite de mentionner que les scientifiques eux-mêmes ont souvent déjà réglé l’affaire, omet les articles importants de clarification. Il y a donc abus de fonction critique.

                    Une fonction critique légitime s’en prendrait au corps théorique dans son ensemble. Mais J. Wells abuse de critiques d’anecdotes, d’accidents de l’histoire (l’homme de Piltdown, les embryons de Haeckel), de retards dans les manuels d’enseignement. Il fonde la légitimité de sa critique en clamant que les livres pour étudiants ont trop souvent plusieurs décennies de retard et montrent des versions trop simplifiées du champ scientifique. Ce que l’on peut reconnaître effectivement dans nombre de cas. Wells fonde sa stratégie de ce qu’il connaît du monde des chercheurs. Peu d’entre eux s’investissent vraiment dans la diffusion des connaissances. Le retard des livres scolaires en est un signe. Son intrusion dans cette brèche ouverte entre science et société devrait au moins nous servir de leçon. La transmission des connaissances, le partage élargi des méthodes et des savoirs ne devrait souffrir qu’un délai minimal correspondant au temps de stabilisation d’un résultat scientifique. Le prix à payer de toute négligence à cet égard est la désinformation au bénéfice d’idéologies, comme l’illustre très bien Wells. Il utilise cette faiblesse du système de diffusion des connaissances comme autant de faiblesses de la théorie elle-même, comme si le caractère désuet ou incomplet des livres scolaires confortait sa vision d’un dessein intelligent. Il utilise donc ce qu’il appelle les “icônes de l’évolution”, petites histoires tronquées repêchées dans les manuels pas toujours bien écrits, pas toujours à jour, comme levier critique contre la théorie darwinienne de l’évolution.
                    Voici les dix questions que Wells encourage les élèves et étudiants à poser à leurs enseignant :

                    1. Les origines de la vie : « Pourquoi les manuels affirment-ils que l’expérience de 1953 d’Urey-Miller montre comment les constituants de la vie avaient pu apparaître sur Terre, lorsque les conditions de la Terre primitive sont connues aujourd’hui pour avoir été différentes de celles de l’expérience, et que l’origine de la vie reste un mystère ? »
                    C’est un problème de mise à jour des manuels. Les origines des constituants chimiques du vivant ne sont pas plus un mystère aujourd’hui qu’hier. D’autres modèles d’évolution pré-biotique sont aujourd’hui disponibles. Marie-Christine Maurel (« Les origines de la vie », Syros, 1994) parle même de « profusion expérimentale » de ces dernières années (voir aussi « L’évolution chimique et les origines de la vie » d’André Brack et François Raulin, Masson, 1991)

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                    • #11
                      2. L’arbre de la vie de Darwin (sic !) : « Pourquoi les manuels ne discutent-ils pas de l’explosion cambrienne, dans laquelle tous les groupes majeurs animaux apparaissent ensemble dans le registre fossile, pleinement formés, au lieu de se brancher sur un ancêtre commun, et donc contredisant l’arbre de la vie ? »
                      Il s’agit typiquement d’une objection fausse. Il y a incompréhension totale du sens des arbres phylogénétiques. Ce n’est pas parce que les groupes apparaissent subitement, simultanément et « pleinement formés » que cela récuse la notion d’ancêtre commun. Ce foisonnement soudain se traduit dans les arbres phylogénétiques par un cas de résolution difficile où toutes les branches se réunissent en un même point. Il y a bien des ancêtres communs hypothétiques, mais si rapprochés entre eux qu’il est difficile aux investigateurs de résoudre l’ordre des relations de parenté. De tels points de multifurcation ne nient pas l’ancêtre commun, mais signifient juste que pour l’instant on ne sait pas « qui est plus proche de qui ». La phylogénétique moderne offre une image du déroulement de l’arbre de la vie où certaines zones de l’arbre offrent des apparentements bien résolus, suivis de zones irrésolues, puis suivies à nouveau de zones résolues. Il n’y a pas de raison particulière de se focaliser sur l’explosion cambrienne, une époque de diversification majeure des lignées animales. Il y avait de la vie avant, avec des relations de parenté résolues en amont de cette « explosion », et d’autres résolues en aval. Il n’y a pas de contradiction.

                      3. L’homologie : « Pourquoi les manuels définissent-ils l’homologie comme une similarité due à une ascendance commune, puis déclarent que les homologies sont les preuves de l’ascendance commune, un argument circulaire déguisé comme une preuve scientifique ? »
                      Chez J. Wells comme chez M. Denton il y a incompréhension (ou travestissement) de la façon dont les scientifiques utilisent la notion d’homologie (voir plus haut, voir aussi « L’arbre à remonter le temps » de Pascal Tassy, Christian Bourgois, 1991 ; « Classification phylogénétique du Vivant », de Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader, Belin, 2001. Une hypothèse d’homologie est un pari. Initialement, à partir de structures qui se ressemblent, on fait le pari qu’elles sont héritées d’un ancêtre commun (homologie primaire), mais on peut perdre ce pari comme on peut le gagner. On fait ce pari sur des dizaines, voire des centaines de caractères. L’exercice décisif, c’est la construction de l’arbre qui va maximiser la cohérence entre ces multiples caractères. L’arbre le plus cohérent va montrer que pour certains caractères, on a gagné le pari ; tandis que pour d’autres, on l’a perdu.
                      Dans le premier cas, l’homologie sera dite confirmée (homologie secondaire). Ces homologies deviennent alors des arguments en faveur de l’apparentement exclusif des espèces qui les portent. Par exemple, dans tel arbre qui comporte un échantillon de quatre oiseaux, le bréchet est acquis une seule fois sur la branche réunissant le canard, le poulet, le colibri et l’autruche : il est un argument en faveur de leur apparentement exclusif.
                      Dans le second cas, l’homologie est dite infirmée, on parle alors d’homoplasie (ressemblance non acquise par ascendance commune). Dans ce même arbre, il y avait aussi deux espèces de chauve-souris. Elles sont placées avec les mammifères sur la base d’autres homologies présentes dans nos données (pavillon de l’oreille, poils, mamelles, mandibule constituée du seul os dentaire…). On constate que le membre antérieur réalisant une aile n’est pas acquis une seule fois mais deux fois indépendamment : une fois sur la branche propre aux quatre oiseaux, une autre fois sur la branche propre aux chauve-souris. Le pari sur l’homologie des ailes est perdu. En confondant l’homologie comme pari et l’homologie comme résultat ; et donc en occultant le pari, Wells fait de ce concept un usage circulaire. Mais comme on peut perdre le pari, il n’y a pas circularité.

                      4. Les embryons des vertébrés: « Pourquoi les manuels utilisent-ils des dessins montrant la ressemblance des embryons de vertébrés comme une preuve de leur ascendance commune, même si les biologistes savent depuis un siècle qu’ils ne se ressemblent pas plus à ces stades embryonnaires qu’au stade adulte, et que les dessins ont été truqués ? »
                      Ici Wells utilise un accident de l’histoire des sciences. Haeckel a produit des dessins d’embryons pas tout à fait conformes à la réalité. Les livres scolaires pourraient simplement montrer d’autres exemples de plus grande similitude embryonnaire à des étapes précoces qu’à des stades adultes, car il est un fait que ces embryons se ressemblent plus que ne se ressemblent les adultes. Mais les livres pourraient également exploiter le fait que certaines structures de notre propre embryogenèse sont des traits généraux montrant notre rattachement phylogénétique, comme par exemple l’apparition transitoire de fentes branchiales, ou la présence transitoire d’une queue. Pour illustrer le rapport entre embryogenèse et déroulement évolutif, on pourrait encore se borner à montrer une colinéarité relative du temps embryologique et du temps phylogénétique. Nous avons une cavité buccale avant d’avoir les ébauches du crâne, les ébauches du crâne avant d’avoir des doigts, et nous avons des doigts avant le pouce opposable. On doit notre bouche à celle des deutérostomiens apparus voici 580 millions d’années, notre crâne aux premiers craniates d’il y a 500 millions d’années, nos doigts aux premiers tétrapodes d’il y a 370 millions d’années, et notre pouce opposable aux premiers primates d’il y a 65 millions d’années. Enfin, on peut se contenter d’illustrer les gènes maîtres communs. Le gène initiateur de la cascade ontogénétique de la formation de l’œil chez la souris, s’il est exprimé expérimentalement chez une mouche drosophile en des segments atypiques, peut provoquer chez cette mouche drosophile la formation d’yeux de mouche surnuméraires. Il y a donc une sorte de langue commune des gènes reconnue à des stades précoces que l’on soit souris ou bien mouche drosophile. Cette architecture de l’expression génétique précoce commune est suivie dans le développement par des différenciations accrues jusqu’au stade adulte (l’ordre donné est un ordre de souris mais les yeux surnuméraire sont bien des yeux de mouche). Ces faits expérimentaux illustrent bien l’idée qu’il y avait dans les embryons de Haeckel : les embryons ont en commun (ici des modalités d’expression génétique) des traits anciens qui les font se ressembler plus que les adultes entre eux, qui sont plus différenciés.

                      5. Archaeopteryx : « Pourquoi les manuels présentent-ils ce fossile comme le chaînon manquant entre les dinosaures et les oiseaux modernes, même si les oiseaux modernes ne descendent pas de lui, et que leurs ancêtres supposés n’apparaîtront pas avant des millions d’années après lui ? »
                      Cette objection est fondée sur un schéma totalement erroné des relations de parenté, d’abord par confusion entre généalogie (qui descend de qui) et phylogénie (qui est plus proche de qui). Wells cherche l’ancêtre dans le cadre d’une philosophie essentialiste. Archaeopteryx est groupe-frère des oiseaux modernes ; il n’en est pas l’ancêtre pour des raisons méthodologiques : la phylogénie n’identifie pas des ancêtres, mais seulement des degrés d’apparentement. La phylogénie ne dit pas qu’Archaeopteryx est l’ancêtre des oiseaux modernes, elle dit qu’il est plus proche des oiseaux modernes qu’il ne l’est de dinosaures tel Velociraptor ou bien Tyrannosaurus. Le fait qu’il ne soit pas un ancêtre n’est donc pas une objection valide. Et le fait qu’il soit groupe-frère des oiseaux modernes n’empêche pas au premier de ceux-ci d’apparaître beaucoup plus tard.

                      6. La phalène du bouleau. « Pourquoi les manuels scolaires utilisent-ils les photographies de phalènes du bouleau camouflées sur des troncs d’arbres comme preuve de la sélection naturelle lorsque les biologistes savent depuis les années 1980 que normalement les phalènes ne résident pas sur les troncs, et que toutes les photographies ont été truquées ? »
                      Les photographies ne constituent pas les données scientifiques de base relatives à cette question. Les travaux décisifs de l’équipe de B. Kettlewell ont été réalisés bien après qu’on ait remarqué que les formes noires de ce papillon avaient déjà une fréquence de 98% dans les régions industrielles de l’Angleterre (et ceci dès 1898), tandis que les formes blanches typiques demeuraient à une fréquence de 100% en zone rurale non polluée. Dans les années 1950, l’équipe de B. Kettlewell travailla sur de nombreux marquages et re-captures de formes claires et foncées de phalènes du bouleau, relâchées tantôt dans des bois sombres, tantôt dans des bois clairs. Les statistiques faites sur les re-captures montrèrent une très nette survie en faveur des formes foncées dans les bois pollués, et une nette survie des formes claires dans les bois non pollués. Les résultats de l’expérience ne sont pas à remettre en cause, à moins d’accuser l’équipe de B. Kettlewell de fraude. L’interprétation qui a été faite de ces résultats était à l’époque la seule possible : seule la prédation accrue sur les formes mal camouflées pouvait rendre compte des chiffres, compte tenu des données disponibles et des observations directes de prédation par les oiseaux. Les chercheurs purent constater que les formes claires étaient bien camouflées sur les troncs clairs pourvus de lichens, et les formes foncées indiscernables sur les troncs devenus foncés par disparition du lichen. Quel que soit le moment de la journée ou de la nuit, l’endroit de l’arbre où la phalène se cache le jour, et quel que soit le mécanisme par lequel les formes mal camouflées sont repérées par les prédateurs, l’interprétation reste logiquement valide.

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                      • #12
                        En fait, les auteurs qui ont réétudié la question (telle l’équipe de T. Sargent en 1998) pensent qu’il s’agit toujours d’un problème de sélection, mais plus compliqué que ce que l’équipe de Kettlewell était en mesure d’interpréter, d’autres facteurs sélectifs étant à l’œuvre (par exemple, les larves des formes mélaniques montrent une plus grande tolérance aux polluants et aux parasites). Le « mélanisme industriel » a touché également entre 80 et 100 autres espèces d’arthropodes. Mais si cet exemple de sélection naturelle devient aujourd’hui d’interprétation plus complexe, et si des photographes pressés ont « collé » des phalènes là où elles ne préféraient pas résider, l’exemple peut être aisément remplacé par d’autres. John Endler, de l’Université de Santa Barbara, recensait déjà au milieu des années 1980 plus de cent études décrivant des mécanismes de sélection naturelle dans des conditions et sur des organismes très variés. J. Wells devrait donc élargir ses recherches bibliographiques ailleurs que dans les livres scolaires.

                        7. Les pinsons de Darwin : « Pourquoi les manuels clament-ils que le changement des becs des pinsons des Galapagos durant les sécheresses peut expliquer l’origine des espèces par la sélection naturelle, même si ces changements sont réversibles après la sécheresse, et qu’aucune évolution n’a eu lieu ? »
                        L’objection est ici de mauvaise foi : le modèle « pinson » illustre l’initiation du changement dans des populations. Les études montrent que l’aspect physique des espèces change avec les modifications de l’environnement, et changent du même coup la survie et le succès reproducteur des espèces, et ceci dans une période de temps plus courte que ce que l’on pensait. La forme du bec n’est pas le seul caractère étudié. L’affirmation selon laquelle aucune évolution n’a eu lieu est fausse et gratuite. Les travaux de Peter Grant (voir par exemple dans « La sélection naturelle et les pinsons de Darwin », dans le dossier Pour La Science intitulé « L’évolution », Hors Série n°14, janvier 1997) sur les pinsons montrent une sélection oscillante, très réactive et très liée aux aléas climatiques. Par ailleurs, de multiples autres exemples de sélection sont disponibles (notamment dans des livres tels « Speciation and its Consequences », de D. Otte et J.A. Endler, Sinauer Associates, 1989).
                        Dans plusieurs textes, Wells dénonce l’utilisation qui est faite des pinsons de Darwin comme exemple de diversification des espèces alors que, dit-il, on n’a jamais vu une espèce se créer. Cette affirmation est, une fois de plus, fausse. L’apparition de nouvelles espèces en période historique a été de nombreuses fois documentée, c’est-à-dire, pour reprendre les termes de l’objection, l’évolution d’une espèce en une autre. Par exemple, on a pu observer que des remaniements chromosomiques chez des souris tunisiennes provoquaient des isolements reproducteurs et donc la naissance de nouvelles espèces, l’espèce descendante vivant au même endroit que la parente. L’hybridation naturelle entre deux types de tournesols identifiés comme espèces distinctes produisit une descendance qui ne pouvait plus se croiser avec les tournesols ancestraux, réalisant ainsi une nouvelle espèce. Cette expérience a même pu être reproduite en laboratoire. A partir d’une souche des années 1950, des mouches du vinaigre (drosophiles) ont été reproduites dans des laboratoires durant cinquante ans dans des conditions stables et pures. Pendant ce temps, les descendants restés dans la nature continuèrent à évoluer de leur côté. Lorsqu’il s’est agit de croiser, cinquante ans plus tard, les descendants domestiques restés « purs » et les descendants naturels, ce croisement fut rendu impossible par l’invasion génétique d’éléments génétiques dits « P » dans les populations naturelles. Les populations naturelles avaient tellement changé qu’elles étaient devenues, en quelque sorte, une autre espèce au regard de la souche originelle restée, elle, préservée de ces événements au laboratoire.

                        8. Les mouches mutantes : « Pourquoi les manuels utilisent-ils les drosophiles avec une paire d’ailes supplémentaires comme la preuve que les mutations dans l’ADN peut fournir le carburant de l’évolution, même si ces ailes supplémentaires n’ont pas de muscles et que ces mutants sont incapables de vivre en dehors du laboratoire ? »
                        Le modèle montre juste que de petits changements génétiques peuvent engendrer des modifications spectaculaires du corps. On pourrait changer d’exemple : un seul gène, lorsqu’il est muté, change le sens de l’enroulement des coquilles des escargots, et ces mutants naturels sont parfaitement viables dans leur milieu. Les manuels devraient juste diversifier leurs mutants.

                        9. Les origines humaines : « Pourquoi utilise-t-on les dessins des artistes représentant des humains simiesques pour justifier les déclarations matérialistes selon lesquelles nous ne sommes que des animaux et que notre existence n’est qu’un accident, lorsque les experts de ces fossiles ne s’accordent même pas sur qui sont nos ancêtres et à quoi il ressemblaient ? »
                        Les débats en paléontologie humaine sont des débats sur les relations de parenté des fossiles, entre spécialistes n’utilisant pas les mêmes méthodes d’analyse. Ces débats font partie de la marche normale d’une science. Si l’on désire entrer dans ce débat, il faut être très vigilants à la nomenclature. Le terme « nos ancêtres » est trop flou. Jusqu’où remonte-t-on ? La question telle qu’elle est posée par Wells est trop vague, et permet de présenter la paléontologie humaine comme un vaste désordre. Il y a des accords à certains niveaux de l’arbre phylogénétique des hominidés. Nous l’avons vu, les ancêtres sont des puzzles incomplets dont la structure dépend de la structure de l’arbre reconstruit. Les chercheurs s’accordent sur certaines combinaisons minimales pour certains de ces puzzles, c’est-à-dire pour certains de nos ancêtres. Ces représentations s’en inspirent.

                        10. L’évolution, un fait ? : « Pourquoi nous dit-on que la théorie darwinienne de l’évolution est un fait scientifique, même si beaucoup de ses affirmations sont fondées sur des représentations erronées des faits ? »
                        Ici il y a un flou sous le mot « évolution » et une confusion dans les rapports entre faits et théorie (voir plus haut). Wells joue sur les deux confusions. Certes, l’évolution biologique est un fait, les industries agronomique et pharmaceutique feraient faillite si les êtres vivants dans la Nature étaient immuables. Mais les mécanismes par lesquels la vie évolue sont conçus par nous dans la théorie darwinienne de l’évolution. Dans la seconde partie de la phrase, c’est la théorie qui est visée (« les faits » sont ceux de la théorie). Une théorie n’est pas moins noble que les faits, cette opposition est inepte, nous avons déjà développé cela plus haut. En présentant une théorie élevée au rang de fait, Wells établit une hiérarchie qualitative entre les deux en même temps qu’il suggère l’abus. L’accusation de représentation erronée des faits fait référence aux icônes de l’évolution.

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                        • #13
                          SECONDE POSTFACE A L'ATTENTION DES ENSEIGNANTS : REPONSES A DES OBJECTIONS CREATIONNISTES
                          John Rennie, rédacteur en chef du journal Scientific American, a identifié dans son numéro de juillet 2002 un certain nombre d’objections courantes faites par les créationnistes à l’encontre de la théorie de l’évolution. Voici comment je pense que l’on doive y répondre :

                          1. « L’évolution n’est qu’une théorie, pas un fait »
                          Ce fut le contenu d’un tract distribué anonymement dans la rue Geoffroy Saint Hilaire en juin 1994 lors de l’ouverture de la Galerie de l’Evolution du jardin des plantes à Paris. Comme nous l’avons développé ci-dessus, il n’y a pas de séparation possible entre faits et théorie. La théorie investit l’appréhension du fait, mais un fait sans théorie environnante ne signifie rien. L’évolution biologique est à la fois une théorie qui met en cohérence un grand nombre de faits, et des manifestations tangibles que nous appelons faits. La théorie n’est pas moins « vraie » ou moins crédible que les faits qu’elle explique. Il n’y a pas à employer le mot « théorie » dans un sens péjoratif. Les créationnistes n’ont jamais produit de théorie d’une plus grande cohérence que la théorie darwinienne de l’évolution pour rendre compte des faits. Cela signifie que « la théorie de la création » est telle que les faits qu’elle essaie d’interpréter se contredisent entre eux, tandis qu’ils ne se contredisent pas entre eux dans le cadre de la théorie de l’évolution.

                          2 . « Personne n’a jamais vu une espèce nouvelle évoluer »
                          Cette objection tombe à plat, puisqu’il suffit de mettre des faits en cohérence pour que l’évolution soir crédible. Plus personne aujourd’hui n’a vu la bataille d’Austerlitz. Pourtant, ce que nous savons de cette bataille tient à des restes, vestiges et documents écrits que nous devons articuler entre eux pour les comprendre. C’est la mise en cohérence maximale de faits isolés qui permet de penser cette bataille en tant que trame interprétative générale. Pourtant, personne n’irait remettre en cause la crédibilité de cet événement sous prétexte que plus personne n’y était. Personne n’irait dire que la bataille d’Austerlitz n’est qu’une théorie. Et pourtant, en quelque sorte, c’en est une. Deuxièmement, cette objection est tout simplement fausse. Non seulement on peut faire évoluer des populations à temps de génération courts en laboratoire (bactéries, champignons, mouches), mais l’apparition de nouvelles espèces en milieu naturel en période historique a été de nombreuses fois documentée, c’est-à-dire, pour reprendre les termes de l’objection, l’évolution d’une espèce en une autre. Par exemple, on a pu observer que des remaniements chromosomiques chez des souris tunisiennes provoquaient des isolements reproducteurs et donc la naissance de nouvelles espèces, l’espèce descendante vivant au même endroit que la parente. L’hybridation naturelle entre deux types de tournesols identifiés comme espèces distinctes produisit une descendance qui ne pouvait plus se croiser avec les tournesols ancestraux, réalisant ainsi une nouvelle espèce. Cette expérience a même pu être reproduite en laboratoire. A partir d’une souche des années 1950, des mouches du vinaigre (drosophiles) ont été reproduites dans des laboratoires durant cinquante ans dans des conditions stables et pures. Pendant ce temps, les descendants restés dans la nature continuèrent à évoluer de leur côté. Lorsqu’il s’est agit de croiser, cinquante ans plus tard, les descendants domestiques restés « purs » et les descendants naturels, ce croisement fut rendu impossible par l’invasion génétique d’éléments génétiques dits « P » dans les populations naturelles. Les populations naturelles avaient tellement changé qu’elles étaient devenues, en quelque sorte, une autre espèce au regard de la souche originelle restée, elle, préservée de ces événements au laboratoire.

                          3 . « L’évolution n’est pas scientifique parce que non testable. En d’autres termes, l’évolution n’a jamais été prouvée puisqu’on n’a pas de machine à remonter le temps »
                          Si on lit attentivement ce que nous avons développé ci-dessus, on constate vite qu’il n’y a pas besoin de machine à remonter le temps pour penser et conforter l’évolution biologique. L’évolution est parfaitement testable par l’approche expérimentale en laboratoire (cages à population de drosophiles, bactéries), observable sur le long terme (phalène du bouleau, drosophiles), ou par la reconstitution du passé à l’aide d’un régime de preuve d’historiens, c’est-à-dire par la mise en cohérence maximale, transparente et informatisée des pièces anatomiques des espèces, c’est-à-dire la reconstruction phylogénétique. Dans les trois cas, à l’aide de régimes de tests différents, les sciences de l’évolution génèrent de la connaissance objective. Les chercheurs peuvent tester mutuellement leurs résultats sans avoir à « aller voir » dans le passé. Par exemple, prenons le troisième régime de preuve, celui des sciences historiques : Est-ce que la bataille d’Austerlitz est testable ? Oui, dans une certaine mesure, si un autre chercheur peut en faire un récit plus cohérent encore que le récit précédent grâce à de nouveaux faits ou à une meilleure articulation entre les faits. Par ailleurs, à l’égard des sciences historiques, il faut savoir que la notion de « test » est elle-même très discutée actuellement et n’est pas encore tranchée.

                          4 . « L’évolution n’est pas étayée puisque les scientifiques changent tout le temps d’avis »
                          Ceci est valable pour l’ensemble des sciences. C’est précisément le travail des scientifiques que d’interroger le réel ; et donc de remettre en cause ce que l’on sait pour aller plus loin. La discussion de la valeur des faits, l’amélioration des théories est une activité permanente de la science, qui exerce son activité critique la plus légitime sur le front d’émergence des connaissances. La stabilité des savoirs scientifiques n’est que temporaire.

                          5 . « Si l’homme descend du singe, pourquoi reste-t-il des singes ? »
                          Cette question résulte d’une incompréhension des liens de filiation tels que les pratiquent les scientifiques. Déjà, dès le départ, l’affirmation « l’homme descend du singe » est mal formulée. En fait, l’Homme est un singe (il fait partie du clade des Simiiformes), il en porte tout les traits, parmi lesquels nous n’en citerons que trois : les deux os frontaux fusionnés, les deux os dentaires fusionnés, et la fermeture postérieure de l’orbite par une paroi osseuse. Et même si l’homme n’était pas un singe, il ne faudrait pas dire « l’homme descend du singe » mais il faudrait dire « l’homme et les singes sont très proches cousins », et dit autrement, « ils partagent des ancêtres communs exclusifs ». Si l’homme n’était pas un singe, cette question serait aussi inepte que la question suivante : sachant que les enfants proviennent des adultes, pourquoi reste-il des adultes ? Car si, de par le passé, une espèce de singe a donné naissance aux hommes que nous sommes, cela n’empêche pas la multitude des autres espèces de singes de l’époque de continuer d’exister.

                          6 . « L’évolution ne peut pas expliquer comment la vie est apparue sur terre »
                          C’est faux. Il faudrait définir la vie, mais, quelle que soit sa définition (une définition au niveau moléculaire et ses propriétés, une définition au niveau protéique et ses propriétés, au niveau cellulaire et ses propriétés…), il existe des modèles qui expliquent bien comment la vie et ses propriétés sont apparues à partir de molécules organiques, et qui font l’objet d’expériences concluantes en laboratoire in vitro. Ces modèles sont darwiniens, en ce sens qu’ils font apparaître le couple variation-sélection. Ils concernent des entités capables de se multiplier dans l’espace et de se maintenir, comme de courtes séquences d’acide ribonucléiques, par exemple. De plus, un grand nombre de molécules organiques constituantes de la vie sont trouvées sur des météorites, facilitant, en quelque sorte, la disponibilité des « briques » du vivant aux premiers âges de la terre.

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                          • #14
                            7 . « Les évolutionnistes ne peuvent pas montrer des formes de transition »
                            Il s’agit là des « chaînons manquants » chers à la presse. C’est faux. Si on parle rigoureusement, ces fameuses formes de transition sont des intermédiaires structuraux entre des types d’animaux connus de la faune d’aujourd’hui. Par exemple, prenons les lézards (les lépidosaures, sorte de « reptiles ») et les oiseaux. Les lépidosaures ont une queue, des dents, pas de plumes, pas de fourchette. Les oiseaux n’ont pas de queue, pas de dents, des plumes, une fourchette (réunion des deux clavicules). Le monde semble stable, ayant toujours contenu des animaux de « type lézard », sorte de puzzle aux pièces noires, et des animaux de « type oiseau », sorte de puzzle aux pièces blanches. En 1861, on découvrit un fossile, l’Archaeopteryx, qui est exactement le même puzzle, mais aux pièces tantôt noires, tantôt blanches, en fait ce qu’on appelle un intermédiaire structural. Il possède en effet une queue et des dents (comme le lézard), mais des plumes et une fourchette (comme l’oiseau). Depuis cette époque, une foule d’autres fossiles est venue enrichir les branches qui manquaient entre la branche des lézards et celle des oiseaux d’aujourd’hui. Il en va de même pour les « reptiles mammaliens » du Permien et du Trias, renfermant des proportions de caractères mammaliens tellement subtilement distribuées d’un fossile à l’autre qu’on a du mal à poser sur l’arbre phylogénétique le point qui définit les mammifères. Pour les créationnistes, toutes ces formes de transition ne seront jamais satisfaisantes : il manquera toujours des formes de transition entre les formes de transition !

                            8 . « Les évolutionnistes expliquent bien la micro-évolution, mais pas la macro-évolution »

                            C’est faux. La biologie d’aujourd’hui a mis en évidence les gènes Hox dont les mutations ponctuelles ont de vastes conséquences sur la morphologie externe des organismes. La littérature scientifique d’aujourd’hui regorge de ces mutants homéotiques. Le sens d’enroulement de la coquille d’un gastéropode tient à l’expression d’un gène. Plus la génétique du développement avance (et elle avance très vite depuis une vingtaine d’années), plus il est facile de comprendre comment on peut produire, grâce à une action simple sur des gènes maîtres, des modifications assez radicales de la forme ou de l’organisation générale des êtres vivants.

                            9 . « Il est mathématiquement impossible que quelque chose d’aussi complexe qu’un œil, ou qu’une bactérie, ait pu apparaître par hasard. Les êtres vivants sont si compliqués qu’ils ne peuvent qu’avoir été créés par une intelligence »
                            Premièrement, cette objection se trompe sur le rôle du hasard. Le hasard n’intervient qu’à la source de la variation, ce n’est pas le seul hasard qui « produit » les fruits de l’évolution : protéines, bactéries, œil ou animaux. La sélection naturelle, véritable moteur de l’évolution, qui fait l'œil et elle n’est justement pas l’ouverture du champ des possibles à toutes les aberrations et à leur maintien, mais agit précisément dans le sens contraire : génération après génération, elle trie les solutions viables en fonction des contraintes architecturales, fonctionnelles et celles liées aux contingences du milieu. Par elle, les conséquences du hasard sont soumises à une sévère nécessité d’optimalité pour sa perpétuation. L’œil ne naît précisément pas du chaos. Si l’on s’autorise une métaphore, le hasard des mutations (ou toute autre source de variation) est le carburant de l’évolution. La sélection, sorte de tamis très étroit, est le moteur de l’évolution.

                            Deuxièmement, cette phrase commet une confusion entre trois acceptions épistémologiques du mot « hasard ». A l’échelle de la mutation, l’occurrence inattendue de l’événement ponctuel identifié correspond au hasard-chance : c’est par « chance » qu’on trouvera un billet de dix Euros dans la rue. A l’échelle des populations, il y a des événements aléatoires que nous pouvons appréhender à l’aide de lois de probabilité : c’est le hasard des dés. A une échelle encore plus intégrée, celle des contraintes du milieu que subit l’espèce, il y a la contingence des évènements, c’est-à-dire un hasard mettant en jeu des paramètres si nombreux et si complexes qu’ils ne peuvent être déduits dans l’état actuel de la science (on ne dispose pas de lois de probabilité). L’objection créationniste prend le hasard au sens premier, ce qui autorise un effet de non sens calculé entre la complexité de l’œil et le hasard-coup-de-chance : il paraît effectivement insensé d’obtenir un œil tout à coup à partir de rien, juste par coup de chance. Cependant, l’œil est le fruit s’une série longue de contingences ; et la complexité des évènements contingents exige le hasard au sens troisième. Et précisément, les réserves méthodologiques exprimées par le recours à la contingence nécessitent une prudence que ne manifeste absolument pas le recours à une intelligence transcendante gratuite. Il s’agit là encore d’une objection nulle, épistémologiquement.

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                            • #15
                              Troisièmement, il y une erreur récurrente de perspective. Les conditions du milieu changent de façon contingente. Nous n’avons que le résultat d’un déroulement historique unique, forcément pointé sur nous, de qui part une flèche rétrospective unique. Si le film pouvait se dérouler à nouveau, il est impossible qu’il fût à nouveau le même, comme l’a exposé S.J. Gould de manière argumentée. Cet aveuglement anthropocentriste a fait objecter par de nombreux créationnistes que les formes intermédiaires d’yeux devaient à coup sur avoir été non optimales, comme si « la Nature » était arrivée à une sorte de point oméga, comme s’ils se prétendaient eux mêmes aptes à imaginer mieux que quiconque ce que devaient être des yeux intermédiaires, sans même comprendre que la condition de leur maintien devait être, précisément, leur optimalité. C’est en fait une objection gratuite, et totalement infirmée par la diversité des yeux décrits dans le monde animal depuis Darwin. Il se trouve que ces yeux ont évolué indépendamment, mais à partir des mêmes gènes maîtres, soulignant la multiplicité des solutions viables à tout moments.

                              Quatrièmement, les créationnistes surestiment leur capacité à calculer mathématiquement la complexité d’un œil, et encore plus sa probabilité d’apparition. La complexité d’un être vivant n’est pas formalisée. Lorsque les créationnistes ont tenté de le faire, ils ont importé la théorie de l’information en biologie (voir en France les écrits de M.P. Schützenberger, membre de l’UIP), ce qui constitua l’une des plus importantes impostures intellectuelles en biologie de la seconde moitié du XXème siècle. Cette importation, notamment, ne tenait aucun compte de l’épigenèse, ni de la variation-sélection à l’échelle moléculaire et cellulaire, et réduisait effrontément un gène à une unité d’information (voir Segal, 2003, sur les abus de l’utilisation de la notion d’information). Enfin, on oublie trop souvent qu’avec un modèle variation-sélection, le simple engendre très vite le compliqué, beaucoup plus vite qu’on ne le pense. Ceci a été vérifié à l’aide de simulations informatiques comme en génétique du développement.


                              BIBLIOGRAPHIE


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